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préférables à cette vertu barbare et farouche qui >> fait frémir l'humanité? » Je passe l'inutile et pompeuse revue de ces biens; et pour commencer sur ce dernier point par un aveu propre à prévenir bien du verbiage, je déclare, une fois pour toutes, que, si quelque chose peut compenser la ruine des mœurs, je suis prêt à convenir que les sciences font plus de bien que de mal. Venons maintenant au reste.

Je pourrois, sans beaucoup de risque, supposer tout cela prouvé, puisque de tant d'assertions si hardiment avancées il y en a très-peu qui touchent le fond de la question, moins encore dont on puisse tirer contre mon sentiment quelque conclusion valable, et que même la plupart d'entre elles fourniroient de nouveaux argumens en ma faveur, si ma cause en avoit besoin.

En effet, 1°. si les hommes sont méchans par leur nature, il peut arriver, si l'on veut, que les sciences produiront quelque bien entre leurs mains; mais il est très-certain qu'elles y feront beaucoup plus de mal: il ne faut point donner d'armes à des furieux.

2o. Si les sciences atteignent rarement leur but, il y aura toujours beaucoup plus de temps perdu. que de temps bien employé. Et quand il seroit vrai que nous aurions trouvé les meilleures méthodes, la plupart de nos travaux seroient encore aussi ridicules que ceux d'un homme qui, bien sûr de suivre exactement la ligne d'aplomb, voudroit mener un puits jusqu'au centre de la terre.

3o. Il ne faut point nous faire tant de peur de la vie purement animale, ni la considérer comme le pire état où nous puissions tomber; car il vaudroit encore mieux ressembler à une brebis qu'à un mauvais ange.

4°. La Grèce fut redevable de ses mœurs et de ses lois à des philosophes et à des législateurs. Je le veux. J'ai déjà dit cent fois qu'il est bon qu'il y ait des philosophes, pourvu que le peuple ne se mêle pas de

l'être.

5o. N'osant avancer que Sparte n'avoit pas de bonnes lois, on blâme les lois de Sparte d'avoir eu de grands défauts: de sorte que, pour rétorquer les reproches que je fais aux peuples savans d'avoir toujours été corrompus, on reproche aux peuples ignorans de n'avoir pas atteint la perfection.

6°. Le progrès des lettres est toujours en proportion avec la grandeur des empires. Soit. Je vois qu'on me parle toujours de fortune et de grandeur. Je parlois, moi, de mœurs et de vertu.

7°. Nos mœurs sont les meilleures que de méchans hommes comme nous puissent avoir; cela peut être. Nous avons proscrit plusieurs vices; je n'en disconviens pas. Je n'accuse point les hommes de ce siècle d'avoir tous les vices; ils n'ont que ceux des âmes lâches, ils sont seulement fourbes et fripons. Quant aux vices qui supposent du courage et de la fermeté, je les en crois incapables.

8°. Le luxe peut être nécessaire

pour donner du

pain aux pauvres ; mais, s'il n'y avoit point de luxe, il n'y auroit point de pauvres (1). Il occupe les citoyens oisifs. Et pourquoi y a-t-il des citoyens oisifs? Quand l'agriculture étoit en honneur, il n'y avoit mi misère ni oisiveté, et il y avoit beaucoup moins de vices.

9o. Je vois qu'on a fort à cœur cette cause du luxe, qu'on feint pourtant de vouloir séparer de celle des sciences et des arts. Je conviendrai donc, puisqu'on le veut si absolument, que le luxe sert au soutien des états, comme les cariatides servent à soutenir les palais qu'elles décorent; ou plutôt, comme ces poutres dont on étaie des bâtimens pourris, et qui souvent achèvent de les renverser. Hommes sages et prudens, sortez de toute maison qu'on étaie.

Ceci peut montrer combien il me seroit aisé de retourner en ma faveur la plupart des choses qu'on prétend m'opposer; mais, à parler franchement, je

(1) Le luxe nourrit cent pauvres dans nos villes, et en fait périr cent mille dans nos campagnes. L'argent qui circule entre les mains des riches et des artistes pour fournir à leurs superfluités est perdu pour la subsistance du laboureur ; et celui-ci n'a point d'habit, précisément parce qu'il faut du galon aux autres. Le gaspillage des matières qui servent à la nourriture des hommes suffit seul pour rendre le luxe odieux à l'humanité. Mes adversaires sont bien heureux que la coupable délicatesse de notre langue m'empêche d'entrer làdessus dans des détails qui les feroient rougir de la cause qu'ils osent défendre. Il faut des jus dans notre cuisine, voilà pourquoi tant de malades manquent de bouillon. Il faut des liqueurs sur nos tables, voilà pourquoi le paysan ne boit que de l'eau. Il faut de la poudre à nos perruques, voilà pourquoi tant de pauvres n'ont point de pain.

L

ne les trouve pas assez bien prouvées pour avoir le courage de m'en prévaloir.

On avance que les premiers hommes furent méchans; d'où il suit que l'homme est méchant natuturellement (1). Ceci n'est pas une assertion de légère importance; il me semble qu'elle eût bien valu la peine d'être prouvée. Les annales de tous les peuples qu'on ose citer en preuve sont beaucoup plus favorables à la supposition contraire; et il faudroit bien des témoignages pour m'obliger de croire une absurdité. Avant que ces mots affreux de tien et de mien fussent inventés; avant qu'il y eût de cette espèce d'hommes cruels et brutaux qu'on appelle maîtres et de cette autre espèce d'hommes fripons et menteurs qu'on appelle esclaves; avant qu'il y eût des hommes assez abominables pour oser avoir du superflu pendant que d'autres hommes meurent de faim; avant qu'une dépendance mutuelle les eût tous forcés à devenir fourbes, jaloux et traîtres; je voudrois

(1) Cette note est pour les philosophes; je conseille aux autres de la passer.

Si l'homme est méchant par sa nature, il est clair que les sciences ne feront que le rendre pire; ainsi voilà leur cause perdue par cette seule supposition. Mais il faut bien faire attention que, quoique l'homme soit naturellement bon, comme je le crois, et comme j'ai le bonheur de le sentir, il ne s'ensuit pas pour cela que les sciences lui soient salutaires; car toute position qui met un peuple dans le cas de les cultiver annonce nécessairement un commencement de corruption qu'elles accélèrent bien vite. Alors le vice de la constitution fait tout le mal qu'auroit pu faire celui de la nature, et les mauvais préjugés tiennent lieu des mauvais penchans.

bien qu'on m'expliquât en quoi pouvoient consister ces vices, ces crimes qu'on leur reproche avec tant d'emphase. On m'assure qu'on est depuis long-temps. désabusé de la chimère de l'âge d'or. Que n'ajoutoiton encore qu'il y a long-temps qu'on est désabusé de la chimère de la vertu?

J'ai dit que les premiers Grecs furent vertueux avant que la science les eût corrompus; et je ne veux pas me rétracter sur ce point, quoiqu'en y regardant de plus près je ne sois pas sans défiance sur la solidité des vertus d'un peuple si babillard, ni sur la justice des éloges qu'il aimoit tant à se prodiguer, et que je ne vois confirmés par aucun autre témoignage. Que m'oppose-t-on à cela? Que les premiers Grecs dont j'ai loué la vertu étoient éclairés et savans, puisque des philosophes formèrent leurs mœurs et leur donnèrent des lois. Mais, avec cette manière de raisonner, qui m'empêchera d'en dire autant de toutes les autres nations? Les Perses n'ont-ils pas eu leurs mages, les Assyriens leurs Chaldéens, les Indes leurs gymnosophistes, les Celtes leurs druides? Ochus n'a-t-il pas brillé chez les Phéniciens, Atlas chez les Libyens, Zoroastre chez les Perses, Zamolxis chez les Thraces? Et plusieurs même n'ont-ils pas prétendu que la philosophie étoit née chez les Barbares? C'étoient donc des savans, à ce compte, que tous ces peuples-là? A côté des Miltiade et des Thémistocle, on trouvoit, me dit-on, les Aristide et les Socrate. A côté, si l'on veut; car que m'importe?

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