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bois odorants, et ils faisoient voler sur les ondes de doubles canots aux voiles de jonc, aux banderoles de fleurs et de plumes. Il y avoit des danses et des sociétés consacrées aux plaisirs; les chansons et les drames de l'amour n'étoient point inconnus sur ces bords. Tout s'y ressentoit de la mollesse de la vie, et un jour plein de calme, et une nuit dont rien ne troubloit le silence. Se coucher près des ruisseaux, disputer de paresse avec leurs ondes, marcher avec des chapeaux et des manteaux de feuillages, c'étoit toute l'existence des tranquilles Sauvages d'Otaïti. Les soins qui, chez les autres hommes, occupent leurs pénibles journées, étoient ignorés de ces insulaires; en errant à travers les bois, ils trouvoient le lait et le pain suspendus aux branches des arbres.

Telle apparut Otaïti à Wallis, à Cook et à Bougainville. Mais, en approchant de ces rivages, ils distinguèrent quelques monuments des arts, qui se marioient à ceux de la nature : c'étoient les poteaux des moraï. Vanité des plaisirs des hommes ! Le premier pavillon qu'on découvre sur ces rives enchantées est celui de la mort, qui flotte au-dessus de toutes les félicités humaines.

Donc ne pensons pas que ces lieux où l'on ne trouve au premier coup d'œil qu'une vie insensée, soient étrangers à ces sentiments graves, nécessaires à tous les hommes. Les Otaïtiens, comme les autres peuples, ont des rites religieux et des cérémonies funèbres; ils ont surtout attaché une grande pensée de mystère à la mort. Lorsqu'on porte un

esclave au moraï, tout le monde fuit sur son passage; le maître de la pompe murmure alors quelques mots à l'oreille du décédé. Arrivé au lieu du repos, on ne descend point le corps dans la terre, mais on le suspend dans un berceau qu'on recouvre d'un canot renversé, symbole du naufrage de la vie. Quelquefois une femme vient gémir auprès du moraï; elle s'assied les pieds dans la mer, la tête baissée, et ses cheveux retombant sur son visage: les vagues accompagnent le chant de sa douleur, et

sa voix monte vers le Tout-Puissant avec la voix du tombeau et celle de l'océan Pacifique.

CHAPITRE VI.

TOMBEAUX CHRÉTIENS.

En parlant du sépulcre dans notre religion, le ton s'élève et la voix se fortifie: on sent que c'est là le vrai tombeau de l'homme. Le monument de l'idolâtre ne vous entretient que du passé; celui du chrétien ne vous parle que de l'avenir. Le christianisme a toujours fait en tout le mieux possible; jamais il n'a eu de ces demi-conceptions, si fréquentes dans les autres cultes. Ainsi, par rapport aux sépulcres, négligeant les idées intermédiaires qui tiennent aux accidents et aux lieux, il s'est distingué des autres religions par une coutume sublime; il a placé la cendre des fidèles dans l'ombre

des temples du Seigneur, et dépose les morts dans le sein du Dieu vivant.

Lycurgue n'avoit pas craint d'établir les tombeaux au milieu de Lacédémone; il avoit pensé, comme notre religion, que la cendre des pères, loin d'abréger les jours des fils, prolonge en effet leur existence, en leur enseignant la modération et la vertu, qui conduisent à une heureuse vieillesse. Les raisons humaines qu'on a opposées à ces raisons divines sont bien loin d'être convaincantes. Meurt-on moins en France que dans le reste de l'Europe, où les cimetières sont encore dans les villes?

Lorsque autrefois parmi nous on sépara les tombeaux des églises, le peuple, qui n'est pas si prudent que les beaux esprits, qui n'a pas les mêmes raisons de craindre le bout de la vie, le peuple s'opposa à l'abandon des antiques sépultures. Et qu'avoient en effet les modernes cimetières qui pût le disputer aux anciens ? Où étoient leurs lierres, leurs ifs, leurs gazons nourris depuis tant de siècles des biens de la tombe? pouvoient-ils montrer les os sacrés des aïeux, le temple, la maison du médecin spirituel, enfin cet appareil de religion qui promettoit, qui assuroit même une renaissance très prochaine? Au lieu de ces cimetières fréquentés, on nous assigna dans quelque faubourg un enclos solitaire abandonné des vivants et des souvenirs, et où la mort, privée de tout signe d'espérance, sembloit devoir être éternelle.

Qu'on nous en croie : c'est lorsqu'on vient à

toucher à ces bases fondamentales de l'édifice que les royaumes trop remués s'écroulent 1. Encore si l'on s'étoit contenté de changer simplement le lieu des sépultures! mais, non satisfait de cette première atteinte portée aux mœurs, on fouilla les cendres de nos pères, on enleva leurs restes, comme le manant enlève dans son tombereau les boues et les ordures de nos cités.

Il fut réservé à notre siècle de voir ce qu'on regardoit comme le plus grand malheur chez les anciens, ce qui étoit le dernier supplice dont on punissoit les scélérats, nous entendons la dispersion des cendres; de voir, disons-nous, cette dispersion applaudie comme le chef-d'œuvre de la philosophie. Et où étoit donc le crime de nos aïeux, pour traiter ainsi leurs restes, sinon d'avoir mis au jour des fils tels que nous ! Mais écoutez la fin de tout ceci, et voyez l'énormité de la sagesse humaine dans quelques villes de France, on bâtit des cachots sur l'emplacement des cimetières; on éleva les prisons des hommes sur le champ où Dieu avoit décrété la fin de tout esclavage; on édifia des lieux de douleurs, pour remplacer les demeures où toutes les peines viennent finir; enfin, il ne resta qu'une ressemblance, à la vérité effroyable, entre ces prisons

Les anciens auroient cru un état renversé si l'on eût violé l'asile des morts. On connoît les belles lois de l'Égypte sur les sépultures. Les lois de Solon séparoient le violateur des tombeaux de la communion du temple, et l'abandonnoient aux furies. Les Institutes de JUSTINIEN règlent jusqu'aux legs, l'héritage, la vente et le rachat d'un sépulcre, etc.

et ces cimetières, c'est là que s'exercèrent les jugements iniques des hommes, là où Dieu avoit prononcé les arrêts de son inviolable justice 1.

CHAPITRE VII.

CIMETIÈRES DE CAMPAGNE.

Les anciens n'ont point eu de lieux de sépulture plus agréables que nos cimetières de campagne: des prairies, des champs, des eaux, des bois, une riante perspective, marioient leurs simples images avec les tombeaux des laboureurs. On aimoit à voir le gros if qui ne végétoit plus que par son écorce, les pommiers du presbytère, le haut gazon, les

Nous passons sous silence les abominations commises pendant les jours révolutionnaires. Il n'y a point d'animal domestique qui, chez une nation étrangère un peu civilisée, ne fùt inhumé avec plus de décence que le corps d'un citoyen françois. On sait comment les enterrements s'exécutoient, et comment, pour quelques deniers, on faisoit jeter un père, une mère ou une épouse à la voirie. Encore ces morts sacrés n'y étoient-ils pas en sûreté; car il y avoit des hommes qui faisoient métier de dérober le linceul, le cercueil, ou les cheveux du cadavre. Il ne faut rapporter toutes ces choses qu'à un conseil de Dieu; c'étoit une suite de la première violation sous la monarchie. Il est bien à désirer qu'on rende au cercueil les signes de religion dont on l'a privé, et surtout qu'on ne fasse plus garder les cimetières par des chiens. Tel est l'excès de la misère où l'homme tombe, quand il perd la vue de Dieu, que, n'osant plus se confier à l'homme, dont rien ne garantit la foi, il se voit réduit à placer ses cendres sous la protection des animaux.

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