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nemis ou bien les prévenir, qu'il plût aux grands seigneurs jaloux, ou aux tribuns séditieux, aux députés revêches, à quelquesuns peut-être soldés par l'ennemi, d'accorder les subsides requis par des besoins pressants. Rien de tout cela ne tombait dans l'esprit des sophistes.

« Toujours persuadé que les Français avaient besoin de leurs états généraux et d'une révolution pour cesser d'être esclaves, Mably, nous disent ceux des philosophes qui lui sont restés le plus attachés, fit plus que d'inviter les grands et les ministres à faire cette révolution eux-mêmes. « Il repro«cha au peuple, dans son traité des Droits « du citoyen, écrit en 1771, d'avoir manqué << plusieurs fois l'occasion de la faire; il in« diqua lainanière dont elle devait s'effectuer. «Il conseilla au parlement de refuser d'en« registrer à l'avenir aucun édit bursal, d'a« vouer au roi qu'il n'avait pas le droit d'im«poser la nation, de lui déclarer que ce « droit n'appartenait qu'à elle seule, de « demander pardon au peuple d'avoir contri«bué si longtemps à lui faire payer des a taxes illégitimes, et de supplier instam<«ment le roi de convoquer les états géné<< raux. Une révolution, ajouta-t-il, mé« nagée par cette voie, serait d'autant plus « avantageuse que l'amour de l'ordre et des « lois, et non d'une liberté licencieuse, en << serait le principe (1). »

<< Ce système d'une révolution ménagée d'après les idées de Montesquieu, en transportant au peuple, par ses réprésentants aux états généraux, le pouvoir législatif et celui de fixer les impositions, trouvait alors en France, et surtout dans l'aristocratie, d'autant plus de partisans, qu'il laissait subsister la distinction des trois ordres. Tout ce que la philosophie de l'impiété comptait déjà d'adeptes dans la société de M. le duc de la Rochefoucault, n'y voyait pour les grands que le moyen de regagner leur antique influence sur le gouvernement, de reprendre sur la cour et le roi ces avantages qu'ils avaient insensiblement perdus sous les derniers règnes. Ils ne savaient pas que les autres sophistes se tenaient derrière eux, déjà prêts à faire valoir et dominer leur égalité dans ces états généraux, et à représenter que les trois ordres séparés, opposés d'intérêts et jaloux l'un de l'autre, détruiraient leur force; que cette distinction avait été la cause pour laquelle les anciens états généraux avaient toujours porté si peu de fruits et fait si peu de bien (2). Les grands ne virent pas ce piége que leur tendaient déjà les sophistes de l'égalité; et ceux-ci, par les dissensions qui régnaient alors entre Louis XV et les parlements, se crurent à la veille d'obtenir enfin ces états généraux, d'où devait se faire. leur révolution.

« Ces dissensions avaient elles-mêmes

(1) Supplém. au Contrat social, par Gudin, 1a partie, ch. 1er 2) Ibid.

pour cause principale une opinion nouvelle, que le système de Montesquieu avait fait naître dans les premiers tribunaux du royaume. Ceux des magistrats qui, d'après ce système, ne voyaient point de liberté partout où la nation et ses représentants ne partageaient pas avec le roi l'autorité légis lative et le droit de fixer les subsides, avaient imaginé que les parlements étaient eux-mêmes les représentants de la nation; que leur ensemble, quelque dispersés qu'ils fussent dans les différentes villes du royaume, ne formait qu'un seul et même corps indivi sible, dont les différents membres, quoique résidants et fixés par les rois dans les différentes villes de l'empire, n'en tenaient pas moins leur autorité de la nation même, dont ils se faisaient les représentants habituels, chargés de maintenir ses droits auprès des monarques, de suppléer surtout son consentement supposé nécessaire, inaliénable, pour la confection des lois ou la perception des subsides.

« Ce système était loin de l'idée que les rois s'étaient faite des parlements, qu'ils avaient seuls établis, sans avoir même consulté la nation. Il était, en effet, assez extraordinaire que des tribunaux créés, fixés, ou bien ambulatoires, au gré des rois, appartinssent à l'essence de la constitution; que des magistrats, tous nommés par le roi, représentassent les députés librement élus par la nation. Et comment surtout des charges, tellement à la disposition des rois qu'ils les avaient rendues vénales, pouvaientelles être confondues avec la qualité de députés du peuple aux états généraux (1)?

« Ces états eux-mêmes n'avaient pas une autre idée que les rois sur les magistrats des parlements. Il est aisé de s'en convaincre par ces paroles du président Hénaut sur les états de 1614: « Je dois dire, à cette occa«<sion, que, comme nous ne reconnaissons en « France d'autre souverain que le roi, c'est « son autorité qui fait les lois. Qui veut le « roi, si veut la loi. Ainsi, les états généraux << n'ont que la voix de remontrance et de la « très-humble supplication. Le roi défère à « leurs doléances et à leurs prières, suivant

(1) Ce mot de Parlement, conservé aux premiers tribunaux, a fait une illusion qu'il eût été facile d'éviter, en observant que le même mot, comme celui de Plaid, dans notre histoire ancienne, signifie tantôt ces grandes assemblées que les rois consulpèces de tribunaux ambulatoires, destinés à rendre taient sur les affaires importantes, et tantôt ces esla justice. Ce sont ces derniers seulement que les rois ont rendus stables, et auxquels nos parlements ont succédé. La différence est d'autant plus sensible, que les grandes assemblées ou états généraux n'ont jamais eu pour objet les fonctions judiciaires, qui font précisément l'essentielle occupation des magis trats. Dans ces assemblées ou plaids nationaux, le clergé, de tout temps, fut admis comme le premier ordre de l'Etat, au lieu que, par la nature de ses devoirs, il se trouvait exempt et même exclu des plaids et parlements judiciaires. (Voy. le président Hénaut, an 1137, 1319 et pussim.) Comment après cela confondre les états généraux et les plaids, ou cours de justice?

S

« les règles de sa prudence et de sa justice; « car, s'il était obligé de leur accorder toutes « leurs demandes, dit un de nos plus célè«bres auteurs, il cesserait d'être leur roi. « De là vient que, pendant l'assemblée des « états généraux, l'autorité du parlement, « qui n'est autre chose que celle du roi, ne .reçoit aucune diminution, ainsi qu'il est aisé de le reconnaître dans les procès« verbaux de ces derniers états (1). »

a

« C'était donc une étrange prétention que celle des parlements, tous créés par le roi, et se faisant les députés de la nation pour résister au roi; se disant les représentants habituels, les suppléants ordinaires, permanents des états généraux, qui ne savaient rien eux-mêmes de ces représentants et de ces suppléants, qui ne voyaient dans eux que les hommes du roi. Mais quand les systèmes ont répandu l'inquiétude et amené le vou des révolutions, l'illusion supplée facilement à la vérité. Les magistrats les plus respectables, entraînés enfin par l'autorité de Montesquieu et par l'impulsion des sophistes, s'étaient laissés persuader qu'il n'y avait réellement que despotisme et esclavage partout où le peuple n'exerce l'autorité lé gislative ni par lui-même, ni par ses représentants. Pour que les lois, si longtemps faites par le roi et proclamées par le parlement, ne fussent pas tout à coup regardées comme nulles, les magistrats qui les enregistraient et qui les proclamaient, se firent représentants du peuple.

« Ces prétentions étaient devenues le prétexte de la résistance la plus invincible aux ordres du souverain; le conseil du roi, et surtout M. le chancelier Maupeou, crurent y voir une vraie coalition tendant à dénaturer la monarchie, à morceler l'autorité du trône, à mettre le monarque sous la dépendance habituelle de ses douze parlements, à exciter des troubles, des dissensions entre le roi et les tribunaux, chaque fois qu'il plairait à quelques magistrats, métamorphosés en tribuns du peuple, d'opposer la nation au souverain. Louis XV résolut d'anéantir les parlements, d'en créer de nouveaux dont le ressort serait moins étendu, et qu'il serait plus facile de contenir dans les bornes de leurs fonctions.

Cette résolution commençait à s'exécuter les conjurés sophistes voyaient avec une certaine joie les dissensions s'accroître. Persuadés que les troubles rendant nécessaire la convocation des états généraux, ils allaient y trouver l'occasion de mettre toutes leurs vues au jour, et d'opérer au moins une partie de la révolution qu'ils méditaient, ils mirent en avant ce même Malesherbes, que nous avons vu si complétement dévoué au philosophisme de leur impiété. Il occupait alors la place importante de président de la cour des aides, le premier tribunal de Paris, après le parlement. Il engagea sa compagnie à faire la première démarche éclatante, pour

(4) Histoire de France, par le président Hénaut, an 1614.

opposer au roi les états généraux. Il rédigea ces remontrances, devenues si fameuses parmi les philosophes, parce que, à travers quelques expressions de respect, il avait su y faire entrer tous les nouveaux principes de la secte, et toutes ses prétentions contre l'autorité du souverain.

<<< Dans ces remontrances prétendues respectueuses, la convocation d'une assemblée; nationale fut conçue en ces termes : « Jus« qu'à ce jour, au moins, la réclamation des « cours suppléait à celle des états généraux, « quoique imparfaitement; car, malgré tout « notre zèle, nous ne nous flattons point « d'avoir dédommagé la nation de l'avantage <«< qu'elle avait d'épancher son cœur dans ce<«<lui du souverain. Mais aujourd'hui, l'uni« que ressource qu'on avait laissée au peuple, « lui est enlevée. Par qui les intérêts de << la nation seront-ils défendus contre vos << ministres ? Le peuple dispersé n'a point <«< d'organe pour se faire entendre. Interro« gez donc, Sire, la nation elle-même, puis« qu'il n'y a plus qu'elle qui puisse être « écoutée (1) ? »

«Ceux des parlements qui suivirent l'exemple de Malesherbes, ne savaient pas assez les intentions de la secte qui les mettait en mouvement. Ils s'abandonnèrent, en quelque sorte malgré eux, à l'impulsion donnée par les conjurés, et au torrent de l'opinion publique, déjà en grande partie dirigée par les systèmes de Montesquieu, sur la part que tout homme doit avoir à la confection des lois, au règlement des subsides, pour observer les unes et payer les autres sans être esclave.

<< Entraîné par l'exemple de Malesherbes, le parlement de Rouen, dans ses remontrances du 19 mars 1771, dit aussi au monarque: ༥ Puisque les efforts de la magistrature sont « impuissants, daignez, Sire, consulter la na<«<tion assemblée. » Les anciens collègues de Montesquieu, au parlement de Bordeaux, crurent devoir encore montrer plus de zèle pour ses principes. Aussi leurs remontrances, datées du 25 février, même année, furentelles encore plus pressantes. On y lisait, entre autres :

«S'il était vrai que le parlement, devenu « sédentaire sous Philippe le Bel et perpétuel << sous Charles VI, n'est pas le même que « l'ancien parlement ambulatoire convoqué « dans les premières années du règne de Phi« lippe le Bel, sous Louis VIII, sous Louis IX, « sous Philippe-Auguste; le même que les « placita, convoqués sons Charlemagne et ses « descendants; le même que les anciennes as« semblées des Francs, dont l'histoire nous a <<< transmis les vestiges avant et après la con

quête; si la distribution de ce parlement << en plusieurs ressorts, avait changé son es«sence constitutive; en un mot, si vos cours « de parlement, Sire, n'avaient pas le droit « d'examiner et de vérifier les lois nouvelles <«< qu'il plaisait à Votre Majesté de proposer,

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CONSTITUANTS

« ce droit ne pourrait pas être perdu pour la
a nation. Il est imprescriptible, inaliénable.
« Attaquer ce principe, c'est trahir non-seule-
«ment la nation, mais les rois mêmes. C'est
<< renverser la constitution même du royau-
« me; c'est détruire le fondement de l'auto-
«rité du monarque. Croirait-on que la vé-
<< rification des lois nouvelles, dans vos cours
« de parlement, ne supplée pas ce droit pri-
« mitif de la nation? L'ordre public pourrait-
<«< il gagner à le voir exercer encore par la
<«< nation? Si Votre Majesté daigne la réta-
« blir dans ses droits, on ne nous verra
« pas réclamer cette portion d'autorité que
« les rois, vos prédécesseurs, nous ont con-
« fiée, dès que la nation les exercera elle
« même (1). »

« C'est ainsi qu'en se rendant à un vœu dont ils ne connaissaient pas toute l'étendue, les parlements demandaient, en quelque sorte, pardon au peuple d'avoir oublié si longtemps ses droits imprescriptibles, inaliénables à la législation, à l'exercice, ou du moins au partage de la souveraineté dans l'assemblée des états généraux. Ils ne prévoyaient pas alors qu'un jour viendrait où ils auraient à demander pardon à ce même peuple d'avoir sollicité des états généraux, si funestes pour eux, pour le monarque et pour la nation.

si « La révolution était faite dès lors, Louis XV se fût laissé fléchir. On en était précisément à cette époque, où la secte si fidèlement peinte, très-peu de mois avant, par M. l'avocat général du parlement de Paris, « ne cherchait qu'à soulever les peuples sous « prétexte de les éclairer; où son génie in« quiet et entreprenant, et ennemi de toute « dépendance, aspirait à bouleverser toutes « les constitutions politiques; et où ses vœux << ne devaient être remplis que lorsqu'elle <«< aurait mis la puissance législative et exécu«tive entre les mais de la multitude; lorsqu'elle a aurait avili la majesté des rois, rendu leur « autorité précaire et subordonnée aux ca« prices d'une foule aveugle.»

«On était à ce moment où « les prosélytes << se multipliaient, où leurs maximes se ré« pandaient, où les royaumes sentaient leurs « fondements antiques chanceler, où les na<«<tions étonnées se demandaient par quelle « fatalité elles étaient devenues si différentes « d'elles-mêmes. » On en était au moment où Mably et les siens sollicitaient une révolu tion, où les économistes en faisaient précisément circuler les principes dans toutes les classes du peuple, où les philosophes la prévoyaient, la prédisaient, et proposaient la manière d'opérer avec l'adhésion du peuple (2).

« Dès lors la convocation des états généraux la rendait infaillible. Les sophistes, pour l'opérer, n'avaient plus besoin d'amener le magistrat public à leurs systèmes. L'application aurait pu varier; les principes étaient admis. Le droit de vérifier, d'examiner la loi, était pour le peuplé un droit primitif,

(1) Remontrances du parlement de Bordeaux, 25 février 1771. 2) Gudin, supplément au Contrat social

imprescriptible. Si les parlements, dans ces jours d'illusion, ne tenaient ce langage aux souverains que pour assurer leur autorité contre le ministère, les sophistes de la rébellion n'en demandaient pas davantage pour avilir la majesté des rois, pour rendre leur autorité précaire et subordonnée aux caprices d'une populace aveugle. Du droit de l'examen au droit de rejeter, au droit d'insurrection, à tous les droits qui font le code de la révolution, il n'y avait qu'un pas à faire, et les sophistes étaient là pour le franchir avec la multitude. Presque toutes les lois se trouvaient nulles, parce qu'elles n'avaient été faites que pour les rois, sans consulter le peuple; toutes pouvaient être annullées, parce que le peuple pouvait revenir à l'examen et tout proscrire.

« C'était là cependant ce que les sophistes appelaient une révolution modérée. Elle avait pour elle non-seulement ces magistrats, qui, disputant ses droits au souverain, les transportaient aux assemblées du peuple, parce qu'ils se flattaient que, hors de ces assemblées, ils en jouiraient tranquillement euxmêmes: elle avait encore pour elle,toute cette partie de l'aristocratie que nous verrons un jour apporter aux états généraux ces mêmes idées du peuple législateur, mais du peuple conservant dans ses assemblées législatives toute cette hiérarchie dont la distinction de leur naissance les rendait si jaloux; du peuple n'adoptant les principes de Montesquieu que pour en souffrir tranquillement l'application à l'aristocratie. Enfin cette révolution avait pour elle toute cette partie des sophistes, qui, contents d'avoir constaté les principes du peuple législateur et souverain, consentaient à conserver au premier ministre de cepeuple le nom de roi. Louis XV sentit mieux que personne qu'il y perdrait les droits les plus précieux de sa couronne. Naturellement bon, ennemi des coups d'autorité, il était cependant résolu à transmettre à ses héritiers toute celle dont il s'était luimême trouvé revêtu en montant sur le trône. Il voulait vivre et mourir roi: il cassa les parlements, refusa les états généraux, et ne souffrit plus qu'on en fit mention pendant son règne. Mais il savait lui-même qu'en réprimant les magistrats il n'avait pas écrasé l'hydre révolutionnaire. Il lui échappa plus d'une fois de témoigner ses craintes pour le jeune héritier de son trône. Il se tenait même si assuré des efforts que feraient les sophistes contre son successeur, qu'il lui échappait souvent de dire avec un air d'inquiétude: Je voudrais savoir comment Berry s'en tirera, désignant par ce nom son petitfils Louis XVI, qui avant la mort du_premier Dauphin était appelé duc de Berry. Mais au moins cette révolution dont Louis XV voyait la France menacée, il sut l'empêcher tant qu'il vécut. Les conjurés sentirent qu'il fallait différer leurs projets. Ils se contentèrent de préparer les peuples à l'exécution. En attendant que l'occasion devînt plus favorable en France, la secte fit ailleurs des es

sais d'un autre genre, dont le souvenir ne doit pas être perdu dans son histoire. >>

Les constituants, après avoir été les premiers artisans de la ruine de la monarchie, furent dépassés par les Girondins, lesquels le furent à leur tour par les JACOBINS (Voy." ce mot). Les constituants reparurent en 1814, et forcèrent Louis XVIII d'adopter leurs théories, dont les ma beurs de la révolution et le désastre de leurs premières tentatives ne les avaient point désabusés. Telle fut l'inspiration sous laquelle Louis XVIII proclama sa charte, et telle fut l'origine du gouvernement représentatif, constitutionnel, ou parlementaire, qui devait amener notre société à l'état anarchique où nous la voyons aujourd'hui.

Il existe encore des partisans de cette malheureuse théorie. (Voy. Gouvernement REPRÉSENTATIF.) Leur erreur fondamentale est de croire que l'homme peut, avec succès, constituer un peuple à l'aide d'une fabrique perpétuelle de lois, tandis que la constitution d'un peuple n'est pas plus à sa disposition que le tempérament que chaque homme a reçu en venant au monde ne peut être abandonné ni changé par lui-même. Toutes les ressources de l'hygiène n'arriveront pas à faire d'un bilieux un homme sanguin, malgré les promesses des charlatans. CONSTITUTIONS. On entendait autrefois par ce mot l'ensemble des constitutions sociales d'un peuple, d'une nation, y compris la forme de son gouvernement, ses lois, ses usages, ses traditions, ses mœurs. Tout cela résultait de faits antérieurs, et tout peuple possédait sa constitution particulière, comme fout homme naît sanguin ou bilieux. Y toucher, semblait un sacrilége; réformer les abus qui s'y introduisaient de temps à autre, était un devoir patriotique et en quel que sorte filial. Mais détruire la constitution pour lui en substituer une autre eût semblé la plus téméraire des folies. On en eût comparé l'auteur à un médecin qui, pour rétablir une santé altérée, commencerait par tuer le malade. Montesquieu luimême, qui a tant contribué à abolir le respect des constitutions, dit quelque part que, quand les institutions politiques sont devenues vicieuses, il faut, pour les corriger, remonter à leur source; ce qui ne veut pas dire, les remplacer, mais seulement les rajeunir.

Aujourd'hui, on entend par constitution, des formules de législation et de gouvernement écrites sur des feuilles de papier, rédigées par quelques légistes, imposées au peuple comme loi générale, et dont la force publique est chargée de faire observer toutes les dispositions. Ces constitutions, qui ne peuvent invoquer aucune sanction antérieure et supérieure au fait de leur rédaction, ne subsistent qu'autant qu'elles sont appuyées par la force ou tolérées par la crainte de les voir remplacées par de pires; et parmi une foule d'inconvénients, elles ont celui de ne contenter personne, à l'exception du petit nombre de ceux qui les ont

faites, et qui en tirent profit. Ce sont là des vérités trop simples, et trop bien prouvées par l'expérience depuis soixante ans, pour qu'il soit besoin d'en accumuler des preu

ves.

Les constitutions écrites sont le but avoué, et le résultat principal des travaux de l'école philosophique révolutionnaire. Ces chefd'œuvres toujours pompeusement annoncés, ont toujours avorté. A peine une constitution est proclamée, que l'on en réclame une autre. Cette impuissance radicale des hommes à créer des constitutions, et leur persistance orgueilleuse à recommencer sans cesse une tâche aussi stérile, a fixé l'attention de plusieurs écrivains judicieux et profonds. Voici, à cet égard, ce que pensait M. de Maistre, dont l'autorité en cette matière est devenue européenne:

« 1° Aucune constitution ne résulte d'une délibération les droits du peuple ne sont jamais écrits, ou ils ne le sont que comme de simples déclarations de droits antérieurs non écrits.

« 2° L'action humaine est circonscrite dans ces sortes de cas, au point que les hommes qui agissent ne sont que des cir

constances.

« 3° Les droits des peuples proprement dits partent presque toujours de la concession des souverains, et alors il peut en conster historiquement: mais les droits du souverain et de l'aristocratie n'ont ni dates ni auteurs connus.

« 4° Ces concessions mêmes ont toujours été précédées par un état de choses qui les a nécessitées et qui ne dépendait pas du souverain.

« 5° Quoique les lois écrites ne soient jamais que des déclarations de droits antérieurs, il s'en faut beaucoup cependant que tous ces droits puissent être écrits.

«< 6° Plus on écrit, et plus l'institution est faible.

<«<7° Nulle nation ne peut se donner la liberté, si elle ne l'a pas (1); l'influence humaine ne s'étend pas au delà du développement des droits existants.

« 8° Les législateurs proprement dits sont des hommes extraordinaires qui n'appartiennent peut-être qu'au monde antique et à la jeunesse des nations.

9° Ces législateurs, même avec leur puissance merveilleuse, n'ont jamais fait que rassembler des éléments préexistants, et toujours ils ont agi au nom de la Divi

nité.

« 10° La liberté, dans un sens, est un don des rois; car presque toutes les nations libres furent constituées par des rois (2).

(1) Machiavel est appelé ici en témoignage: Un popolo uso a vivere sotto un principe, se per qualche accidente divento libero, con difficolta mantiene la liberta. Disc. sopr. Tit. Liv., lib. 1, cap. 16.

(2) Ceci doit être pris en grande considération dans les monarchies modernes. Comme toutes légitimes et saintes franchises de ce genre doivent partir du souverain, tout ce qui lui est arraché par la force est frappé d'anathème. Ecrire une loi, disait

<< 11° Jamais il n'exista de nation libre qui n'eût dans sa constitution naturelle des germes de liberté aussi anciens qu'elle; et jamais nation ne tenta efficacement de développer par ses lois fondamentales écrites, d'autres droits que ceux qui existaient dans sa constitution naturelle.

« 12° Une assemblée quelconque d'hommes ne peut constituer une nation. Une entreprise de ce genre doit même obtenir une place parmi les actes de folie les plus mémorables (1). »

Et plus loin:

« I. Une des grandes erreurs d'un siècle qui les professa toutes, fut de croire qu'une constitution politique pouvait être écrite et créée à priori, tandis que la raison et l'expérience se réunissent pour établir qu'une constitution est une œuvre divine, et que ce qu'il y a précisément de plus fondamental et de plus essentiellement constitutionnel dans les lois d'une nation ne saurait être écrit.

« II. On a cru souvent faire une excellente plaisanterie aux Français en leur demandant dans quel livre était écrite la loi salique? Mais Jérôme Bignon répondait fort à propos, et très-probablement sans savoir à quel point il avait raison, qu'elle était écrite ES cœurs des Français. En effet, supposons qu'une loi de cette importance n'existat que parce qu'elle est écrite, il est certain que l'autorité quelconque qui l'aura écrite aura le droit de l'effacer; la loi n'aura donc pas ce caractère de sainteté et d'immutabilité qui distingue les lois vraiment constitutionnelles. L'essence d'une loi fondamentale est que personne n'ait le droit de l'abolir: or comment sera-t-elle au-dessus de tous, si quelqu'un l'a faite? L'accord du peuple est impossible; et, quand il en serait autrement, un accord n'est point une loi, et n'oblige personne, à moins qu'il n'y ait une autorité supérieure qui le garantisse. Locke a cherché le caractère de la loi dans l'expression des volontés réunies; il faut être heureux pour rencontrer ainsi le caractère qui exclut précisément l'idée de loi. En effet, les volontés réunies forment le règlement et non la loi, laquelle suppose nécessairement et manifestement une volonté supérieure qui se fait obéir (2). « Dans le sys

très-bien Démosthènes, ce n'est rien; c'est LE FAIRE VOULOIR QUI EST TOUT. (Olynt. III.) Mais si ceci est vrai à l'égard du peuple, que dirons-nous d'une nation; c'est-à-dire, pour employer les termes les plus doux, d'une poignée de théoristes échauffés qui proposeraient une constitution à un souverain légitime, comme on propose une capitulation à un général assiégé? Tout cela serait indécent, absurde, et surtout nu!.

(1) Machiavel est encore cité ici: E necessario che uno sia quello che dia il modo et della cui mente dispenda quacunque simile ordinazione. Disc. sopr. Tit. Liv., lib. 1, cap. 4.

(2) L'homme, dans l'état de nature, n'avait que des droits... En entrant dans la société, je renonce à ma volonté particulière pour me conformer à la loi, qui est la volonté générale. Le Spectateur français (t. I, p. 194) s'est justement moqué de cette

<< tème de Hobbes, la force des lois civiles. « ne porte que sur une convention: mais « s'il n'y a point de loi naturelle qui or<< donne d'exécuter les lois qu'on a faites, << de quoi servent-elles. Les promesses, les << engagements, les serments ne sont que << des paroles : il est aussi aisé de rompre « ce lien frivole, que de le former. Sans le « dogme d'un Dicù législateur, toute obli«gation morale est chimérique. Force d'un « côté, impuissance de l'autre, voilà tout le « lien des sociétés humaines (1). »

« Ce qu'un sage et profond théologien a dit ici de l'obligation morale s'applique avec une égale sévérité à l'obligation politique ou civile. La loi n'est proprement loi, et ne possède une véritable sanction qu'en la supposant émanée d'une volonté supérieure; en sorte que son caractère essentiel est de n'être pas la volonté de tous. Autrement les lois ne seront, comme on vient de le dire, que des règlements; et, comme le dit encore l'auteur cité tout à l'heure, « ceux qui ont eu la « liberté de faire ces conventions ne se sont « pas ôté le pouvoir de les révoquer; et «<leurs descendants, qui n'y ont aucune << part, sont encore moins tenus de les observer (2). » De là vient que le bon sens primordial, heureusement antérieur aux sophismes, a cherché de tous côtés la sanction des lois dans une puissance au-dessus de l'homme, soit en reconnaissant que la souveraineté vient de Dieu, soit en révérant certaines lois non écrites, comme venant de lui.

III. Les rédacteurs des lois romaines ont jeté, sans prétention, dans le premier chapitre de leur collection, un fragment de jurisprudence grecque bien remarquable. Parmi les lois qui nous gouvernent, dit ce passage, les unes sont écrites et les autres ne le sont pas. Rien de plus simple et rien de plus profond. Connaît-on quelque loi turque qui permette expressément au souverain d'envoyer immédiatement un homme à la mort, sans décision intermédiaire d'un tribunal? Connaît-on quelque loi écrite, même religieuse, qui le défende aux souverains de l'Europe chrétienne (3)? Cependant le Turc n'est pas plus surpris de voir son maître ordonner immédiatement la mort d'un homme, que de le voir aller à la mosquée.

définition; mais il pouvait observer de plus qu'elle appartient au siècle, et surtout à Locke, qui a ouvert ce siècle d'une manière si funeste.

(1) Bergier, Traité historique et dogmatique de la Religion, in-8°, tom. III, chap. IV, § 12, pages 330, 331. (D'après Tertullien, Apol. 45.)

(2) Bergier, Traité historique et dogmatique de la Religion, in-8°, t. III, chap. 4, § 12, p. 330, 331. (D'après Tertullien, Apol. 45.)

(5) L'Eglise défend à ses enfants, encore plus fortement que les lois civiles, de se faire justice eux-mêmes; et c'est par son esprit que les rois chrétiens ne se la font pas, dans les crimes même de lèse-majesté au premier chef, et qu'ils remettent les criminels entre les mains de juges pour les faire punir selon les lois et dans les formes de la justice. (Pascal, xiv. Lett. Prov.) Ce passage est très-important et devrait se trouver ailleurs.

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