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LIVRE PREMIER.

DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

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Voici l'article par lequel débute la première de nos Constitutions révolutionnaires. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit.

L'homme naît libre !!! Hélas! quelle est donc cette liberté dont il jouit en naissant? Emmailloté dans ses langes, l'enfant qui vient au monde est dépendant de tout ce qui l'entoure. Il faut, pour qu'il puisse vivre, qu'il soit abrité contre les injures de l'air, qu'une nourriture qu'il ne saurait aller chercher lui-même vienne le trouver et se présenter à ses lèvres; et, pour exprimer ses désirs ou ses besoins, Dieu ne lui a donné d'autre liberté que celle des cris et des larmes.

Chose remarquable! c'est chez l'homme que se prolonge plusque chez tout être animé cette humiliante et profonde dépendance. Il semble que la Providence ait voulu, au début de notre vie, infliger cette leçon à notre orgueil, pour nous plier d'avance à ce joug de la subordination, duquel nous ne serons jamais totalement affranchis (1).

Les hommes naissent et DEMEURENT égaux en droit. Ni au moment de la naissance, ni pendant la vie n'existe cette égalité parfaite. Au moment de la naissance, il y a des constitutions physiques qui diffèrent; plus tard apparaissent des facultés intellectuelles et morales susceptibles de plus ou moins de développement. Les uns sont plus robustes, les autres ont plus de capacité. La nature n'a jamais ce niveau absolu que lui attribue la doctrine révolutionnaire.

Il est vrai que, pour prévenir les funestes conséquences de ces principes, le même préambule de cette Constitution proclame dans l'art. 17 la sûreté et l'inviolabilité de la propriété. Mais le peuple, qui adopte la règle favorable à ses passions, saura bien rejeter la dérogation qui viendra essayer d'y

(1) La Constitution de 1848 proclame que la république a pour principe la liberté (Art. 4 du préambule). Il y a quelque contradiction à dire qu'un pouvoir (et la république est une forme de pouvoir) a pour principe la liberté. Si vous voulez laisser à chacun la liberté d'agir à sa fantaisie, il est inutile d'établir un pouvoir législatif, un pouvoir exécutif, un pouvoir judiciaire, de parler d'impôts et de services militaires, en un mot, d'écrire une Constitution, car tout cela a pour but de restreindre la liberté. › (Adolphe GARNIER, de la Morale sociale, p. 255, Paris, chez llachette, 1859.

mettre un frein: il sera plus conséquent que ses législateurs. C'est du reste ce que quelques-uns de ces législateurs eux-mêmes avaient pressenti, et ce qu'ils avaient osé dire à la majorité révolutionnaire de l'Assemblée constituante. M. Malouet entre autres attaqua avec courage la déclaration des droits de l'homme. J'y vois, disait-il, une source d'erreurs désastreuses pour le commun des hommes, qui ne doit connaître la souveraineté que pour lui obéir, et qui ne peut prétendre à l'égalité que devant la loi, etc. Puis il ajoutait: Si cependant, en croyant n'attaquer que les usurpations de l'orgueil et du pouvoir, vous portiez la hache sur les racines de la propriété, de la stabilité; si ceux auxquels la liberté ne suffit pas s'enivrent de leur indépendance, quelle autorité de répression ne faudra-t-il pas aux magistrats et aux lois pour maintenir l'ordre dans cette multitude immense de nouveaux pairs (1) ?

Ce langage si modéré et si sage irrita à tel point l'Assemblée qu'elle retira la parole à M. Malouet. C'était déjà le despotisme du nombre étouffant la logique du bon sens.

La Constitution de 1793 met la liberté et l'égalité au nombre des droits naturels et imprescriptibles. Tous les hommes, dit-elle, sont ÉGAUX PAR LA NATURE et devant la loi (2). La nature démentait tous les jours cette affirmation du législateur.

La Constitution du 5 fructidor, an III, cherche à définir la liberté et l'égalité, et par conséquent à leur donner des limites. A côté d'une déclaration des droits, elle place une déclaration des devoirs.

La Constitution du 22 frimaire, an VIII, n'a pas de préambule ni de formules générales; une cruelle expérience avait appris à la société l'inconvénient que présentaient ces maximes abstraites pour une multitude envieuse et avide de bien-être. On commençait à rentrer dans les véritables conditions de l'ordre public.

A dater de ce moment, la France, fatiguée des excès de la liberté révolutionnaire, donna en quelque sorte son blanc-seing à un homme de génie. Cet homme était un enfant de la révolution. La révolution ne se méfiait pas de lui; elle ne lui refusa aucun pouvoir. Il s'en servit pour l'étouffer, pour restaurer la société, et pour rendre à chaque honnête homme la liberté de la pratiqué de ses devoirs, en enchaînant les passions qui tyrannisaient cette liberté.

Sous la Restauration proprement dite, la

(1) Séance du 8 août 1791. (2) Article 3.

évolution se relève en frémissant elle 'appelle libéralisme (1). Elle reprend contre e pouvoir ses métiances et ses jalousies imlacables : c'est un quel à mort entre elle et la égitimité. La Charte avait donné des armes resque égales et un champ pareil aux deux ombattants: le génie de la révolution fut ictorieux.

Après le compromis ou la transaction liérale de 1830, la révolution s'appela répulicanisme. Un jour, au bout de dix-huit ans e luttes, elle vainquit encore; le pouvoir Hémantelé et sans force se dissipa, pour ainsi dire, au premier souffle populaire.

Alors on a proclamé la république, et la révolution a changé encore de nom : elle s'est appelée socialisme. Elle a avoué enfin ses véritables doctrines; elle veut, dit-elle, reconstituer la propriété et la famille. Maintemant nous avons son dernier mot, nous sommes árrivés aux conséquences extrêmes de ses principes de 91 et de 93.

Or, ces principes, gravés au frontispice de la révolution française, sont, comme nous l'avons dit, ceux de liberté et d'égalité absolues tâchons de nous rendre compte de la valeur et de la portée de ces mots, qui ont remué et qui remuent encore le monde.

Pendant le moyen âge, les communes et les provinces réclamèrent et obtinrent des libertés. Ces libertés étaient quelque chose de déterminé et de précis elles signifiaient l'affranchissement des droits féodaux et la concession de certaines immunités royales. Les hommes du tiers, qui demandaient des libertés, savaient où ils allaient et ce qu'ils voulaient. Quand l'expression de leurs vœux était formulée dans une charte émanée du trône, ils sentaient que leur but était atteint : ils s'arrêtaient alors, et ils mettaient à couserver autant de fermeté qu'ils avaient employé d'ardeur pour demander et de persévérance pour obtenir.

La liberté, au contraire, est une abstraction vague (2) qui ne semble jamais pouvoir prendre une véritable consistance; c'est un fantôme qui s'éloigne à mesure qu'on fait des efforts pour s'en approcher et pour le saisir. En promettant la liberté au peuple, on irrite ses désirs et ses passions, sans jamais pouvoir le satisfaire. Toutes les concessions qu'on lui fera ne réaliseront pas pour lui l'idéal qu'il avait rêvé.

Si on consulte l'histoire, on trouvera que plus la société avance et se perfectionne, plus s'étend l'empire des lois et plus se restreint le domaine de la liberté individuell.

La première et la plus grande conquête de la civilisation consiste à obtenir, à l'aide de la religion et des lois, que l'homme re

(1) Le libéralisme de 1819 et de 1825 prétendait, lui aussi, défendre les doctrines de la révolution contre la droite de cette époque qui les combattait. Il interprétait dans le sens révolutionnaire la Charte de 1814.

(2) La liberté! mot puissant et mystérieux, qui réunit les âmes tant qu'il n'est pas défini! (Louis Blanc, Histoire de la Révolution française, tom II, p. 232.)

nonce à son droit de vengeance privée et qu'il dépose ce droit entre les mains de l'Etat.

La justice, à sa naissance, limite donc la liberté par la pénalité de l'individu et fait respecter les personnes; plus tard, elle parvient aussi à faire respecter les propriétés.

Or, le mot de liberté, proclamé dans un sens abstrait et indéfini, tend à réveiller chez le peuple les instincts assoupis plutôt qu'éteints de cette liberté sauvage (1) dont chaque homme jouissait avant la constitution d'une société bien réglée, avant le développement de la notion de cité, d'empire ou d'Etat.

Si la liberté absolue est un droit imprescriptible, de déduction en déduction on arrivera nécessairement à son dernier corollaire, l'anarchie.

Les logiciens à outrance, tels que M. Proudhon, ont établi cette thèse d'une manière irréfragable: il n'est plus possible aujourd'hui d'en contester les résultats; ils sont désormais acquis à la science sociale.

Nous ne voulons pas dire ici que des libertés politiques ne soient pas utiles à une nation qui s'est fortement constituée par la pratique de l'ordre et par l'observance des lois. Après avoir pris des garanties contre les excès de la liberté, il est bon d'en prendre contre les abus du pouvoir. Mais, quand existe quelque part une grande fermentation politique, c'est une singulière idée de prétendre l'apaiser ou la détruire, en faisant sonner bien haut le mot de liberté : autant vaudrait chercher à éteindre un incendie avec des matières combustibles.

Il est impossible que la proclamation de la liberté, considérée comme un principe absolu, ne soit pas interprétée dans son sens le plus naturel et le plus dangereux par des masses populaires; il est impossible que ce ne soit pas pour elles le signe d'un relâchement du frein social. La première conséquence de cette proclamation est une diminution notable de la sécurité des familles et des propriétés : c'est ce que démontre l'his

(1) Dans un réquisitoire très-remarquable, prononcé le 20 février 1790, au parlement de Bordeaux, M. Dudon, procureur général, en parlant des hordes meurtrières qui ravageaient le Limousin, le Périgord et l'Agénois, s'exprime ainsi : La dévastation des châteaux n'a point assouvi leur rage; ils ont osé commettre les mêmes horreurs dans les églises, et on nous assure que, dans leurs fureurs, l'autel mème n'a pas échappé à leurs mains sacriléges. Voilà, Messieurs, les premiers fruits d'une liberté publiée avant la loi qui devait en prescrire les bornes, et dont la mesure a été livrée à l'arbitraire de ceux qui avaient tant d'intérêt à n'en connaitre aucune. Cette réflexion était parfaitement juste; mais le réquisitoire et l'arrêt du parlement qui y fut conforme, furent dénoncés à l'Assemblée nationale; le 24 avril 1790, cette Assemblée prononça un décret qui désapprouvait l'arrêté du parlement. C'est ainsi que l'Assemblée encourageait le zèle des magistrats qui réprimaient les désordres publics. Les bourgeois voltairiens, qui y dominaient, s'inquiétaient peu des excès commis contre les propriétés des nobles et do FEglise.

toire de toutes les révolutions, et en particulier celle de la révolution française..

On peut attaquer le principe de l'égalité absolue par des raisons encore plus fortes et plus concluantes :

1° L'inégalité est dans la nature; elle est la conséquence de la variété infinie de ses œuvres: parmi les êtres créés, rien n'est identique, par conséquent, rien n'est égal.

2° Dire que tous les hommes naissent égaux, c'est mettre l'enfant au berceau au niveau de son père (1); c'est à la fois soutenir une absurdité et nier effrontément la hiérarchie domestique. Or, l'idée de cette hiérarchie appartient au droit des familles, droit primordial et aussi ancien que l'humanité ellemême.

3 A mesure même que l'enfant grandit, il n'a qu'à ouvrir les yeux pour voir qu'il est entouré d'hommes auxquels il est inégal sous le rapport de la beauté et des formes, de la force physique, de la capacité intellectuelle, etc., etc.

4° L'inégalité des facultés humaines engend e l'inégalité des fortunes, et par suite, celle des héritages: cela dérive de la nature des choses.

L'Assemblée nationale prit donc une voie tout opposée à celle qu'elle aurait dû suivre, si ell avait réellement voulu faire goûter au peuple les bienfaits de sa nouvelle Constitution. Il aurait fallu qu'elle commençât par reconnaître hautement les inégalités qui out été établies par la nature elle-même, et dont l'histoire de tous les âges prouve la constante existence. Elle eût proclamé ensuite que le but de toute bonne Constitution doit être de corriger ce qu'il y a d'excessif et de nuisible dans ces différences et dans ces inégalités naturelles; et, par exemple, de suppléer par les lois à ce qui manque à la faiblesse pour la mettre au-dessus des atteintes de la force: elle eût montré qu'elle tendait à procurer à tous, dans un degré convenable, ce qu'on peut raisonnablement accorder à un peuple, de liberté et d'égalité (2). C'eût été faire valoir l'excellence de son œuvre; tandis que la faire préc der de la proclamation des principes absolus dont elle ne pouvait assurer la réalisation dans la pratique, c'était la rabaisser et la décréditer d'avance dans l'esprit de la nation.

Mais encore ne fallait-il pas que cette assemblée promit plus qu'elle ne pouvait tenir, même en fait de perfectionnements et de simples réformes. Or, toute société humaine a pour bases essentielles des idées de hiérarchie et de subordination, et, par conséquent, elle repose sur des inégalités radicales.

Il faut nécessairement, dans la société,

(1) L'homme nait en puissance paternelle, dit excellemment le philosophe Rosmini, Filosofia del diritto, tom. II, Bomardi-Sogliani, Milano, 1845.

(2) Cette idée est empruntée à l'un des publicistes les plus distingués de l'Allemagne, le célèbre Dahlmann, dans son Histoire de la Révolution française. Nous eiterons, à la fin de ce volume, un extrait de son chapitre sur les créations de l'Assemblée constituante, et en particulier sur les droits de l'homme.

que les uns commandent et que les autres obéissent; que les uns soient dessus et que les autres soient dessous. Ce sont des vérités triviales; soit des truismes, comme disent les Anglais j'en demeure d'accord. Mais puisque ces vérités sont sans cesse altérées ou obscurces, il ne faut pas se lasser de les rétablir dans leur pureté et leur splendeur premières.

Si une hiérarchie est nécessaire, plus il y aura de classes dans une société, plus la transition sera ménagée du plus haut jusqu'au dernier degré de l'échelie sociale; plus se multiplieront les rapports de subordination qui relieront les hommes entre eux.

La révolution s'est bien gardée de sanctionner ces doctrines: elle ne s'est pas bornée à reconnaître l'égalité devant la loi, qui n'est autre chose qu'une des faces du principe de justice, elle a proclamé l'égalité humaine dans un sens abstrait et absolu.

Qu'est-il arrivé? C'est que ce mot a été un levier avec lequel on a détruit d'abord les classes les plus élevées de la société; puis ce 'evier a passé de main en main jusqu'aux derniers d'entre le peuple, qui s'en servent à leur tour pour battre en brèche ce qui est encore au-dessus d'eux.

Et cela est dans la nature des choses. Si, au lieu de rappeler l'homme aux idées de subordination qui sout nécessaires à son existence sociale, si, au lieu de lui prêcher ces vérités sévères, mais utiles et conservatrices, vous faites un appel à ses mauvaises passions, en lui disant qu'il ne doit point avoir de supérieur; si vous excitez ainsi ces vanités envieuses, ces jalousies profondes qui dorment au fond de tous les cœurs, comment voulez-vous étouffer ensuite ces explosions incendiaires que vous aurez suscitées? comment arrêterez-vous à une certaine hauteur le travail de démolition de l'éditice social? Le rez-de-chaussée, qu'on me passe cette expression, n'a-t-il pas à faire valoir contre le premier étage le même droit de nivellement dont celui-ci s'est armé avec tant de succès contre les étages supérieurs?

En d'autres termes, après l'égalité civile il a fallu au peuple l'égalité politique; il lui faut maintenant l'égalité du bien-être.

Plus de riches ni de pauvres, plus de maitres ni d'ouvriers; voilà encore des distinctions sociales; voilà les dernières applications du vieux principe de l'égalité. Il faut en finir, et passer partout le niveau universel. Oh! c'est un rude logicien que le peuple! Croyons-nous donc, tous tant que nous som mes, que le droit d'égalité absolue ne soit que pour nous seuls, et que nous puissions en arrêter les déductions là où s'arrêtent les exigences de notre orgueil et de nos mesquines rivalités ?

Non, non, il faut ou renier un principe faux et reculer en arrière, ou bien il faut abaisser devant le principe d'égalité toutes les inégalités qui découlent de la propriété mobilière et immobilière.

Ce n'est pas tout encore.

La liberté et l'égalité absolues n'ont pa

manquer de pénétrer aussi dans la famille. Et d'abord, suivant les révolutionnaires modernes, il ne doit plus y avoir de maîtres et de serviteurs, c'est un reste de l'antique esclavage. Le sort de la femme a été sans doute un peu am lioré par le christianisme : au lieu d'être la première servante, elle est de venue la compagne de l'homme. Cependant c'est encore une compagne subordonnée, et il ne doit plus y avoir de subordination mulle part. D'ailleurs les facultés physiques doivent obtenic leur libre et entier développement, et elles ne peuvent l'avoir dans les limites étroites du inariage, tel qu'il est constitué par la civilisation chrétienne. Les dissentiments mutuels des époux sont des avertissements de rompre des liens qui ne doivent pas devenir des chaînes pesantes, et leurs passions sont des instincts de la natore auxquels il faut obéir. Arrière donc les entraves dont la religion et les mœurs, ces préjugés surannés, voudraient entourer l'union des sexes!

Enfin, la suprématie des parents sur leur famille, la puissance paternelle, en un mot, doit cesser, du moment que les enfants peu vent se conduire eux-mêmes sous le rapport physique et intellectuel. Ceux qu'on appelle de mauvais sujets ne sont que de jeunes novaleurs, qui rompent avec la tradition des aïeux, et qui ont la subl me vocation de faire PROGRESSER l'humanité (1).

Telles sont les conséquences funestes qui ont été tirées de nos jours des principes de la révolution française. Nous commençons enfin à entrevoir le sens, trop longteinps vague et mystérieux, de la transformation socia e qui devait résulter pour nous de l'application de ces principes.

Est-ce à dire que, par suite d'une réaction exagérée, nous devious en venir à proserire toute espère de liberté, toute espèce d'égalité? A Dieu ne plaise que nous nous laissions entraîner à cette autre espèce d'excès, qui nous précipiterait, tête baissée, dans un despotisme sans limite et sans frein.

On ne comprendrait pas la pensée fondamentale de ce livre, si l'on s'imaginait que nous fussions plus disposé à sacrifier au pouvoir d'un seul qu'à celui de la multitude les droits sacrés de la conscience, de la propriété et de la famille. La société a pour premier but la protection même de ces droits, auxquels correspondent les libertés suivantes, la liberté de conscience ou la liberté religieuse, la liberté du père et des membres de la famille, la liberté d'acquérir, de posséder et de transmettre. La violation de ces libertés est la vio.ation même de la justice. La justice! telle est la première limite qu'un gouvernement ne doit jamais franchir, que ce gouvernement soit monarchique, aristocratique ou populaire.

Et comme un homme seul ou des collec

(1) Toutes ces doctrines ont été explicitement professées par les socialistes modernes : s'il fallait le prouver par des citations, nous ne serions embarcassés que du choix.

tions d'hommes peuvent être entraînés à des actes d'injustice, soit par la passion, soit par l'ivresse même du pouvoir, il est bon qu'ils trouvent sur leur route des barrières qui les arrêtent, ou du moins qui les avertissent.

De l'existence de ces barrières, de leur bonne construction, si l'on p ut s'exprimer ainsi, dépend l'excellence des gouvernements.

Mais il re suit pas de là que la liberté poli ique soit un droit inhérent à la nature de l'homine; car alors il faudrait admettre la liberté politique de tous, qui finit toujours par se détruire elle-même. Si on considère cette liberté comme un moyen, il faut que le moyen assure la fin : elle doit donc être limitée, suivant le tempérament et les mœurs de chaque peuple.

Il en est de même de l'égalité, qui est toujours funeste, si elle est absolue, et qui est éminemment salutaire, si elle s'entend de l'égalité civile ou de l'égalité de tous devant la Ioi.

D'ailleurs, pour que le peuple fût suffisamment éclairé sur le sens de ces mots d'une si dangereuse puissance, il faudrait qu'en regard du mot principe de liberté fût placé celui d'autorité; et en regard du droit de l'homme à l'égalité, le droit de la société à un classement hiérarchique des citoyens. Cela impliquerait les idées d'obéissance et de subordination qui doivent imiter la liberté et l'égalité. Cela ôterait enfin à ces deux mots ce sens ab-olu qui est faux, socialement parlant, et qui ne peut manquer d'égarer les masses populaires.

Si donc on avait fait cette addition significative aux préambules de nos Constitutions révolutionnaires, on y aurait réuni a la fois les éléments nécessaires à la conservation et au progrès de toute société.

Mais l'élément de progrès se trouvant seul, est devenu un élément de désordre. La nation française a été comme un navire sans lest, emporté par les vents et les vagues.

Que si la révolution de 1791, sans écrire ces maximes tutélaires en tête de ses institutions nouvelles, s'y était conformée dans ses actes; si elle avait respecté l'autorité entre les mains du moindre fonctionnaire, comme entre celles du roi lui-même; si tous les droits de proprieté avaient été fortement protégés, si tous les crimes avaient été réprimés sans pitié, sans acception de ceux à qui la politique servait encore d'occasion ou de prétexte, oh! alors, elle aurait conquis l'assentiment de tous les gens de bien, et on aurait pu faire quelque jour un livre intitulé: « Pourquoi la révolution française a-t-elle réussi (1)? »

Nous avons donc à examiner en détail les actes de la révolution, pour savoir s'ils ont été conformes ou contraires à ces principes généraux, dont nous avons indiqué la fausseté et les périls. Notre sujet même nous

(1) Voir à ce sujet le remarquable ouvrage de M. Guizot, intitulé: Pourquoi la révolution d'Angleterre a-t-elle rénss. ? Paris, 1850.

du droit de propriété et de transmissibilité. Robespierre abonde encore plus dans le sens du droit de l'Etat, considéré comme la seule source du droit de l'invidu à la propriété.

conduit à examiner plus spécialement ceux de ces actes qui sont relatifs aux droits de la propriété et de la famille si nous en trouvons de favorables à ces droits sacrés, nous leur devrons un juste et impartial hommage; mais nous saurons aussi signaler et flétrir tous ceux qui les violèrent d'une manière directe ou indirecte.

CHAPITRE II.

Des doctrines de l'Assemblée constituante relativement au droit de propriété.

Il semble, au premier abord, que l'Assemblée constituante ait voulu consacrer et protéger le droit de propriété. L'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme, porte La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

Rien de mieux qu'une déclaration de principes; mais il faut qu'elle ne reste pas stérile au frontispice d'une Constitution, sans cela elle n'est qu'une enseigne menteuse, qui sert à cacher le contraire de ce qu'elle

annonce.

Et d'abord quelle était sur le droit de propriété la doctrine des organes ordinaires de la majorité de l'Assemblée constituante?

Ce n'est pas à elle que fut dévolue la tâche de faire un code. Elle n'eut donc pas à approfondir les fondements et les origines de ce droit. Cependant les questions qui s'y rattachent furent abordées indirectement par divers orateurs, dans la discussion sur le droit de tester. Le 2 avril 1791, jour de la mort de Mirabeau, l'évêque d'Autun vint lire à la tribune de l'Assemblée le discours que le grand orateur se proposait de prononcer à ce sujet, et qui concluait à la prohibition des testaments.

Suivant Mirabeau, l'homme ne peut avoir de droit exclusif sur aucun objet de la nature: «Car, dit-il, ce qui appartient à tous n'appartient réellement à personne. Il n'est aucune partie du sol, aucune production spontanée de la terre qu'un homme ait pu s'approprier à l'exclusion d'un autre homme..... C'est sur la culture et sur son produit que l'homme peut avoir un privilége; dès le moment qu'il a recueilli le fruit de son travail, le fonds sur lequel il a déployé son industrie retourne au domaine général et redevient commun à tous les hommes. >

Et plus loin : « Nous pouvons donc regarder le droit de propriété, tel que nous l'exerçons, comme une création sociale. Les lois

ne protégent pas seulement la propriété, elles la font naître en quelque sorte; elles la déterminent, etc. »>

Tronchet, que l'on peut regarder comme l'interprète d'une autre partie de l'Assemblée que celle représentée par Mirabeau, tient à peu près le même langage. Suivant lui, c'est l'établissement de la société, ce sont les lois conventionnelles qui sont la véritable source

Cette doctrine, qui émane de Rousseau et qui fait reposer la société sur une base toute conventionnelle, devait avoir pour but d'ébranler profondément la propriété. Il faut avouer qu'elle était dans les tendances des publicistes les plus accrédités en France au au XVIIIe siècle.

Et cependant la vérité n'est pas là.

Il y a un droit préexistant à la notion d'Etat, aux codes faits de main d'homme. Nous l'avons prouvé en exposant historiquement quelle avait été partout la marche de l'humanité, quand se sont fondées les sociétés proprement dites (1).

Ce droit peut être déclaré par les premiers législateurs des nations; il n'est pas créé

par eux.

Il est accepté par les anciens ou princes du peuple, par les patres conscripti de l'ancienne Rome, etc.; mais cette acceptation n'est pas une convention arbitraire; c'est la reconnaissance d'une loi antérieure, d'une loi qui est avant qu'elle soit faite (2).

A cette législation primitive se rattachent le droit de la famille et celui de la propriété.

La transmission de l'existence physique et morale de l'homme ne se comprend pas sans la famille. La naissance et le développement de la civilisation ne peuvent pas s'expliquer sans la propriété.

Celui-là acquiert un droit sur la terre qui l'occupe, qui y fixe sa demeure, qui la défriche et qui la transforme.

et

Ceux qui ont contesté la valeur du droit d'occupation ont confondu deux choses fort distinctes, l'action morale faite sans intention ultérieure et sans esprit de suite, celle qui a pour but des conséquences qui lui survivent, qui la continuent implicitement, si l'on peut s'exprimer ainsi.

On comprendra mieux cette différence par des exemples.

Accablé par la chaleur de l'été, je veux me livrer au repos sous un arbre isolé, dans la campagne. Si ce lieu est occupé par un autre, je sens que j'éprouve à cette action un empêchement moral; je ne dois pas déranger la personne qui dort sous cet ombrage; il y aurait de ma part usurpation ou abus de la force, si je l'expulsais violemment pour me substituer à elle. Que si cette place est vide, je suis moralement libre de T'occuper, et personne n'a le droit de m'en ôter, tant que j'y goûte le repos.

pant ce lieu, que d'y prendre un sommeil Mais si je n'ai d'autre intention, en occu fugitif; si, au moment du réveil, je m'en éloigne sans dessein ultérieur, il n'y reste nulle trace stable de ma personnalité; le

(1) Voir la Préface historique.

(2) Voir le Mandement de 1850 de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans,

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