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cette sorte les plus saintes vérités que Dieu ait mises dans son Eglise, et que c'est en abuser d'une manière bien indigne et bien outrageuse, de prétendre que le concile ayant à ruiner ses hérésies touchant la possibilité absolue et l'impossibilité absolue des préceptes, il ait établi cette puissance contre les uns, et cette impuissance contre les autres en des cas qui n'arriveroient jamais.

Mais si le mot possible a un sens si vaste, celui de pouvoir n'en a pas un moins étendu; car n'est-il pas visible que, puisqu'une chose est dite être en notre puissance lorsqu'elle se fait quand nous le voulons, et qu'elle ne se fait pas quand nous ne voulons pas, rien n'est tant en notre puissance que notre propre volonté ? Et c'est en ce sens qu'il est véritable que tous les hommes ont le pouvoir d'accomplir les commandemens, puisqu'il est assuré qu'il ne faut, pour les observer, que le vouloir si vis, servabis mandata.

C'est ce qui a fait dire à saint Augustin, que tous les hommes peuvent, s'ils le veulent, se convertir de l'amour des choses temporelles à l'observation des commandemens de Dieu, sans que les pélagiens puissent prétendre que cela soit dit selon leurs maximes, « parce que, dit ce Père, il est vrai que les hommes le peuvent, s'ils le veulent; mais cette volonté est préparée par le Seigneur; » et c'est pourquoi il dit ailleurs, qu'il est dans la puissance de l'homme de changer et de corriger sa volonté, sans que cela blesse la grâce qu'il annonçoit, parce qu'il déclare que cette puissance n'est point, si elle n'est donnée de Dieu, « parce que, dit-il, comme une chose est dite en notre puissance, lorsque nous la faisons quand nous le voulons, rien n'est tant en notre puissance que notre propre volonté; mais la volonté est préparée par le Seigneur: c'est donc ainsi qu'il en donne la puissance. C'est ainsi qu'il faut entendre, continue ce saint docteur, ce que j'ai dit ailleurs : il est en notre puissance de mériter de recevoir les effets de la miséricorde de Dieu, ou de sa colère, parce que rien n'est en notre puissance que ce qui suit notre volonté, à laquelle, lorsque Dieu la prépare forte et puissante, la même action de piété devient facile, qui étoit difficile et même impossible auparavant. »

Il est donc bien visible qu'en prenant le mot de pouvoir en ce sens, tous les hommes ont celui d'accomplir les préceptes; et cependant il est véritable en un autre sens, que ceux qui n'en sont pas instruits, comme les infidèles, n'ont pas le pouvoir de les accomplir, puisqu'ils les ignorent; car comment s'acquitteront-ils d'une obligation qu'ils ne savent pas leur être imposée ? ou comment invoqueront-ils celui auquel ils ne croient pas? ou comment croiront-ils en celui dont ils n'ont pas ouï parler? ou comment en entendront-ils parler sans prédicateur? Et c'est ce qui a fait dire à saint Augustin : « Il est nécessaire et inévitable que ceux qui ignorent la justice la violent, necesse est ut peccet a quo ignoratur justitia, » et ailleurs : « On peut bien dire à un homme: « Vous persévéreriez, si vous le vouliez, dans les choses que vous avez apprises << et tenues; >> mais on ne peut dire en aucune sorte : « Vous croiriez, si vous «<le vouliez, les choses dont vous n'avez point ouï parler. » D'où l'on voit que les chrétiens qui sont instruits de la loi de Dieu, ont, par cette

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connoissance, un pouvoir de l'accomplir, qui n'est pas commun à ceux qui en sont privés, puisque, connoissant la volonté de leur maître, il ne dépend plus que de leur consentement d'y obéir.

Mais on peut dire avec bien plus de raison des justes, qu'ils ont toujours le pouvoir de la suivre, puisque leur volonté étant dégagée des liens qui la retenoient captive, et se trouvant guérie de ses langueurs, quoiqu'il lui en reste quelque foiblesse, qui n'empêche pas qu'on ne puisse dire avec les Pères qu'elle est libre, saine et forte, il est visible qu'ils ont un pouvoir d'observer les commandemens, qui n'est pas commun à ceux qui, étant asservis sous l'amour des créatures, ont une opposition à Dieu et des passions dominantes, qui les empêchent de suivre et d'observer sa loi; car de la même sorte qu'on dit d'un œil qu'il a le pouvoir de voir, quand il n'y a aucune indisposition intérieure qui empêche cet exercice, de même on peut dire avec vérité de la volonté de l'homme, quand elle est dégagée des passions qui y dominoient auparavant, qu'elle a alors le pouvoir d'aimer Dieu. Ce n'est pas qu'elle n'ait encore besoin d'être secourue de la grâce, quelque saine qu'elle soit; car, comme dit saint Augustin, de la même sorte que l'œil, quoiqu'il soit parfaitement sain, ne peut voir s'il n'est secouru de la lumière; ainsi l'homme, quoiqu'il soit parfaitement justifié, ne peut vivre dans la piété, s'il n'est assisté divinement par la lumière éternelle de la justice; et néanmoins, comme on ne laisse pas de dire que l'œil, quand il est sain, a le pouvoir de voir, en ne considérant que cette faculté en elle-même, parce qu'il n'a pas besoin de plus de santé pour voir, mais seulement de la lumière extérieure; de même on peut dire de l'âme, quand elle est justifiée, qu'elle a le pouvoir d'aimer Dieu, en ne la considérant qu'en elle-même, « parce que, comme dit saint Thomas, elle n'a pas besoin de 'plus de justice pour aimer Dieu, mais seulement des secours actuels; mais il est nécessaire que ces secours actuels soient tels, que la délectation de la charité surmonte celle du péché, puisque autrement la mauvaise délectation qui subsiste sans être vaincue, tente toujours celui même qu'elle ne tient plus esclave, et certainement nous serons toujours vaincus, si nous ne sommes tellement aidés de Dieu, que non-seulement nous connoissions notre devoir, mais encore que l'âme, étant guérie, vainque et surmonte en nous la délectation des choses, dont le désir de les posséder, ou la crainte de les perdre, nous fait pécher. (Aug., lib. I, Oper. imperf.)

Néanmoins on peut dire de celui qui est secouru de la grâce, quoiqu'il le soit moins qu'il le faut, pour faire qu'il marche parfaitement dans la voie de Dieu, qu'il a un pouvoir qu'il n'auroit pas s'il étoit privé de tout secours, puisqu'il est plus proche d'avoir tout celui qui lui est nécessaire, lorsqu'il en a une partie, que s'il n'en avoit point du tout; et même que ce secours imparfait, ou trop foible dans la tentation où on le considère, deviendra assez puissant, si la tentation vient à se diminuer, et qu'il la lui fera vaincre alors effectivement: ce qui ne seroit pas véritable s'il n'en avoit aucun; de la même sorte qu'on peut dire d'un homme dont la vue est affoiblie par une maladie, et qui a besoin de beaucoup de lumières, qu'encore qu'une petite lumière ne lui donne pas

le plein pouvoir de voir, néanmoins elle lui en donne un certain genre, ou un certain degré de pouvoir qu'il n'auroit pas s'il étoit dans les ténèbres, puisqu'il est plus proche d'avoir tout celui qui lui est nécessaire en cet état, et que même, si sa santé s'affermit, cette lumière deviendra assez forte pour lui en donner alors le pouvoir entier.

Voilà toutes les diverses manières dont on peut considérer les différens pouvoirs qui sont tous véritables, quoique le seul qui doit être appelé entier, plein et parfait, et qui donne l'action même, soit celui auquel il ne manque rien pour agir. De sorte qu'il est très-véritable qu'on peut dire de ceux auxquels il manque quelque secours, sans lequel il est assuré qu'ils ne feront jamais une action, qu'ils n'ont pas, en ce sens, le pouvoir de la faire. Comme on peut dire, avec vérité, qu'un homme, dans les ténèbres, n'a pas le pouvoir de voir, en considérant le plein et dernier pouvoir sans lequel on n'agit point; de même si un homme, quelque juste qu'il soit, n'est aidé d'une grâce assez puissante, ou, pour user des termes du concile, d'un secours spécial de Dieu, il est véritable, selon le même concile, qu'il n'a pas le pouvoir de persévérer, parce qu'encore qu'il en ait le pouvoir dans les divers sens qui ont été expliqués, il n'en a pas néanmoins le pouvoir plein et entier auquel il ne manque rien de la part de Dieu pour agir; et c'est pourquoi le concile défend, sous peine d'anathème, de dire qu'il en ait le pouvoir.

LETTRES.

I. FRAGMENT.

Les grâces que Dieu fait en cette vie sont la mesure de la gloire qu' prépare en l'autre. Aussi, quand je prévois la fin et le couronnement de son ouvrage, par les commencemens qui en paroissent dans les personnes de piété, j'entre dans une vénération qui me transit de respect envers ceux qu'il semble avoir choisis pour ses élus. Il me paroît que je les vois déjà dans un de ces trônes où ceux qui auront tout quittė, jugeront le monde avec Jésus-Christ, selon la promesse qu'il en a faite. Mais quand je viens à penser que ces personnes peuvent tomber, et être au contraire au nombre malheureux des jugés, et qu'il y en aura tant qui tomberont de leur gloire, et qui laisseront prendre à d'autres, par leur négligence, la couronne que Dieu leur avoit offerte, je ne puis souffrir cette pensée; et l'effroi que j'aurois de les voir en cet état éternel de misère, après les avoir imaginés, avec tant de raison, dans l'autre état, me fait détourner l'esprit de cette idée, et revenir à Dieu pour le prier de ne pas abandonner les foibles créatures qu'il s'est acquises, et lui dire avec saint Paul: « Seigneur, achevez vous-même l'ouvrage que vous-même avez commencé. » Saint Paul se considéroit souvent en ces deux états; et c'est ce qui lui fait dire ailleurs : « Je châtie mon corps, et je le réduis en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. » (I Cor., IX, 27.)

II. A MME PÉRIER.

De Rouen, ce samedi dernier janvier 1643.

Ma chère sœur, Je ne doute pas que vous n'ayez été bien en peine du long temps qu'il y a que vous n'avez reçu de nouvelles de ces quartiers ici. Mais je crois que vous vous serez bien doutée que le voyage des élus en a été la cause, comme en effet. Sans cela, je n'aurois pas manqué de vous écrire plus souvent. J'ai à te dire que MM. les commissaires étant à Gisors, mon père me fit aller faire un tour à Paris où je trouvai une lettre que tu m'écrivois, où tu me mandes que tu t'étonnes de ce que je te reproche que tu n'écris pas assez souvent, et où tu me dis que tu écris à Rouen toutes les semaines une fois. Il est bien assuré, si cela est, que tes lettres se perdent, car je n'en reçois pas toutes les trois semaines une. Étant retournés à Rouen, j'y ai trouvé une lettre de M. Périer, qui mande que tu es malade. Il ne mande point si ton mal est dangereux, ni si tu te portes mieux, et il s'est passé un ordinaire depuis sans avoir reçu de lettre, tellement que nous en sommes en une peine dont je te prie de nous tirer au plus tôt; mais je crois que la prière que je fais ici sera inutile, car, avant que tu aies reçu cette lettre ici, j'espère que nous aurons reçu des lettres de toi ou de M. Périer. Le département s'achève, Dieu merci. Si je savois quelque chose de nouveau, je te le ferois savoir. Je suis, ma chère sœur....

Ici ce post-scriptum de la main d'Étienne Pascal, le père: Ma bonne fille m'excusera si je ne lui écris comme je le désirerois, n'y ayant aucun loisir. Car je n'ai jamais été dans l'embarras à la dixième partie de ce que j'y suis à présent. Je ne saurois l'être davantage à moins d'en avoir trop; il y a quatre mois que je [ne] me suis pas couché six fois devant deux heures après minuit.

Je vous avois commencé dernièrement une lettre de raillerie sur le sujet de la vôtre dernière, touchant le mariage de M. Desjeux, mais je n'ai jamais eu le loisir de l'achever. Pour nouvelles, la fille de M. de Paris, maître des comptes, mariée à M. de Neufville, aussi maître des comptes, est décédée, comme aussi la fille de Belair, mariée au petit Lambert. Votre petit a couché céans cette nuit. Il se porte Dieu grâces très-bien. Je suis toujours

Votre bon et excellent ami,
PASCAL.

Votre très-humble et très-affectionné serviteur et frère,
PASCAL.

III. A SA SEUR JACQUELine.

Ce 26 janvier 1648.

Ma chère sœur, Nous avons reçu tes lettres. J'avois dessein de te faire réponse sur la première que tu m'écrivis il y a plus de quatre mois; mais mon indisposition et quelques autres affaires m'empêchèrent de l'achever. Depuis ce temps-là, je n'ai pas été en état de t'écrire, soit à cause de mon mal, soit manque de loisir ou pour quelque autre raison. J'ai peu d'heures

de loisir et de santé tout ensemble. J'essayerai néanmoins d'achever celle-ci sans me forcer; je ne sais si elle sera longue ou courte. Mon principal dessein est de t'y faire entendre le fait des visites que tu sais, où j'espérois d'avoir de quoi te satisfaire et répondre à tes dernières lettres. Je ne puis commencer par autre chose que par le témoignage du plaisir qu'elles m'ont donné; j'en ai reçu des satisfactions si sensibles, que je ne te les pourrai pas dire de bouche. Je te prie de croire qu'encore que je ne t'aie point écrit, il n'y a point eu d'heure que tu ne m'aies été présente, où je n'aie fait des souhaits pour la continuation du grand dessein que Dieu t'a inspiré. J'ai ressenti de nouveaux accès de joie à toutes les lettres qui en portoient quelque témoignage, et j'ai été ravi d'en voir la continuation sans que tu eusses aucunes nouvelles de notre part. Cela m'a fait juger qu'il avoit un appui plus qu'humain, puisqu'il n'avoit pas besoin des moyens humains pour se maintenir. Je souhaiterois néanmoins d'y contribuer quelque chose, mais je n'ai aucune des parties qui sont nécessaires pour cet effet. Ma foiblesse est si grande que, si je l'entreprenois, je ferois plutôt une action de témérité que de charité, et j'aurois droit de craindre pour nous deux le malheur qui menace un aveugle conduit par un aveugle. J'en ai ressenti mon incapacité sans comparaison davantage depuis les visites dont il est question, et bien loin d'en avoir remporté assez de lumières pour d'autres, je n'en ai rapporté que de la confusion et du trouble pour moi, que Dieu seul peut calmer et où je travaillerai avec soin, mais sans empressement et sans inquiétude, sachant bien que l'un et l'autre m'en éloigneroient. Je te dis que Dieu seul le peut calmer et que j'y travaillerai, parce que je ne trouve que des occasions de le faire naître et de l'augmenter dans ceux dont j'en avois attendu la dissipation : de sorte que me voyant réduit à moi seul, il ne me reste qu'à prier Dieu qu'il en bénisse le succès. J'aurois pour cela besoin de la communication de personnes savantes et de personnes désintéressées : les premiers sont ceux qui ne le feront pas; je ne cherche plus que les autres, et pour cela je souhaite infiniment de te voir, car les lettres sont longues, incommodes et presque inutiles en ces occasions. Cependant je t'en écrirai peu de chose. La première fois que je vis M. Rebours, je me fis connoître à lui et j'en fus reçu avec autant de civilités que j'eusse pu souhaiter; elles appartenoient toutes à M. mon père, puisque je les reçus à sa considération. Ensuite des premiers complimens, je lui demandai la permission de le revoir de temps en temps; il me l'accorda. Ainsi je fus en liberté de le voir, de sorte que je ne compte pas cette première vue pour visite, puisqu'elle n'en fut que la permission. J'y fus à quelque temps de là, et entre autres discours je lui dis avec ma franchise et ma naïveté ordinaires que nous avions vu leurs livres et ceux de leurs adversaires; que c'étoit assez pour lui faire entendre que nous étions de leurs sentimens. Il m'en témoigna quelque joie. Je lui dis ensuite que je pensois que l'on pouvoit, suivant les principes mêmes du sens commun, démontrer beaucoup de choses que les adversaires disent lui être contraires, et que le raisonnement bien conduit portoit à les croire, quoiqu'il les faille croire sans l'aide du raisonnement.

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