Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

protection des nonnes qui l'habitent; l'autre, grâce à saint Bernon, fleurit dans un siècle de désordres comme un lys au milieu des ruines. Il accueille saint Odon et saint Aldegrin; sa discipline les charme, et les deux voyageurs adoptent ce nouveau séjour. La fécondité de Baumeles-Moines rappelle les commencements de la vie religieuse : c'est son abbaye qui donne le jour aux prieurés de Gigny et de Château-Salins; c'est elle qui s'honore d'avoir fondé Cluny, et la réforme que cette illustre congrégation propage au loin par les deux monastères soumis à sa conduite. Partout les habitations se groupent à l'entour des cloîtres même les plus obscurs. Dans les hautes vallées où serpente le Doubs, Mouthe, Morteau, Montbenoît, Sainte-Marie prouvent par leur naissance, et encore plus par leur rapide accroissement, qu'il n'est point de lieu si désert et de forêt si profonde où le bénédictin n'ait réuni des colons à l'ombre de sa tente protectrice.

L'instinet de la foi ne trompe jamais. Nos pères ne pouvaient choisir un refuge plus assuré, lorsque lerégime féodal prévalait partout sur la faiblesse des souverains et la misère des peuples. Le Xe siècle est l'âge de fer des sociétés modernes ; jamais la terre ne fut si pauvre, jamais ses habitants n'endurèrent tant de souffrances. La peste dévorait ceux que la famine avait épargnés, et l'esclavage était l'unique bien qu'ils pussent transmettre à

leurs enfants. Nos historiens ont recherché les lieux où la liberté exilée rencontra quelque asile; ils nous les montrent parmi les montagnes, au voisinage des abbayes, dans les villes du domaine royal. En général, dit le savant Droz, les religieux n'assujettissaient point à la servitude les bourgs voisins de leurs couvents. Ainsi la petite cité de Saint-Claude ne cessa pas d'être libre; Château-Châlon et Baume-les-Moines ne comptaient pas de serfs dans leur territoire; la prévôté de Mathay garda, sous la suzeraineté des Dames de Baume, les précieuses franchises d'un âge plus reculé. Si cette observation est contredite par quelques exemples, la nécessité des temps les explique assez. Aux yeux d'un peuple ignorant et misérable, la liberté est un fardeau plutôt qu'un bienfait. On l'aliénait donc sans regret en s'attachant à la glèbe; on cultivait le sol pour payer en redevances la protection du seigneur. Restait à faire le choix d'un maître. Ira-t-on crier merci sous le donjon d'un castel, ou frapper à l'huis d'un monastère? L'aspect de notre province annonce encore assez que les châteaux inspiraient à nos ancêtres plus de frayeur que de confiance: les abords en sont déserts, on ne voit guère au-dessous d'eux que des villages pauvres et sans étendue. Un écrivain du XIIe siècle nous en donne la raison, « Tout le monde sait, » dit Pierre-le-Vénérable, « de quelle manière les maîtres » séculiers traitent leurs serfs et leurs serviteurs. Ils ne

» se contentent pas du service usuel qui leur est dû; mais » ils revendiquent sans miséricorde les biens et les per» sonnes. De là, outre les cens accoutumés, ils accablent » leurs gens de services innombrables, et, chose plus » affreuse encore! ne vont-ils pas jusqu'à vendre pour › un vil métal les hommes que Dieu a rachetés au prix » de son sang? Les moines au contraire, quand ils ont » des possessions, agissent bien différemment. Ils n'exi› gent des colons que les choses dues et légitimes; ils ne » réclament leurs services que pour les nécessités de » leur existence; ils ne les tourmentent par aucune exac» tion, et s'ils les voient nécessiteux, ils les nourrissent » de leur propre substance. Ils ne les traitent pas en es» claves, en serviteurs, mais en frères. »

Lorsque Pierre-le-Vénérable écrivait cette apologie, il consultait son propre cœur plus que celui de ses frères, les souvenirs de l'ordre de saint Benoît plus que l'esprit qui l'animait alors. Dernier représentant de la ferveur et de la science dans Cluny, ce saint abbé emporta au tombeau la gloire des Bénédictins. Nos monastères avaient déjà méconnu leur mission. Les richesses les corrompaient, car ils commençaient à en user pour eux-mêmes; l'indépendance acheva leur perte, dès qu'ils la défendirent contre les évêques et contre les princes, soit pour se soustraire à la surveillance des uns, soit pour disputer avec les autres d'orgueil et de puissance. Détournons nos

regards de ces sanctuaires antiques dont la beauté primitive s'efface peu à peu sous la poussière du temps. Que les abbés de Luxeuil, de Lure et de Saint-Claude se parent du titre de prince, fassent des alliances, entreprennent des guerres, soutiennent des siéges; trop de sollicitude pour leurs intérêts temporels, et parfois trop de revers les préoccupent désormais pour qu'ils suffisent aux besoins de la société chrétienne et à l'accomplissement des desseins providentiels.

Le XIe siècle, en se terminant par le spectacle magnifique de la première croisade, lègue à l'âge qui commence un esprit dont il faut seconder l'essor. Une activité inquiète se répand dans toutes les âmes, une foi brûlante les entraîne, toutes les parties du corps social s'animent d'un nouveau degré de vie. La science, le pouvoir politique, le patronage des faibles, tout échappe à l'ordre de saint Benoît, et d'habiles rivaux recueillent cet héritage. Ce sont les écoles de Paris, où une jeunesse avide se presse autour des chaires de Guillaume de Champeaux et d'Abeilard; ce sont les communes qui obtiennent des franchises, prémices de la liberté recouvrée; c'est la royauté qui se débarrasse de ses langes, commence à marcher et s'élève peu à peu à la hauteur de sa mission en France et en Bourgogne. Là, grâce à l'habileté du ministre Suger, ici, par l'ascendant du génie uni à la force dans l'empereur Frédéric

Barberousse. Mais les vertus monastiques restèrent-elles sans asile ? Qui viendra réunir et guider encore les hommes amis de la prière et de la solitude? La raison a ses interprètes, le pouvoir ses défenseurs, la liberté ses garanties. Voici saint Bernard, l'homme de la foi, et c'est à ce titre seul qu'il est encore le roi de son siècle. Doué d'un génie prodigieux et d'un cœur brûlant de zèle, il préside à toutes les entreprises, combat toutes les erreurs, inspire tous les genres de dévouement. On sait de quel ascendant il jouissait dans les cours, avec quelle hardiesse il reprenait les pontifes, quels charmes ineffables attribuaient à sa parole des populations tout entières, avec quel enthousiasme elles se levaient à sa voix pour tenter de nouveau la conquête de l'Orient. Mais la plus remarquable de toutes ses œuvres fut sans contredit la fondation de Clairvaux. Peut-on croire que les besoins de l'époque n'exigeaient pas cette institution quand, à l'appel d'un religieux, apparaissent de toutes parts, en France, en Bourgogne, en Helvétie, en Allemagne, des troupes de cénobites qui se rangent d'ellesmêmes sous les lois les plus austères? L'illustre abbé de Clairvaux craint pour ses enfants la dissipation et le bruit. Il les cache, loin des villes, dans les lieux les moins agréables à la vue, mais les plus favorables au recueillement. Parcourez les sites qu'il avait choisis: une source limpide en est tout l'ornement; de vastes et

« ZurückWeiter »