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CHAPITRE III.

De la confiscation des biens du clergé et de la discussion qui eut lieu, à ce sujet, à l'Assemblée constituante.

L'un des principes constitutifs de notre civilisation moderne, c'est la distinction de la juridiction de l'Eglise et de celle de l'Etat; c'est la consécration des droits mutuels de ces deux puissances. Il peut y avoir sans doute initiative de la part de l'Etat pour de mander certaines réformes matérielles dans Forganisation du clergé et des corps religieux; mais afin d'y procéder et de les accomplir, il faut qu'il s'entende avec l'Eglise, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Le prince ou le chef de la société temporelle consolide ses droits à l'obéissance et aux respects du peuple, quand lui-même respecte les droits de l'autorité spirituelle.

Mais, au moment de la révolution française, cette question de la distinction des deux pouvoirs avait été tellement obscurcie par les sophismes, qu'une partie même du clergé avait cessé de la comprendre. Parmi les ordres religieux, cette miilice auxiliaire de l'Eglise, il y en a qui se licencièrent euxmêmes sans attendre les ordres ou l'autorisation de leurs chefs. Dans la séance du 2 septembre 1789, l'Assemblée constituante reçut une adresse des religieux de SaintMartin-des-Champs, lesquels offraient à la nation les biens de l'ordre de Cluny, et demandaient que chaque religieux recât une pension viagère de 1,500 livres. D'autres Couvents du même ordre adhérèrent à cette offre, le 10 octobre suivant (1).

Cela n'avait-il pas l'air d'un sauve-qui-peut général, où chacun songeait à soi, sans penser à la communauté dont il faisait partie, à l'Eglise dont il était membre? Ces religieux pouvaient-ils provoquer leur propre dissolution sans s'être fait séculariser où relever de leurs vœux par l'autorité pontificale. Avaienti's le droit d'interrompre par leur suicide. moral la vie de l'ordre dont ils ne représentaient qu'une génération? Les possesseurs ou détenteurs de ces monastères ou de ces abbayes agissaient un peu comme l'économe infidèle de l'Evangile. Ils se conduisaient en prudents et habiles enfants du siècle. Ils faisaient avec l'Etat un marché, au moyen duquel ils s'assuraient de bonnes retraites. L'Etat qui acceptait ce marché devait croire qu'il de venait acquéreur légitime.

Mais il n'y eut plus d'illusion possible pour Assemblée quand vint le jour de la solenLelle discussion sur la confiscation des biens ecclésiastiques.

Cette Assemblée peut-elle, disait l'évêque d'Autun, réduire le revenu des titulaires virants et disposer d'une partie du revenu?..... D'abord, il faut en ce moment partir d'un point de fait, c'est que cette question se trouve décidée par vos décrets sur les dimes... D'ailleurs...

(1) Histoire parlementaire de Buchez et Roux, tom. II, de l'édition compacte et petit format, de 1846, p. 471.

tous les titres de fondation de biens ecclésiastiques, ainsi que les diverses lois de l'Eglise qui ont expliqué le sens et l'esprit de ces titres, nous apprennent que la partie seule de ces biens, qui est nécessaire à l'honnête subsistance du bénéficier, lui appartient, qu'il n'est que l'administrateur du reste, et que ce reste est réellement accordé aux malheureux et à l'entretien des temples. Or, ajoutait l'évêque d'Autun, la société peut respecter le droit du bénéficier, en prenant l'administration de son bien, si, d'une part, elle lui assure une indemnité équivalant pour lui au strict nécessaire, et si, de l'autre, elle prend pour son compte les autres obligations attachées à ce bien.

C'est à peu près comme si l'Etat disait à un riche propriétaire: Vos biens servent à vous nourrir, à élever vos enfants, à donner l'aumône aux pauvres infirmes, à faire travailler les ouvriers valides; je vais en prendre l'administration. Je vous donnerai une pension alimentaire; je me chargerai de vos aumônes et de l'éducation de vos enfants; je ferai entrer dans mes ateliers nationaux les ouvriers

auxquels vous donniez de l'ouvrage. Ainsi tout sera pour le mieux, et personne n'aura à se plaindre.

Le père de famille ne goûterait peut-être pas beaucoup ce raisonnement. Il sentirait se révolter en lui deux droits également sacrés, celui de la propriété et celui de la nature.

Eh bien l'Eglise n'est pas seulement un père, c'est une mère dont la famille se compose de tous les pauvres, de tous les êtres souffrants; elle voit en eux des membres de Jésus-Christ, son divin fondateur. Qui la remplacera dans la vigilance, dans la tendresse de sa charité? Seront-ce les employés de l'Etat, avec l'exactitude officielle, la froideur, la sécheresse de leurs formes bureaucratiques? Ne faudra-t-il pas d'ailleurs salarier le zèle intéressé de ces administrateurs laïques, et ne sera-ce pas autant de retranché au patrimoine du pauvre?..

Ensuite la dignité du culte et du sacerdoce n'avait-elle pas tout à perdre à l'établissement d'un pareil état de choses. « Qu'il est cruel, s'écriait un publiciste protestant de l'Angleterre, contemporain de la révolution, qu'il est cruel pour des hommes, qui ont en faveur de la religion, le double préjugé de leur éducation et des fonctions qu'ils administraient dans son ministère, de ne devoir plus recevoir les débris de leur propriété qu'à titre d'aumône, et encore de ces mêmes mains impies et profanes qui les ont dépouillés de la totalité; de les recevoir, non pas par les contributions charitables des fidèles, mais de ne devoir qu'à l'insolente. pitié d'un athéisme connu et avoué, les frais du culte, calculés et proportionnés sur l'échelle du mépris dans lequel il est relégué, dans l'intention trop évidente de rendre tous ceux qui les reçoivent tout aussi vils et tout aussi méprisables aux yeux du genre humain (1). »

(1) Burke, Lettre sur la révolution française, p. 157 de la traduction. Les rationalistes modernes les plus sages ont eux-mêmes reconnu que la rétribution suf

Plus loin, le même publiciste fait remarquer que Henri VIII, au moins, quand il voulut piller les abbayes et les monastères, se couvrit des formes menteuses de la légalité. Il établit une commission pour faire des enquêtes sur les crimes imaginaires de ces communautés; et ainsi il obtint des unes par la terreur la résignation de leurs biens, il fit condamner les autres à la confiscation par une apparence de jugement légal. « Ces fausses couleurs elles-mêmes, dit-il, étaient un hommage que le despotisme rendait à la justice (1). » Mais en vertu apparemment du principe indéfini de la perfectibilité humaine, l'Assemblée constituante n'y a pas mis tant de façons : « Elle a fait main-basse sur « cinq millions sterling de revenu annuel, et chassé de leurs maisons cinquante ou soixante mille créatures humaines, parce que tel était son bon plaisir (2). »

Voilà comment un étranger impartial qualifie les procédés de la révolution spoliatrice du clergé de France.

Voyons maintenant si la nation et l'opinion publique réclamaient ces mesures de rigueur et d'iniquité.

Les cahiers remis par les électeurs des trois ordres aux membres des états-généraux, et ceux-mêmes du tiers-état, ne réclamaient que l'abolition de l'exemption des impôts pour l'ordre clérical. En fait, le clergé, depuis la captivité de François 1, dont il paya en partie la rançon, n'avait jamais cessé de contribuer aux charges de l'Etat par des dons volontaires. Dans le xvIII* siècle, ces dons avaient été renouvelés périodiquement tous les cinq ans. En 1789, le clergé consentait à changer le fait en droit, et à payer sa quotepart d'impôts comme les autres propriétaires du pays.

Si donc on songea à s'emparer des biens du clergé, ce ne fut pas sous la pression de

fisante des salaires était une question de dignité pour tout clergé que l'on voulait entourer de quelque prestige, et qu'il ne fallait pas lui marchander ou lui retrancher ce qui dépassait le strict nécessaire. Il ne faut pas, dit M. Adolphe Garnier, mettre la religion à la mendicité; il ne faut pas la forcer à quêter son pain de porte en porte. Le prêtre, de quelque religion que ce soit, aussi bien d'une religion purement rationelle que d'une religion surnaturelle, a besoin d'ascendant et d'autorité sur ceux qu'il enseigne. Comment conservera-t-il même son indépendance, s'il reçoit sa nourriture de celui qu'il doit soulager et diriger? De la morale sociale, chez Hachette et Cie, Paris, 1850. Ces réflexions sont fort sensées : seulement nous ne savons pas trop ce que c'est qu'un pretre d'une religion purement rationelle.

(1) Leure sur la Révolution française, par Burke, p. 151.

(2) P. 150, id., ibid. A la fin de l'année 1849, l'université de Cambridge a tenu une conférence composée de clercs anglicans et de gradués prets à le devenir: cette assemblée a pris la résolution suivante : La suppression des monastères, par Henri Vill, fut pour la nation une épouvantable calamité; et les circonstances actuelles exigent impérieusement le rétablissement d'institutions analogues parmi nous. › (Voir le Times et autres journaux anglais de 1849.)

l'opinion publique. Ce ne fut pas non plus dans l'intention de refaire la société sur un autre plan, et de mettre ce point particulier en harmonie avec un vaste ensemble de reconstitution universelle.

On n'avait alors que la rage de détruire; et l'ère des utopies, qui ont la prétention de fonder à priori des sociétés nouvelles, n'était pas encore arrivée.

Deux causes générales amenèrent la vente des biens du clergé. Ce fut d'abord la haine de l'orthodoxie catholique, fruit des doctrines négatives du siècle des sophistes; ensuite on peut y retrouver l'influence directe du gallicanisme parlementaire, qui avait poussé à l'excès les doctrines d'indépendance et de suprématie de l'Etat, soit à l'égard de la papauté, soit à l'égard des Eglises de France, dont il tendait à faire une seule Eglise nationale, comme l'Eglise anglicane.

On présenta en même temps cette vente comme un expédient financier, pour faciliter les voies à un emprunt et prévenir une banqueroute.

L'Assemblée nationale, loin de prendre des mesures efficaces pour combler le déficit de 50 à 60 millions, qui avait été le prétexte de la convocation des états-généraux, sembla s'efforcer de l'agrandir sans mesure, et de creuser encore le gouffre où devait s'engloutir la fortune de la France. Ainsi, en supprimant tout l'ordre judiciaire alors existant, qui ne coûtait à l'Etat que 20 à 25 millions par an, elle se mit dans le cas de grever l'Etat de 600 millions de capitaux à payer pour le remboursement des offices de judicature.

Elle avait, dès le principe, poussé violemment aux dépenses, sans s'inquiéter des

recettes.

Une pareille méthode n'était pas faite pour exciter la confiance, ni pour soutenir le crédit. Or, afin de faire remonter les effets publics, les financiers de l'Assemblée nationale ne trouvèrent rien de mieux que de garantie de l'emprunt à négocier, les biens donner aux rentiers et agioteurs, comme du clergé appréciés à la valeur de deux ou trois milliards.

C'était, ainsi que le disait très-bien un orateur de la droite, mettre les capitalistes ou propriétaires de papier à la place des bénéficiers et propriétaires ecclésiastiques.

Et une pareille opération de finances n'aurait pas, suivant de célèbres publicistes modernes, la moindre odeur de spoliation !...

Mais l'Etat, dit-on, en prenant les biens de l'Eglise, se chargeait de pourvoir aux besoins du culte, de rémunérer ce service public.

C'est toujours la doctrine qui tend à faire descendre les ministres de l'Eglise au rang de fonctionnaires civils.

Mirabeau cherchait à poursuivre jusque dans ses dernières conséquences ce principe funeste qu'il avait déjà proclamé antérieurement à la tribune, quand il faisait rendre le décret du 2 novembre, conçu en ces termes :

« Tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces. Dans les dispositions à Dans les dispositions à faire pour subvenir à l'entretien des ministres de la religion, il ne pourra être assuré à la dotation d'aucune cure moins de 1,200 1. par année, non compris le logement et les jardins en dépendant. »

Nous n'examinerons pas comment cette espèce de loi d'indemnité a été observée : il y a eu d'ailleurs ralitication consentie par l'Eglise de tous ces déplacements de propriété, de peur de plus grands troubles. Qu'il nous suffise de constater, en passant, que les membres du clergé catholique ne sont pas des salariés mais des indemnisés.

Mirabeau n'obtenait donc pas de l'Assemblée le triomphe complet de sa doctrine relativement aux officiers salariés (1) du culte public. Du reste, parce que l'Etat proposait de rémunérer l'exercice des fonctions du sacerdoce, avait-il le droit de s'emparer des biens des couvents, des monastères et des églises ?

Voici ce que disait à ce sujet un orateur, qui raisonnait, il est vrai, dans l'intérêt de son corps, mais qui n'en raisonnait pas moins avec une grande justesse. Il faut examiner les arguments de l'abbé Maury, sans avoir égard à sa personne.

« On nous a donné nos biens, disait-il; les fondations existent. Ce n'est point à la nation, qui n'est, comme le clergé lui-même, comme les hôpitaux, comme les communes, qu'un corps moral; ce n'est pas même au culte public que ces dons ont été faits: tout a été individuel entre le donateur qui a légué et l'église particulière qui a reçu. On ne connaît aucun doo générique fait à l'Eglise. Les dotations d'un grand nombre de cures ne sont que des fondations inspirées par la piété de quelques paroissiens, et ne peuvent, par conséquent, retourner à la ation, parce qu'elles n'en viennent point. Quelles propriétés seraient sûres dans le royaume, si les nôtres ne l'étaient pas ? »

A cela, M. de Mirabeau répondait : « Le clergé n'a pu acquérir des biens qu'à la décharge de l'Etat, puisque, en les donnant, les fondateurs ont fait, ce qu'à leur défaut, la nation aurait dû faire. »

Voilà une présomption légale singulièrement forcée. Je vois dans une foule de vieilles chartes, dont je pourrais produire les originaux ou les copies authentiques, ces expressions si claires: « Nous déclarons donner telle terre ou telle forêt à telle paroisse ou à tel monastère, pour le salut de notre ame; » suivaient des stipulations de prières et de messes PERPETUELLES pour le testateur ou le donateur, et quelquefois pour sa famille. N'y avait-il pas là volonté de donner, non pas seulement l'usufruit, mais la propriété à titre irrévocable? Et le propriétaire

(1) Voir le chapitre précédent.

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ne pouvait-il pas, ne devait-il pas transmettre un droit égal au sien?

N'est-ce pas une dérision de dire que de pareils donateurs entendaient stipuler à la décharge de l'Etat? La condition qu'ils y mettent a, au contraire, un caractère tout à fait individuel. C'est un intérêt qui se rapporte à l'autre vie. Mais ce n'en est pas moins un intérêt particulier.

Prétendra-t-on maintenant que des associations ne peuvent pas être propriétaires à titre inaliénable, et que, par conséquent, les ordres religieux ne peuvent être considérés que comme des usufruitiers? Mais ce principe tuerait l'industrie. Où trouverait-on des sociétaires et des actionnaires pour tant d'entreprises utiles, si l'Etat pouvait arbitrairement et au gré de sa fantaisie changer des titres de propriété semblables en simples titres d'usufruit?

Serait-ce la qualité de main-mortables qu'on opposerait aux associations religieuses? Mais l'objection porterait également sur les communes, les hôpitaux, les sociétés mutuelles de bienfaisance, etc., etc.

on

En effet, si on nie qu'il y ait droit de propriété là où manque le droit complet d'aliéner, les communes et les hôpitaux ne seront pas de véritables propriétaires ne les considérera que comme de simples usufruitiers continuant de posséder sous le bon plaisir du gouvernement leurs meubles et immeubles resteront toujours à la disposition de l'Etat (1).

Il est donc vrai que la confiscation des biens du clergé, accompagnée d'une indemnité dérisoire et non préalable, violait un droit réel de propriété, et commençait à ébranler ce principe fondamental de toute société civilisée.

C'était de la tyrannie ou de l'anarchie, deux faits qui se confondent dans leurs résultats.

Si l'on veut sérieusement garantir la propriété individuelle de toute atteinte, il faut protéger aussi la propriété collective qui découle de la même origine et repose sur les mêmes principes. On ne doit pas avoir deux poids et deux mesures. Si l'on tient réellement à ce que la société ferme sa porte au communisme, il faut que cette porte soit verrouillée et cadenassée de manière que nul n'y puisse passer et ne la laisse entr'ouverte après lui.

Il ne s'agit pas ici de partis extrêmes, comme certains publicistes voudraient le faire entendre. Il s'agit de soutenir fermement les vrais principes sociaux, envers et contre tous, même contre l'Assemblée constituante, dont on ne saurait vouloir faire

la non-contribution des biens de main-morte a l'e (1) Il resterait l'objection du tort fait à l'Etat par pot de l'enregistrement, puisqu'ils ne sont sujets à aucune mutation. Mais cette objection aurait pu être levée par une loi semblable à celle de notre dernière Assemblée constituante, loi qui frappe cette sorte de biens d'un impôt équivalent à celui qu'ils pourraient rendre s'ils étaient dans la circulation ordinaire.

une espèce d'arche sainte dont il ne serait sorti que des oracles.

CHAPITRE IV.

Réponses à une objection; excursion dans un pays voisin.

Il ne faut pas que l'on croie que nous ignorions l'espèce d'objection particulière que l'on peut faire au droit de propriété du clergé, à la main-morte des biens d'Eglise.

Cette objection, la voici :

Plus l'influence des prêtres et des moines sera grande, plus ils obtiendront de donations pour leurs églises et pour leurs abbayes. Or, comme les églises et les monastères acquièrent toujours et n'aliènent jamais, il pourra arriver dans un temps donné, qu'ils en viennent à accaparer la presque totalité du territoire (1). Alors il n'y aura plus dans la culture des terres cette émulation qui naît de la concurrence. La liberté des ventes et des échanges sera arrêtée. Une langueur funeste viendra paralyser le crédit et arrêter la circulation commerciale.

Pour bien juger de la portée de cette objection, examinons dans quelle position s'est trouvé longtemps un pays voisin du nôtre, 'Espagne.

On a calculé qu'à la fin du xvir siècle, 'Eglise possédait, dans les vingt-deux provinces du royaume de Castille, douze millions d'arpents de terre, qui rapportaient 161 mildions de réaux. Or les laiques n'y possédaient pas plus de 61 millions d'arents de terres, dont le rapport montait à 817 millions de réaux. Ainsi, la cinquième partie du revenu des terres était entre les mains du clergé, dont les revenus s'élevaient encore, en 1817, à 150 millions de francs (2).

Il faut dire, ajoute l'historien (3) qui rapporte ce fait, il faut dire, à l'honneur des communautés religieuses et des évêques d'Espagne, qu'ils faisaient l'emploi le plus généreux de leurs richesses. C'est au clergé que la Péninsule doit un grand nombre de ses édifices publics, de ses ponts, de ses fontaines, de ses aqueducs, de ses hospices. Dans les calamités publiques, il nourrissait un grand nombre de pauvres. Pendant une disette, un archevêque de Tolède transforma le fameux Alcazar, construit par les Maures et agrandi par Herrera, en un vaste hôpital où neuf cents indigents étaient reçus et nourris tous les jours. Les évêques et les supérieurs de couvents n'étaient pas moins généreux comme propriétaires. Ils attendaient avec patience un terme arriéré. Lorsque la récolte avait manqué, ils donnaient volontiers

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au fermier du grain pour les semailles, et lui faisaient remise d'une partie, proportionnée à la perte qu'il avait essuyée, etc.

Voici maintenant la part du blâme que fait largement M. Weiss, au point de vue de T'économie politique :

Bon administrateur, mais conservateur par essence, et n'ayant que des besoins constants qu'aucun accroissement de famille ne venait augmenter, le clergé se bornait à augmenter ses propriétés et ne se livrait pas à des travaux d'amélioration qui auraient pu tripler ses revenus. Les terres qu'il possédait rapportaient à peine 1 112 pour cent d'inté rét, il les faisait cultiver par des familles qui se les transmettaient de père en fils;... ces fermiers n'avaient pas d'intérêt à rendre plus productifs les champs qu'ils cultivaient pour le compte de leurs maitres, car le prix des fermes aurait été augmenté en proportion des revenus. Aussi l'agriculture resta-t-elle stationnaire en Espagne.

Est-il bien vrai que le clergé ne rendit aucun service à l'agriculture? Quand il n'aurait fait que construire des aqueducs et creuser des canaux, n'aurait-il pas donné à ses capitaux l'emploi le plus utile pour la fécondation de la terre? Arroser un sol brûlé par le soleil, sous une température presque africaine, n'est-ce pas en décupler la valeur? Et de telles dépenses auraient-elles été à la portée d'une propriété affaiblie par la division et le morcellement?

Voici d'ailleurs un fait qui prouve que la richesse du clergé peut se concilier avec l'industrie. Nulle province d'Espagne n'était plus inféodée à l'Eglise que la Catalogne, et hulle n'avait une industrie plus florissante. Donc l'opulence du clergé n'est pas une source de misères pour la société laïque (1).

Du reste il ne faut pas, en boune économic sociale, que le présent nous fasse oubier l'avenir. S'il y avait dans l'Etat un corps qui fit des épargnes pour les temps de calamités; qui, au moment d'une peste ou d'une famine, ouvrit ses hospices et ses greniers; qui fit travailler le pauvre dans les temps de chômage, bien des questions agitées aujourd'hui se trouveraient résolues, celle des caisses de retraite, celle des greniers d'abondance ou de réserves, celle enfin des ateliers nationaux, etc.

N'y a-t-il aucune critique à faire contre le système actuel d'économie politique qui consiste à emprunter toujours, à hypothé quer toutes les ressources de l'avenir? A-t-on été bien inspiré quand on a divisé en innombrables parcelles ces vastes clairières qui nous permettaient d'avoir une grande abondance de bestiaux et de donner de la viande à bon marché à l'ouvrier des villes comme au manœuvre des campagnes ? N'est-ce pas s'affaiblir comme nation que de ne pas se conserver de quoi pouvoir remonter sa

(1) Ce fait a été avancé dans une brochure publice en avril 1840 par Balmès, et intitulée : Observations sociales sur la vente des biens du clergé. Aucun de ses adversaires n'a osé le démentir.

cavalerie, faute de pacages pour élever des chevaux et entretenir des haras? N'est-ce pas ap auvrir d'avance les générations futures que d'aliéner, de partager et de défricher les forêts qui auraient pu fournir encore, pendant des siècles, aux constructions le nos maisons et de nos vaisseaux? En un mot, la société ne ressemble-t-elle pas de nos jours à un prodigue qui mange ses caitaux?

A côté de cette société qui pousse toujours aux dépenses et à l'anticipation de T'avenir, ne serait-il pas bon d'avoir aujour'hui une société fondant son crédit sur un antique système de retranchements et d'épargues, et créant des capitaux utiles et productifs pendant que partout ailleurs on semble s'efforcer d'en tarir la source?

Je ne juge pas ici la question des majorats; suivant M. Weiss (1), ils prirent une telle extension en Espagne, que des provinces presque entières appartenaient à un seul seigneur; il paraît qu'ordinairement les grands d'Espagne, ces espèces de princes souverains, n'offraient pas, dans le mode d'administration de leur immense fortune, les mêmes compensations d'utilité publique que celles fournies par le clergé. Mais si la Concentration des propriétés avait ses excès, n'y avait-il pas d'abord à réformer la légis lation sur ce point, pour lequel le pouvoir civil n'était limité par aucun pouvoir d'une autre nature, avant de s'emparer de tous les biens de l'Eglise d'Espagne, sans s'être enlendu avec l'autorité spirituelle?

Du reste, il faut bien croire que le morcellement du sol n'a guère enrichi l'Espagne depuis qu'il y est pratiqué; car maintenant voici l'un des économistes les plus célèbres de l'Espagne, M. Ramond de la Sagra, qui se plaint des effets désastreux qu'amène ce fractionnement indéfini du territoire: il veut que l'Etat se déclare propriétaire de tout le sol, qu'il le fasse cultiver scientifiquement, et qu'il donne à chacun sa part des produits (2). Ainsi les philanthropes et les philosophes se plaignaient d'une trop grande concentration de propriétés dans les mains du clergé, parce qu'il possédait le cinquième du territoire dans la Castille; et maintenant ces nêmes hommes voudraient concentrer ce territoire tout entier entre les mains d'un seul propriétaire, l'Etat !

C'est bien ici le cas de dire avec un sec. taire allemand, que l'homme est comme un paysan ivre à cheval: quand on le relève d'un côté, il tombe de l'autre.

Or, à supposer qu'il y eut des abus dans l'administration des biens du clergé, un

(1) L'Espagne depuis le règne de Philippe II jusqu'à l'avènement des Bourbons, etc., p. 53, tom II.

(2) Raudot, De la décadence de la France, deuxième édition, p. 109. M. Ramond de la Sagra, qui a émis cette théorie à l'un de nos congrès agricoles de France, n'est pas nommé dans l'ouvrage de M. Raudot. Il est simplement désigné sous la dénomination de Correspondant de l'Institut. Je ne me suis pas cru tenu à la même réserve.

recours était ouvert à une autorité supérieure; le roi pouvait se plaindre, le pape pouvait censurer et punir. Mais contre l'Etat, où serait le recours? Quel maître, quel supérieur reconnaitrait-il sur la terre ou même dans le ciel? Entre un despote qui mépriserait le faible et se rirait de la charité, et des sujets asservis qui traineraient une vie d'obéissance contrainte avec l'insurrection dans le cœur, il n'y aurait plus place que pour ces orgies de tyrannie qui épouvan taient la terre avant la venue du christianisme.

dans les pays où le clergé possédait le Nous ne croyons pas, nous, que même sixième ou le cinquième du territoire, il y eut dans cette situation un danger ou une cause de ruine pour la société laïque. Què si le pouvoir temporel s'était cru menacé qui ne meurt jamais, il aurait pu demander par cette extension des propriétés d'un corps contre lui des armes défensives au souverain pontife: ces armes ne lui auraient pas été refusées. Au lieu de procéder ainsi en Espagne, on a agi révolutionnairement les églises et les communautés religieuses ont été spoliées, réduites à l'indigence; l'Etat l'Espagne n'ont été dans un état plus déplone s'est pas enrichi. Jamais les finances de rable; jamais la misère publique n'a fait de pareils progrès. Voici du reste le tableau fidèle qu'en traçait récemment un témoin oculaire.

« Pour le parti progressiste ou révolu tionnaire, la confiscation des biens du clergé plus incontestable, qu'il est au su de tout le est un acte de justice; la chose est d'autant monde que Charles III a appliqué aux besoins de l'Etat les biens des Jésuites.

« La misère est telle dans le clergé que des curés de campagne ont été réduits à fermer leurs églises et à en porter les clefs à l'évêque. Voici deux ans et demi que l'indemnité est promise et sans cesse différée. Maintenant on promet encore, mais pour l'avenir seulement; le gouvernement déclare ne vouloir ni ne pouvoir solder l'arriéré de ces deux années : il n'a pas encore payé le premier trimestre de la troisième. Des communautés de religieuses en sont venues à cette extrémité, de placer sur leur porte un écriteau pour solliciter la charité publique. Les immenses biens ecclésiastiques, qui devaient enrichir l'Etat, semblent au contraire l'avoir appauvri; la malédiction divine se serait-elle attachée aux mains des spoliateurs (1) ? »>

Déjà un Bourbon d'Espagne, Charles III,

(1) Correspondance de Séville. (Ami de la Religion, 15 mars 1850.) On peut voir dans la revue intitulee la Civilizacion, qui était rédigée à Barcelone, en 1843, quel fut le résultat immédiat de la vente des biens ecclésiastiques. Balmes et Ferrer montrérent dans ce recueil la folle et désastreuse imprudence de cette mesure révolutionnaire. Dernièrement (novembre 1850) F'archevêque de Séville, par suite de la gène à laquelle il est réduit, a été obligé de prendre une mauvaise diligence pour aller recevoir à Madrid sa barrette de cardinal.

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