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nant le spectacle et le modèle de la vertu la plus pure qui ait jamais existé. Il a appris à ceux qui aiment sincèrement le véritable honneur à savoir résister aux vices de leur siècle, et à détester cette horrible maxime des gens à la mode, qu'il faut faire comme les autres ; maxime avec laquelle ils iroient loin sans doute, s'ils avoient le malheur de tomber dans quelque bande de cartouchiens. Nos descendans apprendront un jour que, dans ce siècle de sages et de philosophes, le plus vertueux des hommes a été tourné en ridicule et traité de fou, pour n'avoir pas voulu souiller sa grande âme des crimes de ses contemporains, pour n'avoir pas voulu être un scélérat avec César et les autres brigands de son temps.

On vient de voir comment nos philosophes parlent de Caton. On va voir comment en parloient les anciens philosophes. Ecce spectaculum dignum ad quod respiciat intentus operi suo Deus. Ecce par Deo dignum, vir fortis cum mala fortuna compositus. Non video, inquam, quid habeat in terris Jupiter pulchrius, si convertere animum velit, quàm ut spectet Catonem, jam partibus non semel fractis, nihilominùs inter ruinas publicas erectum. (*)

Voici ce qu'on nous dit ailleurs des premiers Romains: J'admire les Brutus, les Décius, les Lucrèce, les Virginius, les Scévola.... C'est quelque chose dans

(*) SENEC. de Providentiá, cap. 2.

le siècle où nous sommes. Mais j'admirerai encore plus un état puissant et bien gouverné. Un état puissant et bien gouverné! Et moi aussi, vraiment. Où les citoyens ne seront point condamnés à des vertus si cruelles. J'entends; il est plus commode de vivre dans une constitution de choses où chacun soit dispensé d'être homme de bien. Mais si les citoyens de cet état qu'on admire se trouvoient réduits par quelque malheur ou à renoncer à la vertu, ou à pratiquer ces vertus cruelles, et qu'ils eussent la force de faire leur devoir, seroit-ce donc une raison de les admirer moins?

Prenons l'exemple qui révolte le plus notre siècle, et examinons la conduite de Brutus souverain magistrat, faisant mourir ses enfans qui avoient conspiré contre l'état dans un moment critique où il ne falloit presque rien pour le renverser. Il est certain que, s'il leur eût fait grâce, son collègue eût infailliblement sauvé tous les autres complices, et que la république étoit perdue. Qu'importe! me dira-t-on. Puisque cela est si indifférent, supposons donc qu'elle eût subsisté, et que Brutus, ayant condamné à mort quelque malfaiteur, le coupable lui eût parlé ainsi : « Consul, pourquoi me fais-tu mourir? Ai-je fait pis » que de trahir ma patrie? et ne suis-je pas aussi ton >> enfant? >> Je voudrois bien qu'on prît la peine de me dire ce que Brutus auroit pu répondre.

Brutus, me dira-t-on encore, devoit abdiquer le consulat, plutôt que de faire périr ses enfans. Et moi

je dis que tout magistrat qui, dans une circonstance aussi périlleuse, abandonne le soin de la patrie et abdique la magistrature, est un traître qui mérite la

mort.

Il n'y a point de milieu; il falloit que Brutus fût un infâme, ou que les têtes de Titus et de Tibérinus tombassent par son ordre sous la hache des licteurs. Je ne dis pas pour cela que beaucoup de gens eussent choisi comme lui.

Quoiqu'on ne se décide pas ouvertement pour les derniers temps de Rome, on laisse pourtant assez entendre qu'on les préfère aux premiers ; et l'on a autant de peine à apercevoir de grands hommes à travers la simplicité de ceux-ci, que j'en ai moi-même à apercevoir d'honnêtes à travers la gens des autres. pompe On oppose Titus à Fabricius; mais on a omis cette différence, qu'au temps de Pyrrhus tous les Romains étoient des Fabricius, au lieu que sous le règne de Tite il n'y avoit que lui seul d'homme de bien (1). J'oublierai, si l'on veut, les actions héroïques des premiers Romains et les crimes des derniers : mais ce que je ne saurois oublier, c'est que la vertu étoit

(1) Si Titus n'eût été empereur, nous n'aurions jamais entendu parler de lui, car il eût continué de vivre comme les autres ; et il ne devint homme de bien que quand, cessant de recevoir l'exemple de son siècle, il lui fut permis d'en donner un meilleur. Privatus atque etiam sub patre principe, ne odio quidem, nedum vituperatione publicá, caruit. (SUET. in Tit. cap. 1.) At illi ea fama pro bono cessit, conversaque est in maximas laudes. Id. cap. 7.

honorée des uns et méprisée des autres; et que, quand il y avoit des couronnes pour les vainqueurs des jeux du cirque, il n'y en avoit plus pour celui qui sauvoit la vie à un citoyen. Qu'on ne croie pas au reste que ceci soit particulier à Rome. Il fut un temps où la république d'Athènes étoit assez riche pour dépenser des sommes immenses à ses spectacles, et pour payer très-chèrement les auteurs, les comédiens, et même les spectateurs : ce même temps fut celui où il ne se trouva point d'argent pour défendre l'état contre les entreprises de Philippe.

On vient enfin aux peuples modernes; et je n'ai garde de suivre les raisonnemens qu'on juge à propos de faire à ce sujet. Je remarquerai seulement que c'est un avantage peu honorable que celui qu'on se procure, non en réfutant les raisons de son adversaire, mais en l'empêchant de les dire.

Je ne suivrai pas non plus toutes les réflexions. qu'on prend la peine de faire sur le luxe, sur la politesse, sur l'admirable éducation de nos enfans (1),

(1) Il ne faut pas demander si les pères et les maîtres seront attentifs à écarter mes dangereux écrits des yeux de leurs enfans et de leurs élèves. En effet, quel affreux désordre, quelle indécence ne seroit-ce point, si ces enfans, si bien élevés, venoient à dédaigner tant de jolies choses, et à préférer tout de bon la vertu au savoir! Ceci me rappelle la réponse d'un précepteur lacédémonien à qui l'on demandoit par moquerie ce qu'il enseigneroit à son élève. Je lui apprendrai, dit-il, à aimer les choses honnétes (*). Si je rencontrois un tel homme parmi nous, je lui dirois à l'oreille : Gardez-vous (*) PLUTARQUE, vers la fin du traité : Que la vertu se peut enseigner.

sur les meilleures méthodes pour étendre nos connoissances, sur l'utilité des sciences et l'agrément des beaux-arts, et sur d'autres points dont plusieurs ne me regardent pas, dont quelques-uns se réfutent d'eux-mêmes, et dont les autres ont déjà été réfutés. Je me contenterai de citer encore quelques morceaux pris au hasard, et qui me paroîtront avoir besoin d'éclaircissement. Il faut bien que je me borne à des phrases, dans l'impossibilité de suivre des raisonnemens dont je n'ai pu saisir le fil.

On prétend que les nations ignorantes qui ont eu des idées de la gloire et de la vertu sont des exceptions singulières qui ne peuvent former aucun préjugé contre les sciences. Fort bien; mais toutes les nations savantes, avec leurs belles idées de gloire et de vertu, en ont toujours perdu l'amour et la pratique. Cela est sans exception; passons à la preuve. Pour nous en convaincre, jetons les yeux sur l'immense continent de l'Afrique, où nul mortel n'est assez hardi pour pénétrer, ou assez heureux pour l'avoir tenté impunément. Ainsi, de ce que nous n'avons pu pénétrer dans le continent de l'Afrique, de ce que nous ignorons ce qui s'y passe, on nous fait conclure que les peuples en sont chargés de vices : c'est, si nous avions trouvé le moyen d'y porter les nôtres, qu'il faudroit tirer cette conclusion.

bien de parler ainsi, car jamais vous n'auriez de disciples; mais dites que vous leur apprendrez à babiller agréablement, et je vous réponds de votre fortune.

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