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commença à se rassurer pleinement que quand le sénatus-consulte du 18 mai 1804 eut reconstitué le pouvoir unitaire et héréditaire sous le nom d'Empire. Des restrictions nouvelles furent apportées par cet acte au droit électoral, qui devint l'apanage de la grande propriété. C'était s'éloigner plus que jamais de l'ochlocratie et de la souveraineté du grand nombre. On sentait tellement, en France, le besoin de l'ordre et du repos, que cette constitution nouvelle du pouvoir fut adoptée à la presque unanimité. Sur

3,574,898 votants, 2,569 seulement volèrent contre l'empire et l'hérédité du trône.

Ainsi la nation, légalement consultée, détruisait elle-même le principe de la souve raineté du peuple, tant de fois proclamée imprescriptible et inaliénable. La France rompait d'une manière éclatante avec les doctrines dangereuses et brutales de la prépondérance des masses populaires, qui croient tou jours avoir un intérêt permanent aux révolutions politiques et sociales.

LIVRE DEUXIÈME.

ATTEINTES PORTÉES A LA PROPRIÉTÉ COLLECTIVE.

CHAPITRE PREMIER.

De la légitimité de la propriété ecclésiastique en général des abus qui s'étaient introduits dans la constitution de cette propriété au sein du clergé de France, avant 1789.

Jusqu'aux derniers siècles de l'ère moderne, on avait pensé, dans tout le genre humain, que les propriétés consacrées au culte religieux et aux ministres de ce culte devaient être entourées de plus de vénération et protégées par plus de garanties que les propriétés même des individus. Sous les Pharaons, au temps de la grande famine dont. nous parle l'Ecriture, les Egyptiens avaient été obligés de vendre leurs terres au roi pour avoir du pain; les sacrificateurs furent exceptés de cette mesure : ils furent nourris par l'Etat, et gardèrent leurs propriétés (1). Dans la Grèce, la ligue amphictyonique prononçait un serment, dont la formule se terminait ainsi : « Si des impies enlèvent les offrandes du temple d'Apollon, nous jurons d'employer nos pieds, nos bras, notre voix, toutes nos forces, contre eux et contre leurs complices (2). »

Ce serment ne fut pas considéré par la fédération grecque comme une stérile formalité. Les habitants d'une petite ville, appelée Cyrrha, se permirent de défricher et de cultiver une portion des bois sacrés de Delphe; le philosophe Solon fit déclarer contre eux la guerre sacrée : leur ville fut pillée, saccagée et rasée au niveau du sol. Il fut défendu à l'avenir d'y construire des maisons et d'y promener la charrue.

Longtemps après, la ligue amphictyonique rend un décret contre les Phocéens, coupables d'un crime semblable. Philippe, roi de Macédoine, est chargé de le mettre à exécucution. Les Phocéens, réduits aux dernières

(1) Gen. XCVII, 22. (2) Pausan. 1, x, 8,

extrémités par les phalanges macédoniennes, sont obligés de souscrire à une sentence dont voici les conditions: « Ils seront dépouillés du droit d'envoyer des représentants au conseil des Amphictyons; ils ne pourront plus avoir ni chevaux, ni armes, jusqu'à ce qu'ils aient restitué les richesses enlevées au temple: leurs trois principales villes seront démantelées, et toutes les autres, au nombre de 22, seront détruites, etc. »>

Voilà par quelles mesures pénales était sanctionné le respect imposé à tous les Grecs pour les propriétés des temples.

A Rome, les temples, avec leur mobilier et leurs dépendances, étaient la propriété légale du sacerdoce (1). Les bois sacrés, luci, étaient interdits à la hache des profanes; et l'Etat, si puissant dans la cité, reine du monde, s'arrêtait devant le seuil de ces enceintes sacrées. Il respectait cette propriété des prêtres, comme liée intimement au culte des dieux.

Le souverain temporel est armé d'un pouvoir despotique à peu près illimité dans la Turquie, dans l'Asie et dans l'Afrique mahométane; cependant il ne porte jamais d'atteinte aux mosquées, aux tombeaux des santons et des marabouts, non plus qu'aux propriétés qui en dépendent. Quiconque y porterait atteinte serait habou, c'est-à-dire. anathème (2).

Dans la religion chrétienne, on a eu long

(1) Beugnot, De la destruction du paganisme en Oc cident, 1, p. 267.

la

(2) De la colonisation de l'Algérie, par Enfantin, Paris, 1846. Il y a même cela de singulier, que propriété individuelle est essentiellement précaire, et moins respectée que la propriété ecclésiastique; alors il arrive souvent qu'un père de famille, afin de mettre ses biens à l'abri d'une confiscation, doune sés biens à une mosquée, avec le droit d'en jouir, lui et deux ou trois générations. Cette espèce de donation pieuse s'appelle le habou (ibid., ilid.). Ainsi, chez les Musulmans, la propriété individuelle cherche à s'abriter sous la propriété collective.

LIV. II. à de telles attaques, il ne parlait que de su perstition et de fanatisme; souvent même, il se contentait de grossir démesurément certains abus pratiques qui s'étaient introduits dans le clergé de France.

temps une vénération profonde pour le droit de propriété du clergé et des ordres religieux, et cette vénération était fondée sur des bases bien autrement solides que celle qui s'attachait aux dépendances des temples de Rome ou de la Grèce. En effet, ces biens n'étaient pas employés à un culte voluptueux, à des fêtes qui amusaient et qui excitaient les sens. Les revenus des églises, dout les évêques ne se considéraient que comme les dispensateurs, étaient destinés à l'entretien du culte et au soulagement des pauvres. Plus tard, quand saint Basile, saint Benoit et leurs disciples couvrirent de leurs fondations pieuses les déserts et les montagnes de l'Orient et de l'Occident, ils eurent à faire valoir un double titre de propriété: l'un provenant des donations qui leur avaient été faites, l'autre des travaux immenses par lesquels ils avaient défriché, transformé, fertilisé des landes incultes ou des rochers arides.

Certainement il y a peu de propriétaires de terres qui puissent assigner à leurs possessions primitives une origine aussi pure et aussi respectable.

Ajoutons que, dans des siècles où il était si difticile de franchir partout ailleurs les diVrs degrés de la hiérarchie sociale, les églises et les couvents appelaient tous les hommes, les petits comme les grands, à la participation de leurs revenus; car le clergé régulier et séculier ouvrait toujours ses rangs aux uns comme aux autres. La possession des biens ecclésiastiques avait donc un caractère tout particulier; elle se ressentait du principe d'égalité devant Dieu, qui découlait de l'Evangile; sous ce rapport, elle l'emportait en libéralité sur la propriété individuelle elle-mème, entourée d'une sorte de barrière difficile à franchir pour le pauvre ou le prolétaire. De plus, la jouissance des biens ecclésiastiques était accordée à la vocation, non à l'héritage. C'était la réalisation, dans une certaine sphère, de ce que des utopistes modernes voudraient appliquer à la société elle-même, comme si la renonciation aux jouissances de la famille n'était pas la première base de cet ordre de choses, et comme si cette renonciation volontaire n'était pas un fait surnaturel, que les institutions humaines sont impuissantes à produire par elles-mêmes.

La révolution méconnut tout ce que la propriété ecclésiastique avait de vénérable dans son origine, de charitable dans son but, de vraiment libéral dans sa répartition. Au nom de l'égalité, elle supprima cette propriété, en niant qu'elle existat à titre de droit, et en la présentant comme un usufruit qui n'avait de valeur que par la tolérance de l'Etat.

Pour préparer les esprits à cette spoliation colossale, le philosophisme employait tons les moyens; aux uns, il présentait la religion catholique elle-même comme la puérile invention d'un sacerdore imposteur; aux autres, dont la foi mieux assise résistait

Sur ce dernier point, le seul qui mérite quer; il est temps d'achever de dissiper des quelque attention, il est temps de s'explipréjugés qui sont encore partagés aujourd'hui par des hommes d'Etat d'un certain ordre, et même par des gouvernements, devenus révolutionnaires sans le savoir.

Les reproches que l'on faisait à notre clergé avant 1789 peuvent se réduire à deux principaux pour le clergé séculier, l'existence et la multiplicité des commandes ou bénéfices sans charges d'ames; pour le clergé régulier, le relâchement de certains ordres monastiques.

Le premier de ces reproches avait sans doute quelque chose de fondé. Mais, de bonne foi, à qui fallait-il s'en prendre de cet abus! Etait-ce à l'Eglise de France ou au pouvoir temporel qui le lui avait imposé? Quand Charles-Martel distribue les bénéfices ecclésiastiques à ses farouches compagnons d'armes, doit-on faire porter sur les opprimés le tort de cette oppression? Lorsque la féodalité renouvelle ces usurpations sous une forme moins violente, lorsque les souverains et les barons s'attribuent l'administration de ces bénéfices et la nomination des administrateurs, a-t-on le droit de regarder comme une adhésion la patiente résignation du clergé français ? Cet abus, quoique un peu adouci, en ce sens que les administrateurs ou commandataires devaient être choisis parmi les clercs, ou membres de l'ordre ecclésiastique, ne cesse d'être l'objet des constantes réclamations de l'Eglise. Dès que les commandataires cessent de veiller assidûment à la garde des biens qui leur sont confiés, dès qu'ils en détournent les revenus de leur sainte destination, pour les employer à leur propre usage, l'épiscopat les réprimande, les conciles les nienacent, la papauté demande qu'un tel abus soit coupé par la racine. Le pape Jean VIII, présidant au concile de Troyes, sous Louis le Bègue, fait recevoir une Constitution, portant qu'on ne donnera plus les abbayes, terres et fonds de l'Eglise, qu'à ceux qui pourront les tenir

ou les administrer suivant les canons. Plusieurs autres conciles provinciaux et le concile de Trente lui-mêine font des voeux formels pour que l'ancienne discipline soit rétablie à l'égard des commandataires (1). Mais le pouvoir temporel oppose à ces essais de réforme une force d'inertie qui les fait toujours échouer.

Au résumé, ce droit de commande et de nomination à des bénéfices ecclésiastiques n'était autre chose qu'une invasion de l'Etat dans l'Eglise. Par conséquent, ce n'était pas à l'Etat à se plaindre d'un abus

(1) Histoire de l'ancien droit public français, par Fleury.

qu'il avait créé, et que l'Eglise, quand elle cessait de le proscrire, ne tolérait que par une extrême condescendance pour le pouvoir temporel. Il fallait donc que l'Etat Réformateur de 1789 affranchit l'Eglise des entraves que l'Etat féodal du moyen âge lui avait imposées; mais il était par trop inique que le pouvoir temporel se fit un titre de ses spoliations anciennes pour en commettre de nouvelles.

Passons maintenant aux reproches adressés au clergé régulier de France avant 1789. Quelques-uns des ordres religieux, qui y existaient depuis longtemps, s'étaient relachés, et avaient dégénéré de leur antique ferveur. Plusieurs monastères, dans lesquels avaient vécu autrefois des centaines de moines, n'étaient plus habités que par deux ou trois, qui partageaient leurs jours entre une molle existence et l'administration temporelle de leurs biens. Des charités locales, distribuées autour de ces riches retraites avec plus d'abondance que de discernement, ne suffisaient pas pour rendre raison chrétiennement de l'existence de ces corporations.

Mais il ne fallait pas détruire tous les ordres monastiques parce que quelques-uns avaient besoin de réformes. Il ne fallait pas surtout que le gouvernement temporel s'arrogeât à lui seul le droit de juger et d'extirper de tels abus: s'il avait provoqué l'attention et la vigilance de l'Eglise sur une pareille question, elle ne lui aurait pas refusé son concours des précédents nombreux sont là pour l'attester.

Nous en citerons un entre beaucoup d'autres, celui de la suppression de l'ordre des Pères humiliés. Cet ordre avait été fondé, au commencement du xir siècle, par des gentilshommes milanais qui avaient été faits prisonniers par Frédéric-Barberousse, et qui avaient promis de se consacrer à Jésus-Christ, s'ils étaient délivrés de leur captivité. Quatre siècles de vertus, dit un écrivain moderne, succédaient aux vertus de ces premiers cénobites; mais ce germe précieux finit par perdre de sa vigueur, et périt étouffé dans l'oisive opulence qui souillait alors tant de vastes monastères (1).

Le pieux auteur de la vie de saint Charles Borromée, contemporain lui-même de ces événements, parle avec encore plus de sévérité des désordres et des excès de ces religieux (2). Saint Charles, qui avait dépensé en vain toute son énergie pour les réformer dans son diocèse de Milan (3), finit par être

(1) Vie de Pie V, par M. Alfred de Falloux, t. II, p. 155, Paris, Sagnier et Bray, 1844.

(2) Vie de saint Charles Borromée, par le Père Giussano, liv. 11, chap. 14.

(3) Ils s'étaient étendus aussi dans le reste de l'Italie et en particulier à Florence, où ils s'étaient faits cardeurs de laine et fabricants de draps. L'évèque de Florence leur avait donné, en 1239, l'église de Sainte-Lucie, dans le faubourg d'Ogni Santi, en. faisant de leur Ordre les éloges les plus flatteurs. > (Voir Delécluse, Histoire de Florence, tom. I, p. 34, Paris, Gosselin, 1837.)

la victime d'une tentative d'assassinat de la part de trois des prévôts ou prieurs de cet ordre, et il n'y échappa que par miracle (1). Alors Pie V ne crut plus devoir hésiter : Il supprima entièrement cette Religion, laquelle n'était composée que de cent soixante-quatorze religieux, quoiqu'elle possédát encore quatrevingt-quatorze couvents, dans la plupart desquels il n'y avait pas même un seul religieux, les prévôts en prenant tout le revenu sans y faire aucun service. Ensuite il publia la bulle d'extinction, qui est la 119 de ce pape, et se trouve au feuillet 166 du Bullaire. Il y décrit amplement la vie scandaleuse de ces religieux, el le crime que quelques-uns d'entre eux avaient voulu commettre sur le saint cardinal... Il assigna à chaque religieux une pension viagère sur les commandes de cet ordre, pour subsister honnêtement, et il se réserva le pouvoir d'en disposer après leur mort (2).

Lorsque les réformes se font ainsi par une voie légitime, on procède avec une sage lenteur (3), l'existence des individus usufruitiers est préalablement assurée, et les biens de la communauté reçoivent une destination utile pour la société et pour l'Eglise.

Ainsi, en comparant, en France, dans le XVIII siècle, la géne de la portion militante du sacerdoce (4) avec l'opulence de quelques sinécuristes et l'oisive mollesse de certains religieux, devenus, comme les Pères humiliés, indignes du nom qu'ils portaient, il semblait incontestable qu'il y avait lieu à une meilleure répartition des revenus ecclésiasti

ques.

Mais la révolution française ne chercha pas à répartir plus convenablement les biens du clergé; elle les confisqua en entier au profit de l'Etat; elle ne fit pas une enquête sur les ordres religieux, dont la plupart avaient conservé leur austérité antique et leur charité primitive (5) : elle les supprima en masse. On reconnaît bien là la précipitation furieuse de notre nation, furia francese. Nous sommes malheureusement aussi impétueux dans le mal que dans le bien.

Du reste, si on étudie avec soin l'histoire de l'Assemblée constituante (6), on y remar(1) P. Giussano, Vie de saint Charles, liv. 11, chap. 23.

(2) Vie de saint Charles Borromée, liv. 11, chap. 27, tom. I, p. 273 de l'édit. in-8° de Séguin, Avignon, 1824.

(3) Saint Charles avait déjà fait connaitre depuis longtemps à la cour de Rome l'indiscipline et la licence des Pères humiliés, et cependant le Saint-Père ne se décide à les supprimer qu'après ‹ avoir beaucoup consulté Dieu par la prière et pris l'avis du sacré collége des cardinaux. › (ld., ibid.)

(4) Les curés à portion congrue n'avaient que 500 livres de rente, et les vicaires 200.

(5) Tels étaient les Chartreux, les Trappistes, les Carmes, les Carmélites, et, dans une autre sphère, les Lazaristes, les sœurs de Saint Vincent de Paul, etc., etc.

(6) H faut lire surtout celle de M. Degalmer, dont M. Jager se sert beaucoup pour son cours d'histoire ecclésiastique, à la Sorbonne. Gette histoire, écrite avec précision et clarté, reproduit avec beaucoup de détails toutes les discussions relatives au clergé,

quera avec douleur le manque complet de sucérité d'une majorité qui ne se couvrait du manteau du christianisme que pour lui porter des coups plus sûrs, et le peu d'adresse ou d'esprit de conciliation d'une minorité imprudente, qui croyait avoir besoin de nier tous les abus afin de défendre tous ies droits.

CHAPITRE II.

De la question des dîmes ecclésiastiques et des discussions qui s'y rattachèrent à l'Assemblée constituante.

Dans notre monde moderne, il y a deux sociétés, la société temporelle et la société spirituelle. Cette dernière a apporté aux abus d'autorité de la première un contrepoids d'une force immense : toute la puissance des Césars de Rome est venue se briser contre ces deux mots de l'Eglise, non possumus. Le glaive de la féodalité et des nouveaux Césars de l'Allemagne s'est émoussé contre elle.

La majorité de l'Assemblée nationale, expression vivante du philosophisme du du XVIII siècle, avait perdu le sens de cette force mystérieuse. Elle avait auprès d'elle la représentation de l'ordre du clergé; elle était juxta-posée à des hommes d'Eglise, et elle ne savait plus ce que c'était que l'Eglise !

Parmi les atteintes que les philosophes de l'Assemblée, unis aux jansénistes, portèrent à cette société divine, ils parurent d'abord ne s'occuper que de donner une autre forme à la perception d'une partie de ses revenus temporels.

La première question de ce genre qui fut agitée dans le sein de l'Assemblée fut celle des dimes ecclésiastiques. La dime fut d'abord, comme on sait, une offrande volontaire avant d'être une contribution forcée. C'est le mode d'impôt le moins onéreux au propriétaire, puisqu'il est toujours proportionnel à la récolte perçue. Quoi qu'il en soit, la plupart des ecclésiastiques ne paraissaient pas tenir à ce que la dime fût laissée en nature entre les mains du clergé; ils pensaient seulement qu'elle devait être rachetée à son profit ou remplacée par un revenu pris sur le budget de l'Etat. Sieyes fit faire un pas de plus à la question: il donna à entendre que si la dime devait être rachetée, il fallait qu'elle le fût par les propriétaires , qui étaient chargés de la payer. «Il n'est pas une terre, dit-il, qui, depuis l'établissement de la dime, n'ait été plusieurs fois vendue et revendue. On achète une terre, moins les redevances dont elle est grevée : ainsi la dime n'appartient à aucun des propriétaires actuels; aucun d'eux ne doit donc s'en emparer. On veut l'ôter aux ecclésiastiques est-ce pour le service public? Non, c'est parce que le propriétaire voudrait bien ne plus la payer. Mais je ne vois pas qu'il faille faire présent de plus de 70 millions de rente aux propriétaires fonciers (1). »

(1) Ce chiffre est inférieur à la réalité. M. Droz le

Cet argument de l'abbé Sieyes était sans réplique (1); mais il était lui-même bénéficier sans charge d'âmes, et sa position personnelle présentait bien moins d'intérêt que celle des ecclésiastiques exerçant un ministère réel et actif dans le sacerdoce. Or, parmi ces derniers, plusieurs curés, imbus d'idées nouvelles, et poussés par les meneurs du parti révolutionnaire, font décider par un abandon volontaire la question qui divisait les esprits. Ils déposent sur le bureau un écrit collectif, par lequel ils prennent l'initiative de cet abandon, en invitant leurs collègues à suivre leur exemple. Plusieurs membres du haut clergé ne croient pas alors devoir résister au courant. L'archevêque de Paris s'exprime ainsi, en faisant un appel à la générosité, à la justice de l'Assemblée nationale: « Que l'Evangile soit annoncé, que le culte divin soit célébré avec décence et dignité, que les églises soient pourvues de pasteurs vertueux et zélés, que les pauvres soient secourus, voilà la destination de nos dîmes, voilà la fin de notre ministère et de nos vœux. Nous nous confions dans l'Assemblée nationale. »

C'est sans doute un très-beau et trèsnoble mouvement; mais les représentants du clergé ne dépassaient-ils pas le mandat qu'ils avaient reçu de leur ordre, en abandonnant ainsi, sans obtenir aucune promesse positive d'indemnité, des revenus qui existaient dans l'Eglise depuis l'époque de sa fondation en France ? N'était-ce pas un précédent dangereux, une concession dont on allait s'armer contre ceux qui l'avaient faite?

Si ceux qui doivent serrer le frein le làchent eux-mêmes et l'abandonnent, comment ne décourageront-ils pas ceux qui les aidaient à retenir la société sur le penchant de l'abîme ?

La suppression des dîmes sans rachat fut un premier poste emporté par les démolisseurs; bientôt se présenta la question nue du droit de propriété du clergé; et une partie de ceux qui avaient soutenu les possesseurs de dimes passèrent à l'ennemi. Ce fût là un effet naturel de l'imprudent entraînement de l'archevêque de Paris dans la discussion précédente.

De plus, la décision qui avait été prise semblait consacrer les doctrines développées par ceux qui l'avaient provoquée, et ces doctrines étaient dangereuses non-seulement pour le clergé, mais pour la société tout entière; c'était l'établissement d'une jurispru dence dont on pouvait retourner les motifscontre la propriété individuelle elle-même. Voici quel fut le langage de Mirabeau, langage qui sembla entrainer la majorité :

porte à 135 millions, tom. II, p. 465, Histoire de Louis XVI, déjà citée.

(1) Lanjuinais et d'autres députés modérés parlérent absolument dans le même sens (Moniteur, séance du 10 août 1789). La séance du 10 août fut consacree à l'explication et à la rédaction des mesures prises dans la fameuse nuit du 4 août 1789. ̧

« La dime, dit-il, est le subside avec lequel la nation salarie les officiers de morale et d'instruction. »

L'inconvenance de ces expressions excita des murmures à la droite de l'Assemblée, et alors le fougueux orateur s'écria:

«Il serait temps que l'on abjurat les préjugés d'ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaires et salariés. Je ne connais que trois manières d'exister dans la société il faut y être mendiant, voleur ou salarié. Le propriétaire n'est lui-même que le premier des salariés. Ce que nous appelons vulgairement la propriété n'est autre chose que le prix que lui paie la société pour les distributions qu'il est chargé de faire aux autres individus par ses consommations et ses dépenses les propriétaires sont les agents, les économes du corps social. »

Ainsi, quand par hasard la société ne serait pas contente de ses agents et de ses économes, elle devrait se croire autorisée à les destituer et à les remplacer par d'autres. Quand les propriétaires ne feraient pas assez de consommations et de dépenses, quand ils n'alimenteraient pas la circulation d'une manière convenable, l'Etat aurait le droit de s'en enquérir, de les surveiller et de les contraindre à tel ou tel emploi de leurs revenus, si toutefois il n'en disposait pas luimême, afin d'en faire une distribution plus fructueuse et plus équitable. Mais qu'est-ce donc alors que la propriété? Ce n'est plus le droit de disposer souverainement de sa chose. Le propriétaire n'est plus qu'un fermier ou plutôt un serf de l'Etat, attaché à la glèbe; et il n'aura échappé au joug du seigneur féodal que pour tomber sous celui d'un tyran anonyme bien plus implacable et plus dur, l'Etat ?

Certes, la doctrine de Mirabeau contient tout le socialisme moderne dans ses rapports avec la propriété. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir, absurde pour le nier.

D'où vient donc que l'on a nourri notre jeunesse d'une admiration sans bornes pour ce publiciste-orateur ? Pourquoi a-t-on vu les écrivains mêmes qui défendent aujour d'hui très-vivement la propriété louer le discours subversif que nous venons de citer, comme un chef-d'œuvre de raison et d'ironie (1)? On attaque dans Robespierre le précurseur de Babeuf (2), et on n'ose pas attaquer dans Mirabeau le précurseur de Robespierre; on craint de le signaler comme le premier des socialistes de la tribune française, comme l'aïeul moral des Saint-Simon,

des Cabet et des Proudhon!

(1) Mirabeau, qui excellait à lancer des traits décisifs de raison et d'ironie, répondit aux interrupteurs qu'il ne connaissait que trois moyens d'exister dans la société d'être ou voleur, ou mendiant, ou salarié. (Thiers, tom. I, p. 435, Histoire de la Révolution, édit. de 1828.)

(2) Voir l'Histoire du communisme, par M. Sudre. Du reste on peut voir dans le livre 11, chap. 2, l'apalyse du discours de Mirabeau sur le droit de tester · c'est toujours la même doctrine.

Il est temps de faire justice de tous ces sophistes et de tous ces démolisseurs, que l'on a si longtemps présentés comme des modèles de raison et d'éloquence. Il faut renier les ancêtres du socialisme, si nous ne voulons pas que la génération qui s'élève, plus logicienne que nous-mêmes, ne tire des fruits de mort et de destruction de toutes les doctrines empoisonnées des princes de la révolution française.

Du reste, la religion n'était pas moins insidieusement attaquée que la propriété dans ce trop fameux discours de Mirabeau, et si des murmures vinrent l'interrompre, ces murmures s'adressaient bien moins encore à l'expression de salariés qu'à celle d'officiers de morale et d'instruction, donnée à des prêtres catholiques. Gette dénomination pouvait déjà faire pressentir le plan de la Constitution civile du clergé; on voulait transformer en fonctionnaires de l'Etat et ne relevant que de l'Etat les successeurs des apôtres, comme si leur force morale n'était pas tout entière dans leur caractère sacré et surnaturel on voulait essayer de faire de la religion catholique sans l'Eglise et en dehors de l'Eglise. Et pour y accoutumer les esprits, on appelait officiers de morale les vénérables dispensateurs de la parole de Dieu et des sacrements de Jésus-Christ.

séance avançait beaucoup la solution de Il faut avouer d'ailleurs qu'une pareille deux questions capitales: la suppression biens du clergé. des ordres religieux et la confiscation des

Et d'abord, du moment que l'Etat ne voulait plus reconnaître pour tout sacerdoce que des officiers de morale qui lui seraient infeodés, du moment qu'il se croyait le droit de supprimer tout ce qui serait en dehors de cette organisation constitutionnelle, à ses eux, les couvents n'avaient plus de raison

d'être.

Quant à la question de confiscation des pouvait pas non plus rencontrer de difficultés biens du clergé régulier et séculier, elle ne

bien sérieuses. Les idées de Mirabeau sur la

propriété une fois acceptées, quelle espèce de droit supérieur au droit de l'Etat le clergé aurait-il pu invoquer? Et d'ailleurs le titre nonymes, quel si grand intérêt pouvaient de salarié et celui de propriétaire étant syavoir les ministres du culte à rester possesseurs de terre plutôt qu'à devenir pensionnaires du budget, comme les autres fonctionpréparées à la confiscation: il ne fallait naires publics? Les voies étaient donc bien qu'appliquer des principes déjà approuvés, applaudis par la majorité de l'Assemblée. L'issue de la discussion ne pouvait pas être douteuse. Il est cependant curieux d'en suivre les phases et d'apprécier les raisons qui furent données par les défenseurs de la propriété, des traditions historiques et de celles de l'Eglise.

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