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» qu'une interprétation pour laquelle l'artiste apportera » sa science, son habileté, mais surtout son tempéram» ment, son impression et les mouvements de son âme; >> son sentiment!

» Empruntons à la musique un exemple qui établisse » d'une manière palpable et tout à fait concluante, la puissance du sentiment et l'influence qu'il doit néces» sairement exercer. Que deux artistes également ha» biles, initiés au même degré aux secrets les plus pro>> fonds d'une excellente méthode, soient appelés à exé» cuter devant vous la même composition; l'un, malgré >> tous les efforts d'un talent incontestable, n'excitera » chez vous qu'une admiration froide et passagère; » l'autre, au contraire, dès les premières notes, va tou>> cher les fibres les plus intimes de votre âme, et bientôt >> son instrument ou sa voix vous arrachera des larmes. » C'est que le premier ne vous a transmis que ce que peut fournir la science et l'étude, tandis, que le second >> en vous communiquant ses émotions, a fait pénétrer >> en vous comine une partie de lui-même son senti

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>> ment.

>> Il est encore un art sérieux, émouvant, dont l'effet » est aussi irrésistible que rapide, c'est celui qui con» siste à interprêter les poètes et les prosateurs, à faire » comprendre, par une diction habile, toutes les beautés. » du style, à pénétrer dans la pensée des maîtres, à co» lorer cette pensée et à la rendre visible à tous. Eh >> bien! là aussi la matière est si délicate, les difficultés » si ardues, que tous les préceptes, toutes les études >> échoueraient infailliblement, si l'artiste n'était doué du » sentiment le plus fin et le plus profond. L'on deman

» dait à l'une de nos célébrités dramatiques par quels » efforts d'esprit, par quelles longues et savantes recher»ches elle était parvenue à prononcer certaines paroles » de manière à électriser tout un nombreux auditoire. » tandis que la même phrase, prononcée par une autre >> bouche, était nulle et sans relief. « Vous m'étonnez, répondit-elle, ces paroles je ne pourrais les dire autre» ment. >> Certes, le sentiment ne pouvait se révéler >> d'une façon plus naïve et plus évidente!

» Enfin, le sentiment est le seul lien, le seul point » de contact qui puisse exister entre l'artiste et le pu» blic; car, s'il est nécessaire, ainsi que nous l'avons » montré, que l'artiste possède une connaissance aussi » étendue, aussi complète que possible des choses qui » ont rapport à l'art qu'il exerce, l'on ne peut, à coup » sùr, exiger que les mêmes études se retrouvent chez » le plus grand nombre de ceux qui sont appelés à exa» miner ses travaux. Le côté de la science et celui de » l'exécution restent en dehors de l'appréciation géné» rale; mais la pensée qui a dû présider à la conception » de l'œuvre, mais l'émotion qu'a dù éprouver l'artiste, » voilà ce qu'il doit nous transmettre, voilà ce qu'il nous » est donné de comprendre et de goûter.

» En effet, nous avons tous, au dedans de nous-mêmes, >> dans une certaine mesure et comme d'instinct, le sen>> timent de l'harmonie des formes, des couleurs et des » sons, et, si nous nous laissons aller à nos impressions, » dégagés de toute idée préconçue et libres de toute » opinion systématique, les jugements que nous por»terons seront en général sains et convenables. Il n'y » a à craindre et à récuser que les appréciations dictées

» par un esprit étroit de système ou d'école, injuste » comme le préjugé, aveugle comme la haine, résultat » ordinaire d'une éducation artistique tronquée ou faus>>sée dans son principe. Mieux vaut mille fois l'opinion » de l'homme ignorant et de bonne foi, et le plus fin » connaisseur n'est pas toujours celui qu'on pense. » Tout commentaire serait superflu, à propos de ces lignes prouvant d'une façon si éloquente, qu'en dehors même de son talent d'artiste Dutilleux aurait été plus que digne d'occuper son fauteuil académique.

QUATRIÈME PARTIE.

I.

Organisation vibrante, nerveuse, et mélancolique, nature ardente et enthousiaste, esprit élevé, noble, fier et indépendant, conscience droite, cœur aimant, généreux et dévoué pardessus tout, tels étaient chez Dutilleux les traits saillants de l'homme et du caractère.

Son indépendance et sa fierté, dans la bonne acception du mot, s'annoncèrent dès sa jeunesse, collégien nous l'avons vu en philosophie renoncer au prix d'excellence, pour ne pas se soumettre à une mesure qu'il considérait comme tyrannique (1). Plus tard, à Paris, alors qu'il se

(1) Il est clair que l'arbitraire seul de la mesure répugnait à la conscience de Dutilleux, car à quelque temps de là, il écrit qu'à la suite d'une visite à Sainte-Geneviève, « il s'est surpris à suivre en chan> tant, comme les autres, une procession qui s'y était formée. »

trouvait fort à l'étroit pourtant, nous l'avons vu encore refuser les secours d'argent que lui offrait sa famille, et répondre qu'aux patrons il préférait les amis.

Cette noble et fière indépendance, ne se démentit jamais, il eut à en souffrir, il le sentit; mais, loin de l'ébranler, les traverses qu'elle lui valut, ne firent que l'affermir encore.

Avec sa parole facile et persuasive, avec sa plume habile et élégante, Dutilleux se fût aisément fait une de ces réputations que justifient rarement un talent artistique aussi relevé que le sien. Mais répugnant aux moyens qui mènent le plus ordinairement au succès, ne voulant pas que jamais l'on pût lui appliquer la maxime : ubi tuba ibi turba ! il alla jusqu'à tomber dans l'excès contraire. <«< Comment serai-je placé, écrivait-il, en annonçant l'ad>> mission de ses tableaux à l'exposition, je n'en sais rien » et ne m'en inquiète pas, » « ici, écrivait-il encore, je » ne sais comment se passe le temps et la saison, mais » je n'ai pu encore terminer une étude. Plus j'avance et » moins j'arrive à la fin d'une œuvre. Il est vrai que je » tiens à y mettre beaucoup et beaucoup encore. Je » crains que tous ces efforts soient peu appréciables, » ce dont je me soucie peu, et peu appréciés, ce dont je » me soucie moins encore. Fais ce que dois, advienne » que pourra, voilà ma règle, et je n'ai pas d'autre » souci. >>

D'une éducation parfaite, Dutilleux, tout tolérant et tout bienveillant qu'il fût, souffrait difficilement que l'on manquât, à son égard, aux convenances qu'il savait si bien respecter vis à vis de tous. M. Colin rapporte, à ce sujet, l'anecdote suivante: « Un jour se présente un

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