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pas d'avances, et n'attend pas qu'on fabrique ce dont il a besoin; il préfère l'acheter tout fait; 2° parce que l'ouvrier, privé de capitaux, ne peut attendre la livraison de son travail, et c'est le propre du marchand de lui faire les avances indispensables, à l'aide de ses capitaux ou de son propre crédit. Pour que ces associations puissent subsister, il faudrait que leurs membres possédassent tous les capitaux nécessaires pour vivre en attendant le payement des commandes, et que partie d'entre eux cessassent leur genre de travail pour se livrer à la partie commerciale.

Néanmoins, plusieurs de ces sociétés se sont fondées après le désastre industriel causé par la révolution de 1848, et quelquesunes subsistent encore et sont même en voie de prospérité. Plusieurs ont été dotées par l'Etat, fort embarrassé à cette époque d'apaiser les exigences d'une classe que les utopistes, tels que M. Louis Blanc, avaient imbue de leurs théories et enivrée de fastueuses promesses.

Dans un travail spécial sur ces associations, M. Villermé a très-bien exposé les inconvénients de ce nouvel essai de théories socialistes, et surtout de l'injustice qu'il y aurait à exiger que le gouvernement, c'està-dire l'administration de la fortune publique, dotât ces sortes d'associations.

Et d'abord, c'est le lieu de se demander: Combien sont-ils, ceux qui pourraient s'associer ainsi avec les fonds de l'Etat, c'est-àdire de tout le monde ? M. Thiers l'a dit à la tribune nationale, dans la séance du 12 septembre: ce sont seulement les ouvriers des villes et de certaines manufactures ou usines. Les autres, surtout ceux qui travaillent isolément, soit chez eux, soit chez les particuliers, et les ouvriers de l'agriculture, ne le pourraient jamais. Or, ces derniers, qui sont infiniment plus nombreux, et tout le reste de la nation, souffriraient d'autant moins une telle injustice, qu'en définitive, l'argent donné aux premiers par le trésor public serait sorti de leurs poches. « Quoi ! ajoutait M. Thiers, tout ce qu'on a trouvé, pour remplacer les vieux principes de l'ancienne société, de la société de tous les temps, de tous les pays, la propriété, la liberté du travail, l'émulation ou la concurrence, tout ce qu'on a trouvé, c'est le communisme, c'est-à-dire la société paresseuse et esclave; l'association, c'est-à-dire l'anarchie dans l'industrie, et le le monopole, la suppression du numéraire et le droit au travail ! »

Que de folies et d'ignorance ! que de bouleversement et de ruines! L'appauvrissement, l'épuisement du pays en seraient aussitôt les résultats inévitables.

On s'indigne contre l'inégalité de conditions qui existe partout entre les hommes. Je voudrais bien, comme vous, que le sort de tous soit heureux. Indignez-vous donc aussi contre la Providence, dont les éternels décrets ont établi et conservent l'inégalité de taille, de force, de santé, d'intelligence, DICTIONN. DES ERREURS SOCIALES.

d'aptitude et de moralité, aont l'inégalité de condition n'est que la suite ou l'effet nécessaire. Mais surtout, pour justifier votre indignation, ne réclamez pas une nouvelle inégalité et un nouveau monopole au profit exclusif de quelques classes d'ouvriers; car c'est véritablement un monopole, et par conséquent une inégalité, que de recevoir gratuitement de l'Etat des fonds pour créer et faire marcher certains ateliers dont on fait partie, quand les autres ateliers ne jouissent pas du même avantage.

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MM. Thiers, Bugeaud, Théodore Fix, Léon Faucher, l'infortuné M. Rossi, et tant d'autres, parmi lesquels je dois citer Simonde de Sismondi (1), ne croient pas que des ouvriers réunis en association puissent exploiter en commun une manufacture pour le compte de tous, ni même qu'il soit possible au maître de celle-ci de les faire participer au profit qu'elle lui donne. «< Cela, a dit avec raison Sismondi, ne remédierait en rien à l'encombrement ni à la rivalité de tous, pour produire toujours plus et à meilleur marché (2). » Dans son opinion comme dans celle des hommes que je viens de nommer, c'est par l'intérêt individuel, et non par les efforts de tous les intéressés réunis, que doit être dirigée une entreprise industrielle ou mercantile pour qu'elle prospère.

:

Nous avons d'ailleurs sur ce sujet les résultats d'une enquête relative à la situation des populations ouvrières, commencée par ordre de l'Assemblée nationale. Voici ces résultats, les seuls que je connaisse, pour les six départements du Nord-Est de la France le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, les Vosges, la Meurthe, le Doubs, la HauteSaône. Ce ne sont plus des publicistes ou des économistes qui vont parler, mais des fabricants, des industriels connaissant parfaitement la question, et sachant ce qui est praticable et ce qui ne l'est pas. Leur opinion a d'autant plus de valeur qu'ils ont prouvé, comme nous le verrons plus loin, la bonté des sentiments qu'ils portent à leurs ouvriers, et ne craignent pas d'en soutenir, à l'occasion, les intérêts contre les leurs propres. Je vais citer leurs réponses, toutefois en les abrégeant (3):

<«< L'association des ouvriers entre eux seuls est certainement possible pour certains travaux peu compliqués et de peu de durée tels que terrassements, coupes dans les forêts, défrichements, etc., dans les

(1) C'est à ce dernier que l'on doit les premières études consciencieuses sur la question.

(2) Voir, Etudes sur l'Economie politique, t. II.

(3) Parmi ceux qui les ont faites, on compte pour la seule Alsace, savoir: MM. Schlumberger et Haler, de Ribeauvillé, Schlumberger, de Mulhouse; J. Zuber, de Rixeim; J.-J. Bourcart, de Quebviller; Kesler, de Soulzmatt; Zeller, d'Oberbruck; Schwartz, de Mulhouse; X. Jourdain, d'Altkirck; Stamm, de Thann; F. Salzmann, de Ribeauville; H. Witz, de Cernay'; Hirn et Guth, de Mulhouse; Gros, Odier, Roman, de Wesserling; E. Tropp, de Mulhouse; Engel Dolfus, de Mulhouse.

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quels le prix de la main d'œuvre est la plus grande dépense...; toujours elle a pu avoir lieu...; et si elle ne s'est pas réalisée plus souvent, c'est que les capitaux, ou l'apport d'un fonds à exploiter, l'ont rarement permis; c'est-à-dire que la confiance dans sa réussite a manqué jusqu'ici; et l'on peut s'en fier à la sagacité du crédit pour appuyer les entreprises qui ont de la vitalité, ou pour délaisser celles qui ne présentent point de chances de succès. En effet, toute entreprise demande une direction; et, l'entrepreneur manquant, il est douteux qu'il se trouve parmi les travailleurs associés un homme capable de gérer convenablement leurs opérations. Mais si le résultat est douteux pour de petites entreprises, que serait-ce pour la grande industrie, pour celle surtout qui exige, comme condition indispensable, l'esprit inventif d'un chef, les talents commerciaux et le savoir-faire? En pareil cas, il est facile de le prévoir, les industries manufacturières proprement dites..., exploitées par les ouvriers, marcheraient à leur ruine. Jugeons des résultats à venir par ceux que le passé nous présente... eh bien! les associations, même momentanées, formées entre de simples salariés..., n'ont jamais réussi... Des chefs ont souvent essaye, dans l'espoir d'accélérer les travaux ou d'augmenter les produits, d'associer des Ouvriers ensemble; mais les résultats en ont toujours été mauvais. Pour la répartition du gain, il fallait nécessairement adopter des bases de partage, fondées sur l'activité ou sur l'adresse des ouvriers associés. C'était là une source constante de querelles, de reproches, qui demandaient à chaque instant l'intervention des chefs. Il a fallu y renoncer. L'association, même entre deux ou trois ouvriers seulement, n'est jamais de longue durée (l'adverbe jamais est ici trop absolu).

«Au bout de peu de temps, des discussions s'élèvent entre eux, chacun prétend qu'il travaille plus que les autres, et il s'ensuit une prompte dissolution de ces sociétés.

« D'ailleurs, on l'a déjà dit, le crédit, toujours prêt à commanditer les opérations qui peuvent lui rapporter l'intérêt légitime de ses fonds, manque de confiance pour aider les associations d'ouvriers entre eux. Leur succès ne serait guère plus assuré, si elles étaient secourues par les fonds de l'Etat : ce qui, du reste, peut sembler illégal; car comment favoriser avec justice un genre d'association, quand on refuse son concours à d'autres?

«Quant à l'association entre ouvriers et patrons,... elle n'apporterait probablement pas un grand soulagement dans la position de l'ouvrier... Depuis longtemps, l'industrie ne rapporte guère au chef d'établissement que l'intérêt de ses fonds... Or, comme dans le système de l'association avec le patron, la part du capital en fonds social lui serait toujours réservée de manière à en assurer avant tout l'intérêt, que resterait-il à partager entre les associés pour le travail, en sus des salaires

déjà touchés? Dans de récents articles, d'ailleurs fort bien conçus et raisonnés, on a fait paraître un plan d'association entre un patron et des ouvriers. L'auteur suppose un atelier de vingt ouvriers et un bénéfice annuel de 20,000 francs. Après avoir affecté sur ce bénéfice 15,000 francs tant au capital à titre d'intérêts, qu'au patron comme travailleur directeur, il trouve encore 5,000 francs à distribuer aux ouvriers associés; ce qui grossit leur part de salaires de 250 fr. par an et par individu. Mais, malheureusement, l'hypothèse seule a posé ces chiffres. Pour trouver un bénéfice de 20,000 francs, il faut supposer aujourd'hui un établissement de au moins deux cent cinquante ouvriers; et, dès lors, le bénéfice supposé de 5,000 francs n'ajoute à chacun que 20 francs, comme supplément de salaire par an.

«L'association de l'ouvrier aux bénéfices du patron n'est donc, dans tous les cas, qu'un bien faible avantage à lui procurer, et ne peut réellement réaliser cet idéal d'aisance qu'on semble en attendre pour lui. Mais nous dirons plus ce genre d'association nous semble soumis à mille obstacles, à mille impossibilités. Et d'abord comment faire participer l'ouvrier aux pertes éventuelles? Il le faudrait bien cependant, dans l'intérêt de l'existence des associations. Car, dans les années heureuses, le bénéfice est un fonds que, sous le régime actuel, le chef d'établissement met en réserve pour parer aux années où il y a des pertes; ce qui n'aurait pas lieu si, chaque année, le bénéfice était réparti entre les sociétaires. Mais, en outre, de quelle manière s'exercerait le contrôle de l'ouvrier associé sur les opérations de la comptabilité de l'entreprise? En cas de perte momentanée (qui pourrait être couverte par le bénéfice de l'année suivante), voudrait-on obliger le chef à faire connaître sa position à plusieurs centaines d'ouvriers, dont le mécontement et la méfiance s'exhaleraient probablement en plaintes peu propres à soutenir le crédit d'un établissement qui, quelle que soit sa position, ne saurait à coup sûr s'en passer? Et si ceux-ci, comme devant participer aux bénéfices, réclament un droit de contrôle dans la marche des affaires et dans les inventaires, quel serait le capitaliste qui consentirait à faire de l'industrie à cette condition?... Toutes les associations forcées... seraient promptement anéanties... Si l'ouvrier ne devait pas participer aux pertes (comme aux profits), il n'y aurait pas réciprocité entre lui et le patron... Et puis, il est bien difficile que l'ouvrier puisse rester indissolublement lié à un établissement industriel. Si, pendant le cours d'une campagne, sa conduite devenait mauvaise, s'il refusait de produire dans la mesure de ses moyens, comment se défaire d'un associé qui penserait avoir des droits aux bénéfices réalisés dans la portion de l'année déjà écoulée? L'ouvrier lui-même aime trop à changer d'atelier pour vouloir toujours attendre le résultat des inventaires annuels. Or, pour établir un bénéfice parta

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« Quand l'industrie prospère, quand le fabricant gagne, il paye de meilleurs salaires; voilà une véritable participation de l'ouvrier aux bénéfices du chef. Il en existe un autre dans les primes que le patron, alors que la vente va bien, accorde aux ouvriers pour la quantité et la qualité de leur production au delà des limites ordinaires (1). »

Déjà un assez grand nombre de fabricants et d'entrepreneurs savent, à l'aide du même moyen ou de hautes payes, intéresser leurs travailleurs les plus habiles à redoubler de soin et d'attention pour produire mieux et moins chèrement. C'est d'après ces faits mal appréciés qu'une foule de gens croient à la possibilité d'une association facile et complète entre les salariés et les maîtres (2).

Cela, il n'y en a point ici; car le maître. reste toujours maître, ne rend aucun compte détaillé à ceux auxquels il remet les primes, et en fixe lui-même le montant, conformément à leurs conventions.

(1) Voyez Réponses aux questions de l'enquête industrielle ordonnée par l'Assemblée nationale, recueillies et mises en ordre par les soins du comité de l'association formée à Mulhouse pour la défense du travail national, et embrassent le rayon du NordEst de la France (Haut-Rhin, Bas-Rhin, Vosges, Meurthe, Doubs, et Haute-Saône), juin et juillet 1848. Grand in-8°, Mulhouse, pages 56 à 62.

(2) Un économiste dont la science regrette la mort prématurée, et qui connaissait parfaitement les manufactures et leurs ouvriers, qu'il avait observés à Zurich et à Mulhouse, Théodore Fix, a décrit les derniers faits de la manière suivante :

On a dit aux ouvriers de quelques grandes exploitations: Nous obtenons, dans l'état actuel de choses, aver une quantité déterminée de matières brutes, à laquelle on applique un nombre fixe de journées de travail,.... telle quantité de produits manufacturés. Si, sans augmentation du prix de la main d'œuvre, et avec la même masse de matières brutes, vous pouvez obtenir une quantité supérieure de marchandises manufacturées, les bénéfices que donnera cet excédant seront divisés, dans une proportion déterminée, entre le maître et les ouvriers. Ou encore: Il nous faut pour notre fabrication annuelle 10,000 quintaux métriques de combustible minéral. Si, sans réduire cette fabrication, les ouvriers chargés du feu peuvent économiser un dixième de ce combustible, le bénéfice de l'économie sera partagé par égales portions entre l'entrepreneur et ses ouvriers. Ailleurs on a dit : Le déchet des matières premières transformées en produits manufacturés est de 45 pour 100. Si les ouvriers peuvent réduire, par une plus grande attention, ce déchet à 10 pour 100, ils participeront aux avantages de l'économie.

..... C'est ainsi que les entrepreneurs sont parvenus à introduire de notables économies dans leur fabrication, en stimulant l'ouvrier par l'appát d'une prime; car, il faut trancher le mot, ce procédé ne constitue pas une association, mais uniquement une prime décernée à l'ordre, à l'intelligence et à l'esprit d'économie de l'ouvrier. Les mêmes combinaisons, appliquées à une foule d'ateliers et d'usines, ont donné d'excellents résultats. » (Voir, Observations sur l'état des classes ouvrières, p. 319 à 351.)

Je le répète, il n'y a là que des gratifications données et reçues, qui s'ajoutent aux gains ordinaires de l'ouvrier, en même temps que sont augmentés les profits du maître. De cette manière, la part de chacun s'accroît par la diminution des frais de production. C'est pour tous deux un excellent calcul, et un marché fondé sur une rigoureuse justice; car l'économie qui en résulte ne s'obtiendrait jamais par l'un sans le secours de l'autre.

Il n'y a là aucune association; il n'en existe, il n'en peut exister, en conservant au mot son véritable sens, que quand les droits et les obligations étaient les mêmes pour tous, tous participant aux pertes comme aux gains. Mais alors il n'y a plus de salaire fixe indépendant du résultat final de l'entreprise; et la rémunération des travailleurs, soumise par tous aux mêmes chances, sera pour tous à la fois forte ou faible, ou même nulle en cas de perte.

Des ouvriers qui ont besoin chaque jour de leur salaire pour vivre ne peuvent s'exposer à de telles éventualités. Ce n'est point ainsi d'ailleurs que l'entendent ceux qui réclament leur association aux maîtres; ce qu'ils veulent, c'est que, sans renoncer au salaire fixe, sans apporter à l'entreprise le moindre capital, leurs gains s'accroissent aux dépens des entrepreneurs, qui partageraient avec eux les bénéfices, mais supporteraient seuls les pertes.

On peut organiser sur le papier, d'après ces bases, autant d'associations qu'on voudra; mais elles ne trouveront pas de capitalistes, elles ne pourront pas marcher. Admettons néanmoins que, par impossible, elles en trouvent; le sort des ouvriers en sera-t-il meilleur ? Je puis me tromper, mais ma conviction est que la concurrence s'établirait entre les diverses associations d'un même métier; que le prix de la journée, y compris la part de bénéfice résultant de l'association, serait ramené au taux du salaire, et que le travailleur enfinn'y gagnerait rien. Ce ne sont, au surplus, ni le hasard ni l'arbitraire qui règlent sa rémunération, mais des circonstances très- variées et des lois fort complexes.

Chacun s'efforce bien d'enfreindre cellesci et de faire tourner celles-là à son profit particulier; néanmoins, par la multiplicité des transactions, qui se compensent mutuellement, le cours général du marché n'est que l'expression de leur moyenne. Les ouvriers ne s'associent pas seulement pour être intéressés aux bénéfices que fait le fabricant sous les ordres duquel ils travaillent; c'est aussi, de la part de beaucoup, bien' qu'ils ne s'en rendent pas compte, pour n'être plus subordonnés. Tous ne comprennent pas qu'il n'y a que deux classes possibles d'hommes dans l'industrie : les chefs et qu'ils soient ou non associés, ils auront les salariés; et que, quoi qu'ils fassent, toujours des chefs, ou, comme on les appelle aujourd'hui, des patrons; qu'il en faut, nonseulement pour répartir et diriger le travail,

mais encore pour payer leurs salaires, pour avancer tous les autres frais que nécessite la production, enfin pour servir d'intermédiaire entre eux qui l'exécutent et ceux qui la commandent. S'agit-il de fournitures un peu considérables ou de certains ouvrages? supposons, pour me faire mieux comprendre, que je veuille faire bâtir une maison. L'architecte m'en répond pendant dix ans. Si, dans ce laps de temps, après la construction, elle tombe ou menace ruine, il doit la relever, la consolider à ses propres frais. Sa reputation d'habileté, son établissement industriel, ses autres propriétés, sa position dans le monde et son droit de recours sur les entrepreneurs de la maçonnerie, de la charpente, etc., sont autant de garanties qui m'ont déterminé à le choisir, et que ne m'offrirait jamais une association d'ouvriers dont les membres n'ont aucune propriété, ni même souvent de domicile fixe.

L'impossibilité de supprimer les chefs est évidente. C'est de même dans les associations purement ouvrières; il faudra toujours qu'elles aient des chefs. S'il en était autrement, s'il n'y avait point unité de direction, de pouvoir, de volonté; si tous les associés avaient la même autorité, s'il n'y avait parmi eux ni discipline, ni hiérarchie, ils s'entendraient d'autant moins qu'ils seraient plus nombreux, et l'entreprise ne pourrait pas

marcher.

Or, ces chefs que les ouvriers choisiront eux-mêmes, quels seront-ils? Les plus capables d'entre eux (du moins je le crois), et jamais ceux qui déclament sur la place publique, ou dans les cabarets, contre la liberté du travail, et contre les hommes de labeur et de sagesse qui ne sont pas en proie à une misère due trop souvent aux désordres de ceux-là même qui s'en plaignent. On peut, à cet égard, s'en fier à eux. Mais il est bien à craindre que les élus, profitant de leur position et de leurs rapports comme gérants avec la clientèle, ne deviennent à leur tour des maîtres ou entrepreneurs, qui se substitueront à l'association primitive. Ils ne tarderont certainement pas à en concevoir la pensée, surtout si on ne leur accorde ni assez d'autorité, ni assez d'appointements; car telle est la pente naturelle à l'esprit humain, nous convoitons toujours une meilleure position, et celui qui en a une bonne peut mieux que tout autre l'obtenir. La division en maîtres et salariés, ou en patrons et simples travailleurs, se reproduirait donc encore comme nous la voyons partout.

Il résulte de tout ce qui précède, que l'association proprement dite des salariés avec les maîtres n'est point praticable, et que celle des ouvriers entre eux seuls ne peut plus réussir, telle du moins que tant de gens (je prie de faire attention à ces mots) la conçoivent ou la rêvent. Cependant, on a parlé de plusieurs associations comme entrant en pleine voie de prospérité, mais bientôt après est arrivée leur décadence, elles ont succombé, et il n'en est plus question.

Quelques personnes pensent néanmoins

qu'elles s'établiront un jour partout et généraliseront le bien-être. Elles ne savent pas que pour cela il faudrait un choix d'hommes et des conditions que ne peuvent jamais présenter les masses.

Au surplus, les ouvriers qui réclament avec le plus d'ardeur et de bruit l'association, sont justement ceux qui pourraient le moins la faire réussir. Attirés par des promesses séduisantes, ils pourront s'y engager en grand nombre, admettons-le, mais viendra le jour du désappointement, et d'autant plus vite qu'ils seront rarement (je viens de le dire) les plus actifs, les plus patients, les plus laborieux.

Pour proposer l'association un peu en grand des ouvriers, il ne faut pas savoir que ceux qui ont amassé un ou deux milliers de francs, et même bien moins, n'ont communément besoin de personne pour se tirer d'affaire; que, confiants dans leur ordre, leur économie, leur conduite, et défiants des autres, ils ne voudraient admettre avec eux des gens sans capital, ou débauchés et mauvais travailleurs, qu'aux conditions qui règlent les rapports de maîtres à ouvriers. Rappelons-nous le sort des établissements dirigés avec tant d'habileté, de sollicitude, par Robert Owen, et celui de plusieurs colonies fondées au prix de sommes immenses par le grand Frédéric dans ses Etats. Ces deux exemples suffiront.

Sous la direction de leur bienfaisant fondateur, et dès les premiers jours, les établissements de New - Lanark, et de NewHarmony, parurent être des modèles, sinon d'une association complète, du moins d'une communauté industrielle composée de familles pauvres, suffisant par leur travail à leur subsistance, à l'éducation de leurs enfants et au bien-être de la vie. On croyait que des réunions semblables pouvaient être facilement réalisées, et toutefois celles-ci même n'ont pu durer. Des dissensions intestines, des querelles d'intérêt personnel les ont dissoutes.

L'histoire des colonies du grand Frédéric, qui n'étaient pas des sociétés industrielles entre ouvriers, fera encore mieux comprendre l'impossibilité de réussir dans une association comme celle que l'on propose. Quelques mots suffiront pour le démontrer.

Les deux premiers monarques de la Prusse avaient profité de toutes les occasions favorables de peupler leur pays, et la fameuse révocation de l'édit, de Nantes les seconda, en obligeant une foule de Français protestants à s'expatrier. Frédéric II, voulant imiter ses prédécesseurs, créa de nouvelles colonies.

Malheureusement ce ne fut point avec des hommes industrieux, pleins d'activité et d'honneur, expulsés de leur patrie uniquement pour cause de religion; ce fut avec un ramassis de gens qui, n'ayant pas de quoi vivre chez eux, croyaient que, sans grand travail, ils trouveraient l'abondance ailleurs. Rien ne fut épargné par le roi pour l'établissement de ces familles étrangères :

maisons construites à neuf, grains, bestiaux, meubles, etc., leur furent donnés avec générosité, avec munificence. Mais beaucoup de ces colonies, qui coûtèrent des sommes immenses, réussirent fort mal (1).

Ce que nous voyons ici arrive toujours. Les colonies, les communautés, les associations travaillantes prospèrent, avec des hommes rangés, économes, actifs, intelligents, moraux, mais se ruinent au contraire en s'anéantissant, quand elles sont composées sans choix, des rebuts, pour ainsi dire, de la société. L'association de ces derniers avec les premiers ne ferait qu'entraîner la ruine de tous.

Les ouvriers, d'ailleurs, ne sauraient se soumettre, pour la plupart, aux obligations mutuelles que l'association exige. Ils n'ont généralement, pour cela, ni assez de discernement, ni assez d'ordre, ni assez de constance; ou bien ils sont trop pauvres, trop misérables, pour attendre leur part des bénéfices qui pourraient être réalisés. De là l'impossibilité pour eux de supporter les pertes de l'association, et la nécessité de demander le prix de leur travail à des intervalles très-courts. Comme ils ne peuvent faire d'avances à l'entreprise, celle-ci, qui les paye chaque jour ou chaque semaine, ne leur doit aucune part dans les profits, et ne leur en donne aucune (2).

Les associations formées entre les seuls ouvriers ne peuvent donc réussir, quand on y admet indistinctement tous ceux qui se présentent pour en faire partie. Mais on voit tous les jours, dans les pays industriels, quelques hommes actifs, intelligents et de bonne conduite, quelques-uns seulement, ayant confiance les uns dans les autres et possédant déjà un petit capital, mettre celuici en commun, pour ouvrir des ateliers où ils travaillent d'abord comme ouvriers avec leurs familles, et dans lesquels, la fortune les secondant, ils finissent par appeler des aides, qui sont admis aux mêmes conditions que dans les autres manufactures.

Enfin, tout nous montre que, hors de ces conditions, il serait bien difficile, même impossible, à des associations exclusivement ouvrières, je ne dis pas seulement de réussir, mais aussi de se réaliser, excepté pour certains travaux à la tâche qui, du genre de ceux qu'indique l'enquête citée plus haut, n'exigent aucun apprentissage. Ces travaux

(1) Voir, De la monarchie prussienne sous Frédéric le Grand, par le comte de Mirabeau, t. I, p. 138 et 139.

(2) Il ne peut être ici comme dans le colonage, où le travail et le capital, c'est-à-dire le métayer et le propriétaire, véritablement associés, les mêmes pertes, et se partagent les fruits que donsupportent ne le sol cultivé par le premier. Le travail dans le colonage n'a donc point de privilége, tandis qu'il en a un dans l'industrie, puisqu'il n'est point exposé à des pertes. Voilà encore pourquoi il n'y a pas droit aux profits. Le Code civil accorde d'ailleurs un privilege aux travailleurs d'atelier pour leurs salaires (art. 1780 et 2101),

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pourraient encore être adjugés à des sociétés d'ouvriers réunis dans l'unique but de les exécuter.

La dernière Assemblée nationale paraissait avoir adopté cette manière de voir, en dissociétés à se rendre adjudicataires de cercutant un projet de décret pour appeler ces tains travaux publics; et c'est aussi ce que comprennent très-bien beaucoup d'ouvriers.

ASSISTANCE, l'un des quelques mots par lesquels la philantropie matérialiste a cherché a remplacer la vertu chrétienne, la charité. losophes de tous les siècles, de tous les Oui, nos philosophes modernes, les phipays, de toutes les sectes, de toutes les écoles, ont eu beau se creuser la tête, bâtir des systèmes, du moment où ils ont fait abstraction de la pensée chrétienne, ils n'ont abouti qu'à l'impuissance. Au milieu des misères de toutes sortes qui les enlacent et les pressent, qui montent, montent et menacent d'engloutir le monde, si un Dieu, une foi n'étaient là pour le sauver, qu'ont-ils inventé, qu'ont-ils fait? Ils ont inventé des mots, rien que des mots; ils ont voulu créer des systèmes qui cachent des abîmes sous des promesses; là s'est arrêté le génie de l'homme à bout d'expédients, de palliatifs et d'essais: - rien de ce qui a été tenté n'a réussi; rien ne devait réussir

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Les misères ont poursuivi leur cours, et le flot sur lequel ne planait plus la pensée religieuse n'a vomi que la destruction et la mort. C'est bien le cas d'appliquer à ces profonds penseurs ce que disait des philosophes de tous les temps et des économistes du XVIII siècle un sergent de boutique, ainsi qu'il se nomme lui-même, Charles Four

rier :

«..... Comment les philosophes sauraientils élever le genre humain au-dessus de la civilisation, tant qu'ils ne savent pas mêà-dire faire passer les sauvages et les barme l'élever jusqu'à la civilisation, c'estbares à l'ordre civilisé (1)? Ils n'ont pas même su aider la civilisation dans sa marche...; ils l'ont retardée, au lieu de l'accélérer; semblables à ces mères maladroites qui, dans leur engouement, fatiguent l'enfant, lui créent des fantaisies dangereuses, des germes de maladies, et le font dépérir en croyant le servir. C'est ainsi qu'en ont agi les philosophes dans leur enthousiasme pour la civilisation; ils l'ont toujours empirée en croyant la perfectionner; ils ont alimenté les chimères dominantes et propagé des erreurs, au lieu de chercher des routes de vérité. Encore aujourd'hui nous les voyons se jeter à corps perdu dans l'esprit mercantile, qu'ils devraient combattre, fat-ce que par vergogne, puisqu'ils ont ridiculisé le commerce pendant deux mille phes, la civilisation conserverait encore des ans. Enfin, s'il n'eût tenu qu'aux philosocoutumes barbares, telles que l'esclavage vanté par les savants de la Grèce et de Rome.

ne

(1) Des missions chrétiennes ont seules atteint ce résultat. (Note de l'auteur.)

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