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A l'ombre de ce toit hospitalier, Constant Dutilleux, passa de l'enfance à la jeunesse, et ne tarda pas à révéler les riches instincts, par lesquels la Providence avait voulu dédommager l'orphelin, en le dotant des agréments de l'esprit et des qualités du cœur.

Humaniste distingué, d'abord, dans les classes de grammaire, puis éminent dans les cours supérieurs, Dutilleux renonça au prix d'excellence qu'il avait su mériter en philosophie, et quitta le Lycée de Douai aux vacances de Pâques, lors qu'un arrêté de l'Université vint imposer aux consciences des élèves, une tyrannie contre laquelle se révolta celle de Dutilleux, si religieuse cependant et si pleine de foi.

II.

Destiné, à partir de cette époque, à reprendre l'office notarial de son cousin, Dutilleux entra dans l'étude de celui-ci, et sous la direction de M. Félix Robaut, son beau-frère, et de M. Wallez, professeur de l'Académie de dessin de Douai, consacra ses loisirs à l'étude du dessin pour lequel il montrait, depuis long-temps déjà, un grand entrainement et une merveilleuse aptitude.

La mort du notaire, et de douloureux événements de famille que nous devons passer sous silence, ayant fait disparaître tout espoir de réaliser le projet que l'on avait nourri jusque-là, Dutilleux partit de Douai en mai 1826, afin d'aller à Paris chercher un emploi dans l'une des imprimeries les plus renommées.

Son arrivée et son installation sont racontées par lui, dans la charmante lettre que voici :

« J'arrive, mon premier soin est de vous écrire. La » route a été parcourue sans accident, et me voilà à » Paris. J'aurais bien envie d'avoir quelques regrets, » mais enfin il faut se faire un sort. Figurez-vous une » mansarde tapissée à moitié, une commode, une petite » table, quatre mauvaises planches pour bibliothèque. » Une fenêtre tout justement assez grande afin d'y pas» ser la tête; voilà mon gite, que nous appellerons mo» destement ma chambre. Avec ça quatre-vingt-dix-huit » marches pour y parvenir; mais je m'en moque, je » suis assez maigre pour pouvoir grimper.

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Quand nous gagnerons de l'argent, il faut espérer » que nous descendrons, car ici pour monter en grade » il faut descendre. (1) A propos j'oubliais, je viens de regarder mon lit, eh bien! c'est un lit de camp sans » rideaux, mais c'est égal, comme le jour n'est pas ex» trèmement fort, je n'en ai pas besoin. Du reste, je

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plane sur une grande partie de la capitale. Mais je finis » car la tête me tourne. Je vais donner cette journée et » la suivante au repos, ensuite je commencerai mes » courses. Adieu, mes chers parents, je vous recom» mande maman (2) vous savez qu'elle a besoin de conso>> lations. >>>

(1) Cette chambre devait lui coûter peu, quand en effet il descendit, son logis ne lui revint mensuellement qu'à 17 fr., « bottes comprises. (2) C'est ainsi qu'il appelait la femme de son cousin Dutilleux.

Béranger aurait-il mieux dit?

Un mois plus tard il entra dans les ateliers de Fain: mais l'excessive fatigue qu'il y prit ne tarda pas à l'en chasser; le goût de la peinture, du reste, s'était chez lui transformé en une sorte de fièvre et de besoin irrésistible; aussi, en septembre suivant, renonçant à Gros, auquel il avait pensé d'abord, se fit-il admettre parmi les élèves d'Hersent, puis chez Suisse à l'Académie, et finalement à l'école des beaux arts, en octobre 1827.

IV.

Essentiellement attractif et sympathique, Dutilleux, qui ne devait pas tarder à devenir l'un des sujets de prédilection du maître, plut tant à ses futurs camarades, quand ils le virent pour la première fois, qu'après quelques quolibets obligatoires et traditionnels, ils le dispensèrent des fameuses charges d'atelier, presqu'aussi redoutables alors que les épreuves maçonniques, si bien, ainsi qu'il l'écrit lui-même, « qu'il en fut quitte pour la

peur. »

Madame Hersent l'avait également accueilli avec la plus grande bonté, il lui en eut une vive reconnaissance, que traduit sa lettre annonçant son admission à l'atelier:

« Tu sais que c'est hier que je devais aller chez » M. Hersent. J'y fus à l'heure indiquée, non sans un » grand tremblement. Je sonne: - Monsieur va rentrer, » veuillez l'attendre; on m'introduit, et je me trouve » en présence de Madame Hersent; l'admiration pour un » aussi grand talent, ma frayeur habituelle, me mirent

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» hors de moi. Mais sa bonté peinte dans ses regards, la simplicité de ses vêtements et de ses paroles m'eurent » bientôt rassuré. Monsieur veut entrer dans l'atelier » de mon mari? Tenez, voyez cette gravure et elle » déroule à mes yeux une gravure superbe dont l'auteur » venait de lui faire cadeau. Elle m'en fit remarquer les » beautés. Peux-tu te faire une idée du bonheur que j'é» prouvai pendant ces courts instants? Il eût été parfait, » si je n'avais craint l'arrivée de son mari : mais c'est » lui qui me rassura. Sa première question fut de me » demander si c'était par goût ou pour m'en faire un » état que j'embrassais la peinture; quand je lui eus dit » que c'était par goût, il m'approuva fort, m'entraîna » dans son atelier particulier, avec plus d'égards que je » n'en méritais, m'inscrivit sur son registre, et me » donna un billet pour son massier.

» Le logement qu'habite M. Hersent est magnifique. » Il a un jardin immense, pour Paris, et un atelier!! >> Plus de vingt portraits ébauchés se disputent vos re»gards, et auprès de cela des tableaux finis. Enfin, le » sceau du génie, de l'art est empreint partout.

» Madame Hersent n'est pas une jolie femme, loin de » là; elle est de la taille de X..... d'une figure pâle et allongée, mais des yeux! On dit qu'elle peint bien, et » surtout depuis qu'elle est mariée. Je crois que son >> mari retouche ses tableaux, elle lui fait aussi beaucoup » de bien. Il est telle figure dans les ouvrages de Ma» dame Hersent qu'un homme n'aurait point su faire : » comme il est des Lettres de Sévigné qui sont inimita»bles. Les femmes ont leur génie particulier, il fait » moins de bruit, mais il se fait entendre plus sûrement. »

V.

Les progrès de Dutilleux furent rapides, une ardeur sans égale, un travail obstiné le mirent bientôt hors de page et signalèrent un artiste véritable. Sa correspondance nous le montre dessinant et peignant tout le jour, employant les heures, qu'il aurait dù réserver pour ses repas, à donner des leçons de latin, afin d'augmenter son maigre pécule, et passant une partie de la nuit à écrire ses lettres et à lire les journaux, quand lui advenait « le bonheur d'en avoir. »

Si n'avait été la sévérité de ses mœurs, sa santé délicate n'eût pas tardé à souffrir de ce genre de vie; mais protégé par une de ces affections que rien n'altère, vivant d'espérances et de souvenirs, il sut constamment éviter l'écueil que rendent si fatal les voix des syrènes ; aussi disait-il gaiement : « Mes draps ne me sentiront » pas cette nuit, c'est du temps perdu que celui du som» meil,..... il est une heure du matin, mon cher X..... » il y a long-temps que je ne t'ai écrit, et pour que cela » ne dérange en rien le travail journalier, je ne me cou» che pas. Un jeune homme qui vit sage, comme une » fille, peut bien de temps en temps se donner de ces » libertés-là. »

VI.

En dehors des inépuisables jouissances qu'il allait chercher dans la contemplation des maîtres, au Louvre ou au Luxembourg, et de celles plus intimes encore que

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