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« Cette forme toutefois ne fut pas exclusive, et bientôt même elle dut cesser d'être dominante. Lorsque la presque totalité de la société romaine eut embrassé le christiaisme, on fut conduit à substituer des asiles publics anx formes fraternelles selon lesquelles s'était exercée d'abord la charité. Déjà le concile de Nicée avait prescrit l'érection dans chaque ville d'une maison hospitalière sous le nom de xenodochium, asile entretenu au moyen des aumônes des fidèles et desservi par les clercs. Ce germe ne manqua pas de s'étendre, et bientôt les immenses ressources mises à la disposition de l'Eglise par la piété des fidèles et par les concessions des empereurs lui permirent d'ouvrir des asiles richement dotés pour toutes les misères humaines. Ainsi s'élevé rent successivement dans toutes les villes de la chrétienté, à côté des xenodochia pour l'hospitalité, des nosocomia pour tous les malades, des brephotropia pour les enfants trouvés, des orphanotropia pour les orphelins, des gerontocomia pour les vieillards, des paromonaria pour les ouvriers invalides, etc. (1).

« Quelle que fût la forme sous laquelle s'exerçat la charité, qu'on la distribuat à domicile ou qu'elle fût dispensée dans des asiles publics alimentés par les aumônes ou les dotations des fidèles, elle émanait toujours du même principe, car elle était toute religieuse dans son essence et toute volontaire dans ses applications. Tel était le fait nouveau dont le christianisme avait doté le monde. A la bienfaisance légale des sociétés antiques, à la police politique exercée souverainement par l'Etat sur tous ses membres, i opposait un système d'après lequel chacun était engagé, sur son salut éternel, à soulager les maux de ses frères, à pourvoir à leurs besoins par son superflu, système dans lequel les devoirs envers autrui étaient placés sur la même ligne que les devoirs envers Dieu. Providence légale et providence religieuse, police des pauvres par l'Etat et adoption des pauvres par l'Eglise, dépendance des classes indigentes envers les castes supérieures, ou bien égalité en Jésus-Christ entre le pauvre, qui a un droit religieux au superflu du riche, et le riche soumis au strict devoir d'en disposer envers le pauvre ces deux termes de la question économique se trouvèrent posés sitôt que la croix fut arborée sur le Capitole, et ils sont restés les deux pôles vers lesquels se dirigent les courants contraires de nos aspirations contemporaines. Dans la lutte engagée contre le flot croissant des convoitises et des misères, il s'agit toujours en effet de savoir si l'on prendra son point d'appui sur l'Eglise ou sur l'Etat, sur la conscience ou sur l'administration, si l'on prendra pour type l'annone païenne ou l'agape chrétienne.

Le moyen âge vit se développer sur la plus vaste échelle le principe de la charité

(1) Voyez le Cod. Justin., lib. 1er, tit. 11, 22.

spontanée, s'exerçant sans intervention de 'Etat et sous l'impulsion du devoir religieux. S'il était possible de combiner jamais le mode d'exercice de la charité tel qu'il se pratiquait au XII° siècle avec les conditions de l'ordre social au XIX, le problème de la misère se trouverait résolu autant qu'il peut l'être en ce monde. »

La réformation vint changer radicalement la condition des pauvres au sein de la chrétienté. La confiscation du patrimoine de l'Eglise, qui représentait, dans la plupart des Etats, le tiers au moins du sol cultivable, rendit caduque cette dette dont l'acquittement équivalait pour les classes indigentes à une participation directe et effective à la propriété territoriale. Des mains de l'Eglise, qui ne les possédait que sous l'obligation de conscience d'en disposer, ces immenses richesses passèrent dans celles du pouvoir politique, qui ne s'inquiéta plus de leur destination spéciale, et le budget sacré du prolétariat fut confisqué par des gouvernements sans foi et des aristocraties sans entrailles. On sait quelle perturbation profonde ces changements provoquèrent dans la plupart des Etats réformés durant la dernière moitié du xvr siècle. La suppression des ordres religieux et des couvents, la substitution d'un clergé marié à un clergé célibataire ayant privé les pauvres de leurs asiles, de leur pain quotidien et des secours de toute nature auxquels ils avaient un droit jusqu'alors' pleinement reconnu dans toute la chrétienté, tienté, des flots d'indigents, de vagabo: ds et de moines spoliés inondèrent l'Angleterre, l'Allemagne, la Suisse, tout le nord de l'Europe, et mirent en grand péril l'ordre public. On tenta d'abord d'arrêter le mal en portant des peines atroces contre la mendicité et le vagabondage; mais on fut bientôt contraint de l'attaquer dans sa source même par un vaste système de charité obligatoire en faveur des classes déshéritées par la révo lution religieuse. De là cette taxe des pauvres, devenue la base de la législation économique non seulement en Angleterre, mais encore dans tous les Etats protestants de l'Allemagne aussi bien qu'en Suisse, en Suède, en Danemark et en Norvége. Si, lorsqu'il s'agit de cette institution, la pensée ne se reporte guère que sur la GrandeBretagne et sur le statut fameux de la quarante-troisième année d'Elisabeth, c'est qu'en Angleterre la taxe dut se développer dans des proportions tout autres que dans le reste de l'Europe, en raison même de la situation particulière de cette contrée où Is sept dixièmes du sol étaient, avant la réforme, la propriété du clergé catholique, des monastères et des établissements charitables. La taxe des pauvres, en Angleterre, s'était élevée, vers 1832, jusqu'au chiffre de 200 millions de francs, monstrueux impôt prélevé sur quátorze millions d'hommes, de telle sorte que, dans certains comtés, ceux qui recevaient lá taxe devenaient plus riches que ceux qui ja payaient; puis il décrit la réaction provoquée par une situation devenue telle que la

culture du sol était abandonnée dans quelques parties du pays, et il analyse les grandes mesures préventives consacrées par le statut du 4 août 1834. On avait tenté, sous Elisabeth, d'arrêter la mendicité en marquant les pauvres d'un fer rouge et en les mutilant dans leur corps. On imagina, sous Guillaume IV, d'arrêter le flot montant du paupérisme en transformant les malheureux en forçats et en les torturant dans les plus saintes affections de la nature. Les workhouses furent substitués aux potences, et l'on espéra réprimer la misère par l'une des plus hardies atteintes qui aient jamais été décrétées contre la liberté et la moralité humaines.

Cependant les mœurs ne pouvaient supporter de telles lois, et l'opinon publique, soulevée par la presse, par la tribune, par la chaire, par les meetings, eut bientôt tranformé les nouvelles lois des pauvres en ne leur laissant qu'une existence nominale. Le workhouse a perdu aujourd'hui sa physionomie terrible, et le régime intérieur, devenu des plus confortables, n'a plus rien qui effraye personne; on s'y précipite avec un empressement égal à celui qu'on mettait naguère à l'éviter, et l'économie tend à se changer en un surcroît de dépenses. Aussi est-on contraint de revenir à l'ancien mode, c'est-a-dire au secours à domicile sans travail. Douze années ont suffi pour briser ces lois de fer: après avoir ouvert une enquête solennelle chez toutes les nations du globe, assisté à d'interminables débats parlementaires, après avoir dépensé des sommes immenses en constructions et constitué une vaste administration tout entière, l'Angleterre de 1852 se retrouve encore aux statuts d'Elisabeth!

M. Moreau Christophe établit (1) que nulle part en Europe la condition des pauvres. n'est aussi digne de pitié que dans les Etats protestants, où le système de l'assistance légale est entré assez profondément dans les mœurs pour en arracher complétement l'habitude de l'aumône en faisant de celle-ci un délit. Telles sont certaines parties de la Suisse et de l'Allemagne. L'Angleterre est une contrée trop religieuse pour n'ètre pas, sur ce point-là, inconséquente avec son déplorable principe. Aussi la charité volontaire s'y exerce-t-elle avec une libéralité dont le chiffre dépasse, d'après les économistes, celui de la taxe légale, de telle sorte que l'une comble incessamment le gouffre creusé par l'autre. Mais c'est dans la triste Irlande qu'on voit à nu et d'un seul coup d'œil toutes les conséquences qu'ont entraînées pour les masses populaires les spoliations du xvie siècle et la fondation d'un établissement ecclésiastique, où l'esprit de famille est substitué à la paternité catholique. On a entassé des volumes pour résoudre le problème du paupérisme irlandais. Les uns ont discuté sur le mode de culture ou l'absence de capitaux, les autres sur l'absentéisme ou le système des middlemen: il était une explication

(1) Du problème de la misère et de sa solution chez les peuples anciens et modernes, 3 vol. in-8°.

beaucoup plus simple à donner de ce triste phénomène et à laquelle il semble vraiment que personne n'ait songé. Si l'Irlande est devenue le scandale et comme l'enfer de l'Europe chrétienne, c'est qu'elle est le seul pass dans lequel il n'y ait aucun lien religieux entre les riches et les pauvres, et le seul par conséquent où il n'y ait aucun devoir réproque entre la classe possédante et la classe des prolétaires. Supposez ceux ci protestants ou bien les lords irlandais catholiques, et la situation du pays se trouven changée sans que nul élément nouveau soit introduit dans sa constitution économique.

« Deux systèmes, poursuit M. de Carnée, ont partagé l'Europe depuis le xvi siede. Les Etats réformés, maîtres du patrimoine accumulé par la foi et la charité des générations antérieures, ont opposé à l'invasion de la misère les taxes forcées et les subventioas financières des gouvernements; les Etats catholiques ont essayé de lutter contre elle par la charité privée et par le produit des dotations d'origine religieuse, auxquels les secours de l'Etat ne sont jamais venus se joindre qu'à titre purement accessoire. Où la condition des indigents est-elle plus douce, à Londres ou à Rome, à Edimbourg ou à Naples, à Copenhague ou à Turin, à Berne ou à Madrid? Où se révèlent les plus vives, les plus fraternelles sollicitudes? Est-ce dans la patrie du tread-mill, telle que nous la révèlent les innombrables enquêtes précédant le poor-law-amendement-act, ou dans la ville aux mille confréries voilées dont Mgr Morichini a décrit avec tant de bonheur les miracles d'ingénieuse et inépuisable charité (1 La question est d'ailleurs tranchée de l'aveu même des adversaires de la charité catlique; ce qu'ils reprochent en effet à celle-3, c'est moins de manquer aux pauvres que d'en multiplier le nombre en leur faisant une existence trop facile. Pour apprécier la ju tesse de ce reproche, il ne faut pas perdre de vue que ces habitudes de far niente et de vie paresseuse imputées au système de l'aumône sont celles de populations exclusivement méridionales, amollies par la douceur de leur climat, et qui vivent, sans excitations el sans besoins, des produits d'une féconde nature. Envoyez le lazzarone napolitain et le bandit calabrais au prêche, faites-leur chanter des psaumes au lieu d'invoquer la ma done le premier ne continuera pas mos de dormir le long du jour sur ses pavés de lave, au bruit harmonieux de la vague, l'autre de préférer sa vie d'aventures dans les montagnes à l'existence enfumée de l'ovrier de Birmingham. C'est la mollesse du climat et pas du tout la mollesse de la croyance qui a multiplié les pauvres en Italie, en Espagne, en Portugal, et je ne pourrai jamais comprendre la facilite avec laquelle l'opinion publique en Europe a pris le change sur ce point-là.

(1) Tableau des institutions de bienfaisance à Rome, de Mgr Morichini, traduit par M. de Bazelaire, 1 vol. in-8°.

Depuis la révolution française, la plupart des Etats catholiques entrés dans l'ordre politique nouveau sont, en matière d'institutions charitables, dans une situation intermédiaire et incertaine, qui ne pourra se prolonger longtemps. S'ils n'ont pas éteint la lampe ardente de la charité spontanée, les confiscations révolutionnaires leur ont enlevé l'huile qui seule pouvait suffire à l'alimenter. L'assemblée constituante réunit au domaine de l'Etat l'immense patrimoine du clergé, sous la condition formellement exprimée de subvenir à l'entretien des pauvres auquel ces biens avaient été affectés par les donateurs. La convention acheva l'œuvre de spoliation.en s'emparant de tous les biens des hospices. En même temps qu'elles tarissaient la charité à ses sources, ces deux assemblées politiques proclamaient en matière de secours des maximes dont l'application aurait suffi pour épuiser toute la fortune de la France. Droit à l'assistance pour tous les faibles, droit au travail pour tous les valides, droit à l'enseignement gratuit à tous les degrés, secours obligés à tous les enfants, à tous les vieillards, à tous les malades, à toutes les veuves, femmes ou filles-mères, tel fut l'impossible programme proclamé par la révolution aux prises avec la banqueroute et avec l'Europe. L'état violent, créé par les décrets du 19 mars et du 28 juin 1793, fut modifié sans doute par les gouvernements qui suivirent, et sous le directoire les établissements charitables recouvrèrent une partie de leurs propriétés. Le nouveau patrimoine des pauvres, grossi depuis cinquante ans par des dons et legs, atteint en ce moment un chiffre assez respectable; mais que sont ces faibles ressources mises en regard de besoins sans cesse croissants? Plusieurs des maximes proclamées par nos assemblées révolutionnaires ont été sanctionnées d'ailleurs par des institutions postérieures, et la douceur de nos mœurs a créé, pour adoucir des misères demeurées jusqu'à nous sans soulagements, des établissements très-utiles, dont ce temps-ci a l'honneur sans doute, mais dont il est incapable de soutenir la charge saus entrer dans un système spécial de voies et moyens. Les exigences et les inventions de la philanthropie administrative ne sont d'une application possible qu'au prix de subventions financières de plus en plus étendues, et la situation budgétaire des départements et de la plupart des communes est telle qu'ils suffisent à peine aux charges du présent, loin de pouvoir supporter celles qu'on aspire chaque jour à leur imposer. Aussi la France se voit-elle placée, sous le rapport économique, dans cette alternative, d'entrer in

cessament dans les voies de la charité légale et des taxes obligatoires, ou de retourner résolument vers les traditions primitives de la charité religieusement organisée. La question est pendante entre le système protestant dans ses plus rigoureuses applications et un retour au système catholique dans ses institutions les plus oubliées.

En nous appuyant du beau travail de M. de Carné sur le livre capital de M. Moreau Christophe, nous avons eu pour but, et nous croyons l'avoir atteint, de démontrer que le christianisme seul, c'est-à-dire le catholicisme, a pu seul résoudre et a effectivement résolu le plus important problème de la science sociale; que sur ce point, comme sur tant d'autres, la vérité, avec son cortège de paix, de lumière et d'améliorations sociales progressives, marche imperturbablement sous le drapeau de la religion, tandis que le rationalisme, avec son appareil de formules orgueilleuses, et ses froides et stériles combinaisons, n'a su jusqu'ici, et ne saura jamais qu'apporter le trouble et la confusion, et faire rétrograder l'humanité jusqu'à ces époques païennes où la misère et le vice s'étalaient dans toute leur laideur. Vous cherchez, dites-vous, le secret d'améliorer le sort des masses? Ce secret est près de vous. Rentrez dans le sein du catholicisme, dont une fausse éducation vous a ecartés, dont une fausse honte vous tient séparés, et ce secret, objet de tant de recherches vaines, vous apparaitra dans tout son jour.

En vain direz-vous: La religion a fait ces grandes choses, mais aujourd'hui la foi est affaiblie, et le christianisme, miné par le doute, n'aurait plus l'autorité nécessaire pour continuer la mission sociale qu'il a si activement remplie. Qui vous dit que la foi soit éteinte, ou, si elle sommeille en bien des cœurs, qu'elle ne soit pas près de s'y réveiller? Vous-mêmes, vous croyez-vous sûrs aujourd'hui de ce que vous aurez à croire demain? Au surplus, puisqu'il s'agit du soulagement de la misère et de l'intérêt des masses, que toutes vos utopies sont impuissantes à procurer, laissez-les se confier à une religion qui les a toujours considérés comme sa plus chère clientèle; la foi reparaîtra quand l'Eglise, dont vous les éloignez par vos discours et par vos écrits, pourra reprendre en liberté le cours de son œuvre sainte et véritablement sociale. Montesquieu, lui-même, n'a-t-il pas remarqué que le christianisme, essentiellement populaire, après avoir préparé l'homme à la félicité dans une autre vie, est encore le meilleur moyen d'assurer son bonheur dans celle-ci ?

FIN DU DICTIONNAIRE.

DES PRINCIPES

DE LA

REVOLUTION FRANÇAISE,

CONSIDÉRÉS COMME

PRINCIPES GÉNÉRATEURS DU SOCIALISME ET DU COMMUNISME.

Par M. ALBERT DU BOYS, ancien Magistrat.

Invidia seditioni molitur exordium. (Démocr.)

Le premier devoir de la génération contemporaine est de répudier, dans l'histoire, les idées contre lesquelles elle est appelée à s'armer et à combattre.

(L. DE CARNÉ, Revue des Deux Mondes, du 15 mai 1850.)

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INTRODUCTION.

Il a paru, depuis deux ans, des ouvrages très-remarquables sur les doctrines nouvelles qui agitent la société européenne (1). L'un d'eux a été consacré à l'histoire complète du communisme, et, certes, ce livre, qui présente un ensemble du plus haut intérêt, a bien mérité le suffrage d'un illustre aréopage littéraire (2). Nous ne prétendons pas mêler des critiques aux justes éloges que méritent ces publications utiles. Nous croyons seulement devoir compléter ce qui a été fait jusqu'ici, en nous mélant, nous, athlète obscur et inconnu, à cette croisade entreprise en faveur de la société. Notre but est de montrer qu'il faut enfin examiner s'il n'y a pas un véritable danger à continuer, au milieu des graves circonstances où nous sommes placés, à professer une admiration sans réserve pour la révolution française. N'avons-nous pas été élevés, tous tant que nous sommes, dans des préjugés tradi

(1) Tels que l'Essai sur les réformateurs contemporains, par Louis Reyband; l'ouvrage de M. de Valmy, intitulé : Du droit de la force et de la force du droit.

(2) Nous voulons parler de l'Histoire du communisme, par M. Sudre, couronné par l'Académie française.

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tionnels en faveur des principes qui ont présidé à ce grand bouleversement social? Les hommes qui préconisent le plus le droit d'examen appliqué à la politique, qui se soulèvent avec le plus de force contre les idées précon çues, contre les principes adoptés de confiance, ces mêmes hommes ne peuvent pas souffrir qu'on mette en question les doctrines de la révolution, qu'on discute les actes de l'Assemblée constituante et des Assemblées qui lui ont succédé, qu'on critique les lois émanées des pouvoirs exécutifs et législatifs, qui ont dominé la France dans les dix dernières années du dix-huitième siècle. On peut bien nier le Décalogue et l'Evangile, bafouer le droit romain, si longtemps appelé la raison écrite, jeter la dérision sur les Capitulaires, les Etablissements de saint Louis et toutes les ordonnances réformatrices de nos rois, depuis Louis le Gros jusqu'à Louis XIV; mais il faut ployer respectueusement le genou devant les déclarations des droits de l'homme de 1791 el 1793, adorer toutes les constitutions récolutionnaires, jusqu'à l'établissement de l'empire et au delà; ce sont des arches saintes dont il ne faut s'approcher qu'avec une muelle vénération.

Il est temps de sortir de cette voie funeste; pour que la société se raffermisse sur ses bases, il faut que la génération qui s'élève soit amenée à désavouer et à renier formellement les principes de la révolution française.

On a souvent reproché aux hommes de la restauration de 1815, d'avoir confondu cette révolution avec ses excès: c'est en effet une mauvaise manière de combattre des adversaires que de leur attribuer des crimes qui peurent tout aussi bien être la suite d'un abus de certains principes que la conséquence même de ces principes.

Il faut donc, pour avoir le droit de blâmer la révolution française, prouver que non-seulement les actes qu'elle a tolérés, mais les principes qu'elle a proclamés dans ses décrets et dans ses lois, étaient subiersifs de tout ordre social; en un mot, qu'ils portaient une atteinte profonde à la constitution de la propriété et à celle de la famille

Ainsi, le but même de cet ouvrage consiste dans cette démonstration; nous espérons que nous parviendrons à la rendre évidente pour tous les hommes de bonne foi.

Mais avant d'aborder le fonds même de notre sujet, nous avons cru qu'il serait intéressant de faire voir que nulle société, nulle nation n'a jamais nié dans son droit public, ou aboli dans ses lois civiles, ni la propriété individuelle, ni la famille. Le communisme est resté dans le domaine de la réverie philosophique ou de l'hérésie théologique; il n'a jamais été mis en pratique dans la constitution d'aucun peuple.

Or, si, pendant six mille ans, une combinaison politique ne s'est pas produite comme résultat des événements multiples qui se sont croisés dans tous les sens, il faut en conclure

PRÉFACE

§ I. Sociétés primitives.

qu'elle n'est pas dans la nature des choses possibles.

C'est en ce sens qu'il est plus utile de montrer dans le cours des âges la propriété et la famille, toujours debout, toujours se développant et tendant à un affranchissement général et complet, que de faire l'histoire du communisme, que de noter quelques tentatives avortées de révolutions serviles, quelques efforts subversifs de sectes religieuses perdues dans les ténèbres du passé. A quoi bon, en effet, mettre en lumière des utopies surannées et exhumées des archives poudreuses du moyen age; à quoi bon donner de l'importance à des paradoxes philosophiques, nes non viables, ou étouffés à leur berceau par le bon sens populaire?

Nous tackerons donc de faire le tableau rapide de la constitution de la propriété et de la famille, chez les différents peuples, desquels procède plus particulièrement notre civilisation moderne. Ce sera une introduction toute naturelle aux attaques livrées par la révolution de 1789 et de 1793, ainsi que par le socia lisme de nos jours, à cette civilisation, lent et laborieux produit des siècles passés. L'histoire de la famille et de la propriété doit précéder l'examen des principes et des lois qui ont tendu à les renverser. On comprendra mieux l'audace insensée des destructeurs révolutionnaires, quand on aura mesuré la profondeur des racines de ces vieilles et impérissables institutions; quand on les aura suivies dans leur existence, depuis l'origine des choses jusque dans les phases diverses des civilisations les plus variées. On reconnaitra, peut-être alors, quelle immense folie il y a à se ruer contre des vérités sociales, appuyées à la fois sur la nature, sur le droit, et enfin sur la pratique

de toutes les nations et de tous les siècles.

HISTORIQUE.

Il est impossible de se représenter l'homme en dehors de la notion de la famille et de la connaissance des devoirs qui en assurent la conservation. C'est ce qui le distingue de l'animal sans raison et sans liberté morale.

La société domestique est donc le milieu dans lequel l'homme à dù nécessairement se mouvoir, quand il a paru sur la terre sans la protection longtemps continuée de ses parents, un enfant n'aurait pu défendre son existence contre les intempéries des saisons, et contre les bêtes féroces; privé d'instinct, il n'aurait pas su, au sortir des bras de sa inère, trouver, comme tous les animaux, les aliments nécessaires à sa nourriture.

Aussi haut que nous remontions dans nos recherches historiques, nous trouvons toujours l'homme vivant en société, c'est-à-dire

faisant partie d'une famille, d'une tribu, d'une peuplade.

La tribu n'est que la famille agrandio, dont le patriarche est le chef, comme héri tier et dépositaire de la puissance paternelle. Le type du patriarche sera, si l'on veut, Abraham ou Jacob.

La peuplade, composée de plusieurs tribus réunies, offre une constitution un peu plus dévelop ée, quoique basée sur les mêmes principes. Elle a ordinairement des chefs, qui font la guerre pour asservir des peuplades voisines, et pour augmenter le nombre de ses troupeaux. Quelquefois elle finit par se fixer au sol et par bâtir des autels, sous la direction d'un roi-pontife. Dans le premier cas, elle a pour type Nemrod dans le second, Melchisedech.

La tribu, dans son état primitif, est nomade; elle promène sa tente des plaines du Sennaar aux montagnes de Garizim et d'Hé

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