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qui doivent faire l'étonnement ou l'admiration des hommes, elle semble abandonner toutes ses lois; sa marche trompe tous nos raisonnemens; la nature alors s'écarte autant de ses voies accoutumées, que le grand homme qu'elle veut créer doit différer de ses semblables.

Le jeune Pascal reçoit avec douleur la défense de s'occuper de Géométrie parmi les études qui lui sont prescrites. Il veut du moins connaître l'objet d'une science qui mérite de captiver l'attention d'hommes si distingués, et vers laquelle il se sent si fortement entraîné lui-même. On lui en donne une définition telle qu'on croit devoir la donner à un enfant; il ne lui en faut pas davantage : il va créer lui-même à l'écart cette Géométrie qu'on veut lui cacher. La nature révèle à cet enfant le secret' de la philosophie des sciences; il sent le besoin d'une langue spéciale, qui, fixant ses premières idées, lui permette de s'élever à des idées nouvelles; il a recours à ce puissant artifice du langage qui soulage l'attention, et conduit par degrés aux notions générales et collectives. Ce jeune entendement reproduit l'intéressant phénomène de la création des méthodes philosophiques, regardée comme l'une des plus belles opérations de l'esprit humain.

Pascal se fait une nomenclature géométrique. Les premiers axiomes de la science s'offrent à son esprit; il s'appuie sur leur certitude et en poursuit les conséquences; il avance de vérités en vérités, et s'ouvre ainsi lui-même le chemin suivi par les grands Géomètres de l'antiquité. Harrive à ce théorême (1) devenu fameux par la mesure qu'il a donnée de ce qu'a pu faire une fois l'esprit d'un enfant livré à ses propres forces. I contemplait sans doute avec délices cette vérité nouvelle qu'il venait de trouver, lorsque son père le prit en faute...... O désobéissance digne d'ad

(1) La 32.ème proposition d'Euclide.

miration! Quels moyens de justification la nature a ménagés au coupable! comme elle s'est chargée de le faire absoudre! L'enfant Géomètre, interrogé par son père sur le fondement de sa dernière démonstration, revient sur un théorème antérieur; et, de l'un à l'autre, rétrograde avec ordre le long de la chaine de ses découvertes, jusqu'aux axiomes d'où il est parti...... Ne cherchons point à peindre l'étonnement, le trouble, l'agitation, le bonheur et les larmes d'un père à la vue d'un tel spectacle! Etienne Pascal, dit-on, en fut effrayé d'abord, et il est aisé de le concevoir. Dès-lors toute défense est levée : le jeune Pascal peut se livrer sans obstacle à l'étude d'une science qui lui appartient à si bon droit. En reprenant dans Euclide la route qu'il a devinée luimême, il n'a pas besoin de guide; et bientôt il peut siéger avec honneur dans ces mêmes assemblées dont on avait voulu l'exclure, mais auxquelles il s'est fait un titre si légitime. (c)

Quatre ans seulement s'écoulent, et Pascal fait voir un autre phénomène. S'élever, dans les sciences, à quelque haut point de vue d'où l'on puisse embrasser d'un coup-d'œil une foule de vérités qui se rangent comme autant de rayons autour d'un centre unique, qui se groupent comme de simples accessoires auprès d'une vérité primitive et fondamentale, c'est là une prérogative qui n'appartient qu'aux esprits d'un ordre supérieur; elle atteste une raison forte et étendue qui, dans ces sublimes spéculations, retrace quelques vestiges de la lumière éternelle d'où elle est émanée. Les annales des sciences nous en offrent quelques rares et beaux exemples. Il paraît que le jeune Pascal avait envisagé les sections coniques sous un rapport général, en les considérant comme de simples accidens d'une seule courbe qui se modifie de diverses manières, et que par ce moyen il avait entrevu et mis à découvert leurs principales analogies. Cette

méthode de tirer, en quelque façon, d'une même source, les propriétés communes ou spéciales de ces courbes, qui n'est qu'un jeu pour l'analyse moderne, ce procédé n'est point sans difficultés dans la marche purement géométrique où l'œil de l'esprit doit se porter sur chaque détail, où la pensée doit s'arrêter sur chaque fait avec une connaissance raisonnée, et se rendre un compte actuel de toutes les combinaisons qui s'opèrent entre les parties de l'étendue. On en jugerait mal, si l'on assimilait cette marche à la méthode puisée dans les artifices de cette analyse algébrique qui conduit le philosophe, infailli blement et comme par la main, au but qu'il se propose; méthode qui, plus savante, pour ainsi dire, que le Géomètre lui-même, redresse les questions qu'il a mal posées, en montre le côté faible ou en dévoile l'absurdité; qui va saisir, à l'insu du calculateur, des vérités ou des faits ignorés, liés à un même point de vue, les lui présente en un seul faisceau, et lui fournit le moyen d'en apercevoir tous les rapports.

C'est à seize ans que Pascal compose ce Traité des Coniques, où il rassemble tout ce que les anciens avaient écrit sur ces courbes ; d'un seul théorème fondamental il déduit, avec élégance et sans effort, quatre cents corollaires, qui comprennent toute la théorie donnée par le premier Géomètre de la fameuse école d'Alexandrie, par cet Apollonius de Perge, dont les œuvres, qui ont passé pour classiques, aux yeux de la docte antiquité, sont encore admirées, étudiées et commentées par les savans de nos jours (d).

Mais que ne devons-nous pas attendre désormais de cet esprit de force et de lumière qui anime toutes les facultés intellectuelles du jeune Pascal, et qui va croître encore avec l'àge, après avoir débuté par de tels essais? Occupé des moyens de soulager les cal

culateurs, Pascal trouve, dans ses méditations, cette étonnante Machine Arithmétique (1) dont on a tant parlé, et qu'on admire, en effet, d'autant plus, qu'on en examine et qu'on en découvre mieux le mécanisme. Le principe sur lequel elle est fondée est un trait de génie, et son exécution est à la fois un chef-d'œuvre de combinaison et de persévérance. On ne sait ce qui doit le plus surprendre, dans un jeune homme de dix-neuf ans, de la sagacité que suppose la conception de cette machine, ou du miracle de patience qui a pu la mettre à fin. Quelle est donc cette puissance surnaturelle du génie, qui imprime à un être matériel, assemblage inanimé de quelques pièces de bois et de métal, la faculté d'obéir à la volonté aveugle qui le met en action? On dispose la machine selon la nature des opérations que l'on doit faire une première impulsion suffit : ô prodige ! c'est la Machine qui calcule pour nous; et quelques tours d'aiguille nous donnent les résultats les plus compliqués dans leur génération, sans le moindre. concours de notre intelligence (e)!

Les recherches se pressent, les travaux se multiplient, les découvertes se succèdent avec rapidité; comment suffirons-nous à les décrire? Quel regret de ne pouvoir nous arrêter à chaque circonstance, et de mettre un frein à notre admiration! Ne retrouverions-nous pas le génie de Pascal dans l'invention de ce Triangle (2), dont le caractère original et

(1) Dans une lettre au chancelier Seguier, écrite en 1645, Pascal nous apprend que c'est aux longues opérations de calcul qu'il avait à exécuter relativement aux emplois de son père en Normandie, que lui vint la pensée de sa Machine Arithmétique.

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(2) Je n'ai pas cru devoir m'astreindre minutieusement à l'ordre des temps, dans l'exposition des travaux de Pascal: l'ordre des matières m'a paru le plus naturel à la fois et le plus avantageux; d'ailleurs, j'aurai pen de transpositions à faire, et la vie de Pascal, remplie de maux et de souffrances, a été malheureusement si courte pour les sciences, les lettres et la religion, que ce n'est pas la peine de distinguer les époques.

l'admirable

l'admirable fécondité ont obtenu le suffrage unanime des Géomètres (ƒ)? Ne retrouverions - nous pas le même génie dans cette première pensée de la théorie des Probabilités, de cette analyse magique qui dévoile les mystères de l'avenir, impose au hasard des lois invariables et enchaine les caprices les plus bizarres de la fortune (g)? Ne le retrouverions-nous pas encore dans ces divers Traités, dignes, comme tous les autres travaux de Pascal, d'intéresser la postérité la plus savante, et dont malheureusement le plus grand nombre est perdu (h) ?

Mais des objets d'un autre ordre appellent nos regards et vont porter notre admiration à son comble: passons aux célèbres problèmes de la Cycloïde (i).

L'œil peut suivre dans l'espace le chemin que parcourt le clou d'une roue en mouvement; les Géomètres ont fixé cette trace fugitive, et la courbe qu'elle donne et dont ils ont déterminé les lois, a reçu le nom de Roulette ou de Cycloïde. Cette courbe est l'une des plus curieuses qui aient excité l'attention des Géomètres. On l'a comparée à la pomme de discorde, à cause des débats ou des vives contestations que chaque point de sa théorie a fait naître parmi les savans. La découverte de ses propriétés a formé une époque remarquable dans l'histoire des sciences, par la variété des incidens et par la difficulté des problèmes.

Galilée remarque la Cycloïde (1), et trente ans après, l'aire de cette courbe est encore inconnue à cet homme de génie, aussi grand Géomètre qu'habile observateur de la nature, qui fut peut-etre le premier fondateur de la saine physique et le véritable précurseur de Newton (k). Galilée propose le problème de l'aire de la Cycloïde (2) au savant Cavalleri, qui

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