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tres ce qui était moins encore l'effet du temps que celui des couches de vernis superposés, il sauçait ses travaux d'après la bosse, afin de leur donner un ton enfumé. « Fais attention que cette bosse n'est pas blanche, mais » jaunie, par une dixaine de couches d'huile à quinquet, » opération qui donne aux bosses, en les conservant, » un ton tranquille et que j'aime beaucoup. >> Ce goût systématique et cette préoccupation d'école le dominèrent jusqu'à ce qu'il se livrât aux études en plein air, en 1851.

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Elles lui révélérent alors que la nature n'a pas de noirs, que ses effets ne sont ni voulus, ni violents, ni heurtés. Que son aspect enchante par le ton général toujours aérien, toujours lumineux, et non par des parties intentionnellement sacrifiées ou mises en relief au moyen de repoussoirs; que la dominante de tout paysage est constamment le ciel, que le soleil y resplendisse ou s'y enveloppe de nuages et alors s'affranchissant des lisières de la tradition pour ne plus suivre que son sentiment personnel, et oubliant les chefs-d'œuvre des maîtres pour les chefs-d'œuvre de Dieu, Dutilleux devint simple, argenté, et fit tourner au profit du portrait la grande leçon que lui avait donnée le paysage.

En vrai disciple de Rembrandt, Dutilleux s'était composé un sombre atelier dans le goût de ceux que nous représentent les eaux fortes des seizième et dix-septième siècles. Il l'avait orné de bahuts de chêne, de grès de Flandre et de faïences de Hollande. Le jour n'y pénétrait que par une ouverture, haut placée, de dimension res treinte, et sous un angle voulu. Il en résultait, on le conçoit facilement, des oppositions accentuées sur les

modèles; tandis qu'une de leurs parties se détachait vigoureusement en lumière, le reste s'immergeait dans l'ombre. En 1851, la fenêtre s'agrandit, l'atelier s'illunina, les fonds trop gris furent éclaircis, les modèles prirent des tons calmes, plus uniformes, et les portraits devinrent tranquilles et brillants comme les paysages.

VIII.

La modification des idées du maître, si profondément accusée par ses œuvres, est écrite en toutes lettres dans sa correspondance.

Après avoir saucé sa peinture, d'abord avec de l'huile à quinquet, puis avec de l'huile grasse, enfin avec des huiles de couleurs, Dutilleux, loin de crier à la profanation, à l'instar de ceux pour lesquels la crasse en peinture équivaut à la patine sur les bronzes antiques, applaudit à l'opération qui, par l'enlèvement du vernis de la galerie de Rubens, rendit ses tableaux à leur première fraîcheur; et il fit des voeux afin que l'on employât le même procédé pour bien d'autres toiles. «<< On » a bien fait, fort bien fait, de nettoyer, de remettre à » neuf les Rubens. Voyons donc cette peinture telle » qu'elle a été faite et voulue. A force de voir les ta» bleaux sous les affreuses couches de vernis plus jau» nies les unes que les autres, nos coloristes n'ont plus » voulu voir la nature qu'à travers un verre de couleur >> plus ou moins bistrée, que le bon Dieu les bénisse, » cux, leur sauce, et leur jus de réglisse! Que l'on fasse » la même opération sur les Ruysdaël, Huysmans et

compagnie, et l'on finira peut-être par y retrouver >> aussi ces tons violets et roses que nous voyons aujour»> d'hui dans la nature et qui, je le présume, devaient >> aussi exister de leur temps. » La conversion du Sicambre, on l'avouera, ne fut pas plus complète lorsque, les yeux dessillés par la grâce, il adora ce qu'il avait brùlé, et brûla ce qu'il avait adoré.

IX.

Dans le voyage qu'il fit en Hollande, en compagnie de M. Corot, il délaissa Rembrandt et Ruysdaël pour la nature, et nous écrivit d'Amsterdam, à la date du 5 septembre 1854, la lettre curieuse dont voici le passage principal « Nous avons vu les fameux Rembrandt de » La Haye et d'Amsterdam. Même effet sur Corot et sur » moi. Quand vous voudrez voir et apprécier Rem» brandt, allez à Paris, ce moyen sera plus prompt et plus » sûr. La Leçon d'Anatomie et la Ronde de nuit sont des » œuvres plus que médiocres pour ce maître et tout à >> fait indignes de la réputation qu'on leur a faite. Le » grand taureau de Potter est léché sec et dur, le hol» landais aime le précieux et le fini, on lui en a donné » à bouche que veux-tu. On sent là un grand désir de » plaire, de séduire son amateur, mais on n'y trouve » plus la belle entente du tableau, ni la palpitation d'une » âme qui aime la nature et qui veut la rendre avec sin» cérité. Voilà notre opinion, elle a été subite, simul» tanée, identique. Envoyez-nous à Charenton si vous » le voulez, mais c'est notre dernier mot. Nous avons

» vu aussi les paysages des peintres les plus renommés, » merci, trois fois merci, nos peintres français valent un » peu mieux que tous ces vieillards attifés, pomponnés, » faisant la roue, fardés et rabachants. Je ne parle pas » de mon Corot, le Dieu du paysage, mais Rousseau » mais Troyon, mais Daubigny mettent dans leurs œu» vres une autre vic, une autre animation. L'éloquence » réside-t-elle dans une pensée ferme, énergique et fiè>>rement exprimée, ou dans une suite de phrases mille » fois redites, et arrangées avec une prétention exagérée » et ridicule ? »

X.

La terre de Hollande lui laissa de meilleurs souvenirs, on trouve effectivement sur son carnet de voyage : « J'ai bien lutté avec cet ennemi à la fois si terrible et si >> doux qui s'appelle la nature, et tout en travaillant j'ai » pu penser à ma famille, à mes rares amis; ce lieu hospitalier me devient cher et je m'y attache. Souvent, quand l'étude terminée et la boite sur le dos, je le » quitte pour la dernière fois, je me retourne et de loin » lui dis un dernier adieu, comme à un ami que je ne » dois plus revoir. »

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XI.

Suivant M. Colin, les apophthegmes favoris de Dutilleux étaient ceux-ci : « Fermeté dans la forme et dans

l'effet, douceur dans l'exécution. » (') « Tout réside dans la masse et rien ne vaut que par les détails. » (2) Évidemment les deux premières propositions de ces maximes appartiennent surtout à ses œuvres de 1830 à 1851, et les deux dernières à la période de 1851 à 1865, pendant laquelle il sut, conciliant ces qualités et maîtrisant leurs difficultés, réaliser « cette alliance terriblement difficile qui seule peut constituer le beau. » (3)

XII.

Ajoutons, pour compléter l'explication du changement des idées et du faire de Dutilleux, que ses amis Delacroix et M. Corot n'y furent pas étrangers.

Delacroix, selon nous, contribua à le distraire de Rembrandt par ses peintures, dont l'effet est si saisissant et si emporté, sans l'abus, sans même l'emploi des noirs. M. Corot contribua également à le faire déserter Ruysdaël et les paysagistes flamands, par ses études, si lumineuses, si naïves, si douces, si vraies, où l'on respire à l'aise comme dans la belle nature qu'ils traduisent.

XIII

Mais, avec et après M. Colin, hâtons-nous de protester

(1) Page 79.

(2) Page 85.

(3) Dutilleux.

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