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déjà lui inspirait, dans ses excursions du dimanche, le spectacle si doux et si varié de la nature qu'il aimait à admirer « seul et sans être dérangé » par les profanes qui ne savent ni en voir les beautés ni en comprendre les harmonies; la seule distraction qu'il se permettait était le théâtre. L'opéra, par le charme de la musique, à laquelle il était fort sensible, comme toutes les âmes poétiques, devait naturellement l'attirer, mais le ThéâtreFrançais avait sa préférence, et dans la pléïade de talents qu'il offrait alors, l'artiste qui l'enthousiasmait le plus était « la divine Mars » dont la voix émue et caressante allait droit à son cœur et en faisait vibrer les cordes.

Quand sa «bourse à sec » suivant son expressien, lui interdisait momentanément l'entrée de l'atelier, il courait au Louvre copier les vieux maîtres, notamment ceux des écoles espagnole et hollandaise, cu dessiner d'après l'antique, qu'il appréciait pardessus tout, et qui le faisait s'écrier « l'antique, l'antique, toujours l'antique.

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Il fit tant de ces copies, et il finit par les faire si bien, que, chose rare, les amateurs, voire même les marchands le distinguèrent; certaines commandes arrivèrent avec des demandes de portraits, et l'aidèrent à prolonger à Paris un séjour que l'épuisement de ses faibles ressources pécuniaires menaçait d'abréger.

Ses camarades d'atelier qui, mettant de côté toute jalousie, avaient franchement reconnu sa supériorité, le félicitaient, au point que lui, toujours si timide et si modeste, se décidait à dire « je réussis bien mes copies, » mes camarades en sont étonnés : l'autre jour que je copiais pour mon usage une tête d'après le Titien, ils » m'affirmèrent qu'on ne l'avait pas encore rendue aussi

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» heureusement, et je puis les croire, car, entre nous »> nous ne nous flattons pas. »

VII.

Bien que toujours plein de respect pour le caractère d'Hersent, Dutilleux n'avait pas tardé à devenir moins admirateur du genre de talent de ce maître. Une correction froide et compassée, une science incontestable, sans doute, mais incolore et trop scholastique, n'était point ce qui convenait à l'ardeur du jeune disciple.

On était du reste en pleine réaction contre David et son école, le mouvement artistique avait pris naissance en même temps que le mouvement littéraire. Sur ces deux terrains la lutte se trouvait engagée entre les classiques et les romantiques; au moment où Lamartine et Victor Hugo se posaient en chefs d'une nouvelle phalange, Géricault et Delacroix surgissaient en révolutionnaires, et protestaient hautement contre tout ce qui marchait sous la bannière de Gérard, de Gros, de Guérin et de Girodet.

IX.

Dans une semblable lutte, Dutilleux n'hésita pas, il se jeta résolument du côté où étaient la fougue, la passion, la vie, avec les génies de Delacroix et de Victor Hugo. Au salon de 1827, les œuvres qu'il distingue sont celles de Coignet, de Scheffer, de Devéria et de Delacroix.

En 1829, Coignet, Scheffer, Devéria lui-même ne l'étonnent plus, ses hommes sont Delacroix et Ingres (chose assez singulière). « Il vient, écrit-il, de s'ouvrir, » rue Vivienne, une exposition permanente, où, moyen>> nant rétribution, on peut exposer ses tableaux; les » mauvaises choses y abondent, les bonnes, au contraire, » y sont rares; ancienne et nouvelle école, tout cela, se perd en compagnie, on cherche plus à faire beaucoup, qu'à faire bien. Ingres et Delacroix voilà les seuls que » je vois se soutenir au milieu de ce débordement, les >> Deveria et autres disparaissent, mais Delacroix, mais » Ingres, voilà des hommes dont le pinceau ne peut pas

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>> errer. >>

En 1830, Delacroix lui apparaît comme tenant seul et sans partage, le sceptre de la peinture d'histoire. «Je >> l'envoie tout ce que tu me demandes, tu as tout ce qu'il y a de mieux en lithographie, Charlet, Decamps, Roqueplan..., et pourtant eux-mêmes sont bien petits auprès des anciens. Toutefois, il existe un peintre, un » véritable peintre, le seul qui ne copie point, c'est Dela» croix. Voilà mon grand homme, voilà celui dont les » tableaux portés au Louvre ne feront point tache, comme <»>tels et tels, introduits dans la grande galerie; depuis

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quelque temps. Il vient de paraitre de lui deux belles lithographies, un lion et un tigre, c'est beau comme » un Delacroix, je n'en sais point le prix, je n'en sais » que la beauté. »

Cette opinion définitivement assise, et ajoutons-le, parfaitement justifiée, ne s'est point modifiée depuis. Remarquons, toutefois, que s'il parait aujourd'hui naturel d'entendre porter ce jugement sur l'illustre maître,

auquel la France doit d'immortels chefs-d'œuvre, qui depuis 1822 a successivement produit: le Massacre de Scio, les Croisés à Constantinople, la Bataille de Taillebourg, Médée furieuse, la Barque du Dante, et tant d'autres toiles non moins admirables; qui a décoré la Bibliothèque du Palais législatif; fait le plafond de la galerie d'Apollon et les peintures murales de la Chapelle des Anges, à St-Sulpice, il fallait une certaine intuition pour le porter aussi sûrement alors que, par suite de la jalousie des uns et des colères des autres, une critique acerbe et violente s'acharnait contre le grand novateur.

X.

L'indépendance qui l'avait fait quitter le collége et qu'il conservait dans ses appréciations d'artiste, Dutilleux la témoignait en toute circonstance sa correspondance de cette époque en fournit plus d'un exemple.

A propos d'un incident fâcheux, qu'avait fait naître la distribution des prix à l'Institut, Dutilleux écrivait :

« On a aujourd'hui rendu les grands prix. Je sors de » l'Institut, j'en sors indigné, et certes je n'en rapporte » pas les souvenirs et les sentiments que je croyais y » devoir naître en moi. Eh quoi! dans ce siècle, ne » pourrons-nous plus sortir de chez nous sans danger, >>> et ne nous attire-t-on dans les fêtes publiques que » pour nous y faire sentir plus fortement l'oppression » qui nous accable? et la crainte des sabres et des » baïonnettes ou des prisons nous empêchera-t-elle d'al» ler applaudir nos camarades triomphants, et d'aider

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» au premier effort du génie? M. X..., homme respectable, sans doute, par son âge et son érudition, mais » bien ennuyeux par la manière de s'énoncer, et surtout » par le froid glacial de ses dissertations, avait pro» noncé l'année dernière à pareille solennité, un trèslong discours. Les jeunes gens, on le sait, ont fort » peu de patience, surtout quand un désir violent les agite. Ceux qui écoutaient l'honorable orateur témoignèrent leur impatience par des murmures et même » par des chut assez prononcés, ce qui n'empêcha pas » M. X..., de continuer, il fit bien sans doute; mais ce qu'il n'eut point dù faire, c'était de s'exposer à un » deuxième affront. Cette année, loin de se retirer, au >> lieu d'un discours il en prononça deux. Le premier >> fut entendu assez patiemment, les trois quarts du se»cond aussi; enfin, les vents trop long-temps contenus >> commencèrent à s'échapper, et l'orage grossissant couvrit bientôt la voix de l'orateur. Le vieillard se fâche, il s'emporte mème, et s'échauffant, mais trop tard, il donne aux jeunes gens un nom que je ne me rappelle plus, mais à peu près équivalent à celui de » canaille. Et alors les chut et les murmures de redoubler; enfin, tout à coup et au moment où le tumulte » va cependant cesser, débusque par un des coins de la » salle une troupe de gens armés faisant mine de mettre » les jeunes gens dehors. On se querelle, l'épouvante » saisit les femmes, elles sortent en désordre des galeries, laissant derrière elles leurs châles et leurs cha» peaux; les fusils avancent, mais les cris: à la porte » les soldats, à la porte, partent de tous côtés. Les af» faires allaient tourner très mal, et il serait arrivé des

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