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Autre temps, autres moeurs. Thucydide fut privé de ces tableaux du berceau du monde, mais il entra dans un champ encore inculte de l'histoire. Il retraça avec sévérité les maux causés par les dissensions politiques, laissant à la postérité des exemples dont elle ne profite jamais.

Xénophon découvrit à son tour une route nouvelle. Sans s'appesantir, et sans rien perdre de l'élégance attique, il jeta des regards pieux sur le cœur humain, et devint le père de l'histoire morale.

Placé sur un plus grand théâtre, et dans le seul pays où l'on connût deux sortes d'éloquence, celle du barreau et celle du Forum, Tite - Live les transporta dans ses récits: il fut l'orateur de l'histoire, comme Hérodote en est le poëte.

Enfin la corruption des hommes, les règnes de Tibère et de Néron, firent naître le dernier genre de l'histoire, le genre philosophique. Les causes des événements qu'Hérodote avoit cherchées chez les Dieux, Thucydide, dans les constitutions politiques, Xénophon, dans la morale, Tite-Live, dans ces diverses causes réunies, Tacite les vit dans la méchanceté du cœur humain.

Ce n'est pas, au reste, que ces grands historiens brillent exclusivement dans le genre que nous nous sommes permis de leur attribuer; mais il nous a paru que c'est celui qui domine

dans leurs écrits. Entre ces caractères primitifs de l'histoire, se trouvent des nuances qui furent saisies par les historiens d'un rang inférieur. Ainsi Polybe se place entre le politique Thucydide et le philosophe Xénophon; Salluste tient à la fois de Tacite et de Tite-Live: mais le premier le surpasse par la force de la pensée, et l'autre par la beauté de la narration. Suétone conta l'anecdote sans réflexion et sans voile; Plutarque y joignit la moralité; Velleius Paterculus apprit à généraliser l'histoire sans la défigurer; Florus en fit l'abrégé philosophique; enfin, Diodore de Sicile, Trogue-Pompée, Denys d'Halicarnasse, Cornelius-Nepos, Quinte-Curce, Aurelius - Victor, Ammien - Marcellin, Justin, Eutrope, et d'autres que nous taisons, ou qui nous échappent, conduisirent l'histoire jusqu'aux temps où elle tomba entre les mains des auteurs chrétiens: époque où tout changea dans les mœurs des hommes.

Il n'en est pas des vérités comme des illusions: celles-ci sont inépuisables, et le cercle des premières est borné ; la poésie est toujours nouvelle, parce que l'erreur ne vieillit jamais, et c'est ce qui fait sa grâce aux yeux des hommes. Mais, en morale et en histoire, on tourne dans le champ étroit de la vérité; il faut, quoi qu'on fasse, retomber dans des observations connues. Quelle

route historique, non encore parcourue, restoit-il donc à prendre aux modernes ? Ils ne pouvoient qu'imiter; et, dans ces imitations, plusieurs causes les empêchoient d'atteindre à la hauteur de leurs modèles. Comme poésie, l'origine des Cattes, des Tenctères, des Mattiaques, n'offroit rien de ce brillant Olympe, de ces villes bâties au son de la lyre, et de cette enfance enchantée des Hellènes et des Pélasges; comme politiques, le régime féodal interdisoit les grandes leçons; comme éloquence, il n'y avoit que celle de la chaire; comme philosophie, les peuples n'étoient pas encore assez malheureux, ni assez corrompus, pour qu'elle eût commencé de pa

roître.

Toutefois on imita avec plus ou moins de bonheur. Bentivoglio, en Italie, calqua Tite-Live, et seroit éloquent, s'il n'étoit affecté. Davila, Guicciardini et Fra-Paolo eurent plus de simplicité, et Mariana, en Espagne, déploya d'assez beaux talents; malheureusement ce fougueux Jésuite déshonora un genre de littérature dont le premier mérite est l'impartialité. Hume, Robertson et Gibbon ont plus ou moins suivi ou Salluste ou Tacite; mais ce dernier historien a produit deux hommes aussi grands que luimême, Machiavel et Montesquieu.

Néanmoins Tacite doit être choisi pour mo

dèle avec précaution; il y a moins d'inconvénients à s'attacher à Tite-Live. L'éloquence du premier lui est trop particulière, pour être tentée par quiconque n'a pas son génie. Tacite, Machiavel et Montesquieu ont formé une école dan. gereuse, en introduisant ces mots ambitieux, ces phrases sèches, ces tours prompts qui, sous une apparence de brièveté, touchent à l'obscur et au mauvais goût.

Laissons donc ce style à ces génies immortels qui, par diverses causes, se sont créé un genre à part; genre qu'eux seuls pouvoient soutenir, et qu'il est périlleux d'imiter. Rappelons - nous que les écrivains des beaux siècleslittéraires ont ignoré cette concision affectée d'idées et de langage. Les pensées des Tite-Live et des Bossuet sont abondantes et enchaînées les unes aux autres; chaque mot, chez eux, naît du mot qui l'a précédé, et devient le germe du mot qui va le suivre. Ce n'est pas par bonds, par intervalles, et en ligne droite, que coulent les grands fleuves (si nous pouvons employer cette image): ils amènent longuement de leur source un flot qui grossit sans cesse; leurs détours sont larges dans les plaines; ils embrassent de leurs orbes immenses les cités et les forêts, et portent à l'Océan agrandi des eaux capables de combler ses gouffres.

TOME XIII.

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CHAPITRE IV.

POURQUOI LES FRANÇOIS N'ONT QUE DES MÉMOIRES.

UTRE question qui regarde entièrement les François pourquoi n'avons-nous que des mémoires au lieu d'histoire, et pourquoi ces mémoires sont-ils pour la plupart excellents?

Le François a été dans tous les temps, même lorsqu'il étoit barbare, vain, léger et sociable. Il réfléchit peu sur l'ensemble des objets; mais il observe curieusement les détails, et son coup d'œil est prompt, sûr et délié : il faut toujours qu'il soit en scène, et il ne peut consentir, même comme historien, à disparoître tout-à-fait. Les mémoires lui laissent la liberté de se livrer à son génie. Là, sans quitter le théâtre, il rapporte ses observations, toujours fines, et quelquefois profondes. Il aime à dire : J'étois là, le Roi me dit...

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