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un hôpital, c'est le champ de bataille, ce théâtre où la souffrance et la mort règnent plus souverainement que partout ailleurs. On n'aurait pas cru cet ange de charité propre aussi à la guerre. Le cliquetis des armes, le bruit du canon, la licence des camps doivent tout naturellement l'effaroucher. Oui, mais, d'un autre côté, nous ne pouvons méconnaître l'aptitude universelle de la charité Elle supporte tout, a dit saint Paul: Omnia sustinet. (1 Cor. x, 7.) Ah! vous n'en douteriez pas plus que moi, si vous aviez vu nos sœurs de Charité en Crimée, où rien ne les empêcha de donner un libre cours à leur dévouement. Voulez-vous vous faire une idée de leurs exploits charitables, si e puis m'exprimer de la sorte, sans en avoir été vous-même témoin, lisez le fait suivant qu'un voyageur, qui a passé à Baden-Baden la dernière saison des eaux, a recueilli dans ses notes, et communiqué au Messager de la charité :

« Je rencontrai un soldat français venu en traitement à Bade, dont les eaux minérales, comme on sait, sont très-efficaces, surtout pour les blessures faites par les armes à feu. Il marchait péniblement; et, chemin faisant, il me racontait ses dernières campagnes, entre autres l'attaque du Mamelon-Vert et de la tour Malakoff, qu'il s'efforçait de me peindre, en me montrant des hauteurs et des positions environnantes. Par moment, il se faisait illusion au point de se croire soudain transporté dans les lieux où il avait été témoin et acteur des scènes les plus terribles et les plus émouvantes. Tout à coup, apercevant près de nous un ravin assez profond et étendu, il eut comme une hallucination.

C'est ici, s'écria-t-il d'un ton très-ému, avec un geste plein d'expression et un regard exalté, c'est ici que je fus blessé griènement avec trois de mes camarades et qu'on nous laissa pour morts dans une des tranchées... Déjà, nous tenant tous quatre par la main, nous comptions « passer ensemble l'arme à gauche, » quand l'un de nous, se soulevant à grand peine, aperçut deux sœurs de Charité qui, malgré un feu d'enfer, à travers les cadavres et les cris des mourants, parcouraient le champ de bataille, cherchant des blessés à secourir. Aussitôt l'espérance nous revint; car, avec ces sœurs-là du moins, si nous n'étions pas sûrs de vivre, nous étions sûrs de bien mourir... En effet, ces femmes du bon Dieu ne tardèrent pas à accourir de notre côté... A leur aspect, nous respirames plus librement; et, lorsque, en un clin d'oeil, elles se furent empressées de nous relever, de nous soutenir, d'étancher notre sang. puis de nous encourager avec leurs voix si douces, de nous panser avec leurs mains si habiles et si bienfaisantes, nous ne songions déjà plus à nos souffrances. Cependant, un de nous, Georges, hélas! était si cruellement mutilé que, malgré tous les efforts possibles, nous vimes qu'il allait partir... Alors notre sœur dit des choses si bien trouvées dans son âme pour celle de notre camarade, que Georges, plaçant

la tête sur son genou, embrassant le crucifix qu'elle lui présentait, et lui serrant la main, pour la remercier, rendit tout tranquillement son dernier soupir... Ce brave Georges ! Je suis bien certain que la bonne sœur l'a mené droit au ciel! Quant à nous, Monsieur, ajouta-t-il, elle nous combla de soins et nous fit porter à l'ambulance, où nous fumes bien traités. Mais sans les sœurs, voyez-vous, les trois quarts des soldats blessés auraient succombé... Il n'y a que ces cœurs-là pour sa voir ce qu'il faut faire et dire pour nous autres... Aussi nous les aimons et respectons tellement qu'il n'est pas un de nous qui ne se fit un devoir de donner pour elles la vie, que, d'ailleurs, il leur a due plus d'une fois, comme

vous voyez...

« A ce moment, le soldat regardant autour de lui semblait continuer de se croire en Crimée. Il restait sous le coup d'une des su bites illusions que produisent certaines ressemblances sur des imaginations ardentes et des cœurs souffrants, et ce ne fut qu'après un assez long repos, et de bonnes paroles de ma part, qu'il reconnut son erreur.»

Après avoir entendu le récit de ce fait qu'il est impossible de ne pas croire, tant il porte tous les caractères de la véracité, et qu'il serait inutile d'ailleurs de rejeter, puis u'à défaut de celui-ci, je pourrais en citer mille autres semblables, qui nous sont attestés par des milliers de témoins, je vous le demanderai pour la troisième fois, trouvezvous qu'on puisse dire trop de bien de la sœur de Charité ?

Mais, direz-vous, ce n'est point précisé ment à la religion catholique qu'on la doit. Il y a son équivalent dans les autres religions, notamment dans le protestantisme.

Vous vous trompez, c'est un fruit divin qui ne saurait bien mûrir qu'au soleil ardent du catholicisme. Il y a partout, cela est évident, des jeunes personnes nées avec des dispositions aussi heureuses, plus heureuses peutêtre encore que la sœur de Charité qui nous aura le plus édifiés par ses œuvres. Mais cela ne suffit pas; il faut que ces dispositions arrivent à un complet développement, pour obtenir le résultat voulu par la divine Providence. Or, il n'y a que dans la religion catholique que cela puisse se faire. Je n'entreprendrai point d'expliquer longuement comment une jeune fille faible et fi mide devient une sœur de Charité forte et intrépide. Il y a là un mystère de la grâce que l'œil de l'homme ne saurait pénétrer, et qui d'ailleurs ne suit pas toujours la même marche. Tantôt c'est un éclair qui va d'un pôle à l'autre avec une rapidité incroyable, répandant aussitôt sa lumière; tantôt c'est une semence imperceptible qui passe de longues années avant de devenir un arbre sur les branches duquel les petits oiseaux puissent se reposer. Quoi qu'il en soit, je dirai ici, en général, que, comme il n'y a point d'effet sans cause, il ne saurait y avoir de sœurs de Charité sans causes qui les produisent. Or voici celles qui, selon moi, doivent le plus y contribuer. Une édu

cation toute de piété, la sainte communion, le culte de la sainte Vierge.

Cette sœur de Charité que vous voyez remplir avec tant d'aisance les difficiles devoirs de sa charge, il y a longtemps qu'elle en a pris le goût, assistant souvent au saint sacrifice de la Messe, peut-être même tous les jours; elle voyait la sœur de sa paroisse, chargée du soin des pauvres et de l'éducation des enfants, de la sienne, par conséquent, revenir de la table sainte dans une altitude qui dénotait plutôt l'ange que la femme : Voilà ce que tu seras un jour!»> lui disait alors je ne sais quelle voix secrète, celle de sa conscience, celle de son bon ange, et peutêtre encore un écho de celle de sa mère. C'est ainsi ou à peu près que lui est venue la première idée de devenir sœur de Charité. Et comment l'aurait-elle eue, si elle ne lui avait été donnée? Vous me demanderez peut-être comment se fit la première. La première mais c'est une création. Elle vient de Dieu, par conséquent c'est une cause qui renferme toutes les autres. Nous n'avons point à nous en occuper ici, attendu que nous voulons expliquer comment les choses se passent ordinairement.

L'idée qu'a conçue notre pieuse petite fille de se faire un jour sœur de Charité ne la quitte ni jour ni nuit. Grâce aux nombreux exercices de piété auxquels elle se livre, cette idée s'est développée rapidement et est devenue même une détermination arrêtée. Mais comment la mettre à exécution? Elle si attachée à sa famille pourrat-elle s'en séparer? Elle, si faible, sous tous les rapports, pourra-t-elle accomplir les grandes choses qui vont lui être commandées? Seule, non, mais avec Jésus-Christ, avec ce Dieu infiniment puissant et bon qu'elle a reçu déjà bien des fois dans la sainte communion, et qu'elle pourra recevoir, dans la suite, toutes les fois que le besoin s'en fera sentir, il n'est rien qu'elle ne puisse.

Elle s'est donc dévouée. O Jésus! que le fardeau est lourd pour ses faibles épaules, alors même que vous voulez bien le porter avec elie! Et puis, quel vide s'est fait tout à coup autour d'elle! Plus de mère surtout! pourra-t-elle vivre dans un tel isolement? Tandis qu'elle porte les yeux sur votre croix, pour apprendre à supporter les plus cuisanles douleurs, elle a entonné ces paroles que vous adressâtes autrefois au disciple bienaimé en lui montrant la sainte Vierge ci votre mère. ( Joan. xix, 27.) C'est sa mère, en effet; elle la prend pour sa consolatrice, son modèle et son guide, et il n'y a plus rien qu'elle ne fasse désormais, avec joie, sous sa direction.

Voi

Voilà, en quelques mots, comment naît et se forme la sœur de Charité. Tels sont les éléments principaux qui la constituent. Or, comme ces éléments se trouvent dans la re

ligion catholique, et ne se trouvent même que là, je suis en droit de conclure que c'est à cette religion sainte que nous la devons.

Vous allez peut-être me répéter qu'il y a

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son équivalent dans les autres communions, notamment dans le protestantisme, comme on a pu le voir encore dans la guerre de Crimée.

Non, l'équivalent n'y est pas. Demandezle à Voltaire, qui n'hésite point à dire, malgré son peu de sympathie pour le catholicisme, que le dévouement généreux de la Sœur de Charité n'a jamais été imité qu'imparfaitement chez les peuples séparés de la communion romaine. Demandez-le à cet académicien, déclarant hautement, à son retour de Londres, qu'il n'a pu trouver là nos sœurs de Charité. Demandez-le, enfin, à ce soldat de Crimée avouant qu'il n'y a que ces cœurs-là pour savoir dire et faire ce qu'il faut pour eux.

Non, l'équivalent n'y est pas, ni ne saurait y être, parce qu'il n'y a point ailleurs une pareille école d'amour et de sacrifice! Vous y trouverez peut-être la contrefaçon de la sœur de Charité, si je puis m'exprimer de la sorte, ou bien encore une imitation, une copie plus ou moins imparfaite de co beau tableau; mais le tableau lui-même, ce pur, ce divin tableau fait de main de maître, ce tableau signé : Jésus-Christ, ce tableau animé, parlant et agissant, jusqu'à un certain point, comme Jésus-Christ lui-même, Vous ne pouvez le trouver que dans la religion catholique, parce qu'il n'y a que là que la plus faible créature, ayant reçu son Dieu dans la sainte communion, puisse répéter, avec vérité, après le grand Apôtre: Je vis, mais ce n'est plus moi qui vis désormais, c'est le Christ qui vit en moi:« Vivo autem, jam non ego; vivit vero in me Christus. » (Galat. 11, 20.)

Pendant la guerre de Crimée, Miss Nightingale entreprit de faire, pour nos alliés protestants, ce que faisaient, pour nos soldats, les sœurs de Charité. Une de ses compagnes a publié, à ce sujet, un ouvrage dont vient de rendre compte une lettre adressée au Précis historique de Bruxelles. Voici quelques extraits de cette lettre :

« Le livre est écrit avec une admirable simplicité, et, à ce titre, il fait grande sensation parmi les hommes sincères de la communion anglicane. C'est un hommage rendu par une personne naïve, dans l'exercice des fonctions de la charité, à l'influence des idées catholiques.

« Je n'insisterai pas trop sur certains détails pénibles pour l'Eglise anglicane. Il a fallu, pour compléter le nombre nécessaire, recourir au personnel des hôpitaux de l'Eglise établie. On a donc, comme de juste, choisi celles qui paraissaient convenir aux hôpitaux militaires de l'Orient; on leur a assuré un salaire proportionné aux difficultés de la situation. Eh bien! l'épreuve faite, il a fallu renvoyer en Angleterre la moitié de ces gardes salariées..., pour cause d'inconduite et d'ivroguerie. C'est l'auteur, témoin oculaire, qui constate ce fait et qui se lamente sur le sort des hôpitaux anglais, en Angleterre même, confiés à de pareilles gardes-malades. En Orient, on ne pouvait jamais compter sur elles; il est arrivé à l'au

teur même de ce récit de trouver la gardemalade ivre-morte à côté du chevet du moribond qu'elle aurait dû soigner!

« Qu'était-ce donc en Angleterre, où ces personnes sont libres de toute surveillance? Nous avons passé par là, » dit l'auteur,« pour prendre connaissance de nos fonctions, et ce que nous y avons vu, en fait de désobéissance aux ordres des médecins et de cruauté envers les malades, remplirait des pages et ferait frissonner le lecteur. - Oui, frissonner, comme nous avons frissonné nousmême en voyant tel pauvre innocent introduit dans cette atmosphère empestée d'un hôpital de Londres, où l'on entendait plus d'horreurs en un jour qu'on en aurait entendu pendant un an dans un hôpital militaire. Pourquoi cela? l'auteur n'ose trop le dire; mais il le donne à entendre: c'est que la charité catholique n'a pas passé par là.

« Entourée de ces difficultés, ayant à lutter d'ailleurs contre les exigences administratives des hôpitaux, notre Anglaise arrive dans un hôpital organisé, d'après les idées catholiques, par les sœurs de Charité. Alors, son admiration se traduit naturellement en éloquence c'est à ses yeux la perfection du genre. Là-dessus, elle nous redit, comme lémoin irrécusable, ce que tout Catholique

sait depuis longtemps: le dévouement admirable des sœurs de saint Vincent de Paul, leurs soins intelligents, le respect qu'elles inspirent à tous ceux qui ont eu le bonheur de les connaître de près. L'auteur du récit les a vues, en outre dans leur établissement d'enfants trouvés à Galata. Ecoutons-la ellemême :

« Depuis deux cents ans, partout où vous trouvez une armée française, vous rencontrez des sœurs de Charité; et, au milieu des scènes d'horreur et malgré la licence des armes, les sœurs sont partout respectées et vénérées. Elles ont un bouclier que personne n'aurait l'audace de toucher. Sur le champ de bataille, comme dans les hôpitaux, elles peuvent se croire dans leurs couvents. La première habitation venue leur sert de retraite, la crainte de Dieu fait leur sûreté, et une sainte modestie est un voile universellement respecté. Nous visitâmes la maison-mère de Galata, c'est une merveille.

« Nous y vimes, dit-elle, une sœur qui tenait dans ses bras une petite Italienne aux yeux noirs; un petit Allemand aux yeux blonds était sur ses genoux, tandis qu'un enfant russe s'accrochait à sa robe. Toutes ces sœurs étaient à l'œuvre pour le soulagement des enfants les plus malheureux et les plus délaissés du monde. »

SOLEIL.

paient point, des pieds, s'ils ne marchaient point, un gosier, s'ils ne pouvaient crier; inais votre Dieu à vous, il n'a rien de tout cela, pas même l'apparence.

Objections. Mon Dieu à moi, c'est le soleil. Sans lui, nous ne verrions rien; sans lui, rien ne subsisterait, nous n'existerions pas nous-mêmes. Aussi est-ce lui seul que je prie et à qui je rends mes adorations. me direz-vous. Les premiers Chrétiens ne voyaient pas autre chose, dans le Christ, que le soleil.

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-

Réponse. Vous voulez dire sans doute que, pour vous, la plus éclatante image de la Divinité, c'est le soleil, en qui se réfléchissent, en effet, comme dans un miroir, la grandeur, la puissance, les plus frappants attributs de la Divinité? Vous voulez dire que c'est vers cet astre que vous tournez les yeux pour mieux vous rappeler celui qui donne à tout l'existence, et à qui vous devez vos adorations, en votre qualité de créature raisonnable?...

Mais non, répondez-vous. Mon Dieu, c'est véritablement le soleil; c'est à lui seul que je crois tout devoir; c'est lui seul aussi que je prie et que j'adore.

C'est un peu fort! Alors, tous les astres qui brillent au firmament étant de la même nature que le soleil seront des dieux pour vous. Que de divinités vous aurez dans votre olympe! Ce sera le paganisme renouvelé, et quelque chose de pire encore car les dieux des païens avaient une bouche, du moins, comme disent les Ecritures (Psal. CXIII, 5), s'ils ne savaient point parler, des yeux, s'ils ne voyaient point, des oreilles, s'ils n'entendaient point, des narines, s'ils ne sentaient point, des mains, s'ils ne pal

Les païens l'ont reconnu aussi pour Dieu,

Belle recommandation, il faut en convenir! Remarquez d'ailleurs qu'ils en recou naissaient beaucoup d'autres, et au-dessus de ces divinités subalternes, un Dieu su périeur, gouvernant tout, et donnant ainsi, jusqu'à un certain point, satisfaction à la raison, qui veut la toute-puissance dans la Divinité. Remarquez encore que ce n'était point le soleil lui-même, ce globe de fen sans intelligence, qu'ils ont, généralement parlant, regardé comme Dieu, mais bien celui qui le dirigeait ou qui était censé le diriger, d'après leurs fables, où nous retrouvons encore une ombre de la vérité. D'où vous conclurez que j'ai eu parfaite ment raison de dire que votre adoration du soleil est quelque chose de pire que le paganisme.

J'aurais pu ajouter que c'est quelque chose de pire que l'absurdité même : car prier, comme vous dites, adorer, l'enfant de cinq ans en sait là-dessus autant que le plus ba bile philosophe, tout cela suppose nécessai rement un Etre qui nous voit, nous entend, et peut nous exaucer. Or le soleil ne peut rien de tout cela, rien absolument, comme vous le dira l'homme même le plus absurde, D'où je conclus qu'il y a plus que de l'absurdité à agir comme vous faites à l'égard du soleil.

Sans lui, dites-vous, nous ne verrions rien.

Vous vous trompez, en parlant d'une manière aussi absolue. Il peut être suppléé, et il l'est souvent, en effet, dans les attributions qu'il a de manifester à nos yeux les objets matériels. Mais, quand bien même ce que vous affirmez serait aussi vrai que vous le dites, et plus vrai encore, s'il est possible, la belle preuve de divinité, lorsqu'il ne voit rien lui-même de ce qu'il fait voir aux autres ! Le soir, au lieu d'adresser votre prière au soleil, qui est couché, comme on dit vulgairement, et qui ne vous fait plus rien voir, vous devriez, pour être conséquent, l'adresser au flambeau plus ou moins modeste qui le remplace alors pour vous, fût-il de suif, d'huile ou de résine; puisque c'est par lui seulement que vous voyez les objets qui frappent encore vos regards.

Sans lui, avez-vous ajouté, rien ne subsisterait; nous n'existerions pas nousmêmes.

en

Vous parlez là encore d'une manière beaucoup trop absolue, puisque tout peut exister, rigoureusement parlant, sans le soleil, même la lumière. La Bible nous dit, effet, que la lumière existait avant que le soleil, créé plus tard, eût hrillé dans les cieux; et l'expérience de chaque jour nous fait reconnaître à tous cette lumière primitive, indépendante du soleil. « Elle est partout, encore qu'elle ne brille pas toujours, »> s'écrie l'abbé de Frayssinous, dans une de ses conférences (Moïse considéré comme historien des temps primitifs): « un léger choc la fait jaillir des veines d'un caillou; les phénomènes phosphoriques la montrent dans les minéraux ou dans des êtres vivants; le frottement la tire en gerbe des corps électriques; elle sort abondamment des végétaux et des animaux qui se décomposent; quelquefois de vastes mers se montrent toutes lumineuses; si, dans la nuit, vous allumez un flambeau, à l'instant un grand espace est éclairé. Or cette lumière dont nous venons de parler ne tire pas son origine du soleil ; elle fait partie de cette lumière élémentaire qui fut créée le premier jour, et qu'on peut regarder comme un premier fonds dans lequel le Créateur devait puiser celle qui était nécessaire pour rendre lumineux le soleil et les astres. C'est là cette lumière qui se combine avec tous les corps de tant de manières différentes, s'en dégage ou y demeure cachée suivant les circonstances, joue un si grand rôle dans les phénomènes chimiques. »

et

Ainsi, comme nous l'avons dit déjà, tout peut exister, rigoureusement parlant, sans le soleil; tout, même la lumière, dont il paraît cependant l'indispensable foyer. Mais, quand bien même cet astre serait une des conditions nécessaires de notre existence et de celle des autres, s'ensuit-il que nous devrions ou que nous pourrions du moins le regarder comme notre Dieu, le prier et l'adorer comme tel? Point du tout. Autrement,

il faudrait dire aussi que nous devons ou que nous pouvons regarder comme des divinités, les prier et les adorer comme telles, l'air, sans lequel nul de nous ne saurait exister un seul instant; l'eau, qui n'est pas moins nécessaire à notre existence; la terre, d'où notre corps fut tiré primitivement, d'où vient chaque jour tout ce qui sert à sa conservation, et sur laquelle il repose. Que dis-je ? Mais il faudrait que, le soir, pendant la rigueur de l'hiver, la famille se tournât vers le foyer domestique, sans lequel elle périrait de froid, et qu'elle adressât sa prière et ses adorations à ce Dieu conservateur, en l'absence du soleil.

Ce qui vous fait illusion par rapport au soleil, ce qui vous porte à le regarder comme un Dieu, plutôt que les autres objets dont je viens de parler, c'est son élévation sans doute, sa magnificence; c'est cette immense quantité de lumière dont il est l'inextinguible foyer, et qui, sortant de lui sans mesure et sans fin, se répand partout dans l'espace, enveloppe la terre, la pénètre, et semble tout animer de son feu vivifiant. Enfant! qui ne comprenez pas que le plus petit rayon de la pensée est infiniment plus que tout cela; en sorte que si la créature pouvait être mise à la place du Créateur, c'est l'homme, doué de raison, qui serait le Dieu de ce monde, bien loin de trouver son Dieu en lui ou dans quelqu'une des parties qui le compo

sent.

Rappelons-nous à ce sujet la pensée bien remarquable, mais en même temps bien naturelle d'un grand philosophe.

« L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffisent pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sail rien. »> (PASCAL, Pensées chrétiennes.)

Quelques personnes vont nous arrêter peut-être ici, en disant : « Qu'est-il besoin de s'étendre si longuement sur une objection qui n'est pas sérieuse, dont il n'était pas nécessaire de parler, et qu'il fallait tout au plus tourner en ridicule?

C'était bien notre avis, à considérer la chose en soi; et on a dû s'en apercevoir à certains passages de notre réfutation. Mais convaincu, d'un autre côté, que cette objection est beaucoup plus répandue qu'on ne pense, dans nos campagnes principalement; qu'elle y fait beaucoup de mal, qu'elle s'élève même quelquefois au-dessus des classes inférieures de la société, nous avons cru qu'il ne fallait ni la passer sous silence, ni même la traiter trop légèrement. Deux faits que nous allons citer confirmeront ce que nous avançons ici, et ajouteront encore, s'il en est besoin, à notre réfutation.

Un de mes amis se rendit, un jour, chez un cultivateur, alors dangereusement ma

lade, pour lui offrir les consolations de la religion. Comme ce cultivateur passait pour un homme excessivement simple, le prêtre ne crut pas devoir employer beaucoup de préambules pour lui annoncer le but de sa visite.

Eh bien! mon bon paroissien, » lui ditil, « vous voilà au lit, assez malade.

-Bien malade même, M. le curé; bien malade, je vous l'assure. Je crois que je ne m'en relèverai pas.

-Il faut espérer que vos craintes ne se réaliseront pas; mais, en tout cas, vous ferez bien de prendre vos précautions la prudence, comme on dit, est mère de la sûreté.

- C'est très-vrai. Aussi ai-je eu soin de mettre ordre à mes affaires.

Oui; mais le plus important n'est pas fait encore.

- Qu'en savez-vous ?

Et vos affaires de conscience? Eh bien! précisément mes affaires de conscience sont parfaitement réglées. Quoi! sans moi?

Mais oui, sans vous: je ne suis pas des vôtres.

-Comment, vous n'êtes pas des nôtres ! » reprit vivement le pasteur, surpris au dernier point de ce qu'il venait d'entendre. Vous n'êtes pas protestant, cependant; il n'y en a point dans la paroisse.

Je ne suis pas plus protestant que Catholique.

-Qu'êtes-vous donc? Car, après tout, vous devez avoir une religion, puisque vous parlez de conscience.

-Mon Dieu, à moi,» s'écria le malade d'une voix sèche, et avec cet air de satisfaction qu'ont les gens de cet e trempe lorsque, disant quelquefois les plus grosses sottises, ils croient s'être élevés au-dessus du vulgaire, « mon Dieu, c'est le soleil.

-Le soleil!» dit le prêtre, en faisant quelques pas en arrière; « le soleil! Vous voulez sans doute plaisanter, mon ami?

Non, vraiment, je ne plaisante pas. Je parle, au contraire, avec tout le sérieux d'un homme qui est à l'article de la mort. Je vous le répéterai donc encore une fois : Oui, mon Dieu, à moi, c'est le soleil ! A telles preuves que je ne manque pas de lui faire ma prière, le matin, quand il se lève, le soir, quand il se couche, et que je puis même répéter ici, devant vous, cette belle prière que j'ai, depuis longtemps déjà, gravée dans le

cœur. >>

En achevant ces mots, il avait ôté son bonnet, et, se redressant un peu pour prendre une posture plus respectueuse, il récita, avec tout le sérieux d'un homme qui s'adresse réellement à la Divinité, une longue et emphatique prière au soleil, dont nous dirons plus tard la source.

Le prêtre n'avait pu donner ni refuser son consentement à cet acte si bizarre de religion. Il était resté debout, les bras abaissés, tout le corps immobile de stupeur. Dès que ie malade eut achevé son extravagante

prière: Eh bien !» dit-il d'un air de triomphe, « qu'en pensez-vous? Il n'en put dire davantage, et, se laissant aller sur son lit, il retomba dans un abattement profond où le tenait habituellement sa maladie, et d'où l'avait un instant tiré la discussion religieuse, si intéressante pour lui, que nous rapportons ici jusque dans ses plus petits détails.

« Ce que j'en pense, reprit le prêtre, « c'est que... » Et il n'en voulut pas dire davantage. Voici, da reste, ce qu'il pensait. Notre malade était atteint d'une fièvre typhoïde qui avait pris, depuis plusieurs jours, un caractère très-alarmant. Tout le monde sait que les symptômes cérébraux sont fréquents dans cette maladie. Il s'imagina done que tout ce qu'il venait d'entendre n'était pas autre chose que l'effet du délire. Cette pensée le soulagea; car il s'était senti profondément affligé de trouver l'un de ses paroissiens dans de semblables dispositions, à l'heure de la mort principalement. Voulant donc s'assurer si ce qu'il venait de penser était vrai, il s'approcha du lit du malade, et, lui ayant pris le bras, il compta attentivement les pulsations. « Cent!... » dit-il d'une voix brusque et mécontente, et en repous sant vivement le bras qu'il avait un peu attiré à lui. « C'est singulier!» ajouta-t-il, << cet homme n'a point une grande fièvre; ce n'est donc point le délire? - Mais non, ce n'est point le délire,» reprit le malade, comme éveillé en sursaut. « Je vous l'ai déjà dit, c'est très-sérieux; mon Dieu, à moi, c'est le soleil. » Et comme pour se confirmer dans sa foi, et montrer au prêtre qu'elle n'était pas si absurde qu'il pouvait se l'inaginer, il répéta, sinon quant aux mots, du moins quant au sens, les objections que nous avons mises en tête de cet article, et auxquelles nous avons déjà répondu. Le prêtre y répondit aussi à peu près de la même manière que nous venons de le faire.

Ajoutons seulement qu'il y eut dans le courant de la discussion, mais surtout à la fin, quelques traits particuliers provenant de la profession qu'avait toujours exercée celti qu'il s'agissait de ramener à des idées plus saines, et de l'état dans lequel il se trouvait actuellement.

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«Et comment n'aurais-je pas regardé le soleil comme mon Dieu, moi qui en recevais à chaque instant de si grands bienfaits?» s'écriait d'une voix de plus en plus croissante notre malade. « Lorsque j'étais au milieu de mes champs, n'est-ce pas lui qui me ré chauffait? Oui, » répondait le prêtre, « mais sans le savoir, comme aussi il vous brûlait quelquefois, et quelquefois vous laissant tout glacé. N'est-ce pas lui qui réchauffait mes grains, les faisait monter et mûric?Oui, il faisait croître et mûrir vos moissons; mais regardez-vous aussi comme des divi nités la terre, l'eau, l'air, aussi nécessaires, sinon plus, aux moissons, et à toute la création terrestre, que la chaleur du soleil? C'est vrai,» disait le malade, qui paraissait réfléchir sérieusement à ce que lui repré

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