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dont l'évidence est telle, que l'on ne comprend pas qu'on ait jamais pu les violer ou même les contester.

Et pourtant l'histoire est pleine de dérogations à ce principe: plus on s'éloigne de la civilisation et de la liberté, et plus se multiplient ces dérogations, plus elles deviennent monstrueuses.

Ainsi il y a eu des empereurs païens qui ont condamné à mort toute la postérité d'un coupable de lèse- majesté, de peur que les enfants ne suivissent les exemples de leur père (1).

Il y a plus encore une loi des Perses et des Macédoniens dévouait à la mort tous les parents d'un conspirateur, afin que ce conspirateur, dit un ancien, fût plus attristé au moment de périr (2). Il y a dans ce principe une naïveté de tyrannie qui fait frémir. Le monarque ne colore pas ici sa vengeance par de vains prétextes tirés de la sûreté publique, ou même de sa sûreté personnelle. Non il ne veut qu'ajouter une torture de plus aux tortures de celui qui l'a.offensé. C'est pour arracher quelques sanglots encore à ce malheureux, pour briser son cœur après avoir brisé ses membres, que cette loi sauvage sacrifie tous ceux qu'il est présumé chérir. On ne peut pas avoir plus de crudité dans l'expression de la barbarie.

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Mais, après tout, une torture morale de même genre ne pouvait être étrangère à un père qui subissait une condammation à mort, en pensant qu'il léguait à sa veuve et à ses orphelins le supplice de la misère et les angoisses de la faim.

Ce droit, sous le nom de droit de confiscation, fut pratique dans l'Orient, dans la Grèce, à la fin de la République romaine (3), sous les empereurs et pendant tout le moyen âge. Adoucie par Constantin, la confiscation fut rétablie par quelques-uns de ses successeurs avec une rigueur nouvelle (4), au moins dans le cas de lèse-majesté. Le régime féodal ramena la confiscation, en la fondant sur une base différente. En cas de félonie ou de trahison de la part du vassal, son fief tombait en commise: il était confisqué par le suzerain.

Certains rois de France, tels que Louis XI, usèrent et abusèrent sur une grande échelle de ce droit tyrannique (5).

(1) Ne ad parentum exempla succresceret. Ammian. Marcell., libr. xxvIII.

(2) Quo qui in regem peccarant tristiores perirent. Quint. Curt. cité par Grotius, lib. 11, cap. 21, § 15. (3) Cicéron dit, dans le discours pro domo sua, que la confiscation n'existait pas dans les beaux jours de la république romaine.

(4) Entre autres par Arcadius et Honorius.

(5) Il faut lire à ce sujet l'intéressante notice que mademoiselle Dupont a consacrée à Philippe de Commines. Ce ministre de Louis XI, qui a laissé des Mémoires si intéressants, reçut comme salaire de ses services les vastes.domaines appartenant aux jeunes héritiers de la maison d'Amboise. Quand mourut le roi, qui avait été son bienfaiteur, Commines fut à son tour poursuivi et à demi spolié; on lui laissa, comme une grande faveur, la jouissance DICTIONN. DES ERREURS SOCIALES.

Louis XIV l'appliqua aux protestants émigrés ou réfractaires, par les ordonnances d'août 1669, de juillet 1681, d'août 1685, et de janvier 1688.

Les publicistes les plus profonds et les plus généreux soutinrent la légitimité de cette peine, quand elle était prononcée par des tribunaux réguliers. Dans ce nombre nous rangeons ceux-mêmes qui, comme Grotius, avaient établi en principe que nul ne pouvait être puni pour le fait d'autrui.

Voici quel était leur raisonnement. Les biens, dont la loi disposait en faveur du fisc, n'étaient pas, à proprement parler, des biens sur lesquels les enfants du condamné eussent aucun droit; car ils n'auraient hérité des biens de leur père, que si celui-ci était mort sans les avoir dissipés. Or, il avait contracté envers l'Etat, par suite de son crime, une dette qui ne pouvait être acquittée que par son sang et par la spoliation de ses propriétés. La pauvreté dans laquelle tombaient ses enfants pouvait être un accident, un malheur, mais ce n'était pas une peine. L'Etat n'était pas à leur égard un créancier plus dur que ne l'auraient été les créanciers d'un failli à l'égard des enfants de ce dernier.

Maintenant, il s'agit de savoir quel est le titre de créance de l'Etat contre un conspirateur ou un factieux.

C'est, dit-on, une espèce d'indemnité que l'Etat peut exiger sur les biens du criminel qui a porté le trouble dans son sein: il le peut en vertu de son haut domaine, altum dominium, espèce de droit suprême de propriété qui domine toutes les propriétés particulières.

Nous soutenons, nous, que cette doctrine d'altum dominium peut justifier toutes les tyrannies; et elle sera une arme bien plus dangereuse encore pour le despotisme de la multitude que pour le despotisme d'un seul.

Mais on insiste, et on prétend que l'Etat, sans même posséder l'altum dominium, est un être collectif qui peut avoir les mêmes actions à exercer qu'un particulier, et qu'il a bien le droit, dans tous les cas, de poursuivre en dommages-intérêts celui qui lui a fait un tort direct ou indirect.

Cela peut, sans doute, se soutenir en justice stricte (1). Mais c'est le cas de dire, summum jus, summa injuria; et ici l'abus est si près de l'exercice du droit, qu'un gouvernement généreux doit se dépouiller du droit lui-même pour s'ôter la tentation de l'injustice.

On comprend cependant que dans un état imparfait de société, quand on n'avait qu'une

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police faible et une mauvaise administration judiciaire, on maintint les confiscations comme un appât pour les délateurs ou même pour les accusateurs privés. Mais aujourd'hui que la police a été portée à un si haut point de perfection, que la société a des magistrats chargés spécialement de la défendre, et de poursuivre les crimes publics, elle est assez forte pour se passer de pareils moyens de sécurité; elle doit être assez grande, assez magnanimo pour abolir une pénalité de cette espèce.

Cela était tellement senti en France, en 1789, que les cahiers des états des provinces qui ne contenaient en général aucun principe attentatoire à la propriété et à l'ordre public; ces cahiers, dont l'esprit était si sagement novateur, réclamaient presque tous l'abolition de la confiscation. Ce you avait été surtout formulé par le clergé avec une unanimité imposante. Or la plupart des cahiers demandaient également que les sectes dissidentes fussent réintégrées dans leurs droits de propriété et d'état civil.

L'Assemblée constituante ne pouvait résister à l'expression de l'opinion publique sur ce point: elle prononça done l'abolition de la confiscation, le 21 janvier 1790, sur la motion de l'abbé Pepin (1); le discours de cet orateur et ceux qui eurent lieu à cette occasion n'offrent rien d'instructif. Cette question de l'abolition de la confiscation ne fut pas alors sérieusement discutée.

Que si la confiscation, même comme pénalité, prononcée contre des individus par un jugement, a dû être proscrite par une civilisation progressive, que dirons-nous de la confiscation ordonnée arbitrairement par le roi ou par l'Etat contre des corps ou contre des classes entières de citoyens? De pareilles mesures ne pouvaient être considérées que comme des actes de spoliation et de brigandage gouvernemental.

L'Assemblée constituante, bien pénétrée de ces principes, s'empressa de restituer aux enfants des protestants les biens confisqués par Louis XIV à leurs pères, et non encore vendus à des particuliers. Barrère fit sur cette question un rapport remarquable.

« Des jurisconsultes barbares, dit-il, traitant de crime de lèse-nation le droit d'émigrer, qui appartient à l'homme partout où il ne se trouve pas heureux et tranquille, pensèrent que tous les biens des fugitifs devaient être confisqués au profit du roi, et la loi de 1689 fut publiée. »

Ainsi était consacré solennellement ce principe de la liberté de l'émigration, principe que l'Assemblée constituante aurait pourtant violé un peu plus tard, sans l'éloquence et la fermeté de Mirabeau, et qui fut ensuite foulé aux pieds par la Convention, et par ce même Barrère, cruel par peur, et violent par lâcheté.

(4) Il ne faisait que rappeler à ce sujet une motion antérieure du docteur Guillotin.

« Une émigration semblable, ajoutait-il dans ce rapport trop peu connu, suivit l'horrible loi de 1715, qui contraignit aux actes de notre foi ceux-mêmes qui s'étaient refu sés à une abjuration....... » Ainsi sont flétries toutes les mesures coërcitives contre la liberté de la conscience et des cultes et cependant on verra bientôt la révolution porter des lois contre les prêtres réfractaires, comme contre ceux qui entendent leurs messes, et ne pas permettre aux Français d'être catholiques à leur manière, ou plutôt à la manière de leurs aïeux et suivant les traditions et les préceptes de l'Eglise.

Barrère parlait dans ce même rapport avec une vertueuse indignation de « ces lois sanguinaires qui tyrannisaient les consciences, flétrissaient des familles entières, érigeaient en crime le droit imprescriptible et naturel d'émigration, et adjugéaient à des délateurs les biens et jusqu'aux vêtements des émigrants surpris ou arrêtés dans leur fuite.»

Enfin il provoquait la spoliation « de ces vils dénonciateurs qui s'étaient partagé une partie des dépouillès des fugitifs sons l'infame titre d'espionnage et de dénonciation.

« Le comité a pensé, dit-il, que de pareils dons devaient être révoqués, sans que les brévetaires ou donataires pussent se prévaloir de la prescription, parce qu'on ne peut jamais prescrire une possession originaire et vicieuse, et dont le titre abusif est connu et représenté (1). »

Ainsi l'horreur de la confiscation, abolie déjà pour l'avenir, allait si loin dans l'Assemblée constituante, qu'elle donnait à cette abolition un effet rétroactif. Elle allait jusqu'à punir les spoliateurs et les délateurs dans leurs descendants et leurs héritiers directs.

Mais était-ce bien un acte de réparation, un acte de justice et d'équité, que comptait faire ainsi l'Assemblée constituante, ou bien n'était-ce qu'un coup d'Etat en sens inverse de ceux de Louis XIV? Aurait-elle été aussi bienveillante pour les réfugiés, victimes de la révocation de l'édit de Nantes, si elle n'avait pas vu en eux des ennemis naturels d'une monarchie qui les avait persécutés? Il est permis d'en douter, quand on voit le cynisme des inconséquences de cette Assemblée, ou du moins de ses principaux membres. Et cependant, lorsqu'on veut sincèrement fonder la liberté, il faut la vouloir et la pratiquer, non-seulement pour soi et pour les siens, mais pour ses adversaires religieux et politiques. C'est une maxime d'éternelle justice; c'est en même temps un principe de haute utilité sociale : nous l'avons appris à nos dépens par l'expérience des révolutions.

(1) Séance du 9 décembre 1790, où Barrère fit an rapport sur la restitution des biens confisqués pour cause de religion; restitution qui avait été décrétée en principe, le 10 juillet 1790, sur la proposition de M. Marsanne de Font-Julianne.

CHAPITRE IV.

De la souveraineté du peuple, ou de l'organisation des pouvoirs publics d'après les principes révolutionnaires, et de l'influence de ces formes de constitutions sur la stabilité de la propriété.

La Constitution de 1791 pose encore un

principe absolu qui paraît étrange en présence du principe monarchique qu'il avait la prétention de laisser subsister.

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation: nul corps, NUL INDIVIDU ne peut exercer d'autorité qui n'en émane EXPRESSÉMENT (1),

Il fallait donc que, pour légitimer la royauté, qui n'émanait pas expressément, en 1789, de cette source populaire, la nation lui donnât en quelque sorte une nouvelle investiture.

Et ailleurs elle s'exprime dans des termes encore plus absolus: La souveraineté, ditelle, est une, indivisible, inalienable et imprescriptible; elle appartient à la nation; aucune section du peuple et aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation (2).

A la vérité, la Constitution reconnaît ensuite que les représentants de la nation sont le corps législatif et le roi (3). Mais du moment que la souveraineté de la nation est proclamée inaliénable et imprescriptible, la délégation donnée aujourd'hui peut être retirée demain; si l'on compte pour rien l'adhésion implicite des générations antérieures, il n'y a plus de base pour la royauté, quelle que soit son antiquité séculaire. Il est contradictoire de dire que la souveraineté d'un peuple est inaliénable, et de la lui faire aliéner en faveur d'un homme et d'une dynastie. Ce sont des antinomies énormes, qui contiennent dans leur sein des orages toujours prêts à éclater. Appuyée sur une pareille Constitution, la vieille monarchie n'était plus qu'un trône en l'air, que le premier coup de vent devait emporter dans l'abime.

Nous n'examinerons pas ici quelle perturbation dut produire dans la société tout entière l'abolition de la royauté, principe tutélaire, dans lequel, depuis huit ou neuf cents ans, tous les droits s'étaient accoutumés à trouver leur garantie et leur personnitication. Nous ne dirons pas que l'abolition de cet héritage moral, la couronne, semblait menacer le droit de transmission de cet autre héritage tout matériel, la propriété. Hatons-nous plutôt de voir comment on essaya de réaliser, de constituer ces principes absolus de souveraineté populaire, quand la révolution eut brisé le moule monarchique, comme une entrave incommode et usée.

(1) Déclaration des droits de l'homme, article 3. (2) Tit. 11, article 1 et article 2.

(3) Naurait-il pas été plus rationnel dans une monarchie de dire: le roi et le corps législatif?

Sous ce rapport, la Constitution du 24 juin 1793 est une curieuse étude à faire.

Voici le préambule qui est fort pompeux: Le peuple français, convaincu que l'oubli et le mépris des droits naturels de l'homme sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés et inalienables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur; le magistrat, la règle de ses devoirs; le législateur, l'objet de sa mission, etc.

L'expérience de nos révolutions nous a appris qu'il faut bien plutôt chercher la cause des malheurs du monde dans l'oubli et le mépris des devoirs naturels et sociaux de l'homme que dans l'oubli et le mépris de ses droits.

Sans doute les gouvernés ont de certains droits qu'il est du devoir des gouvernants de respecter, tels que la liberté de conscience, les liens sacrés des familles, l'équité dans la distribution de la justice, etc. Mais l'autorité a ses droits que les gouvernés ont le devoir de respecter à leur tour.

N'est-ce pas une dérision que d'appeler tous les citoyens à comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institutin sociale, afin de ne se laisser jamais parmi les citoyens d'un grand Etat qui aient avilir par la tyrannie? Y en a-t-il beaucoup la haute impartialité, la vaste portée d'esprit nécessaires pour bien faire cette espèce d'équation politique, opération complexe et abstraite, bien autrement difficile que la solution des problèmes les plus avancés des mathématiques transcendantes? Même parmi les hommes qui ont reçu une certaine éducation intellectuelle, combien est petit le nombre de ceux qui peuvent s'élever à des vues générales, embrasser les rapports des droits et des devoirs de chacun; enfin, déterminer quelles limites précises l'intérêt général doit assigner aux intérêts privés!

On arrêterait d'ailleurs le mouvement d'une société qui vit par des travaux de détail, si l'on détournait sans cesse ses membres de leur tâche quotidienne pour les appeler à étudier, à approfondir, à discuter les théories abstraites et les ressorts cachés de la politique (1). Je voudrais bien savoir comment iraient les affaires d'un manufacturier qui transformerait tous les jours ses ateliers en assemblées représentatives, qui accorderait à ses ouvriers le droit de discuter sur la nature des demandes et des besoins du pays relativement aux objets qu'il fabrique, sur ses relations avec le dehors, sur l'impulsion à donner à sa nombreuse correspondance, etc. Le travail de la manufacture irait se ra

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lentissant, et la confusion se mettrait dans les conseils de la direction (1).

Or, les inconvénients ne seront-ils pas bien plus grands encore, si on demande à la multitude de diriger savamment non pas les affaires d'une manufacture, mais celles même de l'Etat, et si on l'appelle à faire mouvoir harmonieusement les rouages infinis de la machine sociale? Ne sera-ce pas renverser les lois mêmes de la société, qui tend à diviser de plus en plus le travail, et à assigner à chacun sa tâche suivant son aptitude spéciale.

La raison a de tout temps consacré ce principe Ne vous mêlez que de ce qui vous regarde. La révolution a voulu introduire le principe contraire dans la politique; elle a prétendu proclamer la compétence des masses populaires dans les altaires du gouver

nement.

C'est dans cet esprit que fut faite la Constitution du 24 jum 1793.

Le peuple, d'après cette Constitution, se serait divisé en asse:nblées primaires de 200 membres au moins, et de 600 au plus ces assemblées auraient délibéré sur les lois; elles auraient choisi tous les ans les officiers municipaux et les juges de paix; elles auraient nommé des électeurs qui auraient élu tous les ans les administrateurs et les juges des départements et du tribunal de cassation; puis les membres du corps législatif. Le corps législatif aurait administré : c'est à lui qu'aurait appartenu la nomination des généraux et autres grands fonctionnaires, et le droit de les destituer. Il aurait choisi, parmi les candidats désignés par les électeurs, les membres d'un conseil exécutif qu'il aurait renouvelé par moité tous les

ans.

C'est par cette effrayante mobilité et cette confusion monstrueuse de tous les pouvoirs que la Convention crut avoir résolu ellemême l'équation dont elle avait posé les termes dans le préambule de sa Constitution, et qui consistait à mettre les actes du gouvernement en rapport avec le but prétendu de toute institution sociale.

C'était tenter franchement de constituer ce gouvernement que les philosophes grecs ont flétri sous le nom d'Ochlocratie (2).

Il fallait avoir non pas seulement le courage, mais l'audace de la logique.

Cependant la Convention finit par reculer elle-même devant l'impossibilité de me tre une pareille œuvre à exécution! elle remplaça sa Constitution ochlocratique par la Constitution du 17 juillet 1795.

C'était, à notre avis, un jugement solennel porté sur la fausseté des principes révolutionnaires; leurs conséquences, d'après la Convention elle-même, étaient impuissantes à se faire admettre dans la pratique. Il y avait là, contre ces principes, tous les éléments de la démonstration per absurdum.

(1) Voir l'ouvrage déjà cité, De la morale sociale, par M. Adolphe Garnier.

2) Adolphe Garnier, Morale sociale, p. 218.

La Convention fut donc obligée de dévier de l'esprit révolutionnaire pour rentrer dans le possible, et pour faire une Constitution praticable.

Ces déviations consistaient d'abord dans l'établissement de deux Chambres et d'un pouvoir exécutif, représenté par cinq directeurs.

Ensuite les assemblées primaires nommaient un électeur sur 200 citoyens, et, pour être nommé électeur, il fallait: 1° dans les villes de plus de 6,000 âmes, être propriétaire ou usufruitier d'un bien d'un revenu égal à la valeur locale de 200 journées de travail, ou d'être locataire, soit d'une habitation évaluée à un revenu égal à la valeur de 150 journées de travail, soit d'un bien rural évalué à 200 journées de travail; 2° dans les communes de moins de 6,000 âmes, être propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué à un revenu égal à la valeur locale de 150 journées de travail, ou locataire d'une habitation évaluée à un revenu égal à la valeur de 100 journées de travail; 3° et dans les campagnes, être propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué à un revenu égal à la valeur locale de 150 journées de travail, ou être fermier de biens évalués à la valeur de 200 journées de travail (1).

Ainsi la Convention comprenait qu'il ne suffit pas d'écrire dans une Constitution, la propriété est inviolable, mais qu'il fallait la mettre sous la sauve garde des proprietaires. Il est évident, en effet, que si, par la souverai neté du peuple, on entend le pouvoir remis au plus grand nombre, le plus grand nombre n'étant pas propriétaire, et manquant de lumières suffisantes pour gouverner, croira de son intérêt de niveler la propriété, de la grever de charg s progressives, ou peut-être même de tendre à la faire passer sans cesse en d autres mains, en organisant, en multipliant la confiscation, soit comme peine judiciaire, soit comme mesure de sûreté publique.

Ii aurait fallu sans doute faire la part des supériorités intellectuelles dans les conditions de l'électorat ou de l'éligibilité; mais le pouvoir constituant allait sagement au plus pressé, quand, désavouant ses aberrations antérieures, il replaçait la société sur sa base angulaire, la propriété.

Le mouvement en arrière, dont la Convention avait judicieusement donné le sigual, se continua après elle, et les Constitutions du 13 décembre 1799 et du 4 août 1802,

élevèrent de plus en plus le cens exigé pour l'électeur et pour l'éligible.

La réaction contre l'ochlocratie eut aussi cette conséquence que l'on ferma les clubs populaires, où le seul moyen de renchérir, en fait de flatterie à adresser aux passions de la multitude, était de lui faire entrevoir le pillage légal de la propriété et le partage des biens des riches (2).

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DE LA REVOLUTION FRANÇAISE. — LIV. I.

Robespierre lui-même n'avait pas négligé ce moyen de popularité: le projet de déclaration des droits de l'homme qu'il lut, le 21 avril, à la tribune des Jacobins, contenait les principes les plus subversifs de la propriété.

Il y définissait la propriété, le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de bien qui lui est garantie par la loi (1). Ainsi ce que la loi ne lui garantirait pas pourrait être considéré comme appartenantà l'Etat, et devrait être partagé entre les plus pauvres citoyens.

La propriété, ajoutait-il encore, ne peut prejudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à existence, ni à la propriété de nos semblables (2): c'était ouvrir la porte à une répartition nouvelle des biens, de laquelle ne résultat pas un semblable préjudice.

Plus loin il consacrait le droit à l'assistance et au travail (3), ce qui avait pour effet d'attribuer à l'Etat la propriété des terres, des capitaux et des instruments de travail, et même la faculté de prendre les produits trop considérables du travail des uns, pour entretenir celui des autres (4).

Enfin, il y avait encore dans le projet de déclaration des droits deux articles dont nos lecteurs comprendront la portée; en voici le texte précis : Les secours nécessaires à l'indigence sont une dette du riche envers le pauvre: il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée. Les citoyens dont les revenus n'excèdent pas ce qui est nécessaire à leur subsistance sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques. Les autres doivent les supporter progressivement, selon l'étendue de leur fortune (5). Cette déclaration des droits, qui avait été accueillie par des acclamations unanimes dans le club des Jacobins, fut repoussée à la Convention (6). Mais en adoptant le mode d'élection et d'organisation du pouvoir qui se trouve décrit dans la Constitution du 24 juin 1793, cette assemblée rouvrait d'une main la porte qu'elle avait voulu fermer de l'autre. Les plans de Robespierre auraient élé nécessairement adoptés, et peut-être dépassés, si l'ochlocratie avait triomphe, et que les prolétaires fussent devenus législateurs à l'exclusion des propriétaires du sol.

La réaction du 9 thermidor, d'où naquit

versive de la propriété foncière, elle n'attaquait pas moins la propriété mobilière, plus commode à saisir, et qui fournit à l'empressement de jouir des objets plus directs et plus immédiats. Aussi vit-on journellement multiplier des manipulations qui n'opéraient, disait-on, qu'un déplacement, et contre lesquelles on avait inventé jadis l'usage des coffres-forts, grillages, etc.. pour se défendre d'une espèce d'hommes qu'on appelait alors des voleurs. ›

(1) Art. 7.

(2) Art. 9.

(3) Art. 11.

(4) Voir l'Histoire du communisme, de M. Sudre, p. 264-268.

(5) Articles 12 et 14.

(6) Robespierre fut plus heureux, quant à la suppression du droit de tester. Nous reviendrons sur ce point dans notre dernier livre.

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espérances des ennemis de la société. une Constitution conservatrice, renversa les roriste s'acheva dans les journées de prairial. La défaite du parti de la République terau désespoir, se rallièrent aux communistes, Ce fut alors que les ultra-jacobins, réduits Darthé et Sylvain Maréchal, cette formiet tramèrent, sous la conduite de Babeuf, dable conspiration connue sous le nom de conspiration des égaux. Dix-sept mille conjurés, qui avaient fait leurs preuves en fait révolution, tenièrent de renverser le Direcd'audace depuis les premières journées de la l'égalité réelle (1), c est-à-dire la communauté toire et les deux conseils, et de proclamer des biens. Voici comment les insurgés auraient commencé l'application de leurs sauleurs décrets: A la fin de l'insurrection, les vages théories, c'est le texte même d'un de citoyens pauvres, qui sont actuellement mal logés, ne rentreront pas dans leurs demeures dans les maisons des conspirateurs. On prenordinaires; ils seront immédiatement installés dra chez les riches ci-dessus les meubles nécessaires pour meubler avec aisance les sansculottes (2).

répression de la conjuration de Babeuf, n'euCes décrets, grâces à la découverte et à la rent pas même un commencement d'exécution. Il semblerait donc, puisqu'ils n'ont pas des pouvo'rs révolutionnaires, que nous ne eu de place dans la série des actes officiels devrions pas en faire mention : cela se trouve cès de cette conspiration n'a tenu qu'à un fil; en dehors de notre programme. Mais le sucet si Babeuf n'avait pas été trahi par un de imposé à la France un régime où il aurait eu ses complices, il aurait saisi la dictature, et le prolétariat tout entier pour auxiliaire naturel. Or les principes de ce conspirateur solue et de la souveraineté du grand nomn'étaient pas autres que ceux de l'égalité abbre, proclamés d'abord avec quelques réserves par l'Assemblée constituante, puis recondu 24 juin 1793. Et, quant à la propriété, nus par la Convention dans sa Constitution nous avons vu plusieurs constituants, tels que Mirabeau, Talleyrand Tronchet, soutenir qu'elle n'était qu'une création de la sonérale. Robespierre et Saint-Just d'abord, ciété, une institution fondée sur l'utilité gépuis Babeuf et Maréchal, ne firent que tirer les dernières conséquences de ces fausses doctrines (3).

La société, si souvent menacée par la ré-
volution jusque dans ses fondements, ne

l'égalité réelle ou la mort, disait-il dans son mani-
(1) Manifeste de Sylvain Maréchal. Nous voulons
feste. Périssent, s'il le faut, tous les arts, pourvu
qu'il nous reste l'égalité réelle. » Et plus loin: ‹ plus
de propriété individuelle des terres; la terre n'est à
personne. Nous réclamons, nous voulons la jouis-
sance communale des fruits de la terre; les fruits
sont à tout le monde. ›

(2) Articles 1 et 2 du premier décret insurrection-
nel. Voir l'Histoire parlementaire de Buchez et Roux,
t. XXXVII, p. 455.

(3) C'est l'opinion d'un de nos publicistes modernes les plus distingués, M. Sudre, pages 305 et suivantes, dans son Histoire du communisme.

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