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de lui. Il se fait même quelque violence pour éviter certains vices; il garde la fidélité au mariage, à cause de la peine qui suit les désordres : la règle de ses actions étant en tout la commodité et la tranquillité. Il rejette donc bien loin cette vertu stoïque qu'on peint avec une mine sévère, un regard farouche, des cheveux hérissés, le front ridé et en sueur, dans une posture pénible et tendue, loin des hommes, dans un morne silence, et seules sur la pointe d'un rocher: fantôme, dit Montaigne, capable d'effrayer les enfans, et qui ne fait autre chose, avec un travail continuel, que de chercher un repos où elle n'arrive jamais; au lien que la sienne est naïve, familière, plaisante, enjouée, et, pour ainsi dire, folâtre : elle suit ce qui la charme, et badine négligemment des accidens bons et mauvais, couchée mollement dans le sein de l'oisiveté tranquille, d'où elle montre aux hommes qui cherchent la félicité avec tant de peine, que c'est là seulement où elle repose, et que l'ignorance et l'incuriosité sont deux doux oreillers pour une tête bien faite, comme il le dit lui-même.

III.

En lisant Montaigne, et le comparant avec Epictete, on ne peut se dissimuler qu'ils étaient assurément les deux plus grands défenseurs des deux plus celèbres sectes du monde infidèle, et qui sont les seules, entre celles des hommes destitués de la lumière de la religion, qui soient en quelque sorte liées et conséquentes. En effet, que

peut-on faire., sans la révélation, que de suivre l'un ou l'autre de ces deux systèmes? Le premier : Il y a un Dieu, donc c'est lui qui a créé l'homme; il l'a fait pour lui-même ; il l'a créé tel qu'il doit être pour être juste et devenir heureux : donc l'homme peut connaître la vérité, et il est à portée de s'élever par la sagesse jusqu'à Dieu, qui est son souverain bien. Second système : L'homme ne peut s'élever jusqu'à Dieu, ses inclinations contredisent la loi ; il est porté à chercher son bonheur dans les biens visibles, et même en ce qu'il y a de plus honteux. Tout paraît donc incertain, et le vrai bien l'est aussi : ce qui semble nous réduire à n'avoir ni règle fixe pour les mœurs, ni certitude dans les sciences.

Il y a un plaisir extrême à remarquer dans ces divers raisonnemens en quoi les uns et les autres ont aperçu quelque chose de la vérité qu'ils ont essayé de connaître. Car s'il est agréable d'observer dans la nature le désir qu'elle a de peindre Dieu dans tous ses ouvrages où l'on en voit quelques caractères, parce qu'ils en sont les images, combien plus est-il juste de considérer dans les productions des esprits les efforts qu'ils font pour parvenir à la vérité, et de remarquer en quoi ils y arrivent et en quoi ils s'en égarent? C'est la principale utilité qu'on doit tirer de ses lectures.

Il semble que la source des erreurs d'Épictète et des stoïciens d'une part, de Montaigne et des épicuriens de l'autre, est de n'avoir pas su que

l'état de l'homme à présent diffère de celui de sa création. Les uns, remarquant quelques traces de sa première grandeur, et ignorant sa corruption, ont traité la nature comme saine, et sans besoin de réparateur ; ce qui les mène au comble de l'orgueil. Les autres, éprouvant sa misère présente, et ignorant sa première dignité, traitent la nature comme nécessairement infirme et irréparable; ce qui les précipite dans le désespoir d'arriver à un véritable bien, et de là, dans une extrême lâcheté. Ces deux états, qu'il fallait connaître ensemble pour voir toute la vérité, étant connus séparément, conduisent nécessairement à l'un de ces deux vices à l'orgueil ou à la paresse, où sont infailliblement plongés tous les hommes avant la grâce, puisque, s'ils ne sortent point de leurs désordres par lâcheté, ils n'en sortent que par vanité, et sont toujours esclaves des esprits de malice, à qui, comme le remarque saint Augustin, on sacrifie en bien des manières.

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C'est donc de ces lumières imparfaites qu'il arrive que les uns connaissant l'impuissance et non le devoir, ils s'abattent dans la lâcheté ; les autres, connaissant le devoir sans connaître leur impuissance, ils s'élèvent dans leur orgueil. On s'imaginera peut-être qu'en les alliant on pourrait former une morale parfaite mais, au lieu de cette paix, il ne résulterait de leur assemblage qu'une guerre et une destruction générale : car les uns établissant la certitude, et les autres le doute, les uns la grandeur de l'homme, les autres, sa

faiblesse, ils ne sauraient se réunir et se concilier; ils ne peuvent ni subsister seuls à cause de leurs défauts, ni s'unir à cause de la contrariété de leurs opinions.

IV.

Mais il faut qu'ils se brisent et s'anéantissent pour faire place à la vérité de la révélation. C'est elle qui accorde les contrariétés les plus formelles par un art tout divin. Unissant tout ce qui est de vrai, chassant tout ce qu'il y a de faux, elle enseigne avec une sagesse véritablement céleste le point où s'accordent les principes opposés, qui paraissent incompatibles dans les doctrines purement humaines. En voici la raison : les sages du monde ont placé les contrariétés dans un même sujet; l'un attribuait la force à la nature, l'autre la faiblesse à cette même nature, ce qui ne peut subsister: au lieu que la foi nous apprend à les mettre en des sujets différens; toute l'infirmité appartient à la nature, toute la puissance au secours de Dieu. Voilà l'union étonnante et nouvelle qu'un Dieu seul pouvait enseigner, que lui seul pouvait faire, et qui n'est qu'une image et qu'un effet de l'union ineffable des deux natures dans la seule personne d'un Homme-Dieu. C'est ainsi que la philosophie conduit insensiblement à la théologie et il est difficile de ne pas y entrer, quelque vérité que l'on traite, parce qu'elle est le centre de toutes les vérités; ce qui paraît ici parfaitement, puisqu'elle renferme si visiblement ce qu'il y a

de vrai dans ces opinions contraires. Aussi on ne voit pas comment aucun d'eux pourrait refuser de la suivre. S'ils sont pleins de la grandeur de l'homme, qu'en ont-ils imaginé qui ne cède aux promesses de l'Evangile, lesquelles ne sont autre chose que le digne prix de la mort d'un Dieu ? Et s'ils se plaisent voir l'infirmité de la nature, leur idée n'égale point celle de la véritable faiblesse du péché, dont la même mort a été le remède. Chaque parti y trouve plus qu'il ne désire; et, ce qui est admirable, y trouve une union solide eux qui ne pouvaient s'allier dans un degré infiniment inférieur !

V.

Les chrétiens ont, en général, peu de besoin de ces lectures philosophiques. Néanmoins Epictète a un art admirable troubler le repos de pour ceux qui le cherchent dans les choses extérieures, et pour les forcer à reconnaître qu'ils sont de véritables esclaves et de misérables aveugles; qu'il est impossible d'éviter l'erreur et la douleur qu'ils fuient, s'ils ne se donnent sans réserve à Dieu seul. Montaigne est incomparable pour confondre l'orgueil de ceux qui, sans la foi, se piquent d'une véritable justice; pour désabuser ceux qui s'attachent à leur opinion, et qui croient, indépendamment de l'existence et des perfections de Dieu, trouver dans les sciences des vérités inébranlables; et pour convaincre si bien la raison de son peu de lumière et de ses égaremens, qu'il est difficile

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