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sentir notre néant: « Le dernier acte est toujours sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais. » Comme ce dernier mot est effrayant! On voit d'abord la comédie, et puis la terre, et puis l'éternité. La négligence avec laquelle la phrase est jetée, montre tout le peu de valeur de la vie. Quelle amère indifférence, dans cette courte et froide histoire de l'homme !!

Quoi qu'il en soit, La Bruyère est un des beaux écrivains du siècle de Louis XIV. Aucun homme n'a su donner plus de variété à son style, plus de formes diverses à sa langue, plus de mouvement à sa pensée. Il descend de la haute éloquence à la familiarité, et passe de la plaisanterie au raisonnement, sans jamais bles

Cette pensée est supprimée dans la petite édition de Pascal, avec les notes; les éditeurs n'ont pas apparemment trouvé que cela fût d'un beau style. Nous avons entendu critiquer la prose du siècle de Louis XIV, comme manquant d'harmonie, d'élégance et de justesse dans l'expression. Nous avons entendu dire : « Si Bossuet et Pascal revenoient, ils n'écriroient plus comme cela. » C'est nous, prétend-on, qui sommes les écrivains en prose par excellence, et qui sommes bien plus habiles dans l'art d'arranger des mots. Ne seroit-ce point que nous exprimons des pensées communes en style recherché, tandis que les écrivains du siècle de Louis XIV disoient tout simplement de grandes choses?

ser le goût ni le lecteur. L'ironie est son arme favorite aussi philosophe que Théophraste, son coup d'œil embrasse un plus grand nombre d'objets, et ses remarques sont plus originales et plus profondes. Théophraste conjecture, La Rochefoucault devine, et La Bruyère montre ce qui se passe au fond des cœurs.

C'est un grand triomphe pour la religion que de compter parmi ses philosophes un Pascal et un La Bruyère. Il faudroit peut-être d'après ces exemples, être un peu moins prompt à avancer qu'iln'y a que de petits esprits qui puissent être chrétiens.

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« Si ma religion étoit fausse, dit l'auteur des Caractères, je l'avoue, voilà le piége le mieux dressé qu'il soit possible d'imaginer il étoit inévitable de ne pas donner tout au travers, et de n'y être pas pris. Quelle majesté! quel éclat de mystères! quelle suite et quel enchaînement de toute la doctrine! quelle raison éminente! quelle candeur! quelle innocence de mœurs! quelle force invincible et accablante de témoigrages rendus successivement et pendant trois siècles entiers par des millions de personnes les plus sages, les plus modérées qui fussent alors sur la terre, et que le sentiment d'une même vérité soutient dans l'exil, dans les fers, ⚫ contre la vue de la mort et du dernier supplice! >>

Si La Bruyère revenoit au monde, il seroit

bien étonné de voir cette religion, dont les grands hommes de son siècle confessoient la beauté et l'excellence, traitée d'infáme, de ridicule, d'absurde. Il croiroit sans doute que les nouveaux esprits forts sont des hommes trèssupérieurs aux écrivains qui les ont précédés, et que devant eux, Pascal, Bossuet, Fénélon, Racine, sont des auteurs sans génie. Il ouvriroit leurs ouvrages avec un respect mêlé de frayeur. Nous croyons le voir s'attendant à trouver à chaque ligne quelque grande découverte de l'esprit humain, quelque haute pensée, peutêtre même quelque fait historique auparavant inconnu, qui prouve invinciblement la fausseté du christianisme. Que diroit-il, que penseroitil, dans son second étonnement qui ne tarderoit pas à suivre le premier?

La Bruyère nous manque; la Révolution a renouvelé le fond des caractères. L'avarice, l'ignorance, l'amour-propre, se montrent sous un jour nouveau. Ces vices, dans le siècle de Louis XIV, se composoient avec la religion et la politesse, maintenant ils se mêlent à l'impiété et à la rudesse des formes: ils devoient donc avoir dans le dix-septième siècle des teintes plus fines, des nuances plus délicates; ils pouvoient être ridicules alors : ils sont odieux aujourd'hui.

CHAPITRE VI.

SUITE DES MORALIST ES.

ty avoit un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avoit créé

les mathématiques; qui, à seize, avoit fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu depuis l'antiquité; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe toute entière dans l'entendement; qui, à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air, et détruisit une des grandes erreurs de l'ancienne physique; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine de naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant, et tourna ses pensées vers la religion; qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, arrivée dans sa trente-neuvième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de

la plus parfaite plaisanterie, comme du raisonnement le plus fort; enfin qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut, par abstraction, un des plus hauts problèmes de géométrie, et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant du Dieu que de l'homme : cet effrayant génie se nommoit Blaise Pascal.

Il est difficile de ne pas rester confondu d'étonnement, lorsqu'en ouvrant les Pensées du philosophe chrétien, on tombe sur les six chapitres où il traite de la nature de l'homme. Les sentiments de Pascal sont remarquables surtout par la profondeur de leur tristesse, et par je ne sais quelle immensité: on est suspendu au milieu de ces sentiments comme dans l'infini. Les métaphysiciens parlent de cette pensée abstraite, qui n'a aucune propriété de la matière, qui touche à tout sans se déplacer, qui vit d'ellemême, qui ne peut périr, parce qu'elle est indivisible, et qui prouve péremptoirement l'immortalité de l'âme : cette définition de la pensée semble avoir été suggérée aux métaphysiciens par les écrits de Pascal.

Il y a un monument curieux de la philosophie chrétienne, et de la philosophie du jour : ce sont les Pensées de Pascal, commentées par les éditeurs 1. On croit voir les ruines de Pal

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