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RAPPORT SUR LE CONCOURS DE POÉSIE

par

M. DE SÈDE

membre résidant.

MESSIEURS,

Les réalités de l'existence extérieure influent si victorieusement sur l'intelligence humaine, qu'elles laissent leur empreinte, non-seulement dans les tendances générales des esprits, appliqués aux intérêts sociaux, aux arts utiles, aux sciences exactes, mais encore dans le domaine qui semble le moins accessible à leur influence, celui de l'imagination et de la poésie.

Nous ne nous contentons plus de ces fictions devenues puériles, qui faisaient les délices de nos lointains aïeux de la Grèce et de Rome, et que nos pères ont ressuscitées, lorsque repris de cette activité de l'intelli

gence, longtemps endormie, ils s'éveillèrent aux grandes voix du XVIIe siècle.

On leur a beaucoup reproché cette imitation de l'antiquité, sans leur tenir suffisamment compte des qualités originales qui traduisaient avec une puissante exactitude l'esprit de leur temps.

Nous marchons dans des voies différentes: le goût s'est autrement modelé. Comme une étoffe long-temps maniée et dont l'apprêt a disparu, la langue s'est assouplie en se façonnant, avec une merveilleuse facilité, à tous les caprices de la pensée. Mais nous n'échappons pas à cette loi générale qui fait des littératures une sorte de miroir où viennent se refléter toutes les actualités.

Selon les tendances du moment, fiévreuse avec les luttes de la politique et les agitations de la morale, calmée avec les apaisements des terribles et bruyantes passions populaires, la poésie a pris, en France, dans notre siècle, des accents divers, qui imposaient au talent, quelquefois au génie, un diapason dont l'histoire aidera seule à comprendre les notes exagérées.

Nous vivons, grâce à Dieu, dans une de ces périodes de calme et de grandeur où, malgré quelques voix discordantes, une sorte de repos et de satisfaction générale permet le recueillement des consciences et le retour à ces règles éternelles de l'art, qui s'appellent le bon, le vrai, le beau; noble trilogie, dont les parties essentielles s'unissent étroitement, comme dans un lumineux faisceau, pour projeter et répandre ces rayonnements, ces vivifiantes chaleurs, ces généreux enseignements qui transforment les âmes et les élèvent aux divins ni

yeaux.

Nous sommes encore bien près par le temps, mais bien loin par les sages progrès de l'esprit, des jours néfastes où l'athéisme affichait insolemment ses désespérantes théories, et où les apôtres d'un cynique dévergondage osaient usurper, en les profanant, les saintes fonctions du sacerdoce.

Avec la force et le respect des lois humaines, avec l'ordre on remonte nécessairement au respect des choses sacrées. La discipline des sociétés fait la discipline des esprits, et les saines pensées, les nobles élans de l'âme se multiplient et se propagent.

Ces réflexions nous sont inspirées par le caractère général du concours dont nous avons à vous rendre compte.

Jamais littérature plus honnête, jamais principes plus irréprochables, jamais morale mieux entendue ne s'allièrent plus intimement aux élans, quelquefois remarquables, de la poésie.

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Nous pouvons dire hautement et à tous les points de vue, que ce concours est exceptionnellement bon il est aussi d'une exceptionnelle abondance; et, s'il nous était permis de mêler la froide mais réelle éloquence des chiffres à un rapport qui ne devrait pas descendre des hauteurs littéraires, nous vous dirions que quinze poètes nous ont envoyé 73 pièces, parmi lesquelles figurent plusieurs ouvrages où les vers se comptent par milliers.

Nous sommes encore loin du contingent ordinaire de cette antique et toujours jeune académie, dont on vous parlait ici l'année dernière, et qui, depuis cinq cents ans, dans l'intelligente Métropole du midi, fait éclore aux tièdes haleines du printemps les couronnes poćti

ques, léguées aux troubadours de tous les siècles par la

noble et belle Clémence Isaure.

A ces fêtes du mois de mai la foule est plus nombreuse et plus gaie. Les vainqueurs, connus d'avance, viennent en personne, sous les voùtes sonores du Capitole, ce vivant souvenir de Rome, recevoir les fleurs d'or, bénies au tombeau de la muse Toulousaine, et réciter les vers que saluent d'immenses applaudissements. Nos vainqueurs ne boivent pas à ces coupes enivrantes du triomphe aussi nos concours ne peuvent offrir le même prestige. D'ailleurs, dans nos froides contrées, sous un ciel dont les horisons n'ont pas ces sereines et immenses profondeurs, qui semblent découvrir, par delà nos mondes, les premières régions de la divine heptarchie, les souffles poétiques sont moins vifs, les astres moins généreux; nous devons donc trouver notre moisson féconde et nous féliciter de nos richesses.

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Mais il faut un revers à toute médaille, une ombre à toute clarté.

A côté des poètes, presque tous dignes de ce nom, est entré dans la lice un auteur qui, très-certainement, n'est pas un philosophe comme Mallebranche et se montre inférieur à lui, dans le domaine poétique, où le docte oratorien ne fit qu'une seule et malheureuse excursion. Il n'a composé que ces deux vers fameux :

Il fait, en ce jour-ci, le plus beau temps du monde,
Pour aller à cheval, sur la terre et sur l'onde.

Si la pensée est plus qu'audacieuse, la rime, du moins, est fort riche, et la mesure ne boîte point. Hélas! l'au

teur de Dom Béthencourt, bénédictin d'Arras, n'a pas même ce mérite. Ni la rime, ni le nombre, ni l'harmonie, ni la prosodie, ni la langue ne lui ont dit leurs premiers éléments.

Les études biographiques, lorsqu'elles se renferment dans le terre à terre et la froide nomenclature des faits offrent peu de ressources à la poésie. Il était permis, toutefois, à l'écrivain qui a voulu chanter Olivier de Serres, de se souvenir que les choses de l'agriculture, sous un souffle véritablement inspiré, peuvent prêter aux pipeaux rustiques toute l'harmonie des lyres les plus mélodieuses. Aucun écho du chantre de Mantoue n'a vibré dans ses vulgaires accents. C'est donc à luimême et non au goût de l'Académie, si gratuitement supposé perverti, dans une inconvenante préface, que cet auteur attribuera son échec et notre juste sévérité. Cette part absolue et sans atténuation faite à la critique, nous trouverons presque partout à mêler quelques éloges à nos observations.

Ainsi, nous reconnaitrons sans peine que si l'auteur de l'épitre à Montaigne, intitulée la Nouvelleté, n'a peutêtre pas bien saisi le sens du passage des Essais qu'il prend pour épigraphe, en l'appliquant aux progrès matériels, dont le sage philosophe ne pouvait pas se montrer ennemi, il a, du moins, dans un tableau rapide, facile, (trop facile quelquefois), élégant et d'une certaine originalité, tracé à grandes lignes les conquêtes du génie et du travail de notre siècle.

Une grâce féminine, une simplicité champêtre, mais qui exhale parfois les vives et saines odeurs des prairies embaumées; quelque chose d'honnête, d'innocent, de

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