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avec tant d'autorité et tant de grâce, que quand il a été lui-même crucifié; et ma pensée sur ce point n'a presque pas même besoin d'éclaircissement; car pour vous la rendre en deux mots, non-seulement intelligible, mais sensible, il n'appartient pas à toutes sortes de personnes de prêcher la croix. C'est une vérité éternelle qu'il faut porter sa croix ; et que, pour la porter en chrétien, il la faut porter volontairement jusqu'à l'aimer, et jusqu'à s'en glorifier: Absit gloriari, nisi in cruce Domini nostri (1). Mais cette vérité, quoiqu'éternelle, n'a pas la même grâce dans la bouche de tout le monde: les hommes, pour être sauvés, ont intérêt de la bien comprendre ; mais en même temps ils ont une secrète opposition à en être instruits par ceux qui ne la pratiquent pas, et qui n'en font nulle épreuve; et si quelquefois un mondain s'ingère de leur en faire des leçons, bien loin de s'y rendre dociles, ils se révoltent, et ne peuvent souffrir qu'un homme à qui rien ne manque, et qui jouit tranquillement des douceurs de la vie, ose leur prêcher la pénitence et la mortification. Aussi, comme remarque saint Chrysostôme, Jésus-Christ, tout Dieu qu'il étoit, pour s'accommoder là-dessus à la disposition des hommes, ne vint annoncer au monde l'évangile de la croix qu'en se faisant lui-même un homme de douleurs, c'est-à-dire, un homme dévoué à la souffrance et à la croix : Vir dolorum (2). Indépendamment de cette qualité, il avoit toute l'autorité d'un Dieu, j'en conviens ; mais s'il n'avoit été que Fils de Dieu, ou s'il avoit toujours été comme fils de l'homme, dans la béatitude et dans la gloire, sans participer à nos peines, il lui eût manqué par rapport à nous une certaine autorité d'expérience et d'exemple, sur quoi est fondé le droit dont je parle, de prêcher aux autres la croix; et de là vient qu'il se détermina à souffrir car c'est ce

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sagesse

que le grand Apôtre a prétendu nous déclarer, quand il a dit de ce divin législateur avoit paru que la en ce qu'étant Fils de Dieu, il avoit appris par luimême et par ce qu'il avoit souffert comme homme, l'obéissance qu'il exigeoit des hommes, et qu'il vouloit les obliger de rendre à sa loi : loi parfaite, mais sévère, dont toutes les maximes vont à nous faire comprendre la sainteté, l'utilité, la nécessité de la croix : Qui cùm esset Filius Dei, didicit ex iis quæ passus est, obedientiam (1).

En effet, il est aisé d'exhorter les autres à la pratique d'une vie austère, au retranchement des plaisirs, au crucifiement de la chair, tandis qu'il n'en coûte rien. Un homme bien nourri, disoit saint Jérôme, n'a point de peine à discourir de l'abstinence et du jeûne; un homme abondamment pourvu de tout, à qui rien ne manque, et qui est en possession de mener une vie agréable et commode, s'érige aisément en prédicateur de la plus exacte réforme. Mais quelque éloquent et quelque zélé qu'il puisse être, on croit toujours avoir droit d'en appeler à son exemple, et de lui répondre que ce zèle de réforme ne lui convient pas, que ce langage lui sied mal, et que, s'il veut porter les choses à cette rigueur, il devroit chercher des auditeurs dont il fùt un peu moins connu. Non pas dans le fond que ce reproche soit absolument légitime, puisque JésusChrist ordonnoit qu'on obéît aux pharisiens, du moment qu'ils étoient assis sur la chaire de Moïse, et qu'on respectât leur doctrine, quoique leur conduite y fût toute contraire; mais parce qu'il est vrai que cette contrariété entre la doctrine et la vie, est au moins un spécieux prétexte dont notre malignité ne manque pas de se prévaloir contre les vérités dures qu'on nous prêche ; et parce que naturellement nous nous élevons contre (1) Hebr. 5.

repro

quiconque entreprend de nous assujettir à toute la rigueur de nos devoirs, et n'est pas pour cela bien autorisé. Or là-dessus saint André a eu tout l'avantage que peut avoir un apôtre : car il a prêché la croix dans un état où les censeurs les plus critiques et les ennemis de la croix les plus déclarés n'avoient rien à lui cher. Il ne l'a pas prêchée comme ces docteurs hypocrites dont saint Matthieu parle, qui mettent sur les épaules des autres des fardeaux pesans, et qui ne voudroient pas eux-mêmes les remuer du doigt; il ne l'a pas prêchée comme ceux dont saint Paul disoit à Timothée, qu'il viendroit dans les derniers jours des hommes qui auroient l'apparence de la plus éclatante piété, mais qui seroient remplis de l'amour d'eux-mêmes, enflés d'orgueil et pervertis dans la foi; c'est-à-dire, il ne l'a pas prêchée comme ont fait presque dans tous les siècles certains prétendus réformateurs de l'Eglise, qui, connus d'ailleurs pour des hommes sensuels, n'en étoient pas moins hardis à invectiver contre la mollesse ; déplorant les relâchemens de la pénitence, tandis qu'ils en rejetoient les œuvres pénibles et laborieuses; plus occupés peut-être de leurs personnes et du soin de leurs corps, que n'auroit été un mondain de profession. Non, chrétiens, ce n'est saint André a prêché ainsi pas que la croix; mais pour la prêcher, il s'est mis lui-même sur la croix. La croix a été la chaire d'où il s'est fait entendre: c'est de là, comme nous lisons dans les actes de sa vie, qu'il exhortoit le peuple à embrasser ce moyen salutaire et nécessaire, dont dépend tout le bonheur des élus de Dieu; et voilà non-seulement ce qui l'autorisoit, mais ce qui donnoit de la force à sa parole, pour annoncer le mystère de la croix avec plus d'efficace et de conviction.

C'est le second avantage de son apostolat, dit saint Chrysostôme, d'avoir montré par là jusqu'à quel point

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il étoit persuadé lui-même de la vérité qu'il prêchoit, et d'avoir eu par là même le don d'en persuader si fortement les autres, que tout infidèles qu'ils étoient, ils n'ont pu résister à la sagesse et à l'esprit de Dieu qui parloit en lui. Il faut, ajoutoit saint Bernard, et permettez-moi d'appliquer sa pensée à mon sujet, il faut que le prédicateur de l'évangile, pour convertir les cœurs, fortifie sa voix ; et parce que sa voix n'est que foiblesse, il faut qu'elle soit accompagnée d'une autre voix puissante et pleine de force: Dabit voci suæ vocem virtutis (1). Mais quelle est cette voix puissante et pleine de force? la voix de l'action, cette voix infiniment plus éloquente, plus pénétrante, plus touchante que tous les discours : montrez-moi par vos exemples et par vos œuvres, que vous êtes vous-même persuadé, et alors votre voix me persuadera et me convertira : Dabis voci tuæ vocem virtutis, si quod mihi suades priùs tibi videaris persuasisse (2). Or voilà par où saint André triompha, et de l'infidélité des païens, et de la dureté des Juifs. Il veut que sa voix soit pour eux cette voix toute-puissante, qui, selon le Prophète, abat les cèdres et brise les rochers; il veut que sa voix ait la vertu d'amollir les cœurs les plus endurcis, et de soumettre les esprits les plus superbes : Vox Domini confringentis cedros,vox Domini concutientis desertum(3). Que fait-il? il commence par les convaincre qu'il est lui-même parfaitement et solidement convaincu de ce qu'il leur prêche; qu'il est, dis-je, convaincu de la nécessité d'embrasser la croix de Jésus-Christ, de s'attacher à elle par un esprit de foi, et de s'en appliquer les fruits par le long usage des souffrances de la vie.

Car quelle preuve plus authentique leur peut-il donner sur cela de la persuasion où il est, que l'empressement et l'ardeur qu'il témoigne pour souffrir? on lui (1) Ps. 67. (2) Bern.

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(3) Ps. 28.

prononce son arrêt, et tout à coup il est saisi d'un mouvement de joie, qui va jusqu'à l'extase et au ravissement; le peuple veut s'opposer à l'exécution de cet arrêt, et André s'en tient offensé; on le conduit au supplice, et d'aussi loin qu'il envisage la croix qui lui est préparée, il la salue dans des termes pleins d'amour et de tendresse ; il se fait une émotion populaire, pour le délivrer : Hé quoi! mes frères, leur dit-il, êtes-vous donc jaloux de mon bonheur? Faut-il qu'en vous intéressant pour moi, vous conspiriez contre moi, et que par une fausse compassion, vous me fassiez perdre le mérite d'une mort si précieuse? Le juge intimidé s'offre à l'élargir, et André le rassure; le juge commande qu'on le détache de la croix, et André proteste que c'est en vain, parce qu'il y est attaché par des liens invisibles que l'enfer même ne peut rompre, qui sont les liens de sa foi et de sa charité : s'il n'étoit en effet persuadé, penseroit-il, parleroit-il, agiroit-il, souffriroit-il de la sorte? et pour marquer que ses sentimens sont sincères, persisteroit-il deux jours entiers dans le tourment le plus cruel: Biduo pendens (1), publiant toujours que JésusChrist est le seul Dieu qu'il faut adorer, et que toute la sainteté, toute la prédestination des hommes est renfermée dans la croix? Mais supposé le témoignage que saint André rendit à cette vérité, quelle conséquence les spectateurs de son martyre n'étoient-ils pas forcés de tirer en faveur de Jésus-Christ et de sa religion? considérant cet homme, d'ailleurs vénérable par l'intégrité de sa vie, illustre par les miracles qu'il avoit faits au milieu d'eux, et qui, par sa conduite pleine de sagesse, s'étoit attiré le respect des ennemis mêmes de son Dieu; le voyant, non pas mépriser ni braver la mort par une vaine philosophie, mais la désirer par un pur zèle de se conformer à son Sauveur crucifié; aimer par

(1) Act. mart. S. And.

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