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blic, rigide censeur des hommes de cette fortune et de ce rang, n'y a rien vu que de modéré: on a vu ses biens accrus naturellement par un si long ministere et par une prévoyante économie ; et on ne fait qu'ajouter à la louange de grand magistrat et de sage ministre celle de sage et vigilant pere de famille, qui n'a pas été jugée indigne des saints patriarches. Il a donc, à leur exemple, quitté sans peine ce qu'il avoit acquis sans empressement: ses vrais biens ne lui sont pas ôtés, et sa justice demeure aux siecles des siecles. C'est d'elle que sont découlées tant de graces et tant de vertus que sa derniere maladie a fait éclater. Ses aumônes, si bien cachées dans le sein du pauvre, ont prié pour lui (1): sa main droite les cachoit à sa main gauche; et, à la réserve de quelque ami qui en a été le ministre ou le témoin nécessaire, ses plus intimes confidents les ont ignorées; mais le « Pere qui les a vues dans le « secret lui en a rendu la récompense» (2). Peuples, ne le pleurez plus; et vous qui, éblouis de l'éclat du monde, admirez le tranquille cours d'une si longue et si belle vie, portez plus haut vos pensées. Quoi donc quatre-vingt-trois ans passés au milieu des prospérités, quand il n'en faudroit retrancher ni

(1) Conclude eleemosynam in corde pauperis: et hæc pro te exorabit. EccL. c. 29, v. 15.

(2) Te faciente eleemosynam nesciat sinistra tua quid faciat dextera tua.... Et pater tuus, qui videt in abscon dito, reddet tibi. MATTH. c. 6, v. 3, 4.

l'enfance, où l'homme ne se connoît pas, ni les maladies, où l'on ne vit point, ni tout le temps dont on a toujours tant de sujet de se repentir, paroîtront-ils quelque chose à la vue de l'éternité où nous nous avançons à si grands pas ? Après cent trente ans de vie, Jacob, amené au roi d'Egypte, lui raconte la courte durée de son laborieux pélerinage, qui n'égale pas les jours de son pere Isaac ni de son aïeul Abraham (1). Mais ces ans d'Abraham et d'Isaac, qui ont fait paroître si courts ceux de Jacob, s'évanouissent auprès de la vie de Sem, que celle d'Adam et de Noé efface. Que si le temps comparé au temps, la mesure à la mesure, et le terme au terme, se réduit à rien; que sera-ce si l'on compare le temps à l'éternité, où il n'y a ni mesure ni terme? Comptons donc comme très court, chrétiens, ou plutôt comptons comme un pur néant tout ce qui finit, puisqu'enfin, quand on auroit multiplié les années au-delà de tous les nombres connus, visiblement ce ne sera rien quand nous serons arrivés au terme fatal. Mais peut-être que, prêt à mourir, on comptera pour quelque chose cette vie de réputation, ou cette imagination de revivre dans sa famille qu'on croira laisser solidement établie? Qui ne voit, mes freres, combien vaines, mais combien courtes

(1) Respondit (Jacob): Dies peregrinationis meæ centum triginta annorum sunt, parvi et mali; et non pervenerunt usque ad dies patrum meorum, quibus peregrinati sunt. GENES. c. 47, v. 9.

et combien fragiles sont encore ces secondes vies que notre foiblesse nous fait inventer pour couvrir en quelque sorte l'horreur de la mort! Dormez votre sommeil, riches de la terre, et demeurez dans votre poussiere. Ah! si quelques générations, que dis-je?. si quelques années après votre mort vous redeveniez hommes, oubliés au milieu du monde, vous vous hâteriez de rentrer dans vos tombeaux, pour ne voir pas votre nom terni, votre mémoire abolie, et votre prévoyance trompée dans vos amis, dans vos créatures, et plus encore dans vos héritiers et dans vos enfants! Est-ce là le fruit du travail dont vous vous êtes consumés sous le soleil, vous amassant un trésor de haine et de colere éternelle au juste jugement de Dieu? Sur-tout, mortels, désabusez-vous de la peusée dont vous vous flattez, qu'après une longue vie la mort vous sera plus douce et plus facile. Ce ne sont pas les années, c'est une longue préparation qui vous donnera de l'assurance; autrement un philosophe vous dira en vain que vous devez être rassasiés d'années et de jours, et que vous avez assez vu les saisons se renouveler, et le monde rouler autour de vous; ou plutôt que vous vous êtes assez vus rouler vous-mêmes et passer avec le monde. La derniere heure n'en sera pas moins insupportable, et l'habitude de vivre ne fera qu'en accroître le desir. C'est de saintes méditations, c'est de bonnes œuvres, ce sont ces véritables richesses que vous enverrez devant vous au siecle futur, qui vous inspireront de la force; et c'est par ce moyen que vous affermirez votre courage. Le vertueux Michel le Tellier vous en a donné l'exemple; la sagesse, la fidélité, la justice, la mo

destie, la prévoyance, la piété, toute la troupe saorée des vertus, qui veilloient pour ainsi dire autour de lui, en ont banni les frayeurs, et ont fait du jour de sa mort le plus beau, le plus triomphant, le plus heureux jour de sa vie.

FIN DE L'OPAISON FUNEBRE DE MICHEL LE TELLIER.

ORAISON FUNEBRE

DE LOUIS DE BOURBON,

PRINCE DE CONDÉ,

Prononcée en l'église de Notre-Dame de Paris, le dixieme jour de mars 1687.

Dominus tecum, virorum fortissime.... Vade in hac fortitudine tua.... Ego ero tecum.

Le Seigneur est avec vous, ô le plus courageux de tous les hommes! Allez avec ce courage dont vous êtes rempli. Je serai avec vous. JUGES, c. 6, v. 12, 14, 16.

MONSEIGNEUR (1),

Au moment que j'ouvre la bouche pour célébrer la gloire immortelle de Louis de Bourbon, prince de Condé, je me sens également confondu et par la grandeur du sujet, et, s'il m'est permis de l'avouer, par l'inutilité du travail. Quelle partie du monde habitable n'a pas ouï les victoires du prince de Condé, et les merveilles de sa vie? on les raconte par-tout; le François qui les vante n'apprend rien

(1) M. le Prince, fils du défunt de Condé.

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