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INTRODUCTION

A

L'HISTOIRE

UNIVERSELLE.

1. MICHELET.

PRÉFACE.

Ce petit livre pourrait aussi bien être intitulé : Introduction à l'histoire de France; c'est à la France qu'il aboutit. Et le patriotisme n'est pour rien en cela. Dans sa profonde solitude, loin de toute influence d'école, de secte ou de parti, l'auteur arrivait, et par la logique et par l'histoire, à une même conclusion: c'est que sa glorieuse patrie est désormais le pilote du vaisseau de l'humanité. Mais ce vaisseau vole aujourd'hui dans l'ouragan; il va si vite, si vite, que le vertige prend aux plus fermes, et que toute poitrine en est oppressée. Que puis-je

dans ce beau et terrible mouvement? Une seule chose: le comprendre ; je l'essayerai du moins. Mais il part de haut et de loin; ce ne serait pas trop de l'histoire du monde pour expliquer la France. Peutêtre aurai-je le temps d'exposer ailleurs ce que je ne puis qu'indiquer aujourd'hui. Je voudrais, dans ce rapide passage, obtenir quelques moments du tourbillon qui nous entraîne, seulement ce qu'il en faut pour l'observer et le décrire; qu'il m'emporte après, et me brise s'il veut!

Paris, 1er avril 1851.

A

L'HISTOIRE UNIVERSELLE.

Avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le monde, et pas avant; celle de l'homme contre la nature, de l'esprit contre la matière, de la liberté contre la fatalité. L'histoire n'est pas autre chose que le récit de cette interminable lutte.

Dans les dernières années, la fatalité semblait prendre possession de la science comme du monde. Elle s'établissait paisiblement dans la philosophie et dans l'histoire. La liberté a réclamé dans la société; il est temps qu'elle réclame aussi dans la science. Si cette introduction atteignait son but, l'histoire apparaîtrait comme l'éternelle protestation, comme le triomphe progressif de la liberté.

Sans doute la liberté a ses limites; je ne songe pas à les contester je ne les sens que trop dans l'action absorbante de la nature physique sur l'homme, mieux encore au trouble que ce monde ennemi jette en moi. Eh! qui n'a pas cent fois, au milieu des menaces et des séductions dont il nous obsède, maudit, nié la liberté?... Elle se meut pourtant, comme disait Galilée; en moi, quoi que je fasse, je trouve quelque chose qui ne veut pas céder, qui n'accepte le joug ni de l'homme, ni de la nature, qui ne se soumet qu'à la raison, à la loi, qui ne connaît point de paix entre soi et la fatalité. Dure à jamais le combat! il constitue la dignité de l'homme et l'harmonie même du monde.

Et il durera, n'en doutons pas, tant que la volonté humaine se roidira contre les influences de race et de climat; tant qu'un Byron pourra sortir de l'industrielle Angleterre pour vivre en Italie, et mourir en Grèce; tant que les soldats de la France iront, au nom de la liberté du monde, camper indifféremment vers la Vistule ou vers le Tibre 1.

Ce qui doit nous encourager dans cette lutte sans

1 Ceci était écrit en janvier 1830. Je n'ai pas cu le courage de l'effacer.

fin, c'est qu'au total la partie nous est favorable. Des deux adversaires, l'un ne change pas, l'autre change et devient plus fort. La nature reste la même, tandis que chaque jour l'homme prend quelque avantage sur elle. Les Alpes n'ont pas grandi, et nous avons frayé le Simplon. La vague et le vent ne sont pas moins capricieux, mais le vaisseau à vapeur fend la vague sans s'informer du caprice des vents et des mers.

Suivez d'orient en occident, sur la route du soleil et des courants magnétiques du globe, les migrations du genre humain; observez-le dans ce long voyage de l'Asie à l'Europe, de l'Inde à la France, vous voyez à chaque station diminuer la puissance fatale de la nature, et l'influence de race et de climat devenir moins tyrannique. Au point de départ, dans l'Inde, au berceau des races et des religions, the womb of the world, l'homme est courbé, prosterné sous la toute-puissance de la nature. C'est un pauvre enfant sur le sein de sa mère, faible et dépendante créature, gâté et battu tour à tour, moins nourri qu'enivré d'un lait trop fort pour lui. Elle le tient languissant et baigné d'un air humide et brûlant, parfumé de puissants aromates. Sa force, sa vie, sa pensée, y succombent. Pour être multiplié à l'excès et comme dédaigneusement prodigué, l'homme n'en est pas plus fort; la puissance de vie et de mort est égale dans ces climats. A Bénarès, la terre donne trois moissons par an. Une pluie d'orage fait d'une lande une prairie. Le roseau du pays, c'est le bambou de soixante pieds de haut; l'arbre, c'est le figuier indien qui, d'une seule racine, donne une forêt. Sous ces végétaux monstrueux vivent des monstres. Le tigre y veille au bord du fleuve, épiant l'hippopotame qu'il atteint d'un bond de dix toises; ou bien un troupeau d'éléphants sauvages vient en fureur à travers la forêt, pliant, rompant les arbres à droite et à gauche. Cependant

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