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comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

XXX.

La vertu d'un homme ne doit pas se mesurer par ses efforts, mais par ce qu'il fait d'ordinaire.

XXXI.

Les grands et les petits ont mêmes accidens, mêmes fâcheries et mêmes passions; mais les uns sont au haut de la roue, et les autres près du centre, et ainsi moins agités par les mêmes mou

vemens.

XXXII.

Quoique les personnes n'aient point d'intérêt à ce qu'ils disent, il ne faut pas conclure de là absolument qu'ils ne mentent point; car il y a des gens qui mentent simplement pour mentir.

XXXIII.

L'exemple de la chasteté d'Alexandre n'a pas tant fait de continens que celui de son ivrognerie a fait d'intempérans. On n'a pas de honte de n'être pas aussi vertueux que lui, et il semble excusable de n'être pas plus vicieux que lui. On croit n'être pas tout à fait dans les vices du commun des hommes, quand on se voit dans les vices' de ces grands hommes; et cependant on ne prend pas garde qu'ils sont en cela du commun des hommes. On tient à eux par le bout par qù ils tiennent au

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peuple. Quelque élevés qu'ils soient, ils sont unis au reste des hommes par quelque endroit. Ils ne sont pas suspendus en l'air et séparés de notre société. S'ils sont plus grands que nous, c'est qu'ils ont la tête plus élevée; mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils sont tous à même niveau, et s'appuient sur la même terre; et par cette extrémité, ils sont aussi abaissés que nous, que les enfans , que les bêtes.

XXXIV.

C'est le combat qui nous plait, et non pas la victoire. On aime à voir les combats des animaux, non le vainqueur acharné sur le vaincu. Que voulait-on voir, sinon la fin de la victoire? et dès qu'elle est arrivée, on en est saoul. Ainsi dans le jeu; ainsi dans la recherche de la vérité. On aime à voir dans les disputes le combat des opinions; mais de contempler la vérité trouvée, point du tout. Por la faire remarquer avec plaisir, il faut la faire voir naissant de la dispute. De même dans les passions, il y a du plaisir à en voir deux contraires se heurter; mais quand l'une est maîtresse, ce n'est plus que brutalité. Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses. Ainsi dans la comédie, les scènes contentes sans crainte ne valent rien, ni les extrênies misères sans espérances, niles amours brutales.

XXXV.

On n'apprend pas aux hommes à être honnêtes

gens,

et on leur apprend tout le reste; et cependant ils ne se piquent de rien tant que de cela. Ainsi ils ne se piquent de savoir que la seule chose qu'ils n'apprennent point.

XXXVI.

Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre, et cela non pas en passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout le monde de faillir, mais par ses propres maximes, et par un dessein premier et principal. Car de dire des sottises par hasard et par faiblesse, c'est un mal ordinaire; mais d'en dire à dessein, c'est ce qui n'est pas supportable, et d'en dire de telles que celles-là.

XXXVII.

Plaindre les malheureux n'est pas contre la concupiscence; au contraire, on est bien aise de pouvoir se rendre ce témoignage d'humanité, et de s'attirer la réputation de tendresse sans qu'il en coûte rien : ainsi ce n'est pas grand'chose.

XXXVIII.

Qui aurait eu l'amitié du roi d'Angleterre, du roi de Pologne et de la reine de Suède, aurait-il cru pouvoir manquer de retraite et d'asile au monde?

XXXIX.

Les choses ont diverses qualités, et l'âme diverses inclinations; car rien n'est simple de ce qui s'offre à

l'âme, et l'âme ne s'offre jamais simple à aucun sujet. De là vient qu'on pleure et qu'on rit quelquefois d'une même chose.

XL.

Il y a diverses classes de forts, de beaux, de bons esprits et de pieux', dont chacun doit régner chez soi, non ailleurs. Ils se rencontrent quelquefois ; et le fort et le beau se battent sottement à qui sera le maître l'un de l'autre; car leur maîtrise est de divers genres. Ils ne s'entendent pas, et leur faute est de vouloir régner partout. Rien ne le peut, non pas même la force: elle ne fait rien au royaume des savans; elle n'est maîtresse que des actions extérieures.

XLI.

Ferox gens nullam esse vitam sine armis putat. Ils aiment mieux la mort que la paix : les autres aiment mieux la mort que la guerre. Toute opinion peut être préférée à la vie, dont l'amour paraît si fort et si naturel.

XLII.

Qu'il est difficile de proposer une chose au jugement d'un autre sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer! Si on dit : Je le trouve beau, je le trouve obscur, on entraîne l'imagination à ce jugement, ou on l'irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire; car alors il juge selon ce qu'il est, c'est-à-dire, selon ce qu'il est alors, et se

lon que les autres circonstances dont on n'est pas auteur l'auront disposé; si ce n'est que ce silence ne fasse aussi son effet, selon le tour et l'interprétation qu'il sera en humeur d'y donner; ou selon qu'il conjecturera de l'air du visage ou du ton de la voix: tant il est aisé de démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il y en a peu de fermes et de stables!

XLIII.

Montaigne a raison : la coutume doit être suivie dès là qu'elle est coutume, et qu'on la trouve établie, sans examiner si elle est raisonnable ou non ; cela s'entend toujours de ce qui n'est point contraire au droit naturel ou divin. Il est vrai que le peuple ne la suit que par cette seule raison qu'il la croit juste, sans quoi il ne la suivrait plus; parce qu'on ne veut être assujetti qu'à la raison ou à la justice. La coutume, sans cela, passerait pour tyrannie; au lieu que l'empire de la raison et de la justice n'est non plus tyrannie que celui de la délectation.

XLIV.

La science des choses extérieures ne nous conso-. lera pas de l'ignorance de la morale au temps de l'affliction; mais la science des mœurs nous consolera toujours de l'ignorance des choses extérieures.

XLV.

Le temps amortit les afflictions et les querelles, parce qu'on change, et qu'on devient comme une

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