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seules enargées de la direction du monde civilisé. Ces deux puissances s'entendirent et s'unirent. Ce qui en résulta, au moyen âge, ne fut ni une théocratie, ni un despotisme militaire. Ce fut un ordre nouveau et particulier, où le prêtre et le soldat, bien que distincts, indépendants, et même séparés l'un de l'autre, exerçaient en commun l'autorité suprême, la direction des esprits et la police des corps. C'était un composé de chevalerie et de religion; celle-ci, pénétrant dans les mœurs des peuples, y entretenait la foi et leur apprenait à respecter leurs princes. Les princes, à leur tour, sous peine de voir s'altérer ce respect et s'évanouir le prestige de leur pouvoir, devaient croire, observer la morale et les préceptes de l'Eglise universelle. Chaque souverain était ou devait être le premier chrétien de ses Etats. Les sujets avaient ainsi une double garantie, la transmission paisible du commandement dans des familles consacrées et surveillées par la religion, laquelle, en sanctifiant le pouvoir, ennoblissait l'obéissance. L'ensemble de ce système s'appelait la Chrétienté. Tout ce qui subsiste encore de beau et de vrai dans nos sociétés modernes dérive de cette magnifique combinaison sociale, la plus noble et la plus morale que nous ait présentée l'histoire du genre humain.

Il est aisé de concevoir que dans cet état de choses les ennemis du christianisme eurent à s'attaquer non plus seulement aux successeurs des apôtres, faibles et désarmés, mais aux princes temporels, leurs alliés et leurs défenseurs. Dès lors, tout impie fut forcé d'être factieux, et tout factieux, dans un Etat, dut être un impie. Or, ces ennemis impérissables du christianisme n'étaient autres que les successeurs des sectes philosophiques qui avaient lutté jadis contre les apôtres eux-mêmes : épicuriens, manichéens, panthéistes, se léguaient soigneusement, de génération en génération, leurs erreurs et leurs haines. Obligés de poursuivre leur propagande en secret, ils la pratiquèrent à l'aide d'associations mystérieuses. Ainsi la secte de Manès, dont la doctrine était : « Dieu est le mal: la propriété, c'est le vol,» tour à tour exterminée et renaissante, en Orient et en Afrique, sous son propre nom, dans l'est de l'Europe sous le nom de Bulgares, en France sous celui d'Albigeois, en Allemagne sous celui de Hussites, est arrivée, à travers les rites mystérieux des Templiers, des Francs-Maçons, des Illuminés de Bavière, et de diverses sociétés secrètes moins célèbres, jusqu'au socialiste Proudhon.

Il fallait donc remonter aux véritables origines de ces éternels ennemis de l'ordre public, pour se rendre compte des motifs de la haine commune qu'ils portaient aux prêtres et aux rois. Bon nombre d'articles de ce Dictionnaire, puisés aux sources les plus sûres, sont consacrés à montrer la filiation souterraine et le mode de propagation de ces foyers d'incrédulité et de sédition à travers les siècles, depuis l'époque où le catholicisme vit son autorité généralement reconnue et appuyée par les pouvoirs politiques, jusqu'au moment où le schisme de Luther, opérant une scission entre une partie des princes et les chefs de la religion, permit aux sophistes de continuer leur entreprise au grand jour. Il leur suffit, pour troubler la foi, corrompre les esprits, et soulever les masses ignorantes, de deux moyens également puissants: la doctrine du libre examen, et l'usage autorisé de l'imprimerie. Des princes ignorants, mal avisés, ou vicieux, tolérèrent et même protégèrent les efforts de ces novateurs, sans prévoir qu'ils seraient eux-mêmes proscrits par la révolution radicale dont ils favorisaient les premiers artisans.

Durant trois siècles, cette révolution anti-chrétienne et anti-monarchique a marché dans sa force et dans sa liberté, usant de tous moyens, profitant de toutes occasions, conformant son langage et ses actes aux mœurs de chaque pays, aux passions et aux préjugés de chaque prince, attirant à elle tous les mécontents et les factieux, tous les malades d'orgueil et de science. Arborant tour à tour ou à la fois, pour se mettre à la portée de tous les esprits, les couleurs du scepticisme, du panthéisme, du déisme, de l'athéisme, du matérialisme; se montrant modérés près des uns, inflexibles et inexorables en principes près des autres. Dissimulant leur but ou le découvrant sans pudeur, suivant les temps et les lieux, et ce but, c'était partout de déraciner le christianisme et le système politique fondé par lui, et qui constitue la civilisation européenne. Et par quoi le remplacer? On verra dans les articles sur l'Illumi

nisme allemand, le plus profondément médité et le plus conséquent de tous, qu'il ne s'agissait de rien moins que de détruire toute trace de notre état civilisé, les villes et les lois, les mœurs, les sciences, les arts, et de replacer la race humaine dans les forêts, dans l'état de nature ou plutôt de sauvagerie. Ainsi le progrès, tant annoncé et tant promis par ces effroyables réformateurs, arrivait, en définitive, à la dégradation la plus honteuse de la race humaine.

C'est pour justifier cette étrange conclusion du reproche d'exagération, que nous avons dû exposer longuement, trop longuement peut-être, les doctrines et l'organisation actives des sectes qui ont bouleversé en partie l'ordre des sociétés chrétiennes; nous avons, le plus souvent cité leurs propres ouvrages et raconté d'après eux-mêmes. A l'exception de quelques points importants de doctrine où nous avons cru devoir les combattre et les réfuter, en nous appuyant des autorités les plus recommandables, nous nous sommes borné à offrir le tableau fidèle des divers systèmes proposés et essayés par les révolutionnaires. La sagacité du lecteur suffira pour en apprécier la valeur ou plutôt l'inanité. L'expérience, d'ailleurs, a déjà prononcé sur ce point. Ce qui peut encore intéresser l'esprit, c'est de découvrir les. rapports, les points de contact entre toutes ces billevesées du rationalisme, qui, pour ne pas sortir de chez nous, prétendait remplacer la loi de Dieu par la loi sociale. Economistes, encyclopédistes, constituants, jacobins, communistes, se sont tous inspirés de cette pensée soustraire l'ordre et la conduite des sociétés humaines à la main de la Providence divine; remplacer la tradition et la révélation par les chimères de l'imagination philosophiste. Heureusement Dieu est toujours là, et des événements récents ont prouvé qu'on ne touche pas impunément à l'œuvre qu'il s'est réservée, et que la direction mystérieuse des destinées sociales n'est point une question abandonnée aux discussions de l'esprit humain, comme la solution d'un problème de mathématiques.

DES

ERREURS

SOCIALES.

ACCAPAREMENTS, spéculation commerciale qui consiste à se rendre propriétaire de la plus grande partie ou même de la totalité existante d'une marchandise, pour éteindre toute concurrence des vendeurs et forcer les consommateurs à la payer à un prix plus élevé; quand cette combinaison s'applique à des denrées ou marchandises de première nécessité, elle constitue l'industrie la plus immorale et la plus dangereuse. Dans le cours de nos révolutions, elle a causé plusieurs fois des disettes factices, des émeutes, et fait répandre le sang. Le devoir rigoureux du gouvernement est donc de réprimer, et, plus encore, de prévenir toutes manœuvres d'accaparement. Mais, dans la théorie moderne, la liberté du commerce, hautement proclamée, s'oppose à cette police indispensable, au moins théoriquement. Le dogme de la liberté du commerce est donc une erreur. Nos lecteurs nous sauront gré de reproduire ici un article assez curieux de Charles Fourrier, qui, expert dans cette partie, écrivait, il y a trente ans, au milieu des triomphes de ces sycophantes du commerce et de l'industrie.

« L'accaparement est le plus odieux des crimes commerciaux, en ce qu'il attaque toujours la partie souffrante de l'industrie. S'il survient une pénurie de subsistances ou denrées quelconques, les accapareurs sont aux aguets pour aggraver le mal, s'emparer des approvisionnements existants, arrher ceux qui sont attendus, les distraire de la circulation, en doubler, tripler le prix par des menées qui exagèrent la rareté et répandent des craintes qu'on reconnaît trop tard pour illusoires. Ils font dans le corps industriel l'effet d'une bande de bourreaux qui irait sur le champ de bataille déchirer et agrandir les plaies des blessés.

Une circonstance qui a contribué à la faveur dont jouissent aujourd'hui les accapareurs, c'est qu'ils ont été persécutés par les

A

jacobins; ils sont sortis de cette lutte plus triomphants que jamais, et celui qui élèverait la voix contre eux semblerait au premier abord un écho de la jacobinière. Ma s ne sait-on pas que les jacobins ont massacré indistinctement toutes sortes de classes, soit d'honnêtes gens, soit de brigands? N'ont-ils pas envoyé au même échafaud Hébert et Malesherbes, Chaumette et Lavoisier? Et parce que ces quatre hommes ont été sacrifiés à la même faction, s'ensuitil qu'on doive les assimiler, et dira-t-on qu'Hébert et Chaumette soient des gens de bien, parce qu'ils ont été, comme Malesherbes et Lavoisier, immolés par les jacobins ? Même raisonnement s'applique aux accapareurs et agioteurs, qui, pour avoir été persécutés par les ennemis de l'ordre, n'en sont pas moins des désorganisateurs, des vautours déchaînés contre l'honnête industrie.

Ils ont pourtant trouvé des prôneurs parmi cette classe de savants qu'on appelle Economistes, et rien n'est plus respecté aujourd'hui que l'accaparement et l'agiotage qu'on appelle en style du jour la spéculation et la banque, parce qu'il est indécent de nommer les choses par leur nom.

Un résultat fort bizarre de l'ordre civilisé, c'est que, si l'on réprime directement des classes évidemment malfaisantes, comme celle des accapareurs, le mal devient plus grand, les denrées deviennent plus rares, et l'on s'en est assez convaincu sous le règne de la Terreur.

C'est ce qui a fait conclure aux philosophes qu'il faut laisser faire les marchands. Plaisant remède contre un mal, que de l'entretenir parce qu'on ne connaît aucun antidote! Il fallait en chercher, et jusqu'à ce qu'on eût découvert, on devait condamner leurs tripotages au lieu de les vanter; on devait provoquer la recherche d'un procédé capable de les réprimer (la concurrence sociétaire).

Eh! pourquoi les philosophes pallientis les calamités, comme la banqueroute, l'agiotage, l'accaparement, l'usure, etc.?

C'est que l'opinion leur répondrait : « Nous << connaissons tous ces maux sur lesquels « vous vous apitoyez; mais puisque vous êtes des savants plus éclairés que nous, « évertuez-vous à chercher des remèdes; « jusques là votre science, votre rhétorique, « nous sont inutiles, comme les verbiages « d'un médecin qui vient débiter au malade « du grec et du latin, sans lui procurer « aucun soulagement. »

Les philosophes, prévoyant ce fâcheux compliment, jugent convenable de nous étourdir sur le mal au lieu de l'avouer : aussi nous prouvent-ils que l'accaparement, l'agiotage, sont la perfection du perfectionnement de la perfectibilité. Avec leurs verbiages sur les méthodes analytiques, les abstractions métaphysiques et les perceptions des sensations qui naissent des idées, ils vous plongent dans une léthargie scientifique; ils vous persuadent que tout va au mieux dans l'ordre social: obligés, pour subsister, de vendre les livres, d'en fabriquer sur un sujet quelconque; habitués, comme les avocats, à plaider la mauvaise cause aussi bien que la bonne, ils trouvent bien plus commode de vanter et farder les vices. dominants, que de s'occuper des correctifs à la recherche desquels ils risqueraient de consumer inutilement leurs veilles, sans remplir aucun volume.

De là vient que les économistes, entre autres Smith, ont loué l'accaparement comme une opération utile au bien général.

Analysons les promesses de ces accapareurs ou spéculateurs. J'en vais citer deux, l'une sur l'accaparement de grains qui est le plus dangereux, et l'autre sur l'accaparement de matières qui est excusable, parce qu'il n'assassine pas l'industrie au lieu d'assassiner directement le peuple.

1° Accaparements de grains. Le principe fondamental des systèmes commerciaux, le principe: Laissez une entière liberté aux marchands, leur accorde la propriété absolue des denrées sur lesquelles ils trafiquent; ils ont le droit de les enlever à la circulation, les cacher et même les brûler, comme a fait plus d'une fois la Compagnie orientale d'Amsterdam, qui brûlait publiquement des magasins de canelle, pour faire enchérir cette denrée: ce qu'elle faisait sur la canelle elle l'aurait fait sur le blé, si elle n'eût craint d'être lapidée par le peuple; elle aurait brûlé ou laissé pourrir une partie des blés, pour vendre l'autre au quadruple de sa valeur. Eh! ne voit-on pas tous les jours, dans les ports, jeter à la mer des provisions de grains que le négociant a laissé pourrir pour avoir attendu trop longtemps une hausse; moi-même j'ai préside, en qualité de commis, à ces infames opérations, et j'ai fait, un jour, jeter à la mer vingt mille quintaux de riz, qu'on aurait pu vendre avant leur corruption avec un honnête bénétice, si le détenteur eût été moins avide de gain. C'est le corps social qui

supporte la perte de ces déperditions, qu'on voit se renouveler chaque jour à l'abri du principe philosophique: Laissez faire les marchands. Supposons que, d'après ce principe, une riche compagnie de marchands accapare dans une année de famine, comme 1709, les grains d'un petit Etat, tel que l'Irlande, lorsque la disette générale et les prohibitions de sortie dans les Etats voisins rendront presque impossibles les approvisionnements extérieurs; supposons que la compagnie, après avoir rassemblé tous les grains qui étaient en vente, refuse de les céder, à moins d'une augmentation triple et quadruple, en disant : « Ce grain est notre propriété; il « nous plaît d'y gagner quatre fois plus qu'il « ne nous a coûté; si vous refusez de le payer « sur ce pied, procurez-vous d'autres grains « par le commerce. En attendant, il se peut « que le quart du peuple meure de faim. « mais peu nous importe; nous persistons « dans notre spéculation, selon les principes « de la liberté commerciale, consacrée par «la philosophie moderne. »

Je demande en quoi les procédés de cette compagnie différeraient de ceux d'une bande de voleurs; car son monopole forcerait la nation entière, sous peine de mourir de faim, à payer à la compagnie une rançon égale à la triple valeur du blé qu'elle livrerait.

Et si l'on considère que la compagnie, selon les règles de la liberté commerciale, a le droit de ne vendre à aucun prix, de laisser pourrir le blé dans ses greniers, tandis que le peuple périrait, croyez-vous que la nation affamée serait obligée, en conscience, de mourir de faim pour l'honneur du beau principe philosophique?

Laissez faire les marchands? Non, certes, reconnaissez donc que le droit de liberté commerciale doit subir des restrictions selon les besoins du corps social; que l'homme pourvu en surabondance d'une denrée dont il n'est ni producteur, ni consommateur, doit être considéré comme dépositaire conditionnel, et non pas comme propriétaire absolu. Reconnaissez que les commerçants ou entremetteurs des échanges doivent être, dans leurs opérations, subordonnés au bien de la masse, et non pas libres d'entraver les relations générales par toutes les manœuvres les plus désastreuses, qui sont admirées de vos économistes.

Les marchands seraient-ils donc seuls dispensés envers le corps social des devoirs qu'on impose à tant d'autres classes plus recommandables? Quand on laisse carte blanche à un général, à un juge, à un médecin, on ne les autorise pas pour cela à trahir l'armée, assassiner le malade et dépouiller l'innocent; nous voyons punir ces divers individus quand ils prévaríquent; on décapite un général perfide, on mande un tribunal entier devant le ministre, et les marchands seuls sont inviolables et sûrs de l'impunité! L'économie politique veut qu'on s'interdise toute surveillance sur leurs machinations; s'ils affament une contrée, s'ils troublent son industrie par des accaparements et des ban

queroutes, tout est justifié par le seul titre de marchand! Ainsi le charlatan de comédie, assassinant tout le monde avec ses pilules, se trouve justifié par le seul mot: medicus sum; et de même dans notre siècle de régénération, l'on veut nous persuader qu'une classe des moins éclairées du corps social ne peut jamais dans ses trames opérer contradictoirement au bien de l'Etat. Autrefois c'était l'infaillibilité du pape, aujourd'hui c'est celle des marchands qu'on veut établir.

2° Accaparements de matières ou denrées. J'en vais démontrer la malfaisance par un événement qui se passe sous nos yeux à l'heure où j'écris.

C'est la hausse énorme du prix des denrées coloniales, sucre, café, coton, etc.; je parJerai spécialement du coton, parce que c'est l'objet qui a subi la plus forte hausse et qui était d'une nécessité plus urgente pour nos manufactures naissantes, et élevées depuis peu d'années par les soins et les encouragements de l'empereur. Ce que je dirai sur les affaires présentes s'applique aux accaparements de toute espèce.

Dans le cours de l'automne dernier, on a pressenti que l'arrivage des denrées coloniales, et surtout des cotons, éprouverait quelques entraves, et que les approvisionnements seraient retardés; pourtant, on n'avait pas lieu de craindre que les fabriques de France fussent au dépourvu, car il existait à cette époque des magasins de coton qui pouvaient suffire à la consommation d'une année (y compris les achats faits dans l'étranger et acheminés sur la france). Le gouvernement, par un inventaire, aurait pu faire constater que les fabriques étaient approvisionnées pour un an, pendant le cours duquel on avait le temps de se précautionner. Mais les accapareurs sont intervenus, ont envahi et resserré les provisions existantes, et ont persuadé que les manufactures seraient dépourvues en moins de trois mois; il s'en est suivi une hausse qui a élevé le coton au double du prix habituel, et cette hausse « menaçait » d'anéantissement la plupart des fabriques françaises, qui ne « pouvaient » pas élever le prix des tissus en proportion des matières brutes ou filées; en conséquence, un grand nombre de manufacturiers « renoncèrent »>, et congédièrent » leurs ouvriers.

Cependant les matières ne manquaient » pas; au contraire, les riches filateurs « étaient » eux-mêmes devenus accapaleurs, et on les voyait » brocanter leur superflu, leurs cotons de spéculation, sur lesquels ils << agiotaient » après s'être réservé des provisions suffisantes pour alimenter leurs filatures. Bref, on « trouvait » chez les tripotiers ce superflu qui « manquait »> aux consommateurs habituels; et en résultat, la France « n'était ni dépourvue » de matières, «ni» menacée d'en manquer. C'est une vérité de fait. Dans cette conjoncture, quel fruit a-t-on retiré de la licence commerciale, de la libre concurrence? Elle a abouti:

1 A doubler le prix d'une matière pre

mière dont il n'y avait pas pénurie réelle, et dont le prix ne devait hausser que peu ou point;

2 A désorganiser les manufactures lentement et péniblement élevées ;

3° A enrichir une coalition de tripotiers, au détriment de l'industrie productive, et à la honte du souverain qu'ils offensent en détruisant son ouvrage.

Voilà des vérités péremptoires. A cela on répliquera que, si l'autorité entravait la libre concurrence, la licence d'accaparement, le mal serait peut-être pire encore. J'en conviens, mais vous prouvez par là que vos économistes ne connaissent aucun remède contre l'accaparement. Est-ce une raison de n'en pas chercher, et s'ensuit-il que l'accapare

ment soit un bien?

Quand vous ne connaissez pas d'antidote à un vice social, osez du moins avouer que ce vice est une calamité; n'écoutez pas vos philosophes qui vous vantent ce vice pour se disculper de ne savoir pas le corriger. Quand ils vous conseillent de tolérer l'agiotage et l'accaparement, de peur d'un plus grand mal, ils ressemblent à un ignorant qui vous conseillerait d'entretenir la fièvre, parce qu'il ne saurait quel remède y appliquer.

Et parce qu'on ignore les moyens de prévenir l'accaparement, était-il prudent de le tolérer sans mesure? Non, et je vais prouver qu'un coup d'autorité aurait souvent prévenu de grands malheurs, sans commettre de violation ni tomber dans l'arbi¬ traire. Donnons-en un exemple appliqué aux circonstances présentes. 1807.

Je suppose que le gouvernement, pour sauver ses manufactures de coton qui ont porté un coup si funeste à l'Angleterre, eût voulu réprimer les accapareurs, et que la police se fût transportée chez tel banquier de Paris, qui avait, en janvier (1807), un magasin de coton de 5 millions, prix d'achat, et dont il refusait 8 millions comptant, parce qu'il voulait très-modérément doubler son capital en trois mois. L'autorité aurait pu lui dire « Les amas de matières pre

mières faits par toi et tes complices mena«< cent de ruiner nos manufactures, à qui tu « refuses de vendre à un honnête bénéfice; « en conséquence, tu es sommé de livrer << ton magasin à un quart ou un cinquième <« de bénéfice, au lieu du double que tu en « prétends. Tes cotons seront distribués a aux petits manufacturiers (et non pas aux grands, qui sont eux-mêmes des accapa«reurs ligués pour rançonner les petits). »> Que serait-il résulté d'une teile mesure?

«

Observons d'abord qu'elle n'aurait (eu) rien de vexatoire; car l'accapareur obtenant, au bout de trois mois, 6 millions d'un magasin qui lui en « coûte » 5, gagnerait en trois mois 20 pour 100; c'est quatre fois plus que ne gagne au bout de l'année un propriétaire exploitant péniblement son domaine.

Et par suite de cette sommation, tous les autres accapareurs, qui voulaient doubler leur capital, et qui y ont réussi, se seraient

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