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SUR

L'ABBAYE DE CHERLIEU.

CHAPITRE Ier.

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Fondation de Cherlieu. - Germain, prieur. Guy, premier abbé.–
Maisons de la filiation de Cherlieu.

Saint Bernard, ses rapports

avec notre abbaye. Il défend Guy contre ses persécuteurs et écrit pour lui au pape Innocent II. - Successeurs de Guy jusqu'à la fin du XIIe siècle. Les évêques et les princes enrichissent à l'envi notre monastère.

Il est peu de retraites aussi convenables que Cherlieu à la prière et au silence. De quelque côté qu'on l'aborde, on le trouve défendu contre les bruits du monde par de sombres forêts ou de profondes ravines. Un quart-d'heure suffit pour parcourir cette vallée perdue au fond des bois, et la source qui l'arrose se tait dans la lenteur de son cours, comme si elle craignait de troubler par le plus léger murmure l'impression mélancolique dont le cœur est saisi. A l'aspect de cette solitude, on est déjà certain que d'humbles et fervents anachorètes en ont été les premiers habitants. Je ne rechercherai donc point d'antiquités celtiques ou romaines parmi les ruines du monastère. Les environs même, encore tout couverts de bois, paraissent n'avoir dû qu'aux mains des cénobites les sillons où passe aujourd'hui la charrue. Cependant on a trouvé à Noroy-les-Jussey quelques tombeaux en

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pierre de grès, de forme oblongue, avec une sorte de voûte également en pierre, qui leur sert de couvercle. Ces sarcophages appartiennent à l'époque gallo-romaine. Signalons aussi, sur le territoire du même village, une petite chapelle dédiée à saint Martin. La tradition populaire la regarde comme antérieure à toutes les églises du pays (1). Elle attirait autrefois un grand concours de pélerins, et on y obtenait, par l'intercession du saint patron, certaines guérisons d'un caractère miraculeux.

Ainsi, quelques débris épars, des tombeaux, une chapelle antique fréquentée par les habitants des hameaux lointains, voilà tout ce que les environs de Cherlieu nous révèlent avant la fondation de l'abbaye. Jussey en est éloigné de près de deux lieues; au sud-est passait la voie romaine de Langres à Besançon, bordée par les restes d'un camp et par des villages d'une origine fort reculée, tels que Bourguignon et Seveux. Mais les riches plaines de Port et d'Amaous demeuraient encore à peu près sans culture.

Il était réservé au génie de saint Bernard de faire fleurir ces solitudes de la Haute-Bourgogne. En quelques années, Bellevaux s'élève, soutenu par le nom du grand homme et par l'autorité de ses miracles; Theuley (Theolocus) reçoit son nom de la destination religieuse qu'un seigneur lui donne; une colonie de Morimond se fixe à Clairefontaine. La Charité périssait sous le patronage des chanoines de Saint-Paul; elle prospère en se soumettant aux lois de Clairvaux. Cherlieu remonte à la même époque et revendique des souvenirs non moins glorieux.

(1) En général, les églises placées sous le vocable de saint Martin ou de saint Pierre remontent à la plus haute antiquité chrétienne.

Ce ne fut d'abord qu'un petit prieuré dont quelques chroniques attribuent la fondation à une dame de haute naissance. Elles rapportent que son fils unique fit une chute mortelle en se promenant dans le vallon, et qu'au bruit de cet accident, la mère s'écria avec douleur : que ce lieu me coûte cher! Telle serait l'étymologie de Cherlieu. Il est plus raisonnable de croire que l'affection particulière dont saint Bernard et les comtes de Bourgogne ont honoré cette maison, n'est pas étrangère au nom qu'elle a pris. Quoi qu'il en soit, on doit rapporter son établissement à une époque assez rapprochée de l'an 1127. Car cette année-là, Anséric, archevêque de Besançon, assura par une charte, à Germain, prieur de Cherlieu, la possession de quelques dîmes et autres biens dont les seigneurs du voisinage avaient doté son église naissante (1). Ces premiers bienfaiteurs sont les nobles de Jussey et Renaud III, comte de Bourgogne. Celui-ci était le protecteur déclaré des établissements monastiques; et ses dons en faveur de notre abbaye furent rappelés, comme on le verra plus loin, dans un diplôme émané de son gendre, l'empereur Frédéric-Barberousse (2). La générosité des nobles de Jussey envers Cherlieu est attestée par plusieurs actes du XIIe siècle. Plus voisins du cloître qui commençait à s'élever, ils ont dû en mieux connaître les besoins. Une misère extrême y régnait alors, si l'on en croit la tradition du pays. Le prieur et ses compagnons étaient réduits à manger des feuilles de

(1) Cette pièce importante dont il ne nous reste qu'une indication, commence par ces mots: Germane, fili karissime. (Annuaire de la Haute-Saône, 1842.)

(2) V. Béatrice de Châlons, 88, 89.

hêtre, et les habitants du voisinage, touchés de la résignation qu'ils montraient dans un état si digne de pitié, leur apportaient de temps à autre des aliments plus convenables. Parmi les offrandes qui pourvurent à une nécessité si pressante, se trouve une terre située à Marlay (1127). Le cartulaire de Cherlieu lui assigne pour limites le vieux chemin qui conduit à Jussey et les chênes nommés les Deux-Frères (1). Gislebert de Jussey est l'auteur de ce bienfait, du consentement de plusieurs membres de sa famille (2).

Tels sont les commencements de Cherlieu. Plus humble et plus obscur à son berceau que ne le fut jamais aucun monastère, bientôt il s'agrandit et sa réputation s'étend au loin avec une rapidité qui tient du prodige. En 1131, Germain qui n'était qu'un simple prieur a cessé de vivre; Guy ou Vidon lui a succédé avec le titre d'abbé. Guy, muni des instructions de saint Bernard, avait quitté Clairvaux à la tête de douze religieux. Des cérémonies mystiques, pleines de sens comme toute la liturgie de l'église, avaient signalé son départ et assuré à l'abbaye d'où il sortait des droits de maternité sur le nouveau couvent. Il prend possession de Cherlieu; les cloîtres s'augmentent; le nombre des prosélytes croît chaque jour, et l'abbé compte de bonne heure parmi les prélats les plus distingués de la Bourgogne. En 1132, son nom figure dans un acte du plus haut intérêt. An

(1) Ab antiquâ viâ quà itur ad Jussiacum, usquè ad quercus que vocantur duo fratres. (Cart. de Cherlieu, à la Bibl. royale.)

(2) Gislebertus de Jussiaco, vocatus Paganus, Rufus et Odo et Calo et Richardus, sororius ejus et uxor sua Bertha. (Cart. de Cherlieu.) Paganus signifie celui qui commande dans un bourg ou lieu fortifié.

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