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mauvaise de l'âme qui cherche à s'élever bien-au-dessus de ce qu'elle doit être, comme firent les anges rebelles, qui furent précipités, précisément à cause de cela, des hauteurs du ciel dans les profondeurs de l'aLime.

Vous allez me dire peut-être ici que l'orgueil est la source des plus grandes choses. Oui, des plus grandes choses désordonnées. Car remarquez bien que, au lieu de se coordonner par rapport au tout, selon la volonté de Dieu, l'âme orgueilleuse, ne cherchant qu'à s'élever, s'efforce de coordonner le tout par rapport à elle-même. Elle ne dit pas, comme Fénelon : Dieu, l'humanité, ma patrie, ma famille, moi-même! Mais elle dit, au contraire Moi, ma famille, ma patrie, l'humanité, Dieu, peut-être! Dans cet état de choses, ce qui devait être à la circonférence se trouve au centre, et ce qui devait être au centre se trouve à la circonférence : c'est le complet renversement de l'ordre. De là, les plus grands maux, avons-nous dit, non-seulement pour la vie future, mais encore pour la vie présente. Car remarquez encore que l'âme orgueilleuse, s'étant faite le centre de tout, et ne trouvant point en elle-même la satisfaction qu'elle y cherchait, s'efforce d'attirer tout à soi : c'est l'orgueil devenu ambition. Ambitieuse donc, en même temps qu'orgueilleuse, l'âme marche de la possession d'un objet à la possession d'un autre objet, les dédaignant et les foulant tous aux pieds après les avoir saisis. C'est l'histoire de Cyrus, d'Alexandre, de tous les conquérants, tant auciens que modernes, qui, pour essayer de contenter leur ambition insatiable, ont remué le monde entier, au risque de tout bouleverser et de s'ensevelir euxmêmes sous les ruines de toutes choses. Encore une fois, ce n'est point un tel amour de soi-même que vous devez approuver. 11 doit, au contraire, vous paraître aussi condamnable, aussi odieux à vous qu'à nousmêmes.

Cependant il est un amour de soi légitime, nécessaire même, en religion comme en oute autre chose; c'est celui qui reste dans les conditions qui lui ont été prescrites par le Créateur de toutes choses, et qui lui sont sans cesse rappelées par la religion, la raison, par tout ce qui l'environne. Or nonseulement nous ne cherchons point à détruire un tel amour, ce qui d'ailleurs serait impossible, et ne servirait qu'à le dénaturer, non-seulement nous ne le blâmons point, mais nous l'approuvons vivement, au contraire; nous faisons même tout ce qui dépend de nous pour le fortifier, quand il s'affaiblit, pour le raviver, quand il commence à s'éteindre. Qui n'en a fait la remarque quelquefois? Quand nous voyons un jeune homme se dégrader dans la satisfaction des plaisirs Sensuels, nous nous empressons de lui crier: Mais, malheureux, vous avez donc perdu toute estime, tout amour de vous-même! Quand nous voyons un Chrétien s'approcher du tombeau sans y songer un seul instant, nous lui répétons sous toutes les formes cette

pensée salutaire: Aveugle que vous êtes, vous voulez donc vous perdre éternellement!

Mais, en ranimant dans les âmes l'amour bien entendu de soi-même, nous ne manquons jamais de signaler les dangers grands. et nombreux auxquels on est exposé avec lui et par lui: Prenez garde, disons-nous expressément ou implicitement du moins, prenez bien garde! l'amour de soi, c'est le Protée de la fable. Il prend toutes les formes, même les plus dégoûtantes et les plus affreuses:

Fiet enim subito sus horridus, atraque tigris,
Squamosusque draco, et fulva cervice leæna:
Aut acrem flammæ sonitum dabit, atque ita vinclis
Excidet, aut in aquas tenues dilapsus abibit.

(VIRGIL., Georgic., lib. iv, vers 407-410.)

Ce n'est qu'après l'avoir enchaîné dans les liens d'une volonté forte et de la foi religieuse qu'on peut le maintenir dans la forme qui lui a été donnée par le Créateur et que celui-ci veut lui voir toujours conserver:

Sed quanto ille magis formas se vertet in omnes
Tanto, nate, magis contende tenacia vincla.
(Ibid., vers. 411, 412.)

Et encore manque-t-il rarement de reparaître quelquefois, sous sa forme haïssable, dans les âmes même les plus saintes. Nous n'entendons pas dire par là que ce soit toujours un mal; mais seulement qu'il ne faut pas cesser de veiller et de prier, de peur que cet ennemi redoutable, vaincu et jamais détruit, ne se relève dans toute sa force.

Qu'on nous permette ici une courte anecdote, qui fera mieux comprendre encore notre idée:

Nous avons connu un homme fort estimable sous tous les rapports, un très-bon Chrétien, qui, pourtant, ne semblait pouvoir faire une seule phrase, dans la conversation, sans que ce malheureux moi humain ne se montrât, en lui-même ou dans ses dérivés. - « C'est de l'orgueil, me disaient beaucoup de personnes.-Non, leur répondais-je, .ce sont les soupirs de l'homme vaincu et non détruit, puisqu'il ne peut l'être que daus l'autre vie.» Quelqu'un de haut placé m'ayant un jour demandé quelle était l'opinion à son égard: « Je vais vous le dire en peu de mots,>> lui répondis-je : «Il a toutes les voix, la sienne en tête. Mauvais plaisant, reprit mon interlocuteur, vous n'en faites donc aucun cas?-Pardon, et la preuve que j'en fais le plus grand cas, malgré certaines misères qui sont en lui comme en nous tous, c'est qu'il a ma voix immédiatement après la sienne. »

Nous ne méconnaissons donc point la nature humaine, comme vous le prétendez. Nous savons parfaitement que le moi joue en chacun de nous le rôle principal, qu'il est même l'agent de toutes nos actions. Nous ne disons donc point qu'il faut le hair, en lui-même, ou rester indifférent à son égard, ce qui n'es! pas possible, mais le surveiller seulement,

réformer ses défauts, redresser ses torts, et prendre garde qu'il ne tourne au mal l'im

mense activité qui lui a été donnée pour le bien.

AMPOULE (SAINTE).

Objections. Voudriez-vous nous faire croire aussi à la sainte ampoule? Qui ne comprend aujourd'hui que cette croyance avait pour but de rattacher davantage, par des liens sacrés, le peuple français au scepire de ses rois ?

Réponse.- Hincmar, archevêque de Reims, raconte, en effet, comme chacun sait dans la Vie de saint Remi, que, quand cet illustre évêque voulut baptiser Clovis, une blanche colombe apporta du ciel une petite fiole contenant de l'huile qui parfumà toute l'église. Ce serait ce qu'on appela la sainte ampoule. Elle aurait servi au baptême du premier roi chrétien, et aurait été gardée dans l'abbaye de Saint-Remi pour le sacre des rois.

Voudriez-vous nous faire croire aussi à la sainte ampoule, avez-vous demandé?

Qui vous oblige d'y croire? Où voyez-vous que l'Eglise vous en fasse un précepte? Làdessus, comine sur tout ce qui est incertain, les opinions sont parfaitement libres. Quelqu'un veut-il y croire absolument? Libre à lui; c'est un fait qui a son enseignement et son utilité, comme nous allons le dire bientôt, et qu'ont reconnu des historiens qui ne sont point à dédaigner. Refusez-vous d'y croire, au contraire? Libre à vous encore; car, d'une part, ce n'est point un fait essentiel; e, d'une autre part, s'il y a pour lui de graves autorités, il y en a contre également. On remarque, avec raison, que Grégoire de Tours, voisin des temps de la conversion de Clovis, n'en parle point. Or, ajoute-t-on, ce grand narrateur de prodiges n'eût pas manqué de raconter celui-ci, s'il avait eu lieu. La sainte ampoule n'aurait donc été alors qu'une huile ordinaire, qui peut-être avait servi au baptême de Clovis, et qu'on réservait pour le sacre des rois.

Qui ne comprend aujourd'hui, ajoutez vous, que cette croyance avait pour but de rattacher davantage, par des liens sacrés, le peuple français au sceptre de ses rois ?

Et quand cela eût été, quel mal y avait-il? N'était-ce pas un bien, au contraire, et même un très-grand bien, dont nous aurions grand besoin aujourd'hui? I importe souverainement, en effet, non-seulement au gouvernant, mais aux gouvernés, que ceux-ci obéissent par idée religieuse, et, conséquemment, en conscience. Quand il n'en est plus ainsi,

celui qui gouverne est obligé de se faire obéir par crainte. L'unique base de la société alors, c'est l'épée; et, dès que cette épée vient à se briser, la société s'écroule, et tombe aussitôt dans l'abîme. De là tous les malheurs des temps modernes. Qui ne se rappelle ce qui eut lieu, en 1830, quand Louis-Philippe jura fidélité à la charte constitutionnelle? «Comme c'est beau!» s'écriait alors le député Guizot. «Quel sacre vaut celuilà!» Oui, peut-être, aux yeux de certains enthousiastes. Malheureusement, quelques années s'étaient à peine écoulées, que le nouveau roi, sacré par nos députés, eul, avec toute sa dynastie, une fin plus pitoyable encore que n'avait été son élévation. Il est donc préférable de faire intervenir le ciel plus fréqueminent même que cela n'est à la rigueur nécessaire plutôt que de s'en passer complétement dans les transactions humaines. Car rien ne peut être établi solidement sans une base divine, surtout quand il s'agit d'une grande institution. Pour en revenir au fait dont nous nous occupons dans cet article, ajoutons ici que, s'il avait son enseignement par rapport au peuple, en lui montrant l'image de la Divinité dans le chef de l'Etat, il avait aussi son enseignement par rapport au chef de l'Etat, en lui rappelant de se montrer toujours le digne représentant de la Divinité, par la pratique de toutes les vertus chrétiennes, mais principalement de la douceur. Car cette blanchie colombe, symbole de la douceur, apportant du ciel, pour lui faire les onctions saintes, une fiole,d'huile, symbole aussi de la douceur, tout cela ne lui disait-il pas que cette belle et céleste vertu de la douceur ne devait jamais s'éloigner de ses yeux, qu'elle devait toujours briller dans sa personne sacrée, et passer, autant que possible, dans tous les actes de son gouvernement. Salutaire enseignement, qui ne peut guère venir que de la religion, laquelle a pour mission d'instruire les rois aussi bien que les peuples!Et nunc,reges,intelligite; erudimini,qui judicatis terram. (Psal. 1, 10.)— De là ces remarquables paroles du ministre de la religion au soldat conquérant, pour lui rappeler l'obligation qu'il contractait de changer complétement de mœurs, en entrant dans le sein de l'Eglise: «Courbe la tête, doux Sicambre!......>>

ANACHORÈTES, ERMITES, MOINES, SOLITAIRES.

Objections. Tout cela est contraire à la nature de l'homme, qui est né pour la société. —Que deviendrait le monde, si chacun se retirait ainsi dans la solitude? - Il y a chez eux souvent des exagérations de mortification que vous êtes les premiers à condamner chez les mabométans et les idolatres.

Réponse. Il y a eu, au commencement du christianisme surtout, un certain nombre de Chrétiens, qui, saisis d'un dégoût profond pour ce monde corrompu et corrupteur, se sont retirés dans la solitude, où ils se livraient à la pratique des plus belles vertus du christianisme. On leur donna différents noma

selon les temps, les lieux, le genre de vie qu'ils avaient adopté dans la solitude; mais, au fond, ils étaient tous des solitaires, se livrant aux mêmes exercices: le recueillement, la prière, la méditation, le travail inanuel, le détachement des choses de ce monde, la patience, la mortification des sens, la charité dans les relations qu'ils avaient encore avec leurs semblables, en un mot, aux exercices les plus héroïques de la vie chrétienne.

Ce genre de vie est aujourd'hui bien rare, pour ne pas dire complétement abandonné; parce que, d'une part, la société devenue chrétienne excite moins les antipathies du véritable disciple de l'Evangile, et parce que, d'une autre part, la religion a concilié admirablement, dans ses communautés, la vie en Société et la vie solitaire. De là ces deux mots, en apparence opposés, pour exprimer la même idée: communauté, c'est-àdire réunion de ceux qui vivent en commun, monastère, c'est-à-dire habitation de ceux qui vivent seuls.

Ces deux termes ne sont opposés qu'en apparence, avons-nous dit avec raison, parce que la vie de communauté est au fond une véritable vie solitaire, soit que l'on considère ceux qui s'y trouvent comme jouissant tous de la plus profonde solitude, soit qu'on les considère comme n'ayant tous qu'un corps et qu'une âme, et ne formant tous, en quelque sorte, qu'un seul en plusieurs, et même en un très-grand nombre quelquefois. C'est dans la solitude, par la réunion des moines sous une même règle, que se sont formés d'abord ces monastères qui, de là, se sont transportés au sein de nos plus grandes populations, autres solitudes d'hommes, suivant l'idée d'un de nos écrivains les plus remarquables.

Tout cela est contraire à la nature de l'homme, qui est né pour la société, avezvous dit.

Et moi, je dis, de mon côté, qu'il n'y a rien là qui ne soit conforme à la nature bien comprise de l'homme; puisque tout y est conforme à la religion, et que la religion n'est que le perfectionnement de la nature humaine.

L'homme est né pour la société, dites-vous. C'est vrai; mais qu'en faut-il conclure? qu'il doit se mettre en relation avec tout le monde? c'est impossible. Avec un trèsgrand nombre de personnes? ce n'est pas possible, non plus, du moins pour la plupart. Il n'y a que dans certaines positions que nos relations avec autrui doivent être étendues. Ailleurs, plus elles s'étendent et plus elles deviennent inutiles, si ce n'est même nuisibles. Que conclure donc? que nous devons conserver avec nos semblables toutes les relations obligatoires, ou du moins très-utiles. Quant aux autres, libre à nous de les rompre, surtout lorsque nous ne le faisons que pour nous livrer exclusivement à la pratique des vertus qui nous concernent plus particulièrement nous-mêmes. Or, ceux dont nous parlons ont-ils rompu de semblables relations? Les a-t-on vus abandonner

DICTIONN. DEs object. popul.

un père, une mère, une épouse, des enfants qui réclamaient leurs soins, et auxquels ils devaient assistance? Non, jamais. Car s'ils l'avaient fait ils cessaient d'être, je ne dirai pas de parfaits solitaires, mais même de bons Chrétiens. Qu'ont-ils donc fait? Je vous l'ai dit, las d'un monde où ils ne trouvaient que dégoût, et où d'ailleurs rien ne les retenait, ils ont rompu complétement avec lui, et se sont retirés dans une solitude profonde, où, se formant de plus en plus à ceite perfection si expressément recommandée par l'Evangile, ils ont édifié encore les autres solitaires, et même les personnes du monde avec qui ils se sont trouvés quelquefois en relation, et ils ont laissé, après leur mort, les uns des règles de conduite, les autres des exemples de vertu qui ont eu la plus heureuse influence, dans la suite, sur la société chrétienne. Y a-t-il là quelque chose de contraire à la nature de l'homme? n'en est-ce pas, au contraire, le perfectionnement? Rappelez-vous sainte Marie d'Egypte. Après s'être livrée à la débauche pendant plusieurs années, elle s'enfonce dans une solitude immense, où elle se livre à des mortifications telles que nous avons de la peine à les croire aujourd'hui. La première partie de sa vie vous paraft-elle plus conforme à la nature humaine, plus utile à la société ? Admirables effets de la Providence, qui ne se réalisent, du reste, que sous l'influence de notre religion : cette jeune fille, perdue de débauche, se précipite dans l'oubli, de toute la puissance de sa volonté, et elle trouve immédiatement, même pour ce monde, la plus éclatante et la plus salutaire immortalité !

Que deviendrait le monde, avez-vous dit encore, si chacun se retirait ainsi dans la solitude?

Ne savez-vous pas que c'est là une supposition absurde, impossible, par conséquent; et que d'une telle supposition on ne peut rien conclure?

Que deviendrait donc le monde, si tous embrassaient la même carrière, disons-nous dans un autre article où cette objection se trouve plus longuement réfutée, si, par exemple, tous se faisaient militaires, avocats, médecins, boulangers, bouchers, sabotiers, etc., etc. La nature répond à cela qu'elle a fait des aptitudes diverses, et formé des goûts différents. D'où il suit qu'il faut laisser chacun aller où sa vocation l'appelle, pourvu qu'il ne viole aucune des lois auxquelles il est obligé de se soumettre.

Impossible en soi, la supposition que vous venez de faire l'est bien davantage encore dans l'état présent de la société. Ne craignez rien, tout le monde ne se précipitera pas dans la solitude. La tendance opposée n'est-elle pas trop dominante au contraire? Est-ce que chacun ne tient pas, comme par le fond de ses entrailles, aux biens du monde, aux plaisirs du monde, aux honneurs du monde? De là l'ambition, de là des rivalités ardentes, de là une agitation continuelle qui, dans un cas donné, pent faire courir les plus grands dangers, je ne

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dirai pas à quelques individus seulement, mais à la société entière. Si quelques-uns éprouvent le désir de quitter ce monde pour s'occuper exclusivement de Dieu dans la solitude, laissez-les donc y aller. Bonne pour le ciel, leur retraite ne peut être qu'une décharge pour la terre, indépendaminent des bénédictions célestes qu'elle ne manquera pas d'y attirer.

Il y a souvent chez eux, avez-vous ajouté, des exagérations de mortification que vous êtes les premiers à condamner chez les mahométans et les idolâtres.

Ce n'est plus du tout la même chose. Nous condamnons, chez les mahométans et les idolâtres, certaines exagérations de mortification pour trois raisons principales: parce que ces mortifications sont mauvaises en soi; il s'agira, par exemple, de mutilations et même de suicide; parce que ces mortifications ont un mauvais but, et cela est clair, puisqu'elles sont faites pour honorer de fausses divinités; parce qu'elles n'ont aucun bon résultat, et cela est évident encore, puisque, au lieu de devenir meilleurs, ceux qui s'y livrent ne sont ensuite que plus emportés et plus violents. Or, rien de semblable n'a eu lieu chez nos solitaires, qui n'ont pu se livrer qu'aux mortifications autorisées par l'Eglise, qui ont offert toutes leurs mortifications au Dieu vivant et véritable, en expiation de leurs péchés et de ceux de tous les hommes, et qui ont acquis par là une patience, une douceur, une soumission telles qu'ils ont été appelés, avec raison, les anges de la solitude. Donc, de ce que nous sommes les premiers à blâmer les pratiques superstitieuses de quelques fanatiques musulmans ou idolâtres, il n'en faut pas conclure qu'il soit permis de blâmer de même les grandes mortifications de quelques-uns de nos solitaires.

« Il y avait, » dit Fleury, des Chrétiens qui, sans y être obligés, pratiquaient volontairement tous les exercices de la pénitence, pour imiter les prophètes et saint Jean-Baptiste, et pour s'exercer à la piété, comme dit saint Paul, en châtiant leur corps et le réduisant en servitude (11 Tim. iv, 7; I Cor. Ix, 26). On les appelait ascètes, c'est-à-dire, exercitants. Ils s'enfermaient d'ordinaire dans des maisons, où ils vivaient en grande retraite, gardant la continence, et ajoutant à la frugalité chrétienne des abstinences et des jeunes extraordinaires. Ils pratiquaient la xérophagie ou nourriture sèche, et les jeunes renforcés de deux ou trois jours de suite,

ou plus longs encore. Ils s'exerçaient à porter le cilice, à marcher nu-pieds, à dormir sur la terre, à veiller une grande parte de la nuit, lire assidûment l'Ecriture sainte, et prier le plus continuellement qu'il était possible. Plusieurs de ces ascètes ont été de grands évêques et des docteurs fameux. Origène a mené la même vie, et l'a marquée comme un état distingué entre les Chrétiens. ▾ (Mœurs des Chrétiens.)

C'est grave et sévère sans doute, mais qu'y a-t-il là de blâmable ? qu'y trouver qui ne soit louable, admirable même, quand on pense que c'est fait pour Dieu, et afin d'arriver à une vertu plus éminente? Actuellement, lisons les renseignements suivants, que je trouve dans la feuille officielle de France, et sur l'authenticité desquels personne ne peut élever, du reste, le moindre doute, tant ils sont de notoriété publique.

Les Indous sont servilement attachés à leur religion. Ils en pratiquent les rites superstitiens, quelque absurdes qu'ils soient. C'est ainsi que, dans leurs fêtes religieuses, des hommes qui veulent passer pour trèspieux se meurtrissent le corps et s'imposent toutes sortes de supplices, dans l'espérance d'être très-agréables à leurs divinités. Les fakirs font de la vie un tourment perpétuel, en se soumettant par dévotion aux habitudes ies plus insupportables. Les femmes mêmes montrent du courage et de l'intrépidité quand il s'agit de coutumes religieuses. C'est au son d'une musique bruyante et parée de ses plus beaux habits que la veuve indienne và se précipiter dans les flammes du bûcher. Ses enfants l'accompagnent, et dans leurs yeux brille une sainte joie, en pensant à la félicité céleste et à la gloire éternelie que leur mère va conquérir. Un Européen dit à l'aîné des fils: « Ne supplierez-vous pas votre mère de se conserver pour ses jeunes enfants qu'elle va rendre orphelins? Moi, commettre une telle infamie! ah! plutôt, si ma mère hésitait un moment, je l'encouragerais, je la forcerais même à accomplir un sacrifice que demandent la religion et l'honneur. »

Il n'est pas possible d'aller plus loin dans le mal, au nom et sous les dehors de la religion. Il n'y a donc aucune comparaison à établir entre ces exagérations évidemment coupables et les pénitences toujours légitimes de nos solitaires; et, de ce que nous blâmons les unes, il n'en faut pas conclure du tout, avons-nous dit avec raison, qu'il soit permis de blâmer les autres.

ANATHÈME.

Objection. — Dire anathème à ses frères, c'est méconnaître la religion de Jésus-Christ, qui était la bonté même.

Réponse. — Non, ce n'est point méconnaître la religion de Jésus-Christ, car ce même Jésus-Christ, qui, comme vous le dites fort bien, était la bonté même, a le premier déclaré retranché de la communion des fidèles

(ce qui est la même chose que de lui dire anathème) celui qui refuse obstinément d'écouter l'Eglise, c'est-à-dire celui que nous en déclarons retranché, en prononçant le mot sacramentel d'anathème : Que si votre frère a péché contre vous, nous dit-il, en nous traçant le devoir de la correction fraternelle. allez le trouver, et le reprenez en particulier entre vous et lui seul. S'il vous écoute, vous

aurez gagné votre frère. Mais, s'il ne vous écoute point, prenez encore avec vous une ou deux personnes, afin que tout soit confirmé par l'autorité de deux ou trois témoins. Que silne les écoute pas, dites-le à l'Eglise; et, s'il n'écoute pas l'Eglise même, qu'il soit à votre égard comme un païen et un publicain.

Si autem Ecclesiam non audierit, sit tibi sicut ethnicus et publicanus. » (Matth. xvIII, 15-17.)

Non, ce n'est point méconnaître la religion de Jésus-Christ; car l'Apôtre qui l'a si bien connue et pratiquée, celui qui, après avoir été instrujt par Dieu lui-mêine des vérités de la foi, fut chargé de les faire connaître aux gentils; celui qui parle, en termes si magnifiques, de toutes les vertus chrétiennes, mais principalement de la charité, Paul enfin se sert positivement de cette énergique expression: Si quelqu'un n'aime pas Noire-Seigneur Jésus-Christ, nous dit-il, qu'il soit anathème. « Si quis non amat Dominum nostrum Jesum Christum, sit anathema. » (1 Cor. IVI, 22.)

Non, ce n'est point méconnaître la religion de Jésus-Christ, puisque c'est la sentence même que, sur l'invitation de NotreSeigneur, et d'après l'exemple de saint Paul, l'Eglise n'a cessé de prononcer contre ceux qui persistentjusqu'à la fin dans leur révolte, malgré les avertissements qui leur ont été donnés.

Non, ce n'est point méconnaître la religion de Jésus-Christ, puisque c'est le cri naturel de la raison comme de la foi contre ceux qui Outragent le Seigneur, scandalisent leurs frères, et arriveraient infailliblement à l'abime, en y entraînant beaucoup d'autres avec eux, si une main ferme autant que bienveillante ne les arrêtait sur la voie où ils se sont malheureusement engagés. Estce que le soldat indiscipliné n'est pas retranché du corps qu'il déshonore et démoralise? Est-ce qu'aucune société pourrait subsister sans la condamnation et le retranchement des membres qui sont pour elle une cause d'affaiblissement et peut-être même de ruine? Il en est ainsi pour la religion de Jésus-Christ. On peut dire même que plus cette religion est pure et sainte, plus elle doit être défendue avec soin contre toutes les atleintes de l'erreur.

Et qu'on ne dise pas que la charité chrétienne doit empêcher d'en venir à ces extrémités. Car cette charité est précisément un des motifs les plus pressants qui y déterminent. Charité pour les Chrétiens restés fidèles, charité pour celui-là même qui s'est révoité et à qui on dit anathème.

L'hérétique n'est jamais seul, si ce n'est au moment même où il commence à se séparer de la société des fidèles. C'est une branche qui, en se brisant, tombe à terre et en entraîne d'autres avec elle dans sa chute. On doit remarquer même que toute hérésie, toute erreur en fait de religion est d'autant

plus contagieuse, qu'elle flatte nos passions, et particulièrement la plus violente de toutes, celle de l'indépendance. De là la nécessité de l'arrêter, et de le faire promptement, non-seulement dans l'intérêt de la vérité elle-même, qui peut fort bien se passer des hommes, mais aussi et plus encore dans l'intérêt des hommes, qui ne peuvent se passer de la vérité. De là la nécessité de la signaler aux yeux de tous, de l'élever en haut, moralement du moins (ce qui est exprimé avec tant d'énergie par le mot anathème), et de la présenter ainsi comme une chose abominable, dangereuse, qu'il faut éviter absolument, de peur de périr. Quelquesuns s'y laisseront prendre encore après cela, sans doute, mais ce sera bien leur faute, et ils ne devront imputer leur perte qu'à euxmêmes.

Vous allez me demander, peut-être, pourquoi condamner ainsi, avec tant de publicité, l'hérétique lui-même, et ne pas se contenter de condamner son erreur, qui seule est abominable aux yeux de Dieu et dangereuse pour les homines.

Pourquoi? Mais parce que, à cause de son obstination dans l'erreur, il se l'est en quelque sorte incorporée, de manière qu'il ne fait plus qu'un, pour ainsi dire, avec elle; d'où il suit qu'on ne peut plus condamner l'hérésie sans condamner l'hérétique lui

même.

Pourquoi? Mais parce que c'est lui qui la publie, la propage, et en fait en partie le danger. Il est alors dans une position à peu près semblable à celle de l'homme dont les vêtements sont tout en feu, et qui ne peu! plus se tourner d'aucun côté sans communiquer l'incendie à tous les objets avec lesquels il entre en contact. On est bien obligé de jeter l'eau sur lui pour éteindre le feu et l'empêcher de se communiquer.

Pourquoi? Mais parce que, sans cela, il se ferait peut-être illusion jusqu'à la fin; il ne comprendrait pas, du moins, toute l'étendue de sa faute. Quand, au lieu de ces dangereux ménagements, il se sent arrêté, condamné solennellement par ceux à qui JésusChrista dit: Comme mon Père m'a envoyé, et moi aussi je vous envoie (Joan. xx, 21); Qui vous écoute, m'écoute (Luc. x, 16); quand il se voit abandonné des fidèles et recherché des méchants seulement, la lumière ne tarde pas à se faire dans son âme, et il est naturellement porté à tourner ses regards vers Dieu, et par suite à se rapprocher de l'Eglise, qui ne l'a même condamné qu'avec charité et qui, en le frappant d'une main, est prête à le presser de l'autre contre son cœur, à lui donner les preuves les plus convaincantes de toute sa tendresse, comme fit le père de famille à l'égard du prodigue repentant, et à lui rendre même, s'il revient à ses sentiments d'autrefois, ses anciennes prérogatives.

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