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comme on croit toujours que la difficulté est à ce qu'on veut prouver, on trouve les exemples plus clairs. Ainsi, quand on veut montrer une chose générale, on donne la règle particulière d'un cas. Mais si on veut montrer up cas particulier, on commence par la règle générale. On trouve toujours obscure la chose qu'on veut prouver, et claire celle qu'on emploie à la prouver; car, quand on propose une chose à prouver, d'abord on se remplit de cette imagination qu'elle est donc obscure; et au contraire, que celle qui doit la prouver est claire, et ainsi on l'entend aisément.

IV.

Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. Mais la fantaisie est semblable, et contraire au sentiment; semblable, parce qu'elle ne raisonne point; contraire, parce qu'elle est fausse : de sorte qu'il est bien difficile de distinguer entre ces contraires. L'un dit que mon sentiment est fantaisie, et que sa fantaisie est sentiment; et j'en dis de même de mon côté. On aurait besoin d'une règle. La raison s'offre; mais elle est pliable à tous sens; et ainsi il n'y en a point.

V.

Ceux qui jugent d'un ouvrage par règle sont, á l'égard des autres, comme ceux qui ont une montre à l'égard de ceux qui n'en ont point. L'un dit : Il y a deux heures que nous sommes içi. L'autre dit : II n'y a que trois quarts d'heure. Je regarde ma

montre; je dis à l'un : Vous vous ennuyez; et à l'autre Le temps ne vous dure guère, car il y a une heure et demie; et je me moque de ceux qui me disent que le temps me dure à moi, et que j'en juge par fantaisie : ils ne savent pas que j'en juge par ma montre.

VI.

Il y en a qui parlent bien, et qui n'écrivent pas de même. C'est que le lieu, les assistans, etc. les échauffent, et tirent de leur esprit plus qu'ils n'y trouveraient sans cette chaleur.

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VII.

Ce que Montaigne a de bon ne peut être acquis que difficilement. Ce qu'il a de mauvais (j'entends hors les mœurs) eût pu être corrigé en un moment, si on l'eût averti qu'il faisait trop d'histoires, et qu'il parlait trop de soi.

VIII.

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C'est un grand mal de suivre l'exception au lieu de la ègle. Il faut être sévère et contraire à l'exception. Mais néanmoins, comme il est certain qu'il y a des exceptions de la règle, il faut en juger sévèrement, mais justement.

IX.

Il y a des gens qui voudraient qu'un auteur ne parlât jamais des choses dont les autres ont parlé ; autrement on l'accuse de ne rien dire de nouveau.

Mais si les matières qu'il traite ne sont pas nouvelles, la disposition en est nouvelle. Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont on joue l'un et l'autre ; mais l'un la place mieux. J'aimerais autant qu'on l'accusât de se servir des mots anciens : comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente aussi bien que les mêmes mots forment d'autres pensées par les différentes dispositions.

X.

On se persuade mieux, pour l'ordinaire, par les raisons qu'on a trouvées soi-même, que par celles qui sont venues dans l'esprit des autres.

XL

L'esprit croit naturellement, et la volonté aime naturellement ; de sorte que, faute de vrais objets, il faut qu'ils s'attachent aux faux.

XII.

Ces grands efforts d'esprit où l'âme touche quelquefois, sont choses où elle ne se tient pas. Elle y saute seulement, mais pour retomber aussitôt.

XIII.

L'homme n'est ni ange, ni bête ; et le malheur veut que qui veut faire l'ange, fait la bête.

XIV.

Pourvu qu'on sache la passion dominante de quelqu'un, on est assuré de lui plaire, et néanmoins chacun a ses fantaisies contraires à son propre bien, dans l'idée même qu'il a du bien : et c'est une bizarrerie qui déconcerte ceux qui veulent gagner leur affection.

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XV.

Un cheval ne cherche point à se faire admirer de son compagnon. On voit bien entre eux quelque sorte d'émulation à la course; mais c'est sans conséquence car étant à l'étable, le plus pesant et le plus mal taillé ne cède pas pour cela son avoine à l'autre. Il n'en est pas de même parmi les hommes: leur vertu ne se satisfait pas d'elle-même ; et ils ne ne sont point contens s'ils n'en tirent avantage contre les autres.

XVI.

Comme on se gâte l'esprit, on se gâte aussi le sentiment. On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de tout bien savoir choisir pour se le former et ne point le gâter; et on ne saurait faire ce choix, si on ne l'a déjà formé et point gâté. Ainsi cela fait un cercle, d'où bienheureux sont ceux qui sortent.

XVII.

Lorsque dans les choses de la nature, dont la connaissance ne nous est pas nécessaire, il y en a dont on ne sait pas la vérité, il n'est peut-être pas mauvais qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue les changemens de temps, le progrès des maladies, etc. Car c'est une des principales maladies de l'homme, que d'avoir une curiosité inquiète pour les choses qu'il ne peut savoir; et je ne sais si ce ne lui est point un moindre mal d'être dans l'erreur pour les choses de cette nature, que d'être dans cette curiosité inutile,

XVIII.

Si la foudre tombait sur les lieux bas, les poëtes et ceux qui ne savent raisonner que sur les choses de cette nature, manqueraient de preuves.

XIX.

L'esprit a son ordre, qui est par principes et démonstrations; le cœur en a un autre. On ge prouve pas qu'on doit être aimé, en exposant par ordre les causes de l'amour : cela serait ridicule.

JÉSUS-CHRIST et saint Paul ont bien plus suivi cet ordre du cœur, qui est celui de la charité, que celui de l'esprit; car leur but principal n'était pas d'instruire, mais d'échauffer. Saint Augustin de

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