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volonté. La plus naturelle est celle de l'entendement; car on ne devroit jamais consentir qu'aux vérités démontrées; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté; car tout ce qu'il y a d'hommes sont presque toujours emportés à croire, non pas par la preuve, mais par l'agrément. Cette voie est basse, indigne et étrangère : aussi tout le monde la désavoue. Chaeun fait profession de ne croire, et même de n'aimer que ce qu'il sait le mériter.

Je ne parle pas ici des vérités divines, que je n'aurois garde de faire tomber sous l'art de persuader; car elles sont infiniment au-dessus de la nature; Dieu seul peut les mettre dans l'âme, et par la manière qu'il lui plait. Je sais qu'il a voulu qu'elles entrent du cœur dans l'esprit, et non pas de l'esprit dans le cœur, pour humilier cette superbe puissance du raisonnement, qui prétend devoir être juge des choses que la volonté choisit; et pour guérir cette volonté infirme, qui s'est toute corrompue par ses indignes attachements. Et de là vient qu'au lieu qu'en parlant des choses humaines, on dit qu'il faut les connoître avant que de les aimer, ce qui a passé en proverbe; les Saints, au contraire, disent, en parlant des choses divines, qu'il faut les aimer pour les connoître, et qu'on n'entre dans la vérité que par la charité, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences.

En quoi il paroît que Dieu a établi cet ordre surnaturel, et tout contraire à l'ordre qui devoit être naturel aux hommes dans les choses naturelles.

Ils ont néanmoins corrompu cet ordre, en faisant des choses profanes ce qu'ils devoient faire des choses saintes, parce qu'en effet nous ne croyons presque que ce qui nous plaît. Et de là vient l'éloignement où nous sommes de consentir aux vérités de la religion chrétienne, toute opposée à nos plaisirs. Dites-nous des choses agréables, et nous vous écouterons, disoient les Juifs à Moïse; comme si l'agrément devoit régler la croyance ! Et c'est pour punir ce désordre par un ordre qui lui est conforme que Dieu ne verse ses lumières dans les esprits qu'après avoir dompté la rébellion de la volonté par une douceur toute céleste, qui la charme et qui l'entraîne.

Je ne parle donc que des vérités de notre por-. tée; et c'est d'elles que je dis que l'esprit et le cœur sont comme les portes par où elles sont reçues dans l'âme; mais que bien peu entrent par l'esprit, au lieu qu'elles y sont introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement!

Ces puissances ont chacune leurs principes et les premiers moteurs de leurs actions.

Ceux de l'esprit sont des vérités naturelles et connues à tout le monde, comme que le tout est plus grand que sa partie, outre plusieurs axiomes. particuliers, que les uns reçoivent, et non pas d'autres; mais qui, dès qu'ils sont admis, sont. aussi puissants, quoique faux, pour emporter la croyance, que les plus véritables.

Ceux de la volonté sont de certains désirs na

turels et communs à tous les hommes, comme le désir d'être heureux, que personne ne peut ne pas avoir, outre plusieurs objets particuliers que chacun suit pour y arriver, et qui, ayant la force de nous plaire, sont aussi forts, quoique pernicieux en effet, pour faire agir la volonté, que s'ils faisoient son véritable bonheur.

Voilà pour ce qui regarde les puissances qui nous portent à consentir.

Mais pour les qualités des choses que nous devons persuader, elles sont bien diverses.

Les unes se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées. Celles-là peuvent être infailliblement persuadées; car, en montrant le rapport qu'elles ont avec les principes accordés, il y a une nécessité inévitable de convaincre; et il est impossible qu'elles ne soient pas reçues dans l'âme dès qu'on a pu les enrôler à ces vérités déjà admises.

Il y en a qui ont une liaison étroite avec les objets de notre satisfaction; et celles-là sont encore reçues avec certitude. Car aussitôt qu'on fait aperdevoir à l'âme qu'une chose peut la conduire à ce qu'elle aime souverainement, il est inévitable qu'elle ne s'y porte avec joie.

Mais celles qui ont cette liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées, et avec les désirs du cœur, sont si sûres de leur effet, qu'il n'y a rien qui le soit davantage dans la nature; comme, au contraire, ce qui n'a de rapport ni à nos croyan◄

ces, ni à nos plaisirs, nous est importun, faux et absolument étranger.

En toutes ces rencontres il n'y a point à douter. Mais il y en a où les choses qu'on veut faire croire sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus. Et celles-là sont en grand péril de faire voir, par une expérience qui n'est que trop ordinaire, ce que je disois au commencement, que cette âme impérieuse, qui se vantoit de n'agir que par raison, suit, par un choix honteux et téméraire, ce qu'une volonté corrompue désire, quelque résistance que l'esprit trop éclairé puisse y opposer.

C'est alors qu'il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté ; et que la connoissance de l'une et le sentiment de l'autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu'il faudroit, pour en juger, connoître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l'homme, que l'homme même ne connoît presque jamais.

Il paroît de là que, quoi que ce soit qu'on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connoître l'esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime; et ensuite remarquer dans la chose dont il s'agit quel rapport elle a avec les principes avoués ou avec les objets censés délicieux, par les charmes qu'on leur attribue. De sorte que l'art de persuader consiste autant en celui d'agréer qu'en

celui de convaincre, tant les hommes se gouver→ nent plus par caprices que par raison !

Or, de ces deux méthodes, l'une de convaintre, l'autre d'agréer, je ne donnerai ici les règles que de la première; ét encore au cas qu'on ait accordé les principes, et qu'on demeure ferme à les avouer autrement je ne sais s'il y auroit un art pour accommoder les preuves à l'inconstance de nos caprices. L1 manière d'agréer est bien, sans comparaison, plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable; aussi si je n'en traite pas, c'est parce que je n'en suis pas capable; et je m'y sens tellement disproportionné, que je crois pour moi la chose absolument impossible.

Ce n'est pas que je croie qu'il y ait des règles aussi sûres pour plaire que pour démontrer; et que celui qui les sauroit parfaitement connoître et pratiquer, ne réussit aussi sûrement à se faire aimer des rois et de toutes sortes de personnes, qu'à démontrer les éléments de la géométrie à ceux qui ont assez d'imagination pour en comprendre les hypothèses. Mais j'estime, et c'est peut-être ma foiblesse qui me le fait croire, qu'il est impossible d'y arriver. Au moins je sais que, si quelqu'un en est capable, ce sont des personnes que je connois, et qu'aucun autre n'a sur cela de si claires et de si abondantes lumières.

La raison de cette extrême difficulté vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. Ils sont divers en tous les hommes, et variables dans chaque particulier, avec une telle di

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