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établissements en égalait l'importance; ils ont vécu, mais aucune institution humaine n'a duré plus longtemps; on ne trouve nulle part des souvenirs aussi riches, ni des leçons aussi frappantes.

Ce seul fait suffit à un esprit sérieux pour captiver son attention. Persuadé qu'une existence si longue, loin d'être isolée dans notre histoire, se rattache nécessairement à tous les mouvements religieux, politiques et littéraires de la Bourgogne, il se demande quelle mission providentielle les monastères avaient reçue, comment ils l'ont accomplie et quelle influence ils ont exercée par là sur les destinées de notre belle province. Il ne m'appartient pas de donner à ce sujet tous les développements dont il est susceptible. Content de l'indiquer, je me borne à un exposé simple, rapide et concis.

Les annales de nos monastères peuvent se diviser en deux périodes d'une longueur à peu près égale. L'une, illustrée surtout par les ordres de saint Benoît et de saint Bernard, s'étend depuis le VI° siècle jusqu'au XIII*; l'isolement est le caractère de tous les cloîtres qu'elle voit naître. L'autre commence au XIIIe siècle et se termine à la révolution française. Un trait non moins frappant distingue cette époque-ci de la première : pendant toute sa durée on ne bâtit plus de monastères que dans les villes les religieux se mêlent au bruit du monde avec

autant de soins et de persistance que leurs aînés en avaient mis à le fuir.

C'est dans un âge de bouleversements et de crimes que la vie monastique commence en Bourgogne. Envahie par une foule de tribus barbares, partagée entre les vainqueurs et les vaincus, sans lien, sans unité, sans maître certain, notre patrie, au milieu de tant de désordres, ne sait plus ni le nom qu'elle porte, ni le culte qu'elle professe, ni le gouvernement auquel elle est soumise. Depuis le IVe siècle jusqu'au commencement du VII, tout se détruit et se confond. L'épiscopat compte encore des saints, mais le moment n'est pas éloigné où l'instruction manquera au clergé comme au peuple. Il faut de courageux apôtres pour annoncer l'Évangile parmi des Catholiques qui l'oublient, des Ariens qui le blasphèment et des Payens qui l'ignorent; car le désordre règne dans les croyances comme dans les idiômes. C'est peu de fixer la foi: il faut des vertus héroïques pour adoucir les mœurs. Les lois ne valent pas mieux; faible ou cruel, le pouvoir qui les dicte est tantôt troublé par l'intrigue, tantôt ensanglanté par le meurtre et déshonoré par l'adultère. Les guerres des fils de Gondioc, le règne de Gondebaud marqué par l'introduction du duel judiciaire dans la loi civile, la rivalité de deux reines tristement fameuses, les exactions et la barbarie de Brunehaut, l'odieuse politique de Frédegonde, la faiblesse de Thierry II, tout con

court à la perte de la Bourgogne, et le VIe siècle achève sa course au milieu de la désolation publique.

Ne nous étonnons pas si, pour échapper aux persécutions du monde ou pour se dérober au spectacle de ses crimes, tout ce qu'il y a d'instruit et de vertueux se retire loin de lui, en attendant des jours meilleurs. Les montagnes du Jura possèdent déjà les restes de saint Romain et de saint Lupicin, pieux anachorètes que Laucone et Condat regardent comme leurs fondateurs. Déjà ces gorges sauvages enfantent des savants et des pontifes; saint Viventiole, après y avoir enseigné les belles-lettres, est appelé au siége de Lyon. Condat, toujours fécond en illustres personnages, quitte un nom obscur et prend successivement celui de saint Oyan et celui de saint Claude, pour consacrer la mémoire de ces deux abbés par le plus durable souvenir. A l'autre extrémité de la Bourgogne, quatre monastères commencent à offrir aux hommes de bien un sûr asile, des écoles de science et de piété, et surtout des modèles de la plus sublime vertu : ce sont Annegray,Luxeuil, Fontaine et Lure. Luxeuil les surpasse tous. Là domine saint Colomban, le plus vaste génie de son siècle, homme d'action et homme d'étude, tour-àtour orateur, poète et théologien, mais toujours apôtre. Il annonce aux rois les leçons de l'évangile, les développe au milieu du cloître avec la science d'un docteur consommé, et se les applique à lui-même dans toute la

rigueur de la perfection. Ses disciples se livrent avec zèle aux pénibles devoirs de la prédication populaire. Tels sont saint Agile, issu d'une des plus nobles familles du comté de Port, et saint Eustèse qui, après avoir ramené la foi sur les bords du Doubs, court enseigner et civiliser la Bohême.

Jamais l'austérité de la vie monastique ne fut plus rigoureuse. Le jeûne, la prière, l'étude et le travail des mains partageaient la journée de chaque religieux ; des peines corporelles expiaient les moindres fautes; on ne prenait de la nourriture qu'à trois heures du soir, et elle se composait seulement d'un petit pain et de légumes cuits à l'eau. Cette règle apportée d'Irlande par saint Colomban convenait à la ferveur de nos premiers monastères. Elle servait surtout à régénérer le clergé du VIIe siècle, et cette réforme était nécessaire, car plus les mœurs du peuple sont corrompues, plus il importe qu'une éducation sévère retrempe le caractère du pasteur. Qu'une critique peu judicieuse attaque la dureté de cet institut, on répondra victorieusement en rappelant le spectacle que Luxeuil donnait alors à la société. Là croissaient six cents religieux pour l'honneur du Christianisme et des belleslettres; là se formaient saint Delle, saint Gall, saint Germain et saint Ursin qui, après l'exil de leur maître, propagèrent sa doctrine et sa règle, le premier en fondant l'abbaye de Lure, les trois autres en se retirant dans

l'Helvétie et la Rauracie où leur nom se conserve encore (1). Le nombre et la réputation des moines de Luxeuil augmentent sous le gouvernement de saint Valbert, et l'abbaye arrive au comble de sa gloire. «Quel cloître, « quelle cité,» dit un chroniqueur, « ne s'honore d'y < chercher un abbé ou un évêque?» Saint Ermenfroy à Cusance, saint Théodefride à Corbie, saint Bertin à Lisieux, saint Valery dans le monastère qui porta son nom, saint Bercaire à Auvilliers et à Montierander, saint Romaric et saint Amet à Remiremont, saint Frobert près de Troyes, tels sont quelques-uns des hommes qui ajoutent à la gloire de Luxeuil en établissant ou en gouvernant d'autres abbayes. Dirai-je les pontifes nourris dans cette école célèbre? Térouanne lui dut saint Omer, Noyon saint Achaire et saint Mamolin, Laon saint Cagnulfe et Reims saint Nivard. Mais Besançon fut de tous les siéges épiscopaux celui qui profita le plus des lumières et des vertus du cloître. Citons parmi nos prélats saint Nicet, l'ami et le protecteur de saint Colomban, saint Donat, l'enfant du miracle, qui d'abord disciple de saint Valbert parvint, jeune encore, à la dignité épiscopale, bâtit l'abbaye de Saint-Paul, donna des réglements aux maisons de Jussa-Moûtier, de Bregille et de Bèze que sa famille

(1) Saint Germain fut le premier abbé de Moûtier-Grandval, et saint Ursin fonda, au lieu dit Clos-du-Doubs, un monastère qui donna naissance à la petite ville de Saint-Ursanne.

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