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Voyant que je ne pouvois rien gagner par mes prières sur l'esprit de cette reine, je pris la liberté de lui représenter qu'elle étoit dans la maison du roi de France, et qu'elle prît bien garde à ce qu'elle alloit faire exécuter, et si le roi le trouveroit bon. Sur quoi Sa Majesté me fit réponse qu'elle avoit cette justice en présence de l'autel, et qu'elle prenoit Dieu à témoin sielle en vouloit à la personne de ce marquis, et si elle n'avoit pas déposé toute haîne, ne s'en prenant qu'à son crime et à sa trahison qui n'auroit jamais de pareille, et qui touchoit tout le monde; outre que le roi de France ne la logeoit pas dans sa maison comme une captive réfugiée, qu'elle étoit maîtresse de ses volontés, pour rendre et faire justice à ses domestiques tout lieu et en tout tems, et qu'elle ne devoit répondre de ses actions qu'à Dieu seul, ajoutant que ce qu'elle faisoit n'étoit pas sans exemple. Je répartis à cette reine qu'il y avoit quelque différence : que si les rois avoient fait quelque chose de semblable, ç'avoit été chez eux et non ailleurs. Mais je n'eus pas plutôt dit ces paroles que je m'en repentis, craignant d'avoir trop pressé cette reine. Partant je lui dis encore: « Madame, dans l'honneur et l'estime que vous vous » êtes acquis en France, et dans l'espérance que tous les bons Français ont de votre négociation, je supplie » très humblemeut Votre Majesté d'éviter que cette ac» tion, quoiqu'à l'égard de Votre Majesté, madame, elle soit de justice, ne passe néanmoins dans l'esprit des

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qu'il entretenoit des liaisons avec les ennemis de cette reine, et se servoit de la familiarité qu'il avoit avec elle pour la rendre plus odieuse, et tramer sa perte?

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» hommes pour violente et précipitée; faites encore plu→ » tôt un acte généreux et de miséricorde envers ce pauvre marquis, ou du moins mettez-le entre les mains de la justice du roi, et faites-lui son procès dans les formes, » vous en aurez toute la satisfaction, et vous conserve» rez, Madame, par ce moyen, le titre d'Admirable (1) » que vous portez en toutes vos actions parmi tous les >> hommes. »> « Quoi! mon père, me dit cette reine, » moi en qui doit résider la justice absolue et souve» raine sur mes sujets, me voir réduite à solliciter » contre un traître domestique, dont les preuves de » son crime et de sa perfidie sont en ma puissance » écrits et signés de sa propre main!» « Il est vrai, » Madame, lui dis-je, mais Votre Majesté est partie inté »ressée. » Cette reine m'interrompit et me dit : «Non, » non, mon père, je le vais faire savoir au roi ; retournez » et ayez soin de son ame; je ne puis en conscience >> accorder ce que vous me demandez; » et ainsi me renvoya. Mais je connus à ce changement de voix en ces dernières paroles, que si cette reine eût pu différer l'action et changer de lieu, qu'elle l'auroit fait indu¬ bitablement; mais l'affaire etoit trop avancée pour prendre une autre résolution, sans se mettre en danger de laisser échapper ce marquis, et mettre sa propre vie au hasard. Dans cette extrémité, je ne savois que faire ni à quoi me résoudre de sortir je ne pouvois, et quand je l'aurois pu, je me voyois engagé par un

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(1) Cette reine, fille du grand Gustave, parut d'abord sì . digne de succéder à ce héros, que l'on regardoit avec plaisir son règne comme le triomphe des armes et des belles-lettres, et ses moindres entreprises comme dignes de toute l'admi ration; ce qui lui fit donner le surnom d'Admirable.

devoir de charité et de conscience à secourir ce marquis, pour le disposer à bien mourir.

» Je rentrai donc dans la galerie, et embrassant ce pauvre malheureux qui se baignoit en larmes, je l'exhortai dans les meilleurs termes et les plus pressans qu'il me fût possible, et qu'il plût à Dieu de m'inspide se résoudre à la mort, et de songer à sa conscience, puisqu'il n'y avoit plus dans ce monde d'espérance de vie pour lui, et qu'offrant et souffrant sa mort pour la justice, il devoit en Dieu seul jeter ses espérances pour l'éternité, où il trouvera ses consolations.

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A cette triste nouvelle, après avoir poussé deux ou trois grands cris, il se mit à genoux à mes pieds, et m'étant assis sur un des bancs de la galerie, il commença sa confession; mais l'ayant bien avancée, il se leva deux fois et s'écrioit. Au même instant je lui fis faire des actes de foi, renonçant à toutes pensées contraires. Il acheva sa confession en latin, français et italien, ainsi qu'il le pouvoit mieux expliquer dans le trouble où il étoit. L'aumônier de cette reine arriva comme je l'interrogeois en l'éclaircissement d'un doute, et ce ce marquis l'ayant aperçu, sans attendre l'absolution, alla à lui, espérant grâce de sa faveur. Ils parlèrent bas assez long-tems ensemble, se tenant les mains et retirés en un coin; et après leur conférence finie, l'aumônier sortant emmena avec lui le chef des trois commis pour cette exécution; et peu après l'aumônier étant demeuré dehors, l'autre revint seul et lui dit : « Marquis, de» mande pardon à Dieu; car sans plus attendre il faut >> mourir es-tu confessé? » Et lui disant ces paroles, le pressa contre la muraille du bout de la galerie où est la peinture de Saint-Germain-en-Laye, et je ne

pus si bien me détourner que je ne vis qu'il lui porta un coup dans l'estomac, du côté droit; et ce marquis le voulant parer, prit l'épée de la main droite, dont l'autre en la retirant lui coupa trois doigts, et l'épée demeura faussée; et pour lors il dit à un autre qu'il étoit armé dessous, comme en effet il avoit une cotte de maille qui pesoit neuf à dix livres, et le même à l'instant redoubla le coup dans le visage, après lequel ce marquis cria: «< Mon père, mon père ! » Je m'approchai de lui, et les autres se retirèrent un peu à quartier, et un genou en terre, demanda pardon à Dieu, et me dit encore quelques choses où je lui donnai l'absolution, avec la pénitence de souffrir la mort pour ses péchés, pardonnant à tous ceux qui le faisoient mourir, laquelle reçue, il se jeta sur le carreau, et en tombant, un autre lui donna un coup sur le haut de la tête, qui lui emporta des os, et étant étendu sur le ventre, faisoit signe et marquoit qu'on lui coupât le col, et le même lui donna deux ou trois coups sur le col sans lui faire grand mal, parce que la cotte de maille qui étoit montée avec le collet du pourpoint para et empêcha l'excès du coup. Cependant je l'exhortois de se souvenir de Dieu, et d'endurer avec patience, et autres choses semblables. En ce tems-là le chef me vint demander s'il ne le feroit pas achever? Je le rembarai rudement, et lui dit que je n'avois point de conseil à lui donner là-dessus; que je demandois sa vie et non pas sa mort. Sur quoi il me demanda pardon, et confessa avoir eu tort de m'avoir fait une telle demande.

<< Sur ce discours le pauvre marquis qui n'attendoit qu'un dernier coup (1), entendit ouvrir la porte de

(1) Toute la cour, dit madame de Motteville, se moqua du

la galerie, reprenant courage, se retourna, et ayant vu que c'étoit l'aumônier qui entroit, se traîna du mieux qu'il put, s'appuyant contre le lambris de la galerie, demanda à parler à lui. L'aumônier passa à la main gauche de ce marquis, moi étant à la droite, et le marquis se tournant vers l'aumônier, et joignant les mains, lui dit quelques choses comme se confessant, et après l'aumônier lui dit de demander pardon à Dieu, et après m'avoir demandé permission, il lui donna l'absolution, ensuite se retira, me disant de demeurer auprès du marquis, et qu'il s'en alloit voir la reine de Suède. En même tems celui qui avoit frappé sur le col dudit marquis, et qui étoit avec l'aumônier à sa gauche, lui perça la gorge d'une épée assez longue et étroite, duquel coup, le marquis tomba sur le côté droit, et ne parla plus, mais demeura plus d'un quartd'heure à respirer, durant lequel je lui criois et l'exhortois du mieux qu'il m'étoit possible. Et ainsi ce marquis ayant perdu son sang, finit sa vie à trois heures trois quarts après midi.Je lui dit le De profundis avec l'oraison; et après, le chef des trois lui remua une jambe et un bras, déboutonna son haut-de-chausse et son caleçon, fouilla dans son gousset, et ne trouva rien, sinon en sa poche un petit livre d'heures de la Vierge et un petit couteau. Ils s'en allèrent tous trois et moi après, pour recevoir les ordres de Sa Majesté. Cette reine, assurée de la mort dudit marquis, témoigna du regret d'avoir été obligée de faire faire cette exécution

pauvre mort, qui avoit bien su prendre la précaution inutile de se garnir d'une cotte de maille, et n'avoit pas eu assez de courage pour se défendre ou se sauver. Il falloit en effet que cette reine le connût bien.

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