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bal. Si, en passant, elle cultive le blé que le soleil d'Orient mûrit en quelques mois, c'est sans intention d'incorporer le sol au cultivateur, si on peut s'exprimer ainsi; c'est sans vouloir organiser la propriété foncière ce n'est qu'une manière de faire des provisions pour la communauté. Mais la propriété individuelle existe pour tout ce que l'individu emporte ou emmène avec soi: tente, vêtements, troupeaux, armes et coursier; avec la propriété, le droit d'héritage. Quand le père meurt dans les combats, le fils revendique son glaive; la tente qui lui a servi d'abri pendant sa jeunesse est à lui comme le serait la chaumière paternelle, si la tribu avait bâti un village, et y avait arrêté sa course incessante. Sur un patrimoine mobile, le droit de l'héritier n'en est pas moins immuable et fixe la nature de l'objet sur lequel il s'exerce ne saurait en altérer l'essence (1).

Les sociétés nomades, soit tribus pastorales, soit peuplades guerrières, ont un certain mépris pour les travaux de l'agriculture. Il semble à ces hommes enivrés de la liberté du désert ou de la vie d'aventures et de combats, que s'enchaîner à la terre et aux demeures permanentes, ce soit abdiquer l'indépendance et se vouer à une humiliante servitude. Aussi elles font souvent défricher le sol par des esclaves, quelquefois par des peuplades vaincues, réduites à une sorte de servage de la glèbe.

Quand la société nomade devient nation et qu'elle se civilise par la théocratie, les laboureurs se trouvent placés au troisième rang; les guerriers, au second; les prêtres, au premier (2). L'agriculteur n'est qu'un fermier qui doit nourrir les deux premières classes, occupées aux travaux les plus importants et les plus utiles pour une société encore dans l'enfance, menacée par des peuples sauvages, et qui a besoin avant tout qu'on la défende et qu'on l'éclaire. Cette organisation qui fut celle de l'Inde, fut probablement aussi celle des Etrusques. Les Romains établirent par rapport à leurs devanciers une espèce de protestantisme. Ils substituèrent à la théocratie du sacerdoce une véritable théocratie civile.

Les Grecs civilisés par les Orphée, les Cécrops, les Cadmus, les Phoronée, ne passèrent que par un état théocratique très-restreint et très-passager. Ce furent des enfants émancipés trop tôt. Cependant ces idées mystiques de l'Orient se retrouvent dans les

(1) Le sage et profond Portalis s'exprime ainsi à ce sujet : L'exercice du droit de propriété, comme celei de tous nos autres droits naturels, s'est étendu et s'est perfectionné..... Mais le principe du droit est en nous; il n'est point le résultat d'une convention humaine ou d'une loi positive; il est dans la constitution même de notre être, et dans nos différentes relations avec les objets qui nous environnent. › Portalis, Discours sur la propriété, motifs du code, tom. IV, pag. 27.

(2) Voir une note à la fin du volume sur la Loi de Manou, dans ce qui concerne le droit de propriété universel des Brahmanes.

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douze dêmes, les douze phratries instituées par Thésée mais ces groupes politiques n'étaient que des associations de famille. La propriété individuelle et foncière semble co-exister avec la société grecque elle s'y perd dans la nuit des temps. Quand les pauvres demandent à Solon l'abolition des dettes et le partage des terres, ce grand législateur fait droit à la première de ces réclamations et se refuse à la seconde. Un Etat est encore moins ébranlé par une banqueroute que par une atteinte générale portée à la propriété foncière.

§ II. De la Constitution particulière de la proprieté à Sparte.

Nous nous arrêterons quelque temps sur la législation de Lycurgue, qui voulut réaliser chez une nation puissante et célèbre le partage égal des terres et la vie en commun de tous les citoyens.

Les citoyens spartiates ne s'élevèrent jamais au-dessus de neuf à dix mille. Ils avaient de nombreux esclaves dans la ville, et les ilotes cultivaient leurs campagnes. Les loisirs de la paix n'étaient pour eux qu'une rude préparation à la guerre. C'était une aristocratie territoriale dans le sein de laquelle on avait tâché de faire régner l'égalité des richesses, et qu'on avait cherché à courber sous le joug d'une communauté d'existence, qui commençait au berceau et ne finissait qu'à la tombe.

Un critique moderne (1) les a appelés les seigneurs féodaux de la Grèce. Quoique cette assimilation ne soit pas d'une justesse rigoureuse, elle est plus vraie cependant que celle qui consisterait à comparer les citoyens de Sparte aux farouches égalitaires de 93.

Les Héraclides et les Doriens, rentrés dans le Péloponèse en conquérants, enchaînèrent durement à la glèbe les peuples du Péloponèse qu'ils avaient vaincus. Leur victoire dut même s'aggraver des caractères sanglants de la réaction et de la vengeance. Entre eux et les opprimés, nulle puissance morale capable d'une intervention salutaire; nul tribunal religieux revêtu de la noble mission d'imposer un frein aux excès de la conquête. Lycurgue, qui eut à réaliser cet état de choses, ne s'occupa qu'à ordonner les rapports des conquérants entre eux, qu'à exalter leur féroce courage, qu'à les rendre durs à eux-mêmes comme ils l'étaient aux autres, afin de leur assurer une glorieuse nationalité. Mais on chercherait en vain dans ses lois quelque souci des races asservies. La voix de l'humanité se taisait devant le terrible droit de guerre de l'antiquité, et les oracles menteurs de la Pythie de Delphes, consultés par le législateur de Sparte, ne venaient jamais au secours que de la puissance et des prérogatives de la race victorieuse.

Il y avait, au reste, une grande inégalité de garanties pour les diverses classes d'hom

(1) M. Granier de Cassagnac.

mes qui étaient soumises au gouvernement de Lacédémone. Les Laconiens n'étaient pas - aussi efficacement protégés par les lois que les Spartiates proprement dits. Ils n'avaient pas droit à la même juridiction. Quant aux ilotes, la loi, loin de les protéger, leur vouait une méfiance hostile, et les considérait comme des ennemis placés en embuscade au cœur de l'Etat. Les éphores, lorsqu'ils entraient en charge, proclamaient souvent la cryptie, c'est-à-dire la guerre contre les ilotes. Alors de jeunes Spartiates se cachaient dans les bois, et tuaient vers le soir tous les malheureux habitants des bois qu'ils trouvaient sur leur passage (1).

Ce n'est pas tout la loi avait des punitions pour les maîtres qui ne mutilaient pas les enfants de leurs esclaves nés avec une constitution robuste. Thucydides raconte que les Spartiates, qui avaient placé un grand nombre d'ilotes dans leurs troupes auxiliaires, firent mettre à part, après le combat, ceux qui s'étaient le plus distingués par leur courage, sous le prétexte de les récompenser et de leur donner la liberté, et au moment où ces braves gens, au nombre de deux mille, croyaient recevoir le prix promis à leurs services, ils furent tous massacrés et disparurent à jamais (2).

La législation de Lycurgue, sans autoriser précisément ces excès, y avait préparé les Spartiates en les endurcissant. Il ne restait plus de sentiments doux et humains chez ces hommes, en qui les influences légitimes de la famille et les affections les plus intimes du cœur avaient été confisquées au profit exclusif du pouvoir social. Chacun des Spartiates, tyrannisé dans tous les actes de sa vie, devenait tyran à son tour dans le cercle de sa domination: terrible réaction dont les esclaves et les serfs étaient les victimes sans compensation et sans espoir.

Du reste, le partage des terres fait par Lycurgue, entre les Spartiates de son temps, n'établit pas parmi eux une égalité durable. Au bout de deux ou trois générations, le plus ou moins grand nombre d'enfants, entre lesquels s'était divisé l'héritage paternel, la différence de gestion des propriétaires, le butin plus grand ou moindre, rapporté par chacun des Spartiates de ses expéditions guerrières; mille autres causes enfin amenèrent l'inéga lité des richesses, comme un résultat naturel et inévitable. Il arriva même cela de singulier, squ'au temps d'Aristote (3) les femmes étaient propriétaires des deux cinquièm s du territoire cela venait, dit ce publiciste, de ce que beaucoup étaient devenues seules héritières des biens de leurs familles, et de ce

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qu'on avait coutume de leur donner des dots considérables (1).

Aristote parlé ensuite de l'immoralité des Lacédémoniennes, qui exerçaient sur les affaires publiques une déplorable influence (2). Que pensera-t-on maintenant de l'austérité farouche des Spartiates, dont on a si longtemps entretenu la jeunesse dans la plupart des établissements d'instruction publique.

Quant aux repas en commun des hommes, chacun devait apporter sa portion ou payer son écot, et les Spartiates pauvres, qui étaient dans l'impossibilité de participer à ces dépenses, perdaient leur droit de cité, attaché par Lycurgue à l'assistance à ces repas (3); ils étaient rangés dans la dernière. classe des hommes libres, appelés vñoμétove; (sous les moindres). On voit donc en quoi consistait le communisme des Spartiates; une fois que leur éducation publique était terminée, il se réduisait à ceci : c'est que les riches dinaient les uns avec les autres. Il résulta des lois de Lycurgue que Sparte s'appauvrissait de citoyens au lieu d'en voir augmenter le nombre; que l'Etat ne put supporter une seule catastrophe, et qu'il périt par la disette d'hommes (4).

Voilà ce que fut le prétendu communisme de Sparte. Même dans les limites où il fut insde conquérants et de seigneurs de terres, titué par Lycurgue, entre un petit nombre même avec le secours de l'éducation dure et inflexible imposée à l'enfance et à la jeunesse, il ne put subsister longtemps, et la nature fut plus forte que les lois.

§ III. De la famille dans les sociétés antiques.

Chez les tribus nomades, la famille est peut-être plus imparfaitement constituée que la propriété elle-même. La puissance du père de famille est très-grande'; mais la femme n'est que la première servante de la maison, comme on le voit encore de nos jours chez les Arabes, restés dans cet état d'enfance sociale.

Chez ceux de ces peuples qui perdent la tradition religieuse ou qui s'en éloignent le plus, le lien du mariage s'affaiblit; l'homme ne sait plus le respecter: les maris font des échanges; quand ils reçoivent des étrangers, ils font servir leurs femmes aux politesses de l'hospitalité. Pour eux l'adultère est à peine un léger délit (5).

Chez ceux qui restent le plus attachés à la religion primitive, le mariage a quelque chose de plus sérieux et de plus saint. Ĉependant, si la monogamie est la règle, cette règle souffre des dérogations nombreuses.

(1) Aristote dit, un peu plus haut, que Lycurgue, après avoir donné des lois aux hommes, voulut en donner aux femmes; mais il éprouva tant de résistance de leur part qu'il finit par renoncer à son dessein.

(2) Aristote, Folit. 1. 11, cap. 6 et 7, et Plut. c. 5 et 7. Vie d'Agis.

(3) Id., ibid. cap. 6, 22.

(4) Id., ibid. 12.

(5) Voir l'aventure des Israélites avec les filles de Moab et les récits des voyages en Laponie, en Afrique, etc.

Le partage d'une portion de ses droits n'a rien qui choque la femme légitime ellemême. Sara stérile donne sa servante Agar à Abraham. Dans la partie de l'Orient où un commencement de civilisation se mêlait à l'idolâtrie, cette licence légale s'étend bien plus encore. Priam n'a qu'une femme légitime, mais il a cinquante concubines.

L'immense supériorité de la loi de Moïse consista précisément à consacrer et à rsserrer le mariage, cette base fondamentale de la famille Au milieu des peuples de l'Orient, entre Babylone et Tyr, ces villes d'impuretés et d'infamie, où la foi conjugale n'élait qu'un voile ou une dérision, il se rencontre un législateur qui punit l'adultère de mort, et non-seulement l'adultère de l'épouse, mais celui de l'époux !.....

Etablir une pareille égalité pénale entre l'homme et la femme, c'était tellement devancer les idées de ce vieil Orient, qu'on aurait peine à concevoir qu'une semblable loi ait pu être conçue naturellement par un génie humain.

Dans la Grèce primitive, le dévouement d'Alceste donne du mariage les idées les plus pures et les plus élevées; mais Euripide idéa lisa son modèle, et ce poëte philosophe connut peut-être, comme Platon les traditions bibliques.

Du reste, il faut reconnaître que les lois de Solon étaient très-rigoureuses contre l'adultère; elles permettaient même de tuer l'homme ou a femme pris en flagrant délit. D'après ces mêmes lois, les enfants nés hors mariage n'étaient pas citoyens; la femme trois fois remariée était déclarée infâme.

Cependant Solon ne proscrivit pas le concubinat; il avait des exigences beaucoup plus grandes pour les femmes que pour les hommes. On ne peut pas admirer beaucoup les moeurs du peuple chez qui c'était une sorte de position sociale que d'être courtisane, comme Phryné et Aspasie.

Platon, il est vrai, est plus sévère que la législation de son pays, dans son Traité des lois, où il faut chercher sa véritable pensée, plutôt que dans sa République. Suivant lui, le concubinat est inconipatible avec la fidélité conjugale; nul commerce n'est permis avec une esclave, sous peine d'être déclaré infame et étranger; la femme ne peut pas contracter un second mariage, si elle a des enfants du premier.

Mais les vœux de ce grand philosophe, que des Pères de l'Eglise ont appelé le précurseur de l'Evangile, ne furent pas exaucés dans Athènes; une telle morale était trop austère pour cette sensuelle et frivole cité.

Du reste, la puissance maritale n'était pas absolue chez les Athéniens. La femme qui recevait une dot, et l'apportait dans la maison de son mari, y conservait quelque indépendance. La séparation pouvait être demandée devant le magistrat, par la femme comme par le mari. Cependant quand la femme d'Alcibiade vint pour accuser son époux, le brillant et volage Athénien parut tout à coup à l'audience, la prit sous le bras, et la ramena dans

son domicile. Il ne parait pas même qu'il lui ait sacrifié sa rivale, la courtisane Hipparète. L'égalité de la femme et du mari était dans les lois; elle n'était pas dans les mœurs.

La puissance paternelle était aussi trèslimitée à Athènes. Le père pouvait ne pas élever son enfant, dans le cas, par exemple, où celui-ci aurait été contrefait; alors il fallait qu'il ne le prit pas dans ses bras au moment de sa naissance. Il avait le droit de le faire vendre comme esclave. Plus tard, il n'avait pas même cette faculté; mais s'il était mécontent de sa conduite, il pouvait le répudier et le chasser de sa famille. C'était un reste de la malédiction antique, qui était si solennelle chez les anciens patriarches. Les lois attiques, qui défendaient au père de tester s'il avait des enfants, même quand il n'en aurait eu qu'un seul, lui donnait ce moyen détourné d'exhérédation pour ôter à un fils toute action sur la succession de son père. Il fallait que le lien de la nature fût en quelque sorte brisé par un jugement domestique.

Au surplus, une majorité précoce faisait entrer le jeune citoyen d'Athènes dans la vie civile et politique. A vingt ans on l'inserivait dans la phratrie; il pouvait être, à son tour, chef de famille, et devenait alors entièrement indépendant de son père. A l'égard de sa famille originaire, il était comme une colonie affranchie à l'égard de sa métropole.

La famille romaine se présente, ainsi que nous allons le voir, sous un aspect plus sévère et plus dur.

§ IV. Organisation spéciale de la famille

romaine.

On n'a pas assez remarqué ce qu'il y eut de particulier et de spécial dans la première organisation de la cité romaine. Romulus el ses compagnons n'étaient que des brigands sortis des forêts, comme on l'entrevoit d'après le mythe de la louve du mont Aventin. Pour peupler Rome, après l'avoir fondée, ils en font un asile; ils y appellent tous les proscrits des nations voisines. Mais auparavant ils se réservent tous les droits politiques et civils; à eux les sacra publica et privata; à eux l'autorité sénatoriale et le gouvernement de l'Etat; à eux aussi la puissance paternelle, espèce de royauté absolue au sein d'une royauté dont ils limitent le pouvoir, petite cité dans la grande cité romaine.

L'enlèvement des Sabines ne doit pas être tout à fait une fable. Les femmes manquaient des armes, et les ramènent à leur foyer aux Romains; ils se les procurent par la force femme romaine ne sera d'abord qu'une chose, comme une partie de leur butin. Aussi la comme le plébéien. Ce n'est que longtemps après qu'elle deviendra une personne.

Cependant, pour se faire pardonner leur violence, dit Plutarque (1), pour rattacher ces étrangères à leurs lares nouveaux, les patres conscripti leur donnent quelques droits qui les élèvent au-dessus des esclaves réglé qu'on n'exigera d'elles d'autre travail et qu'ils appellent des priviléges. Ainsi il est (1) Plutarque, Vie de Romulus.

que celui de filer la laine; qu'on leur cédera Te haut du pavé; qu'on ne fera, qu'on ne dira rien de déshonnête en leur présence; que les juges des crimes capitaux ne pourront les citer à leur tribunal; que leurs enfants porteront la prétexte et la bulla.

C'est avec plus de justesse peut-être que Plutarque rattache à l'enlèvement des Sabines la coutume de porter la nouvelle mariée lorsqu'elle passe le seuil de la maison de son époux, et de lui séparer les cheveux avec la pointe d'un javelot.

Quant aux prétendus priviléges des matrones romaines, ils ont été sans doute le fruit laborieux du temps, et non une espèce de charte donnée par leurs ravisseurs de la veille, en compensation de quelques larmes amères versées au moment où la violence les arrachait à leurs familles.

Etait-ce bien d'ailleurs un vrai privilége que la dispense qu'on leur donnait de paraitre devant les juges des crimes capitaux? Ce n'était qu'une réserve de juridiction pour le père de famille, juge domestique non moins inflexible que le juge public.

On frémit quand on parcourt le code pénal de la famille romaine.

C'est pour la femme un crime capital, nonseulement d'avoir commis un adultère, mais d'avoir dérobé les clefs de la maison ou d'avoir bu du vin (1).

L'autorité du père est encore plus absolue sur ses enfants; il a sur eux le droit de vie et de mort depuis le berceau jusqu'à la tombe (2). Il peut infliger la peine capitale à un fils consulaire et triomphateur (3).

Voici quelque chose d'étrange et de caractéristique. Lorsque le père n'avait pas abdiqué son pouvoir sur sa fille en la mariant, il gardait sur elle le dominium, et il avait toujours une action contre son gendre pour lui demander de lui restituer son enfant. Il pouvait rompre à son gré l'union à laquelle il avait donné son consentement (4). Les vieux poëtes attestent la pratique du fait, et les jurisconsultes témoignent du droit.

De pareils traits suffisent pour faire juger toute la portée de la puissance du père de famille.

Dans le principe, à Rome, le père est à la fois chef religieux, chef guerrier et chef politique; tous les sceptres sont unis dans sa main. La formule par laquelle il condamne à mort est celle-ci : Sacer esto penatibus. Cette espèce d'holocauste est en même temps un jugement sans appel.

(1) Pline, xiv, 13.

(2) L'interdit de liberis exhibendis.

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(5) Ennius, cité dans Auct. ad Herennium, 11, 24. (4) Si quis filiam suam, quæ mihi nupta sit, velit abducere, vel exhiberi sibi desideret, an adversus interdictum exceptio danda sit, si forte pater concordans matrimonium forte et liberis subnixum, velit dissolvere? Et certo jure utimur, ne bene concordantia matrimonia jure patriæ potestatis turbentur; quod tamen sic erit adhibendum, ut patri persuadeatur, ne acerbe patriam potestatem exerceat. (Ul pian., fr. v, dig. xLin, de liberis exhibendis.) Voir aussi les Recherches sur la condition politique et civile de la femme, par Ed. Laboulaye, p. 13. Paris, Durand, 1815.

On appelait cette autorité redoutable : la majesté paternelle, paterna majestas.

§ V. Constitution primitive de la propriéte à Rome.

La réunion des familles patriciennes constitua la patrie, patria. Une cité fondée sur d'aussi fortes bases reposait sur un roc plus solide encore que celui du Capitole.

La cité ou l'Etat était tout pour le Romain; c'était le monde en abrégé. Cette idée est curieusement empreinte dans une ancienne tradition que rapporte Plutarque: Romulus, dit-il, fit creuser un fossé dans le centre de la ville, autour du lieu appelé Comitium. On y déposa les prémices de toutes les choses bonnes et nécessaires, puis chacun des assistants y jeta une poignée de terre apportée du pays d'où il était venu, et on mêla le tout ensemble. On donna à ce fossé, comme à l'Univers même, le nom de zócμos.

La cité de Rome devint donc pour ceux qui en étaient membres le type divin de toutes les sociétés terrestres. Le Romain ne se contenta pas de l'aimer, de la vénérer; il dut l'invoquer, l'adorer, lui vouer non-seulement le sang des animaux, mais le sien propre.

Ce dévouement, qui domina chacun des actes de sa vie, constitua à un degré éminent l'idolatrie de la cité; l'idolâtrie de la cité, c'est le mot principe, c'est l'idée mère de l'histoire de Rome.

Mais ce culte de la cité s'imposa des limites à lui-même. Il fonda ou reconnut deux autres religions, la famille et la propriété. L'Etat, dans sa toute-puissance, eut la force de s'arrêter devant le seuil du foyer domestique, devant la borue qui séparait les champs héréditaires. Cette grande divinité, la Patrie, sut respecter des dieux qui existaient avant elle, les dieux Lares et les dieux Thermes.

Cependant, par suite d'un commun consentement des patres, ou propriétaires libres, le représentant de la cité, le roi, réglementa, en quelque sorte, la propriété foncière et individuelle, restée confuse et indéfinie pendant le règne violent de Romulus.

On attribue à Numa et à Servius Tullius la division des propriétés territoriales à chaque citoyen, agros divisit Numa viritim civibus (1). Les terres qui composaient ces propriétés furent limitées, d'après certains rites empruntés aux Etrusques. L'ager privatus reçut donc une so.te de consécration religieuse. En déplacer les bornes fut une profanation, un crime puni de la peine capitale.

L'ager publicus ne fut pas constitué d'une manière aussi précise; il devint la propriété imprescriptible de l'Etat, qui en accorda la jouissance aux quirites ou patriciens, mais à titre précaire et révocable. Il se composa d'abord de terres incultes que les patriciens mirent en valeur par leurs capitaux et leur industrie. Les plébéiens pauvres demandérent que ce sol, agrandi par la conquête, iût para é entre eux. Ce fut là le but des faincases lois agraires. Les quirites faisaient

(1) Cicer. de Republ. x1, § 14.

valoir, en faveur de la continuation de leur jouissance, leur longue et fructueuse occupation; les légionnaires plébéiens ne demandaient qu'à arroser de leurs sueurs le territoire qu'ils avaient défendu et accru sans mesure en l'arrosant de leur sang. De là les lois Liciniennes (1) et les tentatives malheureuses des Gracques.

Donc, nulle difficulté par rapport aux propriétés privées et limitées; mais troubles sans cesse renaissants relativement à la disposition des terres sur lesquelles la communauté avait réservé ses droits. Ce parallèle n'est certainement pas à l'avantage des doctrines contraires à la propriété individuelle. On voit aussi par là que les lois agraires ne se rapportaient qu'aux propriétés de l'Etat, dont l'Etat ne s'était jamais dessaisi en droit; et que le succès de ces lois n'aurait nullement porté atteinte au principe même de la propriété privée. C'est encore un de ces faits sur lesquels les gens du monde ont les notions historiques les plus fausses et les plus incomplètes. Les Gracques, qui ne demandaient la violation d'aucun droit reconnu, sont étrangement calomniés quand on leur compare Baboeuf et nos communistes modernes.

Dans la suite de l'histoire romaine, les principes de la propriété furent sans doute violés par les proscriptions et les confiscations qui se succédèrent depuis Marius jusqu'à Octave; mais l'abus de la force ne change pas le droit. Ceux mêmes qui se livraient à ces violences ne leur cherchaient pas de prétexte légal.

§ VI. De la propriété sous les empereurs. Toute personnalité tendait à s'effacer de vant la tyrannie impériale; la propriété qui est une des expressions les plus saillantes de la personnalité humaine, devait donc s'amoindrir et dépérir dans la même proportion l'accessoire suit le principal.

Dans les distributions de terres que firent à leurs soldats Sylla, César, Antoine et Octave, l'ager publicus d'Italie, dont on avait si souvent demandé le partage entre les plé béiens, avait presque entièrement disparu (2). L'épée des dictateurs et des imperatores avait tranché la difficulté que les Gracques avaient vainement voulu résoudre par la parole et par la loi.

Mais le principe que la terre conquise appartenait en propre au peuple romain, survécut à la destruction de l'ager publicus proprement dit. Sous la république, certaines provinces qui n'avaient pas capitulé et qui avaient été réduites de vive force, étaient devenues la propriété du peuple romain. Sous l'empire, d'autres provinces furent le domaine particulier des Césars, en qui se personnifiait la vieille Rome. C'était ce qu'on appelait le sol provincial, les terres stipendiaires et tributaires. Ce sol, dit Gaius, est la propriété du peuple romain ou de César. Quant

(1) Histoire de la propriété en Occident, par Laboulaye, p. 79.

Ed.

(2) Histoire du droit de propriété foncière en Occident, par Laboulaye, p. 84 et suiv., Paris, 1839.

à nous, nous ne pouvons en avoir que la possession ou l'usufruit (1).

Ce droit barbare provenait des idées païennes sur le droit de conquête. Quand une province était soumise par la force des armes, les vainqueurs croyaient en avoir acquis la propriété; alors ils en réservaient une portion pour le domaine direct de l'Etat ou du prince; le reste était laissé aux anciens possesseurs, mais à titre précaire, et à la charge d'un tribut élevé, qui représentait une sorte de prix de ferme.

Il est vrai que ce prétendu usufruit pouvait être aliéné, transmis, et même prescrit utilement, c'est-à-dire avec l'autorisation du gouverneur qui, dans les provinces, faisait fonction de préteur (2). Il est vrai encore qu'à la longue cette autorisation était devenue une pure formalité, et qu'elle finit même par n'être plus nécessaire. On reconnait là ces fictions légales de la jurisprudence romaine, qui, sans heurter de front un principe, le neutralisaient dans toutes ses conséquences. Mais il faut admettre pourtant que, jusqu'à ce que cette transformation se fut opérée avec le temps, le droit supérieur de propriété (dominium) du prince était une arme dangereuse entre les mains des tyrans et des mauvais gouverneurs: il y eut sans doute des Verrès sous les Néron et les Domitien, comme il y en avait eu au temps de Cicéron. Les exactions des empereurs dans leurs provinces avaient une couleur de légalité; l'arbitraire semblait devenir un droit.

Aussi c'était surtout dans les provinces Césariennes que l'impôt était levé d'une manière générale et rigoureuse, sur tous les biens des particuliers. In provinciis, dit Aggenus Urbicus, omnes etiam privati agri tributa atque vectigalia persolvunt (3).

Les propriétaires des maisons et des terres italiques avaient à la fois le plenum dominium et l'exemption des charges et impôts. Mais, dit un jurisconsulte de beaucoup postérieur à Gaius, tout cela avait lieu autrefois; aujourd'hui, d'après une constitution de notre empereur (L. IV. cap. de Usucap. transfer.), il n'y a plus de différence entre les terres italiques et les terres stipendiaires ou tributaires. Si donc un propriétaire (de sol provincial) me fait tradition de sa chose, il est indubitable qu'il me transfère le domaine, etc. (4).

L'influence du christianisme acheva d'apriétaires, quelle que fut l'origine de leur mener une égalité complète entre les protenure. C'est aussi à cette influence que nos meilleurs publicistes (5) attribuent l'aboli

(1) In eo solo dominium populi Romani est vel Cæsaris, nos autem possessionem tantum et usumfructum habere videmur. (Gaius, Instit. comment. 11, 7; voir ibid. no 21, la définition, des terres stipendiaires et tributaires, tributaria sunt ea, dit-il, quæ propria Cæsaris esse creduntur.)

(2) Histoire du droit de propriété foncière en Occident, par Laboulaye, p. 97.

(3) Gans, Hist. de la propriété; traduction de M. de Loménie, p. 47.

(4) Théoph. Instit., 11, 4, § 40.

(5) M. Troplong, dans son livre sur l'Influence du

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