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national, comme la famille est le rudiment de la nation. Et c'est pourquoi une société civile, quelle que soit la forme de son gouvernement, ne peut pas être constituée, ni subsister, si la perpétuité, l'indissolubilité, la sainteté de la famille ne sont reconnues et garanties. Grâces à Dieu, la famille n'est point sérieusement attaquée au moment où nous sommes ! Nous avons d'autres erreurs à combattre; assez d'autres vertiges nous troublent. Il y a bien eu quelques tentatives dans ces dernières années; mais le bon sens, la raison et la pudeur publics en ont fait justice avant même qu'elles eussent achevé de se produire.

« Le concile de Paris ayant jugé à propos de les passer sous silence, nous ne croyons pas non plus, au moins pour le moment, devoir nous en occuper.

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« Troisième fondement de la société civile la propriété. C'est elle qui assure à l'individu, à la famille, à l'Etat, le lieu et les moyens d'existence, car non-seulement il faut vivre quelque part, mais il faut vivre de quelque chose. Le lieu de la subsistance, pour l'homme civilisé, exige du temps, du travail, des efforts continus pour être préparé et accommodé à ses besoins : ce qui suppose que ce terrain est à lui, qu'il en a la possession assurée; et comme de ce terrain il doit faire sortir sa nourriture et celle de ses enfants, ce qui ne peut se faire aussi qu'avec du temps et du labeur, il lui faut encore la garantie qu'il ne perdra pas les fruits de ses sueurs et de son industrie. Rien n'est donc plus aisé à comprendre qu'il n'y a ni famille ni Etat possibles sans propriété. Elle est une des conditions de la civilisation, et vouloir la retrancher, c'est, comme nous allons le voir, abaisser l'homme à la vie brutale et aventureuse des animaux. Voilà le côté le plus menacé de l'ordre social et conséquemment de la paix publique. C'est à la propriété que les erreurs de nos jours se sont surtout attaquées, les unes avec la violence qu'inspirent d'ardentes et coupables convoitises; les autres avec l'exaltation d'un faux enthousiasme, de cette espèce de fanatisme que donnent les illusions honnêtes dans leur principe: illusions d'autant plus dangereuses qu'elles sont plus sincères et plus désintéressées.

« Ce sont ces diverses erreurs que le concile de Paris a frappées de ses anathèmes, dans la première partie du décret que vous venez de lire.

Un jour, comme le divin Sauveur sortait du temple avec ses disciples, l'un d'eux lui dit : « Maître, admirez: quelles pierres ! quelle structure ! » Jésus, se retournant: « Vous voyez la grandeur de cette construc«tion; tout sera détruit, et il ne restera pas pierre sur pierre. »>

Après avoir mesuré d'un rapide regard, de la base au sommet, l'ensemble de l'édifice social, nous vous dirons, à l'exemple du Sauveur: Vous voyez la solidité de ce temple, que Dieu a fondé dans les entrailles mêmes de la nature, pour abriter ici-bas

l'humanité? eh bien! tout serait renversé de fond en comble, si, par impossible, l'une de ces trois choses venait jamais à prévaloir : l'athéisme théorique ou pratique, la promiscuité substituée au mariage, la spoliation de la propriété ! Quiconque serait assez audacieux pour se faire, au sein de la civilisation et de la lumière du christianisme, le promoteur de tels attentats, devrait être regardé comme un ennemi public du genre humain.

II. « Le bon sens, la philosophie et la religion s'accordent à reconnaître le droit de propriété; tous trois l'autorisent et le proclament par l'inspiration spontanée, par la réflexion de la science, par la vertu de la parole sacrée.

« Commençons par interroger le bon sens et la philosophie, afin de nous préparer à écouter avec plus de respect la grande voix de la religion, qui est celle de Dieu même.

« Le bon sens se déclare d'une manière incontestable par le consentement général des peuples. Il n'y en a pas un dans l'antiquité et chez les modernes, où la propriété, soit privée, soit publique, n'ait été établie comme une chose légitime, quand elle s'acquiert dans les conditions naturelles et sociales qui lui sont inhérentes. C'est un fait universellement reconnu que toute la civilisation repose sur la propriété, et qu'ainsi, prétendre la détruire, c'est vouloir ruiner l'homme, comme tout à l'heure nous le dila civilisation elle-même; c'est abaisser sions, au-dessous même de l'état sauvage; c'est le ramener à un prétendu état de nature, qui n'en serait que la complète dégradation.

« A ce consentement général des hommes, il n'y a d'exception, dans toute la suite des siècles, que la voix de quelques philosophes, en opposition avec le sens commun, par esprit de système, ou le cri de quelques hommes de désordre, qui ne craindraient leurs convoitises, parce qu'ils trouveraient de bouleverser la société pour assouvir plus commode de jouir sans peine que d'acquérir par le travail et au prix de leurs

sueurs.

« On ne doit pas espérer de convaincre, même par les plus solides raisonnements, ceux qui, outrageant le bon sens à ce point, ne sont portés à cette extrémité, comme il arrive d'ordinaire, que par l'aveuglement et le délire de la passion. Mais il y a aussi des esprits séduits par le sophisme et entraînés par une apparence du bien, à qui on a pu faire admettre avec une certaine confiance que la propriété est une injustice. A ceux-ci la philosophie peut donner des raisons pour leur expliquer la légitimité de la propriété, et s'ils sont sincères et de bonne foi, la vérité pénétrera facilement dans leur ame. C'est avec ces hommes que nous voulons raisonner, dans le cas où le simple appel que nous venons de faire au bon sens, c'est-à-dire à la croyance per

pétuelle et unanime du genre humain, ne les aurait pas déjà convaincus.

III. « Aux yeux donc de la philosophie, le droit de propriété est-il fondé dans la nature? C'est demander, en d'autres termes, si l'être intelligent et libre peut légitimement, par son activité, entrer en possession de quelque chose; nous répondons :

« Elevez-vous à la source même de l'être. Dieu, de toute éternité, se contemple; car ce qui caractérise l'être intelligent, c'est la puissance de rentrer en soi et de se regarder des yeux de l'esprit pour se connaître. Dieu donc embrasse d'un regard infini tout ce qu'il est en lui-même, afin de se distinguer de ce qu'il n'est pas. Cette vue éternelle lui donne la science totale, soit des réelles magnificences de son être incréé, soit des types sans nombre des mondes réalisables. Or, par cette connaissance, d'où lui vient la conscience de ce qu'il est, il prend, si l'on peut dire, possession de luimême. Première possession, dont il est éternellement investi par l'exercice même de sa souveraine intelligence.

« Dieu ne se possède pas seulement par la science de lui-même et de ce qui n'est pas lui, au moyen de son intelligence sans limites; mais, comme il a une volonté libre, il peut agir, pour se manifester, à tel ou tel point de l'espace, à tel ou tel instant de l'éternité. Quand il a décrété de réaliser au dehors de lui-même une création, il peut choisir dans le cercle sans fin des mondes possibles; rien, dans ce choix, ne domine sa volonté souveraine; mais sa volonté souveraine domine tout. Il possède donc toujours son activité créatrice dans la plénitude de son libre arbitre; c'est une seconde possession dont sa volonté éternelle l'investit, et qui le rend maître absolu de ses

actes.

« Dieu est fécond en lui-même d'une éternelle fécondité, sans doute; mais une na{ure infiniment bonne demande aussi à s'épancher au dehors. Maître de son action souveraine, il a donc créé librement et par amour, voulant faire du bien à des images de lui-même. La création est comme le tra`vail de Dieu, et son activité extérieure un exercice. Le monde que nous voyons et dont nous faisons partie est le fruit de ce travail. Le fruit de son travail est sa propriété. Dieu seul est donc le possesseur incommutable du ciel et de la terre; et comme l'ouvrier marque son œuvre de son empreinte, pour que sa gloire ne passe pas à un autre, l'architecte de l'univers a imprimé sur chacune des créatures qui le composent le sceau de sa toute-puissance, de son intelligence et de son amour.

« Cette dernière possession résume toutes les possessions divines, et c'est dans ce sens peut-être que le psalmiste s'écriait: «O « Dieu! que vos œuvres font magnifique«ment éclater votre puissance; vous avez << tout fait avec une souveraine sagesse; la <«< terre est remplie des biens qui forment « votre immense domaine. »>

IV. Et maintenant, l'homme, image de Dieu, comme lui activité intelligente et libre, ne pourrait-il pas, comme lui, posséder quelque chose, et, par similitude, devenir propriétaire?

« Si Dieu lui a donné l'intelligence, il est évident que, par la réflexion, apanage de l'être raisonnable, il a la conscience de lui-même ; il sait dès lors ce qu'il est et ce qu'il n'est pas, et, par cette science de luimême, il prend véritablement possession de lui-même; car il dit alors: « Mon âme, mon « corps; » son âme est donc sienne, et son corps lui appartient.

«Et s'il a une volonté libre pour agir à son choix, pouvant par elle exercer les facultés de cette âme et les organes de ce corps, diriger où il veut toutes les forces de son être, il possède donc en lui-même une puissance d'action? Cette activité libre est évidemment encore de son domaine, et personne ne peut ni la lui contester ni la lui ravir. Dans toute position de la vie, esclave ou libre, jusque dans les fers, il dira: Ma volonté, ma liberté, alors même qu'une force étrangère les tiendra enchaînées.

« Et enfin, si, par cette puissance d'action, i produit volontairement quelque chose au dehors; s'il réalise librement une création de ses pensées, devra-t-il il être frustré du fruit de son travail, du résultat de son activité propre, et son œuvre ne sera-telle pas son œuvre, la chose sienne, sa propriété? Nulle puissance ne saurait le faire, parce que cela implique contradiction. L'usurpation ici ne peut se pallier, elle se trahit dans la langue elle-même; car le maître de l'esclave ne dira jamais: Mon travail, en parlant du travail de son esclave.

« L'homme est donc capable de posséder, à l'imitation de Dieu lui-même, et sous sa haute suzeraineté. Mais le droit de propriété découle pour lui, non-seulement de sa nature intelligente et libre, il découle aussi de sa nature bornée et précaire, sujette à toutes les nécessités de la vie. Et remarquez ici l'infinie différence entre le Dieu créateur et l'homme son image.

« L'Eternel n'a nul besoin d'alimenter son être. Il est lui-même la source intarissable de la vie, et quand il se manifeste par une création, ce n'est que pour répandre la vie à flots, et avec la vie tous les biens de la nature et de la grâce. Mais l'homme a des besoins, des besoins impérieux de l'âme et du corps. Ces besoins sont l'expression, le cri de la nature finie, qui, ne pouvant se suffire à elle-même, réclame les moyens indispensables de sa subsistance. Et comme ces moyens doivent lui être fournis par le monde où il est placé, il doit les y chercher, les y trouver, pour préparer et soutenir sa

vie

« En un mot, ni par l'âme, ni par le corps, l'homme ne peut vivre sans manger; il lui faut le pain spirituel comme le pain matériel, et ce pain de l'esprit et du corps, il faut qu'il se l'assimile ou le fasse sien; il faut qu'il se le rende propre ou se l'appro

prie. Il ne sera nourri et conservé qu'à cette condition. L'homme a donc un droit réel, fondé dans la nécessité même de sa nature, à ce qui est nécessaire à sa nourriture, à l'entretien de son existence, pour se conserver vivant; car celui qui lui donné la vie veut qu'il vive, dit le psalmiste: Et vita in voluntate ejus.

V.

Jusque-là tout le monde est d'accord, à ce qu'il nous semble. C'est la partie évidente, incontestable de notre démonstration. Personne ne peut nier qu'il ne faille manger pour vivre, et qu'en mangeant on ne s'approprie les objets consommés. Mais ici commencent les difficultés. On objecte que les hommes étant frères, et par conséquent égaux, tous ont naturellement le même droit à toutes choses, puisque tout a été donné à tous par le Créateur.

« Cela serait vrai sans doute et possible, si les objets qui répondent à nos besoins se présentaient à nous tout préparés, et que nous r'eussions aucune peine à prendre pour les chercher et pour les disposer à notre usage comme dans l'âge d'or des poetes, où, la terre produisant spontanément ses fruits, ils étaient au premier occupant; ou comme dans le désert, quand la manne tombait chaque nuit du ciel pour nourrir le peuple de Dieu. Il n'y avait alors pour chacun qu'à cueillir ou à ramasser. Mais il n'en va plus ainsi, au moins pour la généralité des hommes. La terre ne produit plus que par les efforts de la culture, et ses produits, déjà arrachés de son sein au prix de nos sueurs, doivent encore être transformés par l'industrie, pour être employés à nos usages.

La condition du travail, dans l'état présent de l'homme, vient donc s'ajouter à celle de la première occupation, pour déterminer et légitimer la propriété d'un objet. C'est par le travail de sa pensée, de sa volonté et de sa main que l'homme donne à une chose la façon analogue à ses besoins, et lui impose de cette sorte le sceau de sa personnalité. Il la marque, pour ainsi dire, de son effigie, comme l'ayant rendue propre à Son usage, et pouvant ainsi s'en servir exclusivement, non-seulement par le droit naturel de la nécessité de sa nature, mais encore par le droit moral, acquis par son travail, dont il doit recueillir les fruits.

«L'homme, par son travail, fait donc passer quelque chose de sa personne dans les objets extérieurs. Il y met de sa pensée, de sa volonté, de sa force, ses peines, ses sueurs, sa vie, sa substance. Il étend sa personnalité sur ces choses, qui deviennent pour lui un nouveau domaine, et il a sur elles, par cette extension, un droit aussi légitime, aussi naturel que sur les facultés de son esprit et les organes de son corps. Elles deviennent des accessoires, des appendices de son existence, et il peut les donner comme Il donne son temps et sa peine, les transmettre par succession, comme par la génération ilcommunique son sang à sa postérité. Il peut faire tout cela légitimement, parce que ayant

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le pouvoir, ainsi nous l'avons établi, de se posséder lui-même par l'exercice de toutes les facultés qui constituent sa personnalité, il a le même droit de possession sur toutes les choses nécessaires à sa conservation et au dévelopement de sa vie, pourvu toutefois que ces choses ne soient pas déjà occupées par d'autres, et toujours à la condition de se les approprier par le travail. Alors personne ne peut plus les lui enlever sans injustice, c'est-à-dire sans violer les règles de l'équité, c'est-à-dire sans ébranler une des bases sur lesquelles repose l'ordre social. Et c'est une considération que nous avons à propriété, on détruit du même coup la justice vous présenter, savoir: Qu'en détruisant la elle-même, qu'il devient dès lors impossible même de définir.

VI. « En effet, la définition de la justice, proclamée par le sens commun et la consà chacun le sien, ce qui lui appartient, ce cience du genre humain, est qu'il faut rendre qui lui est dû, suum cuique. Or, cette définition, supposant que quelque chose peut léévidemment le droit de propriété. Otez donc gitimement appartenir à chacun, implique cette possibilité d'appropriation, supposez que rien ne puisse, ne doive appartenir à distributive, ni à justice commutative. personne, et il n'y a plus lieu ni à justice.

« Et d'abord, ce qui fait la justice distributive, en tant que justice, ce n'est pas la distribution des choses en elles-mêmes, des emplois et des dignités, suivant le hasard ou le caprice, la faveur ou l'arbitraire; mais la distribution ou rémunération motivée, sanctionnée par le droit, fondée sur la capacité, sur les services, sur les mérites, en un mot. Or, si nous n'avons droit à rien, ou si, ce qui revient au même, tous ont droit à tout, il n'y a plus de raison légale ou méritoire de distribution ou de partage, et dès lors il ne sert plus de rien de travailler, de rendre des services à la patrie, de ehercher enfin, dans la famille ou dans l'Etat, à mériter d'une manière quelconque. Il ne peut plus même être question de mérite ni de ré

munération.

justice commutative; car, à quoi bon faire « Ensuite, il n'y a plus lieu également à la un échange, quand on a droit à toutes choses? Et d'ailleurs, si l'on ne possède rien en propre, il n'y a rien à échanger. Le commerce devient donc impuissant comme l'industrie, et nous ne voyons plus à quoi pour. raient s'employer sérieusement, activement, les membres d'une pareille société, sinon à dévorer avec ardeur le bien commun, en consommant de toutes leurs forces et en produijouissance et de consommation dont tous sant le moins possible. Dans cette fureur de seraient possédés, personne évidemment ne serait satisfait de son partage. Alors, partout un effroyable désordre; des querelles on passerait aux rixes violentes, des rixes violentes aux guerres générales d'extermination, et après que tout serait dévoré, les terres et le travail ne donnant plus leurs fruits,

il ne resterait aux rares survivants de cette effroyable anarchie qu'à mourir de faim.

VII. « Enfin, dans un tel état de choses, l'idée la plus commune de la justice morale, de la plus simple équité, est détruite. La formule de cette idée est celle-ci : à chacun selon ses œuvres. Le Juge suprême ne suivra pas d'autre règle, au dernier jour. Chacun doit recevoir en raison de ce qu'il fait: c'est la base de toute morale et de toute civilisation. Mais cette règle n'a pas d'application, si tout appartient à tous, s'il n'y a de droit et de légitimité que dans la possession commune. Le paresseux recevra autant que celui qui travaille, le débauché autant que l'ouvrier honnête, celui qui ne produit rien autant que celui qui produit le plus. I recevra même davantage, car il consommera plus, en raison de son oisiveté, du développement de ses appétits, et du temps qu'il met à les satisfaire.

« Aussi la doctrine que nous combattons ici ne dit plus: « A chacun selon son travail, »> mais « A chacun selon ses besoins; » c'est l'axiome fondamental de la nouvelle morale. Or, comme ceux-là ont eu général plus de besoins, réels ou factices, qui sont le moins occupés, il suit que l'équité, dans cet ordre de choses, consisterait à donner plus à ceux qui font le moins, et par conséquent à nourrir les fainéants et les dissipateurs des sueurs et de la substance des citoyens laborieux et honnêtes. Voilà la justice qu'on voudrait nous faire !

« Nous avions donc raison de dire que si le droit de propriété n'existe pas, il n'y a non plus ni morale sociale, ni justice; qu'il n'y a plus même moyen de les définir; ou plutôt que, pour les faire comprendre au sens des nouveaux instituteurs des peuples, il faut nier ce que tous les siècles ont affirmé, et, prenant le contre-pied de la tradition du genre humain, dire résolument : La justice consiste à donner à chacun ce qui ne lui appartient pas. La maxime éternelle ne sera plus: Suum cuique; mais: Cuique non

suum.

VIII.« Mais laissons la démonstration et tous les raisonnements humains. Si l'évidence de ces principes et de ces déductions, garanties par la raison unanime des siècles, ne suffit pas aux contradicteurs, voici l'autorité du ciel même, dont la grande voix retentit sur le Sinaï, intimant ses commandements à la terre. Elle proclame le droit de propriété, et condamne tout ce qui lui porte atteinte. Et cette voix, qui est celle de l'Eternel, fait entendre cette parole: « Ecoute, «<Ô Israël, je suis le Seigneur ton Dieu: tu ne «< commettras point de vol. »

« Le désir même de dérober le bien d'autrui, ou la complaisance dans la pensée du vol est défendue : « Tu ne désireras point de << t'approprier injustement la maison de ton <«<prochain; tu ne convoiteras ni sa femme, << ni son serviteur, ni sa servante, ni son «<bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient. >>

« La religion, fidèle interprète du com

mandement divin, ne laisse aucun prétexte, aucune illusion au voleur, et elle déclare, par l'organe de ses prophètes et de ses apotres, qu'il n'est pas permis de prendre le bien d'autrui, même pour en faire un bon usage: «L'oblation de celui qui sacrifie d'un « bien usurpé est souillée, et les dons des « hommes d'injustices sont des dérisions « qui ne peuvent être agréables à Dieu, » et encore: « Le Très-Haut n'approuve point les << dons des voleurs ; il ne regarde point les « oblations injustes; et il ne s'apaisera pas «< contre leurs péchés, à cause de la multi«<tude de leurs sacrifices. »>

<< Enfin, les oracles sacrés font trembler le voleur sous la menace des plus formidables châtiments du temps et de l'éternité : « J'en<< verrai la malédiction, dit le Seigneur des «< armées, elle entrera dans la maison du << voleur; car tout voleur sera jugé. Ne vous << y trompez pas, les ravisseurs du bien d'autrui, les voleurs, n'auront point part au « royaume de Dieu. »

« Qu'est-il nécessaire d'ajouter à ces paroles, ou divines ou inspirées, les témoigna ges de la tradition ecclésiastique ? Les conciles, les saints Pères, les docteurs n'en sont que les fidèles échos. C'est la voix de l'Eglise universelle et l'enseignement de tous Les siècles.

<< IX. Mais c'est peu que la religion sanc tionne directement et en lui-même le droit de propriété, elle le protége encore et l'honore dans sa source qui est le travail. Elle n'a pas attendu les conceptions des économistes du xvIII et XIXe siècle pour proclamer, au sein de l'humanité, le travail comme un des fondements essentiels de la propriété. Seulement, parce qu'elle sait mieur que la science moderne ce qu'il y a dans l'homme et ce qui ressort de sa nature, elle s'est uniquement attachée à présenter le travail comme un devoir. Oui, le travail de l'esprit ou du corps est le devoir de tous; et comme du devoir naît constamment le droit, le devoir naturel du travail accompli donne le droit sacré à la jouissance régulière des fruits qu'on a produits par son aetivité intellectuelle ou physique.

« La religion nous apprend donc que le travail est une loi de notre nature, et que l'observation de cette loi a été un devoir pour l'homme même dans son état primitif, alors qu'il jouissait de l'intégrité de ses prérogatives, qu'il était comblé de toutes les faveurs célestes. « Car le seigneur Dieu prit « l'homme,» dit le récit authentique de son installation sur la terre, « et le plaça dans le « jardin d'Eden pour le cultiver et le gar << der. » Et il parait qu'à cette culture, qu'à ce travail, le Seigneur attacha le droit pour l'homme de manger des fruits du paradis terrestre, puisqu'il lui dit immédiatement: « Tu mangeras de tous les fruits du jardin." Seulement, afin que tu saches que tu ne possèdes la terre, avec ses fruits et les instruments de ton travail et toi-même, que sous ma suzeraineté, comme hommage obligé et protestation de dépendance, comme épreuve

écessaire de ta fidélité, « tu ne mangeras pas du fruit qui est au milieu du paradis des délices. »

«Mais voici ce qui est arrivé après la réo'te et la déchéance. Ce travail qui eût té facile, fécond et plein de charmes ans l'état d'innocence, est devenu péible, stérile et ingrat à cause du châtiment que l'homme a mérité. « La terre est maudite à cause de toi, dit le Seigneur à Adam; tu n'en tireras chaque jour ta nourriture à qu'avec un grand labeur; tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, car elle ne produira d'elle-même que des ronces et des épines. »

« Non-seulement la religion déclare par es organes sacrés que le travail est un devoir naturel, que a l'homme naît pour travailler,

ainsi que l'oiseau pour voler, » et que ce devoir, en tant qu'expiation, est devenu plus obligatoire après la chute; mais partout encore dans les saintes Ecritures, elle flétrit la paresse comme un vice et loue le travail comme une vertu.

Paresseux, va vers la fourmi et considère ses voies, et deviens sage; elle n'a ni « chef, ni modérateur, ni maître; elle prépare sa nourriture dans l'été, et rassemble asa provision durant la moisson. Paresseux, jusques-à quand resteras-tu couché?Quand

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« te réveilleras-tu de ton sommeil ? Encore a un peu de repos! Encore un peu de sommeil! Oui, mollement étendu, laisse encore « tomber tes bras sur ton sein, et la pauvreté fondra sur toi comme un homme armé, et la misère comme un ravisseur. » Le paresseux est dévoré de stériles désirs, mais l'âme du travailleur sera ras• sasiée. »

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« J'ai passé dans le champ du paresseux a et dans la vigne de l'insensé, et tout était plein d'épines. Les ronces en couvraient la face, et la muraille de pierres était tombée, et j'ai vu, et j'ai appliqué mon cœur, et cet exemple m'a appris la sagesse. Tu dormiras un peu, ai-je dit, tu sommeilleras un peu, tu mettras un peu tes mains l'une dans l'autre pour te reposer, et la pauvreté « viendra comme un coureur, et l'indigence

« comme un homme armé. »>

« Peut-on flétrir la paresse en termes plus énergiques, et inspirer plus d'estime pour le travail? Il est donc vrai que, partout dans les saintes Ecritures, il est représenté comme une conséquence de la nature de l'homme, comme un moyen pour lui de remplir sa destination, et comme la source principale d'où découle le droit de propriété, et, avec ce droit, toute civilisation.

X. « Cependant, malgré cette glorification du travail par Dieu lui-même et l'estime qu'on en faisait partout où la vraie religion étendait son empire, le travail des mains était devenu une ignominie, un vil attribut de l'esclave, chez les nations païennes. La sagesse antique, séparée de celle de Dieu, oubliant la grandeur de l'homme, a abusé du droit de propriété jusqu'à l'appliquer à l'homme lui-même, qu'elle a osé regarder comme une chose, dans le profond mépris de sa destinée ou dans la complète ignorance de sa nature; et, par une conséquence nécessaire de cette indignité, elle a obligé cette chose organisée, l'homme qu'elle mettait au rang de l'animal, à travailler pour son maître, lequel, possédant ce principal vivant et actif, s'arrogeait naturellement le même droit sur l'accessoire et ce qui pouvait en naître, sur les enfants eux-mêmes de l'esclave, comme sur tous les fruits de son travail.

<< Ainsi la perte de la liberté ou l'esclavage a entraîné le déshonneur du travail qui est devenu la fonction et le caractère de l'esclave. L'honneur du travail périt donc avec la liberté, et aussi le droit de propriété qui en découle. L'esclave, en la perdant, perd l'instrument, le moyen nécessaire de la possession. Ne se possédant plus lui-même, ne pouvant disposer à son gré ni de sa personne, ni de son corps, comment disposeraitil de son travail, et par son travail des choses qui l'entourent?

« Vous le savez, les deux tiers du genre humain, avant Jésus-Christ, étaient réduits ainsi par l'esclavage au rang de la bête de somme, travaillant pour leurs maîtres et à leur gré, sans en retirer d'autres fruits que la misérable pâture qu'on voulait bien leur donner comme à des animaux domestiques. Et cela ne se pratiquait pas seulement chez les nations barbares, ou chez les nations gouvernées tyranniquement, mais au sein même des peuples les plus polis de la Grèce, et là où la liberté politique était le plus gloritiée. Toutes ces fameuses républiques dont on a tant parlé avaient pour base la servitude, et ces grands citoyens, si fiers de leur liberté, et qu'on nous propose encore quelquefois pour modèles, étaient tout simplement des contempteurs de l'humanité et des exploiteurs d'hommes. L'exploitation de l'homme par l'homme, voilà ce que vous trouverez au bout de toutes les spéculations de la science et de tous les efforts du génie, quand le génie et la science ne sont pas éclairés et dirigés par la lumière de l'Evangile.

<< Mais voulez-vous voir jusqu'où les plus sages politiques des temps anciens poussaient le mépris du travail, suite nécessaire de ce mépris de l'humanité, écoutez le prince des philosophes, Aristote; il se fait cette question « L'artisan doit-il être compté parmi « les citoyens? Non, répond-il; une bonne «< constitution n'admettra jamais l'artisan «parmi les citoyens. »

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