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et où l'apparence en aura été conservée avec soin pour les détruire en effet plus impunément. On voit de nos jours des guerres moins fréquentes, mais plus justes. En quelque temps que ce soit, comment la guerre pourra-t-elle être plus juste dans l'un des partis sans être plus injuste dans l'autre? Je ne saurois concevoir cela. Des actions moins étonnantes, mais plus héroïques. Personne assurément ne disputera à mon adversaire le droit de juger de l'héroïsme; mais pense-t-il que ce qui n'est point étonnant pour lui ne le soit pas pour nous? Des victoires moins sanglantes, mais glorieuses; des conquêtes moins rapides, mais plus assurées; des guerriers moins violens, mais plus redoutés, sachant vaincre avec modération, traitant les vaincus avec humanité; l'honneur est leur guide, la gloire est leur récompense. Je ne nie pas à l'auteur qu'il n'y ait de grands hommes parmi nous, il lui seroit trop aisé d'en fournir la preuve; ce qui n'empêche point que les peuples ne soient très-corrompus. Au reste, ces choses sont si vagues qu'on pourroit presque les dire de tous les âges; et il est impossible d'y répondre, parce qu'il faudroit feuilleter des bibliotheques et faire des in-folio pour établir des preuves pour ou

contre.

Quand Socrate a maltraité les sciences, il n'a pu, ce me semble, avoir en vue ni l'orgueil des stoïciens, ni la mollesse des épicuriens, ni l'absurde jargon des pyrrhoniens, parce qu'aucun de tous ces gens-là

n'existoit de son temps. Mais ce léger anachronisme n'est point messéant à mon adversaire : il a mieux employé sa vie qu'à vérifier des dates, et n'est pas plus obligé de savoir par cœur son Diogène-Laërce que moi d'avoir vu de près ce qui se passe dans les combats.

Je conviens donc que Socrate n'a songé qu'à relever les vices des philosophes de son temps; mais je ne sais qu'en conclure, sinon que dès ce temps-là les vices pulluloient avec les philosophes. A cela on me répond que c'est l'abus de la philosophie, et je ne pense pas avoir dit le contraire. Quoi! faut-il donc supprimer toutes les choses dont on abuse? Oui, sans doute, répondrai-je sans balancer, toutes celles qui sont inutiles, toutes celles dont l'abus fait plus. de mal que leur usage ne fait de bien..

Arrêtons-nous un instant sur cette dernière conséquence, et gardons-nous d'en conclure qu'il faille aujourd'hui brûler toutes les bibliothèques et détruire les universités et les académies. Nous ne ferions que replonger l'Europe dans la barbarie; et les mœurs. n'y gagneroient rien (1). C'est avec douleur que je vais prononcer une grande et fatale vérité. Il n'y a qu'un pas du savoir à l'ignorance; et l'alternative de l'un à l'autre est fréquente chez les nations; mais on n'a jamais vu de peuple une fois corrompu revenir à la

(1) Les vices nous resteroient, dit le philosophe que j'ai déjà cité, et nous aurions l'ignorance de plus. Dans le peu de lignes que cet auteur a écrites sur ce grand sujet, on voit qu'il a tourné les yeux de ce côté, et qu'il a vu loin.

vertu. En vain vous prétendriez détruire les sources du mal; en vain vous ôteriez les alimens de la vanité, de l'oisiveté et du luxe; en vain même vous rameneriez les hommes à cette première égalité conservatrice de l'innocence et source de toute vertu : leurs cœurs une fois gâtés le seront toujours; il n'y a plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu'elle pourroit guérir, et qu'il est blâmable de désirer et impossible de prévoir.

Laissons donc les sciences et les arts adoucir en quelque sorte la férocité des hommes qu'ils ont corrompus; cherchons à faire une diversion sage, et tâchons de donner le change à leurs passions. Offrons quelques alimens à ces tigres, afin qu'ils ne dévorent pas nos enfans. Les lumières du méchant sont encore moins à craindre que sa brutale stupidité: elles le rendent au moins plus circonspect sur le mal qu'il pourroit faire, par la connoissance de celui qu'il en recevroit lui-même.

J'ai loué les académies et leurs illustres fondateurs, et j'en répéterai volontiers l'éloge. Quand le mal est incurable, le médecin applique des palliatifs, et proportionne les remèdes moins aux besoins qu'au tempérament du malade. C'est aux sages législateurs d'imiter sa prudence, et, ne pouvant plus approprier aux peuples malades la plus excellente police, de leur donner du moins, comme Solon, la meilleure qu'ils puissent comporter.

:

Il y a en Europe un grand prince, et, ce qui est bien plus, un vertueux citoyen, qui, dans la patrie qu'il a adoptée et qu'il rend heureuse, vient de former plusieurs institutions en faveur des lettres (*). Il a fait en cela une chose très-digne de sa sagesse et de sa vertu. Quand il est question d'établissemens politiques, c'est le temps et le lieu qui décident de tout. Il faut, pour leurs propres intérêts, que les princes favorisent toujours les sciences et les arts; j'en ai dit la raison et, dans l'état présent des choses, il faut encore qu'ils les favorisent aujourd'hui pour l'intérêt même des peuples. S'il y avoit actuellement parmi nous quelque monarque assez borné pour penser et agir différemment, ses sujets resteroient pauvres et ignorans, et n'en seroient pas moins vicieux. Mon adversaire a négligé de tirer avantage d'un exemple si frappant et si favorable en apparence à sa cause; peut-être est-il le seul qui l'ignore ou qui n'y ait pas songé. Qu'il souffre donc qu'on le lui rappelle; qu'il ne refuse point à de grandes choses les éloges qui leur sont dus; qu'il les admire ainsi que nous, et ne s'en tienne pas plus fort contre les vérités qu'il attaque.

(*) Il est aisé de voir qu'il s'agit ici du roi Stanislas lui-même, fondateur de l'Académie de Nanci.

mm

C'EST

DERNIÈRE RÉPONSE.

A M. BORDES. (*)

Ne, dum tacemus, non verecundiæ sed diffidentia causá tacere videamur.

CYPRIAN. contra Demet.

avec une extrême répugnance que j'amuse de mes disputes des lecteurs oisifs qui se soucient trèspeu de la vérité : mais la manière dont on vient de

(*) Ce titre Dernière Réponse que porte en effet l'édition originale, ne doit pas faire supposer une réponse précédente faite au même écrivain, mais la dernière des réponses que l'auteur entendoit faire à ses adversaires. Ayant en effet déjà répondu indirectement à M. Gautier, et directement au roi de Pologne, il étoit naturel qu'il ne voulût pas prolonger plus loin cette discussion. A la vérité, au Livre VIII de ses Confessions, Rousseau dit positivement qu'après qu'il eut répondu à M. Bordes, celui-ci fit une réplique sur un ton plus décidé, ce qui donna lieu à sa Dernière Réponse; mais il est évident qu'il a confondu les faits, et qu'en cela sa mémoire l'a mal servi. Cette Dernière Réponse s'applique, comme il est bien aisé de s'en convaincre, au premier Discours que Bordes prononça en 1751 à l'Académie de Lyon, et qui fut imprimé en 1752 (in-8. de 60 pages). L'année suivante, Bordes, excité par cette Dernière Réponse, fit imprimer un Second Discours (in-8. de 126 pages), auquel il est certain que Rousseau n'a pas répondu même indirectement, puisque la préface de Narcisse précéda, dans sa publication, celle du second Discours dont on vient de parler. Cette marque apparente de dédain de la part de Rousseau, fut sans doute, comme nous l'avons déjà fait observer, la principale cause de l'inimitié que l'académicien lyonnois conçut contre lui. Au reste, ce premier Discours de Bordes eut alors du succès, et passa pour le meilleur des ouvrages publiés en réfutation de celui de Rousseau; mais Grimm le juge avec rai

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