« pourvu qu'elle nous effraie, et qu'en nous effrayant elle nous sauve. Tremblons done, chrétiens; tremblons devant lui à chaque moment, car qui pourroit ou l'éviter quand il éclate, ou le découvrir quand il se cache? « Ils mangeoient, dit-il, ils buvoient, «< ils achetoient, ils vendoient, ils plantoient, ils bâtissoient, ils faisoient des mariages aux jours « de Noé, et aux jours de Loth » (1), et une subite ruine les vint accabler. Ils mangeoient, ils buvoient, ils se marioient ; c'étoient des occupations innocentes: que sera-ce quand, en contentant nos impudiques desirs, en assouvissant nos vengeances et nos secretes jalousies, en accumulant dans nos coffres des trésors d'iniquité, sans jamais vouloir séparer le bien d'autrui d'avec le nôtre, trompés par nos plaisirs, par nos jeux, par notre santé, par notre jeunesse, par l'heureux succès de nos affaires, par nos flatteurs, parmi lesquels il faudroit peut-être compter des directeurs infideles que nous avons choisis pour nous séduire; et enfin par nos fausses pénitences, qui ne sont suivies d'aucun changement de nos mœurs, nous viendrons toutà-coup au dernier jour? La sentence partira d'enhaut: « La fin est venue, la fin est venue; finis venit, venit finis (2): la fin est venue sur vous; « (1) Sicut factum est in diebus Noe, ita erit et in diebus filii hominis.... uxores ducebant, et dabantur ad nuptias... similiter sicut factum est in diebus Loth: edebant et bibebant, emebant et vendebant, plantabant et ædificabant. Luc. c. 17, v. 26, 27, 28. (2) EZECH. C. 7, V. 2. nunc finis super te: tout va finir pour vous en « ce moment. Tranchez, concluez; fac conclusio« nem » (1). « Frappez l'arbre infructueux qui n'est plus bon que pour le feu: Coupez l'arbre, arra« chez ses branches, secouez ses feuilles, abattez ses « fruits» (2): périsse par un seul coup tout ce qu'il avoit avec lui-même ! Alors s'éleveront des frayeurs mortelles et des grincements de dents, préludes de ceux de l'enfer. Ah! mes freres, n'attendons pas ce coup terrible! le glaive qui a tranché les jours de la reine est encore levé sur nos têtes; nos péchés en ont affilé le tranchant fatal. « Le glaive que je tiens en main, dit le Seigneur notre Dieu, est aiguisé et poli: il est aiguisé, afin qu'il perce; « est poli et limé, afin qu'il brille » (3). Tout l'univers en voit le brillant éclat. Glaive du Seigneur, quel coup vous venez de faire! Toute la terre en est étonnée. Mais que nous sert ce brillant qui nous étonne, si nous ne prévenons le coup qui tranche? Prévenons-le, chrétiens, par la pénitence. Qui pourroit n'être pas ému à ce spectacle! Mais ces émotions d'un jour, qu'operent-elles? un dernier endurcissement, parcequ'à force d'être touché inutilement, on ne se laisse plus toucher d'aucun objet. (1) EZECH.C.7, v. 23. il (2) Clamavit fortiter, et sic ait: Succidite arborem, et præcidite ramos ejus; excutite folia ejus, et dispergite fructus ejus. DAN. c. 4, v.11. (3) Hæc dicit Dominus Deus, Loquere: Gladius, gladius exacutus est et limatus. Ut cædat victimas exacutus est; ut splendeat limatus est. EZECH, C. 21, V. 9, 10. Le sommes-nous des maux de la Hongrie et de l'Au triche ravagées? Leurs habitants passés au fil de l'épée, et ce sont encore les plus heureux; la captivité entraîne bien d'autres maux et pour le corps et pour l'ame: ces habitants désolés, ne sont-ce pas des chrétiens et des catholiques, nos freres, nos propres membres, enfants de la même église, et nourris à la même table du pain de vie? Dieu accomplit sa parole: « Le jugement commence « par sa maison » (1), et le reste de la maison ne tremble pas! Chrétiens, laissez-vous fléchir, faites pénitence; appaisez Dieu par vos larmes. Ecoutez la pieuse reine qui parle plus haut que tous les prédicateurs : écoutez-la, princes; écoutez-la, peuples; écoutez-la, monseigneur, plus que tous les autres. Elle vous dit par ma bouche, et par une voix qui vous est connue, que la grandeur est un songe, la joie une erreur, la jeunesse une fleur qui tombe, et la santé un nom trompeur. Amassez donc les biens qu'on ne peut perdre; prêtez l'oreille aux graves discours que S. Grégoire de Nazianze adressoit aux princes et à la maison régnante: «Respectez, « leur disoit-il, votre pourpre, respectez votre puis«sance qui vient de Dieu, et ne e l'employez que pour « le bien. Connoissez ce qui vous a été confié, et le grand mystere que Dieu accomplit en vous: il se « réserve à lui seul les choses d'en-haut; il partage « avec vous celles d'en-bas: montrez-vous dieux aux (1) Tempus est ut incipiat judicium a domo Dei. 1 Pet. c.4. v. 17. peuples soumis, en imitant la bonté et la magnificence divines (1). C'est, monseigneur, ce que vous demandent ces empressements de tous les peuples, ces perpétuels applaudissements, et tous ces regards qui vous suivent. Demandez à Dieu, avec Salomon, sagesse (2), qui vous rendra digne de l'amour des peuples et du trône de vos ancêtres; et quand vous songerez à vos devoirs, ne manquez pas de considérer à quoi vous obligent les immortelles actions de Louis le Grand, et l'incomparable piété de Marie-Thérese. la (1) Imperatores, purpuram vereamini....Cognoscite quantum id sit, quod vestræ fidei commissum est, quantumque circa vos mysterium.... Supera solius Dei sunt; infera autem vestra etiam sunt. Subditis vestris deos VOS præbete. ORAT. 27, p.471. B. (2) Sap. c. 9. RIN DE L'ORAISON FUNEBRE DE MARIE-TH. D'AUTRICHE. D'ANNE DE GONZAGUE DE CLEVES, PRINCESSE PALATINE, prononcée en présence de monseigneur le Duc, de madame la Duchesse, et de monseigneur le duc de Bourbon, dans l'église des carmélites du faubourg Saint-Jacques, le neuvieme jour d'août 1685. APPREHENDI te ab extremis terræ, et a longinquis ejus vocavi te: elegi te, et non abjeci te: ne timeas, quia ego tecum sum. Je t'ai pris par la main pour te ramener des extrémités de la terre: je t'ai appelé des lieux les plus éloignés; je t'ai choisi, et je ne t'ai pas rejeté: ne crains point, parceque je suis avec toi (1). « C'est Dieu même qui « parle ainsi. » MONSZIGE ONSEIGNEUR, Je voudrois que toutes les ames éloignées de Dieu, que tous ceux qui se persuadent qu'on ne peut se vaincre soi-même ni soutenir sa constance parmi les combats et les douleurs, tous ceux enfin (1) ISA. c. 41, v.9, 10. |