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peu qui ne se relâchent, dès qu'ils n'y sentent plus les mêmes consolations, et qu'il s'y présente des obstacles à vaincre. Or c'est néanmoins à cette constance que la faveur de Dieu est attachée. Oui, Seigneur, une victoire que nous remporterons sur nous-mêmes, un effort que nous ferons, un dégoût, un ennui que nous soutiendrons, sera, devant vous, d'un plus grand prix, et contribuera plus à nous avancer, que de stériles sentimens à certaines heures où vous répandez l'onction céleste, et que les plus sublimes élévations de l'ame; car ce sera dans cette victoire, dans cet effort, dans ce dégoût et cet ennui soutenus constamment, que nous vous donnerons les preuves les plus solides d'un dévouement sincère et fidèle. Les hommes du siècle qui n'ont nul usage des choses de Dieu, ne comprennent pas ce mystère; mais les justes qui en ont l'expérience, et à qui Dieu se fait sentir, le conçoivent bien. C'est ainsi que saint Jean est parvenu à la faveur de Jésus-Christ: voyons de quelle manière il en a usé. Je prétends que, comme le choix de ce favori a été juste et raisonnable de la part du Fils de Dieu, la faveur du Fils de Dieu a été, de la part de ce bienaimé disciple, également modeste et bienfaisante: je vais vous le montrer dans la seconde partie.

DEUXIÈME PARTIE.

Il n'est rien de plus rare dans le monde qu'un homme humble et élevé, puissant et bienfaisant, modeste par rapport à lui-même et charitable à l'égard des autres. Ce tempérament d'élévation et de modestie a je ne sais quoi qui tient de la nature des choses célestes et de la perfection même de Dieu: car Dieu, le plus parfait de tous les êtres, est aussi le plus simple et le plus égal: les cieux, dont la sphère est supérieure à celle de la terre, sont, dans leurs mouvemens rapides, les corps les

plus réglés et les plus justes; et c'est l'excellente idée que saint Jérôme nous donne d'une sage modération dans les prospérités humaines. Mais ce qu'il y a de plus admirable, ajoute ce Père, c'est avec cette modération, un naturel heureux, ouvert, libéral et obligeant; de sorte qu'on mette sa gloire à faire du bien, qu'on ne renferme point en soi-même les grâces dont on est comblé, qu'on se plaise à les répandre au dehors, et qu'on ne les reçoive que pour les communiquer. Alors, chrétiens, la faveur du particulier devient le bonheur public, et le favori n'est plus que le dispensateur des bienfaits du souverain; semblable à ces fleuves qui ne ramassent les eaux et ne se grossissent que pour arroser les campagnes, ou comme ces astres qui ne luisent que pour rendre la terre, par la bénignité de leurs influences, beaucoup plus féconde. Or, voilà le second caractère de la faveur de saint Jean: elle a été modeste et bienfaisante; en pouvoit-il faire un usage plus saint et plus propre à nous servir d'exemple?

Je dis modeste par rapport à lui. Voyez, dit saint Augustin, avec quelle humilité il parle de lui-même, ou plutôt, voyez avec quelle humilité il n'en parle pas. Jamais (cette remarque est singulière), jamais dans toute la suite de son évangile, s'est-il une fois nommé ? jamais a-t-il marqué qu'il s'agît de lui, ni fait connoître qu'il eût part à ce qu'il écrivoit? Pourquoi ce silence? les Pères conviennent que ce fut un silence de modestie, et qu'il n'a voulu de la sorte supprimer son nom, que parce qu'il n'avoit rien que d'avantageux et de grand à écrire de sa personne. C'est ce disciple, dit-il toujours, Hic est discipulus ille (1), ce disciple qui rend témoignage des choses qu'il a vues; ce disciple dont nous savons que le témoignage est vrai: ne croiroit-on pas qu'il parle d'un autre que de lui-même,

(1) Joan. 21.

et qu'en effet ce qu'il raconte ne le touche point? Il ne dit pas: C'est moi qui eus l'honneur d'être aimé de Jésus, c'est moi qui fus son confident, c'est moi qui entrai dans ses secrets les plus intimes; il se contente de dire: C'est ce disciple que Jésus aimoit : Discipulus quem diligebat Jesus (1); laissant aux interprètes à examiner si c'est lui qu'il entend, et, par la manière dont il s'explique, leur donnant lieu d'en douter; disant et publiant la vérité, parce que son devoir l'y engage, mais du reste dans la vérité qu'il publie et qui lui est honorable, cherchant à n'être pas connu, et jusque dans son propre éloge, pratiquant la plus héroïque humilité. Si même, sans se nommer, il eût dit: C'est ce disciple qui aimoit Jésus, c'eût été une louange pour lui et la plus délicate de toutes les louanges, puisqu'il n'y a point de mérite comparable à celui d'aimer Jésus-Christ. Mais ce n'est point ainsi qu'il parle; il dit: C'est ce disciple que Jésus-Christ aimoit, parce qu'à être simplement aimé, il n'y a ni louange ni mérite, et que c'est une pure grâce de celui qui aime: voilà comment l'humilité de saint Jean est ingénieuse; voilà comment elle sait se retrancher contre les vaines complaisances que peuvent faire naître dans un cœur les faveurs et les dons de Dieu : que si néanmoins ce grand saint est quelquefois obligé de se déclarer et de parler ouvertement de lui, comme nous le voyons, surtout dans son Apocalypse; ah! mes chers auditeurs, c'est en des termes bien capables de confondre notre orgueil, en des termes que l'humilité même semble lui avoir dictés. Ecoutez-les, et dites-moi ce que vous y trouverez qui se ressente, non pas de la fierté ou de la hauteur, mais de la moindre présomption qu'il y auroit à craindre de la part d'un favori: Ego Joannes, frater vester (2). Oui, dit-il, en s'adressant à nous et à tous les (2) Apoc. 4.

- (1) Joan. 21.

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fidèles qu'il instruisoit dans ce livre divin, c'est moi qui vous écris, moi qui suis votre frère, moi qui me fais un honneur d'être votre compagnon et votre associé dans le service de Jésus-Christ: Ego frater vester. Un apôtre, chrétiens, un prophète, un homme de miracles, le favori d'un Dieu se glorifier d'être notre frère, et mettre cette qualité à la tête de toutes les autres, estce là s'élever et se méconnoître ?

Faveur non-seulement modeste dans les sentimens que saint Jean eut de lui-même, mais utile et bienfaisante pour nous; et c'est ici que je vous prie de vous appliquer, et de comprendre combien nous sommes redevables à ce glorieux apôtre: car n'est-il pas étonnant qu'un homme, si grand devant Dieu, ne soit entré dans la faveur de son maître que pour nous en faire part, et qu'il n'ait été, si je puis user de cette figure, un vaisseau d'élection, que pour contenir les lumières et les grâces abondantes qui nous étoient réservées, et que Dieu par son ministère vouloit nous communiquer? Or c'est de quoi nous avons l'évidente démonstration, et la voici car si Jésus-Christ confie ses secrets à saint Jean, saint Jean, sans craindre de les violer et par le mouvement de la charité qui le presse, nous les révèle ; si Jésus-Christ, comme Fils de Dieu, lui découvre les plus hauts mystères de sa divinité, saint Jean se regarde comme inspiré et suscité pour en instruire toute l'Eglise; si Jésus-Christ, comme Fils de l'homme, lui apparoît dans l'île de Patmos, et se manifeste à lui par de célestes visions, saint Jean, animé d'un zèle ardent, prend soin de les rendre publiques, et veut, pour l'édification du peuple de Dieu, qu'on sache ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu dans ces prodigieuses extases; au lieu que saint Paul, après avoir été ravi jusqu'au troisième ciel, avoue seulement que Dieu lui avoit appris des choses surprenantes, mais des choses ineffables, et dont il n'é

toit pas permis à un homme mortel de parler : Arcana verba quæ non licet homini loqui (1); saint Jean, plein de cet esprit d'amour dont il a reçu l'onction, tient un langage tout opposé: Quod vidimus et audivimus, hoc annuntiamus vobis, ut et vos societatem habeatis nobiscum (2). Je vous prêche, disoit-il, mes chers enfans, ce que j'ai vu et ce que j'ai ouï, afin que vous soyez unis avec moi dans la même société : car je ne veux rien avoir de caché pour vous, et tout mon désir est de vous voir aussi éclairés et aussi intelligens que je le suis moi-même dans les voies de Dieu; sans cela mon zèle ne seroit pas satisfait; sans cela les hautes lumières dont Dieu m'a rempli, ne seroient pas pour moi des grâces entières et parfaites; c'est pour vous qu'elles m'ont été données, c'est pour vous que j'ai prétendu les recevoir; et voilà pourquoi non-seulement je vous prêche, mais je vous écris tout ceci, afin que votre joie soit pleine et qu'il ne manque rien à votre bonheur: Et hæc scribimus vobis ut gaudeatis, et gaudium vestrum sit plenum (3).

Aussi est-ce à saint Jean que nous devons la connoissance des personnes divines; c'est lui qui nous a découvert ce profond abîme de la trinité, où notre foi ne trouvoit que des obscurités et des ténèbres; c'est de lui, selon la remarque de saint Hilaire, que l'Eglise a emprunté toutes les armes dont elle s'est servie pour combattre les ennemis de cet auguste mystère. Par où confondoit-on les ariens? par l'évangile de saint Jean; par où les sabelliens, les macédoniens et tant d'autres hérétiques, étoient-ils convaincus d'erreur dans les anciens conciles? par l'évangile de saint Jean; c'est saint Jean qui nous a donné, en trois courtes paroles, tout le précis de la plus éminente théologie et de la plus sublime religion, quand il nous a dit que le Verbe s'est fait chair: Verbum caro factum est (4). Marie, belle pensée

(1) 2. Cor. 12. (3) 1. Joan, 1. — (3) Ibid. — (4) Ibid.

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