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t-il de faire verser des larmes, d'arracher des sanglots aux plus insensibles? Ce n'est donc pas un langage inintelligible adressé aux hommes, mais plutôt le langage le plus touchant, le plus profond, le plus avantageux qu'on puisse leur faire entendre.

<< Sans doute, » dit à cette occasion l'abbé de Frayssinous, «nous n'avons point d'idées completes ni parfaites de nos mystères; nous ne les présentons pas dans leur substance la plus intime; nous ne les voyons pas dépouillés de toute espèce de nuages. Mais nous les connaissons assez pour en parler distinctement et sensément, pour ne pas les confondre les uns avec les autres, pour voir où se trouve la saine doctrine, où se trouve l'erreur, et même pour en tirer des leçons de conduite très-utiles et très-touchantes. Hé quoi! lorsque le grave Bourdaloue prêchait dans la capitale ses discours sur les mystères, parlait-il à son auditoire une langue inconnue? Ne faisait-il que proférer des paroles vides de sens? ne réveillait-il dans les esprits aucune idée, aucun sentiment? Ou plutôt ne sait-on pas que ces admirables discours sont encore un des chefs-d'œuvre de l'éloquence chrétienne? Il en est des mystères de notre religion, comme de beaucoup de choses dont parlent ordinairement tous. les hommes, les savants comme le peuple, et dont pourtant on n'a que des notions imparfaites, vagues et confuses. Ainsi toute la terre parle du temps, de l'espace, de l'éternité et pourtant, si nous voulons y faire attention, nous verrons que ce sont là des choses dont la nature nous est cachée, dont l'idée est très-incomplète et mêlée d'impénétrables obscurités. Qui peut se flatter de bien comprendre ce que c'est que l'espace, et de terminer à ce sujet les querelles des métaphysiciens les plus subtils? Veut-on se figurer l'espace comme une immense capacité, distinguée de ce monde et dans laquelle ce monde est contenu? Mais cette capacité, est-ce quelque chose de réel? en fera-t-on un être véritable, ou bien n'est-ce qu'un être imaginaire, un néant? Dira-t-on que l'espace n'est pas distingué de la manière dont les corps existent les uns par rapport aux autres? Mais comment des choses matérielles peuvent-elles exister sans être contenues dans un lieu qui soit distingué d'elles-mêmes? Il faut l'avouer, l'esprit humain touche ici à des bornes qu'il ne saurait franchir. Un des génies les plus pénétrants qui aient jamais paru sur la terre, saint Augustin, était si embarrassé pour se faire des idées bien nettes du temps, qu'il a dit quelque part: Quand on ne me demande pas ce que c'est que le temps, je le sais; et quand on me demande ce que c'est que le temps, je ne le sais plus. (Confess., lib. xi, cap. 14.) Oui, il faudrait n'avoir jamais réfléchi, être entièrement étranger à la science qui est le fondement de toutes les autres, à la métaphysique, pour ne pas savoir que la plupart de nos connaissances se lient à des objets dont nous n'avons pas des idées incomplètes et environnées de profondes ténèbres. » Ne dites

donc point qu'enseigner nos mystères aux hommes, c'est leur parler grec ou hébreu. Les enseigner aux enfants!... avez-vous ajouté.

Pourquoi non? Ne leur apprenez-vous pas, et même dès le plus bas âge, à lire, à écrire, à compter? Il y a là pourtant des mystères qu'aucun ne pénétrera jamais par faitement à aucune époque de sa vie. Cette considération ne vous arrête pas un seul instant «Ils en comprennent et en pratiquent déjà quelque chose, pensez-vous avec raison, d'après l'expérience qu'en ont tous les hommes et que vous en avez vousmême, et plus tard ils en comprendront et en pratiqueront davantage. » Vous ne pouvez donc, sans inconséquence, sans vous mettre en opposition avec la conduite gé nérale des hommes, avec la raison, nous défendre de leur enseigner les mystères de la religion, dont la connaissance nous est, à tous, infiniment plus importante que celle de toute science profane.

<< Sans doute, » observe ici l'abbé de Frays sinous, « les enfants n'auront que des idées vagues sur les mystères, on les confiera plus à leur mémoire qu'à leur jugement; mais les notions qu'ils reçoivent se développeron avec les années, et, imprimées dans leur âme dès l'age le plus tendre, elles ne s'effaceront plus. Ainsi ont été élevés nos pères dans les âges précédents; ainsi ont été éle vés Descartes, Pascal et Bossuet: oui, ces grands hommes ont commencé par apprendre leur catéchisme, si je puis me servir de cette expression populaire, et cela ne les a pas empêchés d'être des esprits créateurs, chacun dans leur genre, et de devenir les flambeaux du monde; ainsi ont été élevés la plupart d'entre nous, et je ne vois pas que cette méthode ait eu de mauvais résultats sous aucun rapport. Croyez-en, non aux vains discours de spéculateurs oisifs, mais à l'expérience personnelle de ceux qui, par état, ne sont pas étrangers à l'éducation du premier âge. Nous ne craignons pas de vous dire qu'avec un peu d'art et de pa tience on peut très-bien lui faire goûter l'enseignement des plus hautes vérités. Dans nos Evangiles, fa partie mystérieuse se trouve mêlée à des faits merveilleux, à des paraboles touchantes, à des traits d'hu manité, à des maximes d'une morale pure, à des images gracieuses ou terribles, qui ont de quoi intéresser tous les âges et ne sait-on pas que nous apportons en naissant un goût très-vif pour les choses extraordinaires, cachées, mystérieuses, et que, pour être environnées de certains nuages, elles ne font qu'exciter davantage la curiosité? Qu'on montre à l'enfance Jésus naissant dans une crèche, célébré par les anges, visité par les bergers des montagnes voisines, croissant sous les yeux de ses parents auxquels il est soumis, quittant sa retraite pour évangéliser les peuples et soulager les malheureus, be nissant les enfants, pleurant au tombeau de Lazare et sur l'ingrate Jérusalem, montan au Calvaire en portant le bois sur lequel on

doit l'immoler, donnant sa vie pour ses ennemis, sortant ensuite glorieux du sépulcre et s'élevant en triomphe dans les cieux : tout cela n'est-il pas fait pour captiver l'imagination et le coeur, et se graver aisément dans la mémoire? >>

Ainsi l'enseignement des mystères chrétiens est déjà souverainement utile aux enfants dès le premier âge, et il doit leur devenir plus utile encore dans la suite. Ce

n'est donc point leur parler grec ou hébreu, comme vous avez dit, ce n'est donc point leur faire entendre un vain son, mais bien plutôt leur apprendre cette céleste doctrine qu'aucune intelligence créée ne saurait embrasser complétement, tant elle est vaste et profonde, et qui a néanmoins sa gouttelette de vérité et d'amour pour les plus faibles intelligences.

MYSTICITÉ.

Objections. La mysticité est une espèce de folie religieuse. Elle ouvre la porte aux plus grands égarements, et nous pourrions le prouver par beaucoup d'exemples.

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Réponse. Comme toutes choses, j'ajouterai même, comme les choses les plus sublimes, la mysticité a ses dangers, ses abimes; dangers, abîmes d'autant plus redoutables quelquefois, qu'elle a élevé l'âme à une plus grande hauteur. Ceux qui ne la voient que du mauvais côté ne sauraient donc manquer de nous dire :

La mysticité est une espèce de folie religieuse.

Oui, à vos yeux, parce que vous ne considérez que les égarements dans lesquels l'âme tombe quelquefois en s'y abandonnant. Or savez-vous bien ce qui arriverait si on jugeait ainsi toutes choses? C'est que les meilleures seraient précisément les plus insignes folies.

Oui, la mysticité doit être une espèce de folie à vos yeux, parce que vous vous plarez au point de vue du monde pour la juger, et que ce qui est sagesse devant Dieu n'est que folie pour le monde, la plupart du temps, de même que ce qui est sagesse pour le monde n'est que folie devant Dieu.

La mysticité est une espèce de folie religeuse, avez-vous dit. Mais savez-vous seulement ce que c'est, vous qui parlez ainsi? Savez-vous d'où elle vient, où elle va, quels effets elle produit réellement dans les âmes qu'elle domine?

Quoique protestant, Leibnitz a eu sur la théologie mystique une idée remarquable:

Cette théologie, »dit-il, «est à la théologie ordinaire ce que la poésie est à l'éloquence. »> Comme la poésie, en effet, elle aime à planer au-dessus de la terre et à entretenir commerce avec les cieux; au lieu de se laisser abattre par la douleur, elle s'en nourrit, et elle donne à l'âme cette divine énergie indispensable pour vaincre toutes les difficultés de la vie.

Qui que nous soyons, nous avons tous éprouvé mille fois que l'homme n'est point à sa place en ce monde. Il se tourmente, il s'agite en tout sens. Il cherche partout le bonheur qu'il ne trouve nulle part. «Il est la lui crie une voix trompeuse. Il s'y précipite avec une ardeur que rien ne peut arrêter. I y arrive enfin, après des efforts inouïs. Hélas! au moment même où il élevait la main pour saisir ce qu'il croyait le

bonheur, il voit s'évanouir l'ombre vaine qu'il prenait pour une réalité. Inutilement il rappelle à lui le passé. Les jours qui se sont écoulés déjà ont une ressemblance déplorable avec ceux qui s'écoulent actuellement, en sorte que sí, dans leur rapide passage, ils ont laissé quelques traces dans son âme, c'est surtout par la désolation et les larmes. Inutilement il se réfugie dans l'avenir car l'avenir est la troisième partie d'un tout dont il connaît déjà la première. L'expérience ne lui permet donc plus de se faire illusion; et si, traînant après lui la longue chaîne de ses espérances trompées, il cherchait encore la joie au sein même de la tristesse, de nouveaux désappointements ne tarderaient pas à l'abattre plus profondé ment que jamais.

Ce qui soutient l'homme ici-bas, c'est l'attente d'une vie meilleure. Il traverse moins péniblement la mer orageuse de ce monde en regardant les cieux. Telle est cependant son impatience du bonheur, qu'il le veut à tout prix sur la terre. Ne le trouvant point dans la vie réelle, il le cherche dans une vie idéale. Il se repaît d'illusions. Dégagé des sens, pour ainsi dire, il se met en relation avec des êtres d'une nature supérieure qui n'existent que dans son imagination. C'est la poésie de la vie. Quand cette vie intérieure a pour base la religion; quand, au lieu de se repaître d'illusions, elle se nourrit des idées chrétiennes, c'est la vie mystique: vie toute spirituelle, supérieure, par conséquent, à la vie ordinaire. Dieu, Jésus-Christ, la Vierge-Mère, les esprits célestes, les saints, voilà les êtres avec lesquels nous entrons en rapports habituels, non par l'entremise des sens, qui nous trompent si fréquemment, mais par l'entremise beaucoup plus sûre de la foi.

Celui qui parla le mieux peut-être le langage des mystiques, Fénelon s'exprime ainsi dans le panégyrique de la sainte qui a le plus vécu de cette vie toute spirituelle: « A peine Thérèse lisait-elle deux lignes pour se nourrir de la parole céleste de la foi, que l'Esprit, se saisissant d'elle, liait ses sens et les puissances de son âme pour l'enlever hors de sa lecture. Elle voy ait d'une vue fixe Jésus seul et Jésus crucifié. Sa mémoire se perdait dans ce grand objet, son entendement ne pouvait agir, et ne faisait que s'étonner en présence de Dieu, abîme d'amour et de lumière; elle ne pouvait ni rappeler ses idées, ni raisonner sur les mystères; nulle image

sensible ne se présentait ordinairement à elle, seulement elle aimait, elle admirait en silence, elie était suspendue et comme hors d'elle-même. »

Telle est quelquefois l'action de l'Esprit infini dans son intime union avec l'esprit créé, que ce n'est pas l'âme seulement, mais le corps même qui est élevé au-dessus de la terre et emporté vers les cieux. Aussi les dernières paroles du passage que nous venons de citer doivent-elles s'entendre à la lettre et non métaphysiquement, comme quelques-uns pourraient se l'imaginer: « Je me sentais,» dit sainte Thérèse, parlant de ses ravissements, « enlever l'âme et la tête,, et quelquefois même le corps entier, en sorte qu'il ne touchait plus la terre. Ce dernier effort eut lieu rarement, il est vrai; mais je l'éprouvai d'une manière bien sensible un jour que j'étais à genoux, prête à communier. Čela me fit beaucoup de peine, parce qu'il me paraissait y avoir quelque chose de fort extraordinaire qui ne manquerait pas d'être remarqué. C'est pourquoi, en ma qualité de prieure, je défendis aux religieuses d'en parler. >>

De tels prodiges qui tendent à tout spiritualiser, même la matière, paraîtront sans doute extraordinaires au siècle qui, de son côté, voudrait tout matérialiser, même l'esprit. Il est vrai que, si le cœur s'attache aujourd'hui de plus en plus à la terre, le génie semble s'en détacher, dans la même proportion, par l'étude approfondie des sciences et des arts. Nous ne savons ce qui résultera de certaines découvertes modernes, préconisées de tous côtés avec exaltation; mais, à moins de fermer les yeux, il nous est impossible de ne pas remarquer en ce moment, dans les régions élevées, la lutte ouverte entre l'esprit et les sens, les efforts multipliés de l'intelligence pour vaincre la matière. Il ne saurait y avoir toutefois de plus éclatante victoire remportée sur les sens que ces ravissements de quelques saints dont le plus hardi scepticisme ébranlerait difficilement la certitude. Le plus extraordinaire et le plus incontestable en même temps, puisqu'il se trouve dans les livres inspirés, c'est celui que l'Apôtre des nations rapporte dans sa II Epitre aux Corinthiens (xii, 2): Je connais un homme en Jésus-Christ qui fut élevé jusqu'au troisième ciel, dit-il en parlant de luiinême. Si ce fut avec son corps ou sans son corps, je n'en sais rien, Dieu le sait. Mais je sais que cet homme fut emporté dans le paradis, et y entendit des paroles secrètes qu'il n'est pas permis à la langue humaine de répéter. C'est bien là évidemment le plus grand triomphe de l'esprit sur la chair. Non-seulement il s'en dégage, mais il la dompte, il la maîtrise, il l'élève vers le séjour des purs esprits, d'où il lui fait entendre les sons affaiblis de ces harmonieux concerts qui n'ont point d'écho sur la terre, et ne peuvent être répétés par la langue des hommes. Malheureusement ces heures d'extase s'écoulent rapidement. Si j'osais comparer les petits objets de la nature aux grandes choses de la

religion, je dirais: Voyez ce faible oiseau qu'enchaîna la main d'un enfant. Il s'élève, par un instinct naturel, dans les airs où Dieu le plaça pour voler en liberté; mais, incapable de soulever longtemps les liens qui le retiennent, il est arrêté dans son essor et retombe aussitôt vers la terre. Il en est de même de l'âme humaine. Enchaînée aussi dans les liens du corps, elle cherche à s'élever aux cieux, où l'appelle le bonheur; mais, incapable de soulever longtemps le poids qui la retient, elle se sent arrêtée bientôt dans son essor sublime et retombe vers la terre, où elle retrouve toutes les misères de la vie.

Elle les supporte alors cependant avec résignation et même avec amour, parce qu'il vient de lui être révélé que, plus elle aura été éprouvée sur la terre, et plus elle sera élevée en gloire dans les cieux. De quoi saint Paul aime-t-il à se glorifier? De la grandeur de ses révélations? Non, car elles pourraient devenir pour lui une cause d'orgueil; mais il se glorifie volontiers de ses infirmités, pour que la vertu de Jésus-Christ habite en lui. Sainte Thérèse se plaît-elle dans ses ravissements? Au contraire, elle en est effrayée: elle cherche à les cacher aux hommes, elle résiste même à l'entraînement de l'Esprit divin. L'heure n'est pas arrivée pour elle de s'élever au ciel, et elle s'attache à la terre avec toute l'énergie de son humilité. Mais, quand le Seigneur permet aux souffrances de l'éprouver, son cœur tressaille d'allégresse. C'est là son élément sur la terre, et vous diriez qu'elle ne peut vivre ailleurs. « Ou souffrir, ou mourir !» s'écrie-t-elle quelquefois. Cette parole, sortie de la bouche d'une femme épuisée par de continuelles souffrances, ne me paraît pas avoir été suffisamment admirée. C'est le sublime de la patience.

L'âme puise encore à cette source divine la force qui lui est nécessaire pour exécuter les plus difficiles entreprises. Voyez l'Apôtre des Indes. N'ayant pour arme que la croix de Jésus, ce conquérant des âmes soumet seul à l'Evangile un plus grand nombre de peuples que n'en soumettrait à sa domination le plus intrépide guerrier suivi d'une armée puissante. Voyez saint Vincent de Paul, ce pauvre prêtre, né dans un village inconnu, d'une famille plus inconnue encore, et devenu depuis si célèbre. Il est en ce monde bien des sortes de misères. Cependant vous n'en nommeriez peut-être pas une seule à laquelle il n'ait compati et qu'il n'ait essayé de soulager. Apôtre de la charité, répondant dignement à sa vocation, il a fait, seul, plus de bien à l'humanité que ne lui en feraicul les princes les plus riches de la terre en se réunissant, Et, de peur qu'on ne dise qu'il se trouve quelquefois dans des âmes fortes une secrète énergie dont nous ne pouvons guère calculer la puissance, prenons une pauvre fille, faible, timide, sans aucune espèce de ressources. Supposons même, si vous le voulez, que son cœur se soit énervé longtemps au sein des plaisirs, gagnée

enfin par l'attrait de la grâce, elle se donne tout entière à Jésus-Christ. Après avoir passé quelque temps dans la retraite, elle paraît au milieu du monde étonné du changement qui s'est fait en elle. Ses paroles et ses actions ont une force irrésistible. Il n'y a rien de si difficile qu'elle ne soit disposée à entreprendre, qu'elle ne se trouve en état d'exécuter pour la gloire de Dieu et le bien de l'humanité. Quelquefois même le ciel lui permet de disposer de cette puissance prodigieuse qui lui appartient en propre, comme on peut s'en convaincre en lisant l'histoire des héroïnes les plus remarquables du christianisme... Eh bien ! comment donc tant de force dans de simples mortels, et j'ajouterai même dans des êtres naturellement si faibles quelquefois? Ah! il est aisé de le voir, c'est qu'ils ne se trouvent plus dans les conditions ordinaires, c'est que la Divinité est unie moralement en eux à l'humanité, en sorte que, pour appliquer ici l'idée du grand Apôtre, ce ne sont point eux qui vivent véritablement; mais c'est le Christ qui vit en eux, tant leur nature est changée: Vivo autem, jam non ego; vivit vero in me Christus. (Galat. 11, Galat. 1, 20.)

Il apparaît bien rarement sans doute de ces âmes privilégiées que Dieu envoie sur la terre pour renouveler, en quelque sorte, la mission du Verbe incarné; mais il en est bien peu aussi qui ne retrempent souvent dans la Divinité leur nature affaiblie par l'union avec le corps. L'influence de la vie mystique sur l'humanité est donc beaucoup plus grande qu'on ne se l'imagine communément. Et ce n'est pas seulement par rapport aux choses saintes que s'exerce cette influence : « Tous les inventeurs, tous les hommes originaux ont été des hommes religieux et même exaltés, a dit un écrivain qui se trouve luimême dans ces conditions. « L'esprit humain, dénaturé par le scepticisme irréligieux, ressemble à une friche qui ne produit rien, ou qui se couvre de plantes spontanées inutiles à l'homme. Alors même sa fécondité naturelle est un mal: car ces plantes, en mêlant et en entrelaçant leurs racines, endurcissent le sol, et forment une barrière de plus entre le ciel et la terre. Brisez, brisez cette croûte maudite; détruisez ces plantes mortellement vivaces; appelez toutes les forces de l'homme; enfoncez le soc; cherchez profondément les puissances de la terre pour les mettre en contact avec des puissances du ciel. Voilà l'image naturelle de l'intelligence humaine ouverte ou fermée aux connaissances divines. Les sciences naturelles mêmes sont soumises à la loi générale. Le génie ne se traîne guère appuyé sur des syllogismes. Son allure est libre; sa manière tient de l'inspiration: on le voit arriver, et personne ne l'a vu marcher. Y a-t-il, par exemple, un homme qu'on puisse comparer à Keppler dans l'astronomie? Newton lui-même est-il autre chose que le sublime commentateur de ce grand homme qui seul a pu écrire son nom dans les cieux? Car les lois du monde sont les lois de Keppler. Il y a surtout dans la troisième quelDICTIONN. DES OBJECT. POPUL.

que chose de si extraordinaire, de si indépendant de toute autre connaissance préliminaire, qu'on ne peut s'empêcher d'y reconnaître une véritable inspiration. Or, it ne parvint à cette immortelle découverte qu'en suivant je ne sais quelles idées mystiques de nombres et d'harmonie céleste qui s'accordaient fort bien avec son caractère profondément religieux, mais qui ne sont pour la froide raison que de pures rêves. (Soirées de Saint-Pétersbourg.)

La mysticité n'est donc point une folie, mais bien plutôt un état heureux, sublime, source pour l'homme des plus grands avantages.

Elle ouvre la porte aux plus grands égarements, avez-vous dit encore, et nous pourrions le prouver par beaucoup d'exemples.

Oui, en dehors de la religion catholique; mais non pas tant qu'on reste sous la direction de cette divine Mère.

Reconnaissons-le donc ici hautement, cette exaltation de l'intelligence a aussi ses dan gers placés tout à côté de ses avantages. L'âme, en effet, peut devenir alors le jouet d'une infinité d'illusions, et elle s'y attachera avec d'autant plus d'opiniâtreté qu'elle les prendra pour des inspirations. Si elle a secoué le joug de l'autorité légitime, en vain vous essayerez de la détromper, en vain vous Jui crierez: « Arrêtez-vous! » Appliquant à contre-sens les sublimes paroles des apôtres, elle vous répondra hardiment: Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. (Act. v, 29.) Elle s'égarera donc de plus en plus, jusqu'à ce qu'elle soit tombée au fond de l'abime comme l'ange rebelle, entraînant aussi peutêtre, dans sa chute malheureuse, un grand nombre d'esprits égarés à sa suite. Ön ne peut lire dans l'histoire, sans une douleur profonde, les extravagances funestes de tant d'âmes faussement illuminées par une mysticité sans règle. Et combien d'autres extravagances ne sont jamais tombées dans le domaine de la publicité !

Ces dangers ne sont plus les mêmes avec l'enseignement de la religion catholique. Etroitement uni à l'Eglise, sa Mère, l'homme s'abandonne sans crainte aux entraînements de son cœur, qui le portent vers son Père céleste. Sans doute il pourra encore s'égarer dans le sein de l'Eglise que Dieu lui a donnée pour le conduire, puisque l'ange s'est égaré dans le sein de Dieu lui-même; mais alors les avertissements de cette tendre Mère ne tarderont pas à arriver jusqu'à son cœur, et à le ramener à la vérité et à la vertu, pourvu qu'il ait encore une docilité suffi

sante.

Je vous atteste ici, pieux et savant Fénelon! la noblesse de votre âme vous fit penser que nous pouvons aimer Dieu, sur la terre, d'un amour parfaitement désintéressé. Perdus, anéantis, pour ainsi dire, dans l'immensité de Dieu, nous pourrions alors, selon vous, tout oublier, jusqu'au bonheur éternel. Ce quiétisme de la terre vous semblait l'introduction la plus naturelle au repos sans

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fin de l'autre vie. Telle était en vous la puissance du talent et de la conviction que vous repoussâtes longtemps avec gloire les attaques pressantes du génie le plus vigoureux qui fut jamais, et le plus exercé à la controverse. L'Eglise cependant condamne votre doctrine comme dangereuse en elle-même, plus dangereuse encore par ses tendances. Tous les regards se portèrent sur vous à ce moment décisif: « Que va-t-il faire? » se demandait-on de toutes parts. Mais, vous, plus grand peut-être encore au jour de votre condamnation que vous ne l'aviez été dans vos triomphes: « A Dieu ne plaise, » ditesvous, « qu'il soit jamais parlé de moi, si ce

n'est pour se souvenir qu'un pasteur a cru devoir être plus docile que la dernière brebis du troupeau, et qu'il n'a mis aucune borne à son obéissance!» L'Eglise entière applaudit, et vos ennemis eux-mêmes se turent devant l'admiration du monde. Chose étonnante, unique peut-être dans l'histoire! Celui qui avait reçu de la nature tous les moyens de faire impression sur les hommes, celui qu'on n'eût point été étonné de voir entraîner après lui le monde entier, pour ainsi dire, dans les voies de l'erreur, celuici mourut sans qu'aucune secte se soit rattachée à son nom.

N

NEUVAINE.

Objection. Une neuvaine précisément ! Pourquoi pas une huitaine ou une dizaine?

--

Réponse. Que vous êtes enfant! vous vous arrêtez à des mots, tandis que c'est le fond des choses qu'il faut avant tout considérer. De quoi s'agit-il ici? d'une prière dite pendant neuf jours, ce qui la fait appeler neuvaine, ou bien un seul jour par neuf personnes, ce qui est une neuvaine d'un autre genre. La prière n'est-elle pas toujours bonne en soi ? Oui. Dite pendant neuf jours, ou un jour seulement par neuf personnes, n'est-elle pas meilleure encore? Oui, puisque Jésus-Christ nous recommande, dans un endroit de l'Evangile, de prier avec persévérance, pour être écouté de Dieu, et, dans un autre endroit, de nous réunir plusieurs en son nom pour qu'il se trouve au milieu de nous. Or, voilà ce qui a lieu dans les deux sortes de neuvaines dont nous venons de parler. Elles n'ont donc rien qui prête au blame ou au ridicule. Au contraire, elles s'accordent parfaitement avec les recommanitations de l'Evangile relativement à la prière.

Vous nous demandez, il est vrai, pourquoi une neuvaine plutôt qu'une huitaine ou une dizaine. Mais j'ai aussi le droit de vous demander, de mon côté, pourquoi une huitaine ou une dizaine plutôt qu'une neuvaine. Il fallait bien s'arrêter à un nombre. Celui de

neuf est adopté pour certaines prières : suivons l'usage; ou, du moins, qu'il nous soit loisible de le suivre; car il n'y a, en général, aucune obligation à ce sujet. Ainsi, quand bien même il n'y aurait aucune idée attachée à ce nombre, il ne s'ensuivrait pas qu'on cût mal fait de s'y arrêter. Cela n'est pas toutefois. « Dans l'Eglise chrétienne, dit Bergier, le nombre de trois est devenu sacré, parce qu'il est relatif aux trois personnes de la sainte Trinité. Comme ce mystère fut altaqué par plusieurs sortes d'hérétiques, l'Eglise affecta d'en multiplier l'expression dans son culte extérieur. Elle le devait d'ailleurs à la sublimité de ce mystère, le premier de tous. De là la triple immersion dans le baptême, le Trisagion ou trois fois saint chanté dans la liturgie, les signes de croix répétés trois fois par le prêtre pendant la Messe, etc. Par la même raison le nombre de neuf, ou trois fois trois, est devenu significatif : ainsi l'on dit neuf fois le Kyrie ou Christe eleison. Nous pensons qu'une neuvaine fait la même allusion. » D'autres pensent que c'est en l'honneur des neuf chœurs angéliques. Quoi qu'il en soit, c'est toujours ce nombre impair qui plaît à la Divinité, dit le poëte:

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NOUVEAU MONDE.

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(VIRG., egl. vin, vers. 75.)

de la culpabilité des hommes; mais aussi voir le bien et le reconnaître. Or, ce n'est point ce que font certaines personnes à l'occasion de la découverte de l'Amérique, la plus grande conquête assurément que nous devions an génie de l'homme, puisqu'elle a ajouté tost un nouveau monde à l'ancien. Ceux dont nous parlons n'y veulent voir que le mai; et, ce qui est beaucoup plus injuste encore, ils en montrent la cause là où non-seule ment elle n'est point, mais où en était le remède, au contraire, si on eût voulu l'ap pliquer.

En ont-ils fait mourir les Espagnols, dans

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