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des enfants trouvés était en France de 40,000.

Le nombre de ces mêmes enfants, audessous de l'âge de douze ans, était,

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Un enfant trouvé sur 248 habitants ! Voilà à quels résultats sont venues aboutir les tentatives de la société. Mais a-t-on bien réfléchi aux dangers que préparent dans l'avenir, pour la sécurité ou pour les libertés publiques, cette multiplication toujours croissante de citoyens qu'aucun lien de famille ne rattache à la société ? N'est-il pas à craindre que, dans un temps plus ou moins éloigné, ces modernes Parthéniens, que nos mœurs ont placés dans une infime position relative, ne viennent, eux aussi, à se compter en un jour de crise? Quant à nous, sans vouloir prévoir un avenir que pourrait peut-être réaliser la pensée initiatrice d'un homme de génie, il nous reste acquis cette conviction, qu'une classe d'hommes que nuls souvenirs d'enfance n'attachent ici-bas; qui, sur cette terre, où tout respire les joies de la famille, ne sauraient désigner la tombe qui reçut les restes de leur père; auxquels la société ne prêta que les soins d'une marâtre (1), et qu'à peine sortis de ses asiles et répandus dans la foule, elle marqua en quelque sorte d'un signe indélébile; nous sommes convaincus, disonsnous, que de tels hommes, quelle que soit d'ailleurs la pureté de leur âme, doivent être, plus que tous autres, disposés à recevoir des impressions fâcheuses, plus que tous autres accessibles à de perfides conseils (2).

Que le christianisme a suivi d'autres voies!

Au lieu d'opposer au mal des digues impuissantes, n'eut-il pas mieux valu remonter à sa source? D'où vient, en effet, cet accroissement prodigieux des enfants trouvés ou abandonnés ? - Des passions, de la honte, et souvent de la pauvreté. La religion, en éclairant nos âmes, en appelant sur notre faiblesse les grâces du Tout-Puissant, nous offre un appui contre la violence des premières; les passions régularisées, dirigées vers le bien, toute cause de honte a disparu; reste la pauvreté, mais dans son inépuisable charité la religion chrétienne ré

serve surtout aux malheureux les trésors de la grâce et les secours de ses bonnes œu

vres.

Bien loin de marcher dans cette voie, c'est dans l'augmentation des tours que l'on a

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cherché un palliatif contre les progrès du mal, sans tenir aucun compte du fait produit à une autre époque par la suppression de plusieurs d'entre eux, jointe au déplacement des enfants. Cette double mesure avait fait tomber de l'année 1834 à l'année 1838 le chiffre des enfants trouvés de 129,000 à 95,624.

Mais, veut-on avoir une idée des résultats plus qu'incomplets obtenus par l'application des principes purement administratifs qui, jusqu'à ce jour, ont régi cette question? qu'on lise l'extrait suivant d'un rapport de

M. de Watteville au ministre de l'intérieur sur la situation administrative, morale et financière du service des enfants trouvés en France, année 1849.

« On a beaucoup écrit sur les enfants trouvés; il y a, pour ainsi dire, toute une bibliothèque d'ouvrages inspirés par le désir d'améliorer leur sort, ou par celui d'alléger le fardeau dont ils accablent les départements. Considérations historiques, morales, financières, ont afflué de toutes parts, sans jeter, il faut le dire, une vive lumière sur cette question, et sans la faire avancer d'un pas, soit sous le rapport des améliorations, soit sous celui des économies.

je me contente d'exposer les faits.
« Je ne mets point en avant de système.

« Le nombre des enfants trouvés, agés de moins de douze ans, est de 123,394, dout la dépense, pour frais de mois de nourrice et de pension, a été, en 1843, de 6,707,829 fr. Dans cette somme ne sont pas compris les frais de layettes et de vêtures payés par les hospices dépositaires.

« Le nombre des enfants trouvés, âgés de plus de douze ans, est complétement inconnu. Les départements n'ayant plus, pour les enfants de cet âge, de pension à payer, on cesse de s'occuper d'eux, et l'on ne sait, en général, ce qu'ils deviennent.

<«< Le nombre annuel des expositions ou d'abandon d'enfants est d'environ 34,000. dont les trois cinquièmes à peu près périssent dans la première année de leur existence.

« Quelle est la véritable cause du plus ou moins grand nombre d'enfants trouvés? A notre avis c'est la misère. Les recherches suivantes nous ont amenés à cette opinion.

«La France est divisée en 86 départements: 35 forment les frontières, 51 sont au centre. ral, plus riches que les départements du Les départements frontières sont, en génécentre. Leur position topographique est favorable au commerce, les étrangers y abonEnfin, à l'exception de Paris et de Lyon, les dent, les grandes fabriques s'y établissent. départements du centre ne possèdent aucun grand foyer de population, tandis que les départements frontières comptent Marseille, Bordeaux, Rouen, Lille, Strasbourg, Mulhausen, Brest, Toulon, Besançon, Toulouse, etc., etc. Les 51 premiers n'ont que 18,636,532 habit., les 35 derniers 15,638,313; eh bien les départements frontières ne comp

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Dép. réputés pauvres

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id.

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« On ignore, en général, ce que deviennent les trois quarts des enfants trouvés une fois qu'ils ont atteint leur treizième année, c'est à-dire au moment où les départements cessent de payer la faible allocation allouée aux patrons qui les ont élevés jusqu'à cette âge. « Très-peu d'enfants trouvés savent lire, encore moins écrire.

<< On remarque que ceux qui se livrent aux arts industriels tournent généralement assez

« C'est toujours la misère qui donne le plus mal, et finissent par devenir de très-mauvais grand nombre d'enfants trouvés.

«<La réduction du nombre des tours d'ex

position est une mesure utile, qui n'a produit aucun accident fâcheux. Nous sommes partisans de cette mesure, dans certaines limites; mais, tout en reconnaissant l'utilité de cette mesure, nous sommes loin de croire à son efficacité absolue. Ce qu'il faut avant tout, ce sont des institutions. Créer des fonds sur lesquels les mères pauvres seront secourues sans parcimonie, comme aussi sans prodigalité; propager les crèches qui offrent à la première enfance un asile propice: voilà, selon nous, les moyens d'arrêter ou de rendre moins fréquent l'abandon des enfants. La suppression des tours d'exposition, le déplacement des enfants, sont des palliatifs et ne sont pas des remèdes. C'est en s'attaquant aux causes qu'on détruira les effets.

« En Belgique, la commission nommée pour donner son avis sur l'organisation du service des enfants trouvés a été d'avis, à l'unanimité, de supprimer les tours.

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« En général, les administrations d'hospices dépositaires exécutent fort mal le décret de 1811, relatif à la fourniture des layettes et des vêtures. Plus de la moitié de ces administrations ne donnent aucun vêtement à leurs malheureux pupilles. Les quinze seizièmes de la seconde moitié donnent une layette et deux ou trois vêtures très-incomplètes. Il n'y en a guère qu'un seizième qui pourvoie un peu convenablement aux besoins des enfans confiés à leurs soins, car l'administration des hospices de Paris, qui, sous ce rapport, est la plus généreuse, ne donne qu'une layette et sept vêtures, ce qui est trèsinsuffisant pour douze mois.

« Il faut le dire, le manque de soins dans leur enfance, soit à l'hospice, soit en nourrice, contribue beaucoup encore à les rendre chétifs et débiles. Aussi, très-peu parmi les garçons peuvent avoir l'honneur de servir leur pays, lorsque l'âge les appelle sous les drapeaux.

Il résulte des rapports des préfets et des

sujets.

Les filles sont plus difficiles à placer que les garçons, la grande majorité d'entre elles se livrent à la prostitution. J'ai pu constater, dans soixante villes de France, villes situées sur les divers points du territoire, que le nombre des filles enfants trouvés, placées dans les maisons de prostitution, est toujours égal au cinquième du chiffre des malheureuses qui composent ce triste personnel. >>

Les mesures administratives parviennentelles au moins à conserver l'existence à ces pauvres enfants abandonnés ? Non, mille fois non; d'après M. de Girardin, la mortalité serait de 78 010 environ pour les enfants de l'âge de 1 jour à 12 ans, et de 50 010 dans la première année de leur existence, tandis que, d'après la loi de la mortalité en France, il meurt 24 enfants sur 100 dans la première année de la naissance (1).

<< Comment cette mortalité relative ne se

rait-elle pas considérablement augmentée, lorsque ces malheureux enfants trouvés qui, pour réparer les souffrances et les privations qu'ils ont endurées, pour la plupart, dans le sein de leur mère, auraient, à leur naissance, besoin de tant de soins, en reçoivent si peu?

«C'est la triste vérité qui résulte des témoignages qui vont suivre.

la vie des enfants; on s'est étrangement « On a en vue, dit-on, de sauver avant tout trompé, car le résultat a été diamétralement opposé à ce but. On parle de sauver la vie de ces enfants, et c'est précisément sous ce rapport que le système actuel est déplorable. Il est prouvé que la mortalité des enfants trouvés est deux fois plus forte que celle des autres enfants; sur 35,000 enfants abandonnés chaque année, le tiers au moins meurt avant la première année, et un autre tiers. avant l'âge de 12 ans : voilà donc 10,000 enfants qui, chaque année, trouvent la mort

(1) Abolition de la misère par l'élévation des salaires, p. 11 et 12.

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parce qu'on les a abandonnés, et qui auraient été sauvés si l'on n'en avait pas favorisé et facilité l'abandon.

« Depuis le funeste décret de 1811, qui a ordonné la création de tours dans chaque arrondissement, le nombre des enfants trouvés a augmenté d'une manière effrayante. On en comptait, en 1809, 69,000 âgés de moins de 12 ans et à la charge de Etat actuellement (1837), il y en a 1:30,000. L'accroissement se trouve presque du double; tandis que la population ne s'est accrue que d'un huitième. Il existe en ce moment en France un million d'enfants trouvés, et, si l'on ne se hâte de prendre des mesures pour arrêter le mal, on peut prévoir l'époque où leur nombre excédera la moitié de la population: et quels dangers ne présentent pas pour la société, des êtres qui n'ont ni famille, ni propriété, ni

état civil!

« On a depuis longtemps reconnu, dans les pays voisins, les inconvénients d'hospices ainsi ouverts aux enfants trouvés. Ces établissements, qui excitent à l'abandon des enfants, augmentent la corruption des mœurs et causent la mort de tant d'infortunées créatures! En Allemagne, en Suisse, en Hollande, en Angleterre il n'en existe pas. A Londres, sur 1,000 naissances, on ne compte que 26 enfants naturels.

a A Paris, sur 1,000 naissances, il y a 316 enfants naturels. Il y en a donc douze fois plus à Paris qu'à Londres.

5,000 enfants sont abandonnés chaque année à Paris, et 1,000 seulement à Londres; et cependant, en France, malgré nos hospices d'enfants trouvés, le nombre des infanticides est deux fois plus grand qu'en Angleterre (1). »>

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Jusqu'ici nous n'avons rencontré qu'impuissance dans nos institutions de charité pour les enfants abandonnés, heureux encore lorsque ces infructueuses créations de la société civile n'ont pas atteint un but diamétralement opposé à celui qu'elle se proposait, ainsi qu'il en est advenu de la mortalité des enfants, de leur moralisation, et surtout des efforts tentés pour empêcher leur dangereux accroissement. Question brûlante, nous ne saurions trop le répéter, qui est à la France ce que la taxe des pauvres est à l'Angleterre. La société a-t-elle été plus puissante, du moins, lorsqu'elle a tenté d'abolir l'infanticide, ce crime enfanté par le vertige du délire, dont le nom seul fait tressaillir? Non. » Il n'est pas vrai que les tours aient mis un terme aux infanticides. Il n'est pas prouvé qu'ils en aient diminué le nombre.

Il est prouvé, au contraire, que l'augmentation où la diminution du nombre des tours a été sans influence sur celui des infanticides.

Il y a plus d'infanticides dans les pays à hospices d'enfants trouvés que dans les au

tres.

(1) Benjamin Delessert, Chambre des députés, 31 mai 1838.

Il est reconnu, d'une part, qu'une mère ne se porte à l'assassinat de son propre enfant qu'au premier moment de sa naissance; et, d'un autre côté, qu'elle ne commet ce crime que lorsqu'elle n'a aucun témoin, aucun confident quelconque de son accouchement. C'est seulement lorsque ces deux circonstances se trouvent réunies que la mère se détermine au meurtre dans le désir d'ensevelir à jamais dans l'ombre la faute qu'elle a commise.

Dans la double condition qui donne lieu à l'infanticide, l'enfant ne pourrait arriver au tour, au moment où la mère met son enfant au jour, si elle n'est pas en état d'aller ellemême le déposer, et de franchir l'espace qui la sépare de l'hospice. Il lui faut un intermédiaire pour transporter l'enfant ; alors elle aura donc un confident, elle ne commettra point l'infanticide.

Ce n'est pas la crainte de la misère, mais celle de l'infamie; ce n'est pas un froid calcul, c'est le vertige du délire qui pousse une mère à l'infanticide. Des magistrats expérimentés ont reconnu que le crime d'infanticide ne se commet point sur des enfants qui ont vécu quelques jours; que la femme n'attente plus à la vie de son nouveau-né dès qu'elle a éprouvé la jouissance de la maternité.

Le crime de l'infanticide ne se commet plus sur des enfants qui ont vécu quelques jours; non-seulement alors la mère redoute que son secret ne soit connu, mais encore elle s'est déjà attachée à son enfant.

Le tour n'est pas le premier confident; et la mère qui nourrit l'affreux projet de tuer son enfant, n'en veut aucun (1). »

Ce n'est pas seulement dans l'administration et dans la direction intérieure des hospices que la société a échoué; elle n'a pas été plus heureuse lorsqu'elle a cherché au dehors des améliorations au sort de ses malheureux pupilles. Nous avons vu, dans les pages précédentes, que les établissements de charité, pour les enfants abandonnés, étaient obligés d'envoyer dans les campagnes une partie des pauvres petits êtres que la misère ou la honte avait confiés à leurs soins. On se flattait, et ce n'était pas sans quelques raisons apparentes, que, répandus dans les familles des cultivateurs, ces enfants d'adoption retrouveraient, en même temps qu'ils acquerraient la santé, une patrie, un état, une famille. Le rêve était beau.-Hélas, ce n'était encore qu'un rêve! - D'un autre côté, les hospices ne conservant qu'un petit nombre d'enfants, tout faisait présumer que les soins administratifs pourraient, cette fois au moins, être couronnés de succès.- Même déception! Les lignes suivantes, dans lesquelles M. de Melun rapproche ces deux systèmes d'éducation, nous mettront à même de juger si, cette fois encore, la société a lieu de s'applaudir de sa découverte.

<< Pendant longtemps, l'adoption a été aussi fatale aux enfants que l'abandon lui-même;

(1) Derbigny, Question des enfants trouvés.

bien peu survivaient à leur passage à travers l'hospice; et la crèche, souvent reléguée dans un endroit malsain et humide, privée d'air et de lumière, rapprochant pour la contagion des maladies si promptes à se propager, était plus meurtrière que la rue et la place publique. La charité privée, en ouvrant la crèche aux enfants que leurs mères ne peuvent garder tout le jour, a découvert les conditions d'hygiène, les mesures de prudence qui en écartent la maladie et la mort. L'assistance publique devra lui emprunter ses soins, sa méthode et sa sainte industrie, et faire tourner au profit des enfants trouvés l'expérience acquise dans ces pieuses fondations.

D'après le décret de 1811, l'enfant, après quelques jours passés à l'hospice, est confié à une nourrice qui l'élève à la campagne. A l'âge de 6 ans, s'il ne reste pas chez son père nourricier, on le met en pension chez des cultivateurs. A douze ans il est placé en apprentissage. Enfin, dans le cas d'infirmités, de maladies ou de mauvaise conduite, il est gardé ou rentre à l'hospice, qui doit s'occuper de son éducation, de sa guérison ou de sa réforme.

Le placement à la campagne, dans un grand nombre de circonstances, a obtenu d'excellents résultats. Beaucoup d'enfants ont reçu de leurs nourrices les soins et l'affection maternels, ont été bien vite agrégés à la famille, se sont établis dans le village où ils avaient éte nourris, y ont exercé un état honorable et lucratif, et ont retrouvé ainsi une mère, une famille, une fortune et une patrie.

Mais trop souvent aussi le bas prix de la pension, inférieure aujourd'hui à ce qu'elle était payée sous Louis XIV (1), oblige de prendre pour nourrices les femmes les plus pauvres, que leur misère, leur malpropreté, leur mauvaise réputation, éloignent de positions meilleures.

Les rapports des inspecteurs signalent les conséquences déplorables de ces choix trop faciles et sans discernement, et de l'éducation qui les suit. Beaucoup de ces pauvres enfants, nourris d'eau et de farine au lieu de lait, dépouillés de leurs langes et de leur berceau au profit des enfants de la maison, servent de marchandises pour de honteux trafics, grandissent en pleine licence, loin du travail et de l'étude, sont répandus ça et là dans les chemins pour tendre la main, ou aller demander à la maraude ce que n'obtient pas la mendicité; puis, après l'âge de 12 ans, oubliés complétement par la société, qui n'a plus rien à payer pour eux, ils ne la retrouvent plus que sur les bancs de la cour d'assises et dans les prisons, où trop souvent elle les punit de sa propre négligence.

Pour les jeunes filles, le danger est plus grand et le sort plus triste encore: trop souvent abandonnées dans les champs aux hasards et aux séductions de la liberté, ou

(1) Les prix des mois de nourrice, pour la première année, était de 8 franes; il n'est actuellement en moyenne que de 7 franes.

élevées avec des jeunes gens dans une familiarité que ne protége ni ne purifie le lien. du sang, elles se préparent, par le laisser aller à la campagne, aux infâmes métiers des villes, et y font l'apprentissage de la débauche et du déshonneur.

Eufin le séjour à l'hospice a aussi ses piéges et ses dangers les faibles, les infirmes s'y rencontrent avec les mauvais sujets, se livrent avec eux à toutes les dissipations des corridors et des cours, ne prennent du travail et de l'étude qu'un semblant qui est encore de l'oisiveté, et achèvent d'y perdre la santé de l'âme et du corps au contact de la maladie et de la corruption.

En vain les hospices, dans leur détresse, s'adressent-ils aux communes, au département, à l'Etat : chacun repousse la responsabilité et l'obligation de la dette, et les hospices sont quelquefois forcés de vendre des rentes ou des terres pour faire honneur à leurs engagements. Les conséquences d'un pareil système retombent sur la santé des pauvres enfants, victimes de l'extrême pénurie des hospices, qui sont forcés de désobéir aux prescriptions des ordonnances, et d'économiser sur les langes et les plus indispensables vêtements (1). »

Nous ne saurions mieux terminer cette analyse de l'impuissance humaine, qu'en transcrivant le tableau réellement effrayant, qu'a tracé M. Marbeau, des résultats dans l'ordre moral de l'éducation donnée aux enfants trouvés.

« Un enfant est exposé; deux ou trois jours après, il part avec sa nourrice, qui le porte à trente ou quarante lieues. Il est soigné de telle manière que, dès la première année, il en meurt 42, 50, et quelquefois 66 sur 100. Celui qui survit est confié, après le sevrage, à de pauvres gens, moyennant 4, 5 ou 6 francs par mois. On trafique sur lui, on l'exploite, on lui fait produire le plus possible. Au lieu de l'envoyer à l'école, où il ne gagnerait pas un centime, on le dresse à mendier, à marauder; les enfants de son dge le méprisent, le maltraitent; sans parents, sans affection, sans éducation, n'ayant appris qu'à mépriser les hommes, qu'à détester la société, que peut-il être à douze ans? A cet dge, lorsqu'il est en état de gagner de quoi rembourser à la société les avances qu'elle a dû faire pour lui, nous l'abandonnons.

« Un manufacturier philanthrope de Melun voulut employer dans sa filature une centaine d'enfants abandonnés; ils brisaient tout, et ne faisaient que du mal. Ceux qui vont à l'armée, à la mer, sont généralement de mauvais soldats et de mauvais matelots. Un gendarme disait: « Sur trois vauriens que j'arrête, il y a presque toujours un enfant trouvé. » Bordeaux se réjouissait d'avoir passé quelques années sans exécution capitale; un jour, le terrible appareil est dressé: pour qui?

(1) M. de Melun, Rapport et projet de loi sur les enfants trouvés, abandonnés et orphelins, présenté au nom de la commission d'assistance publique, 22 mars 1850.

Pour un enfant trouvé. Le bagne a 15 enfants abandonnés sur 100 forçats; il ne devrait en avoir que 2 ou 3, mais la chance du crime est sextuple pour eux. Sur 4 abandonnés, 3 meurent avant l'âge de douze ans, et le quatrième semble voué au mal. Nous dépensons chaque année 10 millions pour aboutir à un tel résultat!

a..... Ajoutez ce que le nombre excessif des enfants trouvés prélève sur nous, en aumônes, en rapines, en frais de justice criminelle; ajoutez ce qu'ils font dépenser, et dans les prisons et dans les bagnes; ajoutez le mal qu'ils font par leur contact; vous comprendrez combien il importe au bonheur social, 1° d'en diminuer le nombre; 2° de les mieux élever; 3° de mieux tirer parti de leurs forces et de leur intelligence.

« Sur 1 million de naissances environ, la France compte en moyenne, tous les ans, 34,000 abandons, 30,000 mort-nés et 168 infanticides (1). » CONCLUSION.

« Prime indirecte donnée à l'abandon des enfants et aux suppressions d'état par l'institution et la multiplication des tours;

Par suite de cette prime, 15,000 enfants voués à une mort certaine dans les douze premiers mois de leur naissance, pour en sauver un ou deux d'un péril imaginaire: l'infanticide en sus de la proportion moyenne constatée;

Manque presque absolu de soins suffisants, soit de la part des hospices, soit de la part des nourrices;

Plus de 1 décès à l'hospice sur 3 enfants trouvés, lorsque la proportion n'est que de 1 sur 5 114 pour les mêmes enfants conservés par leurs mères;

Mortalité des enfants trouvés plus forte de 30 010 que celle des enfants de toute la France;

Moyenne de la vie des enfants trouvés ne dépassant pas quatre années;

Constitution des enfants trouvés si débile et si chétive que peu de garçons sont en état de satisfaire aux conditions exigées par la loi du recrutement;

Tutelle complétement abandonnée dans 61 départements sur 86;

La grande majorité des filles sans mères vouées à la prostitution;

Sur 100 forçats, 15 enfants trouvés, lorsque la proportion ne devrait pas dépasser 3; Sur 50 individus, 1 enfant trouvé, proportion qui s'élèverait à 1 sur 30 si la mortalité était égale entre les enfants recueillis par les hospices et les enfants gardés par leurs parents;

Tels sont les faits significatifs qui résultent de divers témoignages.

...... Quelle question cependant était plus grave, plus délicate, méritait un examen plus

(1) M. Marbeau, ancien adjoint au maire du 1er arrondissement: Mémoire sur les enfants abandonnés, lu à l'Académie des sciences morales et politiques.

approfondi, et commandait des recherches plus laborieuses en remontant de l'effet à la cause, que celle des enfants trouvés ! A quel examen vous êtes-vous livré? Quelles recherches avez-vous faites?

Vous êtes-vous demandé si le mariage, tel que la loi civile l'a réglé, en France, était ce qu'il devait être?

Avez-vous pesé s'il valait mieux que la recherche de la paternité continuât d'être interdite en France, ou qu'elle y fût permise, ainsi qu'elle l'est en Angleterre, en Allemagne, en Suisse?

Avez-vous médité sur ces chiffres que tout homme qui aspire à gouverner la France doit avoir constamment sous les yeux: Sur 13 enfants qui naissent, 12 passent pour légitimes, 1 réputé naturel; sur 33 naissances un enfant abandonné; sur 50 individus vivants, 1 enfant trouvé?

« ..... Etes-vous remonté des effets de la prostitution à ses causes, pour les combatire et les détruire, ainsi que Jenner est parvenu, par la vaccine, à combattre et à détruire la variole, qui frappait de laideur ceux qu'elle ne frappait pas de mort ?

Avez-vous étudié la commune telle qu'elle existe, pour savoir s'il ne serait pas possible de la réorganiser de telle sorte que ce fût elle qui servit à arrêter d'abord, et à tarir enfin le cours de la misère, de la prostitution et des enfants trouvés ?

Non, vous ne vous êtes posé aucune de ces questions!

Même la plus simple de toutes vous a échappé, celle qui consistait à examiner s'il n'en coûtait pas plus cher à la société de multiplier, au prix de 1,200 francs, le nombre des êtres chétifs et maladifs (1), que de dépenser, fût-ce le double, afin de former des hommes sains et robustes en état de lui rembourser sur leur travail les avances qu'elle aurait faite pour les bien élever et les bien instruire?

Malthus sans audace, et Vincent de Paul sans foi, vous vous êtes arrêté au bord de l'abîme; vous avez détourné les yeux pour n'en pas voir la profondeur; vous avez craint que le vertige ne vous prit; vous vous êtes rejeté en arrière de quinze ans, et vous avez dit : - « Il faut rétablir les tours que, dans une bonne intention, on a voulu suppri

mer. »

« Homme qui avez la prétention d'être pratique, vous avez renié l'expérience (2) ! »

Ne serions-nous pas en droit d'appliquer à tous les bâtisseurs de systèmes d'assistance modernes ces énergiques reproches que M. de Girardin met à l'adresse de M. le

(1) De 1825 à 1848, la dépense moyenne par enfant trouvé de un à douze ans a varié de 85 à 79 francs, non compris les frais de layette et de vêture et les enfants conservés à l'hospice par suite d'infirmités, ce qui porte de 104 à 100 francs la dépense moyenne totale, par enfant et par année.

(2) E. de Girardin, Lettres à M. Thiers, abolition de la misère par l'élévation des salaires, p. 19.

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