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ruine, et à celle de ces curieux examinateurs des cou tumes reçues. Mais, par un défaut contraire, les hommes croient quelquefois pouvoir faire avec justice tout ce qui n'est pas sans exemple. C'est pourquoi le plus sage des législateurs disait que, pour le bien des hommes, il faut souvent les piper; et un autre, bon politique: Cùm veritatem quâ liberetur ignoret, expedit quòd fallatur. Il ne faut pas qu'il sente la vérité de l'usurpation : elle a été introduite autrefois sans raison ; il faut la faire regarder comme authentique, éternelle, et en cacher le com. mencement, si on ne veut qu'elle prenne bientôt fin,

X.

Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu'il ne faut pour marcher à son ordinaire, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs ne sauraient en soutenir la pensée sans pâlir et suer. Je ne veux pas en rapporter tous les effets. Qui ne sait qu'il y en a à qui la vue des chats, des rats, l'écrasement d'un charbon, emportent la raison hors des gonds?

XI.

Ne diriez-vous pas que ce magistrat, dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu'il juge des choses par leur nature, sans s'arrêter aux vaines circonstances, qui ne

blessent que l'imagination des faibles? Voyez-le entrer dans la place où il doit rendre la justice. Le voilà prêt à écouter avec une gravité exemplaire. Si l'avocat vient à paraître, et que la nature lui ait donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, et si le hasard l'a encore barbouillé, je parie la perte de la gravité du magistrat.

XII.

L'esprit du plus grand homme du monde n'est pas si indépendant, qu'il ne soit sujet à être troublé pár le moindre tintamarre qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le bruit d'un canon pour empêcher ses pensées : il ne faut que le bruit d'une girouette ou d'une poulie. Ne vous étonnez pas s'il ne raisonne pas bien à présent; une mouche bourdonne à ses oreilles : c'en est assez pour le rendre incapable de bon conseil. Si vous voulez qu'il puisse trouver la vérité, chassez cet animal qui tient sa raison en échec, et trouble cette puissante intelligence qui gouverne les villes et les royaumes.

XIII.

La volonté est un des principaux organes de la croyance; non qu'elle forme la croyance; mais parce que les choses paraissent vraies ou fausses, selon la face par où on les regarde. La volonté, qui se plait à l'une plus qu'à l'autre, détourne l'esprit de considérer les qualités de celle qu'elle n'aime pas et ainsi l'esprit, marchant d'une pièce avec la

volonté, s'arrête à regarder la face qu'elle aime, et en jugeant parce qu'il y voit, il règle insensiblement sa croyance suivant l'inclination de la volonté.

XIV.

Nous avons un autre principe d'erreur, savoir, les maladies. Elles nous gâtent le jugement et le sens. Et si les grandes l'altèrent sensiblement, je ne doute point que les petites n'y fassent impression à proportion.

Notre propre intérêt est encore un merveilleux instrument pour nous crever agréablement les yeux. L'affection ou la haine changent la justice. En effet, combien un avocat, bien payé par avance, trouve-t-il plus juste la cause qu'il plaide ! Mais, par une autre bizarrerie de l'esprit humain, j'en sais qui, pour ne pas tomber dans cet amour-propre, ont été les plus injustes du monde à contre-biais. Le moyen sûr de perdre une affaire toute juste, était de la leur faire recommander par leurs proches parens.

XV.

L'imagination grossit souvent les plus petits objets par une estimation fantastique, jusqu'à en remplir notre âme; et, par une insolence téméraire, elle amoindrit les plus grands jusqu'à notre

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La justice et la vérité sont deux pointes si sub'tiles, , que nos instrumens sont trop émoussés pour

y toucher exactement. S'ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout autour, plus sur le faux que sur le vrai.

XVII.

Les impressions anciennes ne sont pas seules capables de nous amuser les charmes de la nouveauté ont le même pouvoir. De là viennent toutes les disputes des hommes, qui se reprochent, ou de suivre les fausses impressions de leur enfance, ou de courir témérairement après les nouvelles.

Qui tient le juste milien? Qu'il paraisse, et qu'il le prouve. Il n'y a principe, quelque naturel qu'il puisse être, même depuis l'enfance, qu'on ne fasse passer pour une fausse impression, soit de l'instruction, soit des sens. Parce que, dit-on, vous avez cru dès l'enfance qu'un coffre était vide lorsque vous n'y voyiez rien, vous avez crụ le vide possible; c'est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu'il faut que la science corrige. Et les autres disent au contraire: Parce qu'on vous a dit dans l'école qu'il n'y a point de vide, on a corrompu votre sens commun, qui le comprenait si nettement avant cette mauvaise impression qu'il fant corriger en recourant à votre première nature.

Qui a donc trompé, les sens ou l'instruction?

XVIII.

Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien ; et le titre par lequel ils le possèdent n'est, dans son origine, que la fantaisie de ceux qui ont ***

fait les lois. Ils n'ont aussi aucune force pour le posséder sûrement: mille accidens le leur ravissent. Il en est de même de la science : la maladie nous l'ôte.

XIX.

Qu'est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés? Dans les enfans, ceux qu'ils ont reçus de la coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux.

Une différente coutume donnera d'autres principes naturels. Cela se voit par expérience. Et s'il y en a d'ineffaçables à la coutume, il y en a aussi de la coutume ineffaçables à la nature. Cela dépend de la disposition.

Les pères craignent que l'amour naturel des enfans ne s'efface. Quelle est donc cette pature sujette à être effacée? La coutume est une seconde nature qui détruit la première. Pourquoi la coutume n'est-elle pas naturelle? J'ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu'une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.

XX.

Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait peut-être autant que les objets que nous voyons tous les jours. Et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait toutes les nuits, douze heures durant, qu'il serait artisan. Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des

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