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TROISIÈME PARTIE.

BEAUX-ARTS ET LITTÉRATURE.

LIVRE QUATRIÈME.

ÉLOQUENCE.

CHAPITRE PREMIER.

L

DU CHRISTIANISME DANS L'ÉLOQUENCE.

E christianisme fournit tant de

preuves de son excellence, que, quand on croit n'avoir plus qu'un sujet à traiter, soudain il s'en présente un autre sous votre plume. Nous parlions des philosophes, et voilà que les orateurs viennent nous demander si nous les oublions. Nous raisonnions sur le christianisme

dans les sciences et dans l'histoire, et le christianisme nous appeloit pour faire voir au monde les plus grands effets de l'éloquence connus. Les modernes doivent à la religion catholique cet art du discours qui, en manquant à notre littérature, eût donné au génie antique une supériorité décidée sur le nôtre. C'est ici un des grands triomphes de notre culte; et quoi qu'on puisse dire à la louange de Cicéron et de Démosthène, Massillon et Bossuet peuvent sans crainte leur être comparés.

Les anciens n'ont connu que l'éloquence judiciaire et politique : l'éloquence morale, c'està-dire l'éloquence de tout temps, de tout gouvernement, de tout pays, n'a paru sur la terre qu'avec l'Évangile. Cicéron défend un client; Démosthène combat un adversaire, ou tâche de rallumer l'amour de la patrie chez un peuple dégénéré : l'un et l'autre ne savent que remuer les passions, et fondent leur espérance de succès sur le trouble qu'ils jettent dans les cœurs. L'éloquence de la chaire a cherché sa victoire dans une région plus élevée. C'est en combattant les mouvements de l'âme qu'elle prétend la séduire; c'est en apaisant les passions qu'elle s'en veut faire écouter. Dieu et la charité, voilà son texte, toujours le même, toujours inépuisable. Il ne lui faut ni les cabales d'un parti, ni des émotions

populaires, ni de grandes circonstances, pour briller : dans la paix la plus profonde, sur le cercueil du citoyen le plus obscur, elle trouvera ses mouvements les plus sublimes; elle saura intéresser pour une vertu ignorée; elle fera couler des larmes pour un homme dont on n'a jamais entendu parler. Incapable de crainte et d'injustice, elle donne des leçons aux rois, mais sans les insulter; elle console le pauvre, mais sans flatter ses vices. La politique et les choses de la terre ne lui sont point inconnues; mais ces choses, qui faisoient les premiers motifs de l'éloquence antique, ne sont pour elle que des raisons secondaires; elle les voit des hauteurs où elle domine, comme un aigle aperçoit, du sommet de la montagne, les objets abaissés de la plaine.

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Ce qui distingue l'éloquence chrétienne de l'éloquence des Grecs et des Romains, c'est cette tristesse évangélique qui en est l'âme, selon La Bruyère, cette majestueuse mélancolie dont elle se nourrit. On lit une fois, deux fois peut-être les Verrines et les Catilinaires de Cicéron, l'Oraison pour la Couronne et les Philippiques de Démosthène; mais on médite sans cesse, on feuillette nuit et jour les Oraisons funèbres de Bossuet et les Sermons de Bourdaloue et de Massillon. Les discours des orateurs chrétiens sont

des livres, ceux des orateurs de l'antiquité ne sont que des discours. Avec quel goût merveilleux les saints docteurs ne réfléchissent-ils point sur les vanités du monde! « Toute votre vie, disent-ils, n'est qu'une ivresse d'un jour, et vous employez cette journée à la poursuite des plus folles illusions. Vous atteindrez au comble de vos vœux, vous jouirez de tous vos désirs, vous deviendrez roi, empereur, maître de la terre un moment encore, et la mort effacera ces néants avec votre néant. »>

Ce genre de méditations, si grave, si solennel, si naturellement porté au sublime, fut totalement inconnu des orateurs de l'antiquité. Les païens se consumoient à la poursuite des ombres de la vie ; ils ne savoient pas que la véritable existence ne commence qu'à la mort. La religion chrétienne a seule fondé cette grande école de la tombe, où s'instruit l'apôtre de l'Évangile : elle ne permet plus que l'on prodigue, comme les demi-sages de la Grèce, l'immortelle pensée de l'homme à des choses d'un moment.

Au reste, c'est la religion qui, dans tous les siècles et dans tous les pays, a été la source de l'éloquence. Si Démosthène et Cicéron ont été de grands orateurs, c'est qu'avant tout ils étoient

I Job.

religieux. Les membres de la Convention, au contraire, n'ont offert que des talents tronqués et des lambeaux d'éloquence, parce qu'ils attaquoient la foi de leurs pères, et s'interdisoient ainsi les inspirations du cœur 2.

a

Ils ont sans cesse le nom des dieux à la bouche: voyez l'invocation du premier aux mânes des héros de Marathon, et l'apothéose du second aux dieux dépouillés par Verrès. ⚫ Qu'on ne dise pas que les François n'avoient pas eu le temps de s'exercer dans la nouvelle lice où ils venoient de descendre: l'éloquence est un fruit des révolutions; elle y croît spontanément et sans culture; le Sauvage et le Nègre ont quelquefois parlé comme Démosthène. D'ailleurs, on ne manquoit pas de modèles, puisqu'on avoit entre les mains les chefs-d'œuvre du forum antique, et ceux de ce forum sacré, où l'orateur chrétien explique la loi éternelle. Quand M. de Montlosier s'écrioit, à propos du clergé, dans l'Assemblée constituante: Vous les chassez de leurs palais, ils se retireront dans la cabane du pauvre qu'ils ont nourri; vous voulez leurs croix d'or, ils prendront une croix de bois ; c'est une croix de bois qui a sauvé le monde! ce mouvement n'a pas été inspiré par la démagogie, mais par la religion. Enfin Vergniaud ne s'est élevé à la grande éloquence, dans quelques passages de son discours pour Louis XVI, que parce que son sujet l'a entraîné dans la région des idées religieuses les pyramides, les morts, le silence et les tombeaux.

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