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que personne n'a pensé ni cru, et où l'égarement de la raison, sans avoir rien de commun avec le salut, soit en quelque façon du droit et de la liberté publique. Il s'agit de la foi, dont la moindre altération est un crime; et où les fausses démarches que l'on fait aboutissent toutes à la perdition, et sont autant de chutes terribles, mais inévitables à un esprit présomptueux et singulier. Tandis que je m'en tiens à la foi de l'Eglise, je suis en sûreté de ce côté-là, et je jouis d'un profond repos. Je me trouve embarqué dans un vaisseau (autre pensée de saint Jérôme, dont il étoit touché), je me trouve embarqué dans un vaisseau qui peut bien être agité des vents et des tempêtes, mais qui ne peut faire naufrage; si j'en sors pour me laisser emporter aux mouvemens de mon esprit, dès-là je cours tous les risques de mes propres erreurs ; dès-là je ne puis me défendre de donner dans l'écueil de l'infidélité. Tel est néanmoins, mes chers auditeurs, le penchant de l'homme libertin ; il ne compte pour rien de risquer sa foi, d'exposer sa religion, et même de la corrompre, pourvu qu'il abonde en son sens. Damnable esprit de singularité, quels maux n'as-tu pas causés, et ne canses-tu pas encore tous les jours dans le monde chrétien? Revenons à notre évangile.

Non-seulement saint Thomas se sépara des apôtres, mais dans le doute où il étoit de la résurrection de son maître, il se préoccupa, et conclut d'abord qu'il ne croiroit pas: Non credam (1). Quelle raison eut-il de s'en déclarer de la sorte? point d'autre, dit saint Chrysostôme, qu'une prévention aveugle, qui lui fit` prendre parti sans savoir pourquoi, et qui l'engagea à contester et à nier une vérité, avant que de s'en éclaircir et de s'en instruire. En effet, s'il eût agi prudemment, son premier soin devoit être d'approfondir la chose ; il se seroit

(1) Joan. 20.

appliqué à en bien peser toutes les circonstances; il auroit écouté avec attention ce que lui disoient les disciples, et sur un témoignage si exprès et si unanime, il eût au moins suspendu son jugement; mais de commencer par une déclaration aussi formelle que celle-là: Non credam; et sans avoir rien examiné, dire absolument: Je ne croirai pas, ce ne peut être le langage que d'un esprit prévenu; et c'est aussi le second désordre que j'ai à combattre.

Combien y a-t-il de ces esprits prétendus forts, dont tout le raisonnement sur certains articles de la religion se réduit à cette parole de saint Thomas: Non credam? ils n'ont jamais pénétré la difficulté de ces questions, et peut-être à peine la conçoivent-ils; bien loin d'en avoir fait une étude exacte, ils avouent souvent que ces matières ne sont pas de leur ressort ; ils n'ont nulle évidence et nulle démonstration du contraire, et toutefois ils n'en disent pas moins hardiment: Non credam. En faut-il davantage pour les confondre? ce qui les rend inexcusables devant Dieu, c'est que, sur tout le reste, ils auront, si vous voulez, de la docilité. Proposez à un mondain de ce caractère les opinions les plus paradoxes d'une nouvelle philosophie qui fait bruit et se répand, il vous écoutera sans préoccupation; mais parlez-lui d'une vérité de foi, il semble qu'il soit en garde contre Dieu, et qu'il ait droit de tenir pour suspect son témoignage : n'y a-t-il pas en cela un abandonnement visible à ce que l'Ecriture appelle sens réprouvé? Non pas, chrétiens; prenez garde, s'il vous plaît, à cette remarque, non pas que l'intention de Dieu soit que nous donnions aveuglément et sans choix dans toute sorte de créance, ni qu'il s'ensuive de là que nous soyons obligés de recevoir, sans discussion, tout ce qu'on nous présente comme révélé de Dieu si cela étoit, notre foi ne seroit plus une foi discrète, ni par conséquent une foi divine; bien loin que

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Dieu le prétende ainsi,il exige au contraire qu'en matière même de foi, tant pour n'y être pas trompés, que pour en pouvoir rendre compte, nous nous instruisions des choses; et quoiqu'il nous défende de raisonner, quand nous sommes une fois convaincus que c'est lui qui nous parle, il trouve bon que nous raisonnions, pour nous assurer si c'est lui en effet qui a parlé; non-seulement il le trouve bon, mais il le veut, et selon la mesure de notre capacité, il nous l'ordonne: Nolite omni spiritui credere; probate spiritus an ex Deo sint (1). Mais il veut aussi, et avec justice, que nous fassions cet examen sans prévention, et que ce soit au moins avec le même respect que nous examinerions la parole d'un souverain de la terre, dont on nous signifieroit les ordres. Il veut, dit saint Augustin dans le livre admirable de l'Utilité de la foi, que nous ayons pour ses divins oracles, qui sont les Ecritures saintes, l'esprit et le cœur favorablement préparés ; et que, si dans ces sacrés volumes, ou dans toute l'économie de notre religion, il y avoit quelque chose qui nous troublât, ou même qui nous choquât, nous soyons plutôt disposés à confesser notre ignorance, qu'à rejeter des mystères que nous ne comprenons pas bien; mais surtout il veut que nous corrigions un certain esprit de malignité, qui fait qu'en ce qui regarde la foi nous ne souhaitons d'être éclairés que pour contredire, que pour critiquer, que pour philosopher, que pour disputer, et peut-être avec une intention secrète de ne nous laisser pas persuader; il veut, dis-je, si nous ne sommes pas encore parfaitement soumis à la foi, nous ne nous fassions pas de ce pernicieux esprit un obstacle à l'être; que, si nous ne connoissons pas encore le don de Dieu, nous ne nous rendions pas par là incapables de le connoître; enfin il veut que, comme nous comptons pour une vertu d'être dociles (1) Joan. 1. Epist. 4.

que,

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à l'égard des hommes, nous comptions pour un devoir indispensable et inviolable de l'être envers Dieu, afin de vérifier dans nos personnes la prédiction du Sauveur : Et erunt omnes docibiles Dei (1). Voilà ce que Dieu exige de nous pouvons-nous nous plaindre qu'il en use avec trop d'empire, et si nous n'avons pas pour lui cette docilité chrétienne, aura-t-il tort de nous punir dans toute la rigueur de sa justice? Mais savez-vous, mes chers auditeurs, ce qui augmente encore dans les mondains le désordre de cette préoccupation si contraire à l'esprit de la religion? écoutez-moi c'est la vaine crainte qu'ils ont d'une autre préoccupation tout opposée à celle-ci. Je m'explique : pleins d'une raison fière qui les enfle, ils craignent d'être préoccupés en faveur de la foi, et ils ne craignent pas d'être préoccupés contre la foi; ils appréhendent d'avoir trop de facilité et de disposition à croire, ils n'appréhendent jamais de n'en avoir pas assez; ils se défendent de la simplicité comme d'un foible, et ils ne pensent pas à se défendre de l'orgueil, qui est encore un plus grand foible. Cependant, mes frères, dit saint Augustin, lequel des deux est le plus dangereux pour nous ; et lorsqu'il faudra subir le jugement de Dieu, duquel des deux aurons-nous plus sujet de nous repentir, ou d'avoir été simples et humbles, ou d'avoir été superbes et incrédules? Quand cette simplicité de la foi, qui est la marque la plus infaillible de la vraie piété, nous auroit fait innocemment tomber en quelque erreur, quel mal nous en peut-il arriver, comparable à celui que notre opposition à la foi nous attirera? Je sais qu'il faut éviter l'un et l'autre excès; mais est-il juste de n'éviter l'un que pour s'abandonner à l'autre, et de se glorifier de celui-ci pendant qu'on auroit honte de celui-là? Esprit de prévention

(1) Joan. 6.

dont je défie le libertin de pouvoir devant Dieu se disculper. Allons plus avant.

Outre que saint Thomas se préoccupa, il s'opiniâtra dans son incrédulité. Tout le portoit à croire que que JésusChrist étoit ressuscité : le rapport des femmes qui l'avoient vu, le témoignage de Magdeleine qui lui avoit parlé, celui des deux disciples qui avoient mangé avec lui dans la bourgade d'Emmaüs; la déclaration de tous les apôtres assemblés, au milieu desquels il venoit de paroître; l'événement des choses, c'est-à-dire, le tombeau trouvé vide sous le sceau public, la synagogue alarmée, les gardes confus; tout cela sans doute devoit le convaincre de la résurrection de son maître. Mais malgré tout cela il persiste, et s'obstine à dire qu'il n'en eroira rien: autre caractère de l'infidélité du siècle, qui, par un endurcissement opiniâtre, se rend impénétrable et inflexible à la vérité. Pourroit-on se le persuader, si l'expérience ne nous l'apprenoit pas, qu'il y eût dans le monde de ces impies, qui, pour se confirmer dans une monstrueuse et scandaleuse impiété, font gloire de rejeter touteautorité; osent s'inscrire en faux contre les témoignages les plus évidens, contre les miracles les plus avérés, contre les faits les plus incontestables; pensent en être quittes pour dire que ceux qui attestent ces faits, quelque vénération qu'on ait pour leurs personnes, pour leur capacité, pour leur sainteté, les Cyprien, les Ambroise et les Augustin, ont été ou trompés euxmêmes, ou des trompeurs, ou des visionnaires, ou des imposteurs? C'est ainsi néanmoins que parle le libertin ̧ Le croiroit-on, que la corruption de l'esprit de l'homme allât jusqu'à se faire un point d'honneur de ne revenir jamais de son sentiment, de n'acquiescer jamais à la vérité, quand on s'est une fois déclaré contre elle; de pousser une erreur aux dernières extrémités, parce qu'on

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