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DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU,

Sur une nouvelle Réfutation de son DISCOURS, par un académicien de Dijon.

Je viens, monsieur, de voir une brochure intitulée, Discours qui a remporté le prix à l'Académie de Dijon en 1750, etc., accompagné de la réfutation de ce discours, par un académicien de Dijon qui lui a refusé son suffrage ("); et je pensois, en parcourant cet écrit, qu'au lieu de s'abaisser jusqu'à être l'éditeur de mon Discours, l'académicien qui lui refusa son suffrage auroit bien dû publier l'ouvrage auquel il l'avoit accordé : c'eût été une très-bonne manière de réfuter le mien.

Voilà donc un de mes juges qui ne dédaigne pas de devenir un de mes adversaires, et qui trouve trèsmauvais que ses collègues m'aient honoré du prix j'avoue que j'en ai été fort étonné moi-même ; j'avois tâché de le mériter, mais je n'avois rien fait pour

:

(*) Le véritable auteur de cette Réfutation étoit un M. Le Cat, secrétaire perpétuel de l'Académie de Rouen. Son écrit publié en 1751 occasionna un désaveu que fit imprimer l'Académie de Dijon peu de temps après, désaveu auquel Le Cat répondit par des observations où il se fit connoître lui-même pour l'auteur de la Réfutation nouvelle. L'écrit de Le Cat, le désaveu de l'Académie et les observations en réponse, ont été réunis et réimprimés dans l'édition de Genève, 1er volume du supplément.

IV.

ΙΟ

l'obtenir. D'ailleurs, quoique je susse que les académies n'adoptent point les sentimens des auteurs qu'elles couronnent, et que le prix s'accorde, non à celui qu'on croit avoir soutenu la meilleure cause, mais à celui qui a le mieux parlé; même en me supposant dans ce cas, j'étois bien éloigné d'attendre d'une académie cette impartialité dont les savans ne se piquent nullement toutes les fois qu'il s'agit de leurs intérêts.

Mais si j'ai été surpris de l'équité de mes juges, j'avoue que je ne le suis pas moins de l'indiscrétion de mes adversaires : comment osent-ils témoigner si publiquement leur mauvaise humeur sur l'honneur que j'ai reçu? comment n'aperçoivent-ils point le tort irréparable qu'ils font en cela à leur propre cause? Qu'ils ne se flattent pas que personne prenne le change sur le sujet de leur chagrin : ce n'est pas parce que mon Discours est mal fait qu'ils sont fâchés de le voir couronné; on en couronne tous les jours d'aussi mauvais, et ils ne disent mot; c'est par une autre raison qui touche de plus près à leur métier, et qui n'est pas difficile à voir. Je savois bien que les sciences corrompoient les mœurs, rendoient les hommes injustes et jaloux, et leur faisoient tout sacrifier à leur intérêt et à leur vaine gloire; mais j'avois cru m'apercevoir que cela se faisoit avec un peu plus de décence et d'adresse : je voyois que les gens de lettres parloient sans cesse d'équité, de modération, de vertu, et que c'étoit sous la sauvegarde

sacrée de ces beaux mots qu'ils se livroient impunément à leurs passions et à leurs vices; mais je n'aurois jamais cru qu'ils eussent le front de blâmer publiquement l'impartialité de leurs confrères. Partout ailleurs, c'est la gloire des juges de prononcer selon l'équité contre leur propre intérêt; il n'appartient qu'aux sciences de faire à ceux qui les cultivent un crime de leur intégrité : voilà vraiment un beau privilége qu'elles ont là!

J'ose le dire, l'Académie de Dijon, en faisant beaucoup pour ma gloire, a beaucoup fait pour la sienne : un jour à venir les adversaires de ma cause tireront avantage de ce jugement pour prouver que la culture des lettres peut s'associer avec l'équité et le désintéressement. Alors les partisans de la vérité leur répondront: Voilà un exemple particulier qui semble faire contre nous; mais souvenez-vous du scandale que ce jugement causa dans le temps parmi la foule des gens de lettres, et de la manière dont ils s'en plaignirent, et tirez de là une juste conséquence sur leurs maximes.

Ce n'est pas, à mon avis, une moindre imprudence de se plaindre que l'Académie ait proposé son sujet en problème. Je laisse à part le peu de vraisemblance qu'il y avoit que, dans l'enthousiasme universel qui règne aujourd'hui, quelqu'un eût le courage de renoncer volontairement au prix, en se déclarant pour la négative; mais je ne sais comment des philosophes osent trouver mauvais qu'on leur offre des voies de

discussion: bel amour de la vérité, qui tremble qu'on n'examine le pour et le contre ! Dans les recherches de philosophie, le meilleur moyen de rendre un sentiment suspect, c'est de donner l'exclusion au sentiment contraire quiconque s'y prend ainsi a bien l'air d'un homme de mauvaise foi, qui se défie de la bonté de sa cause. Toute la France est dans l'attente de la pièce qui remportera cette année le prix à l'Académie Françoise (*) : non-seulement elle effacera très-certainement mon discours, ce qui ne sera guère difficile; mais on ne sauroit même douter qu'elle ne soit un chef-d'œuvre. Cependant, que fera cela à la solution de la question? rien du tout; car chacun dira, après l'avoir lue: Ce discours est fort beau; mais si l'auteur avoit eu la liberté de prendre le sentiment contraire, il en eût peut-être fait un plus beau encore.

J'ai parcouru la nouvelle Réfutation; car c'en est encore une, et je ne sais par quelle fatalité les écrits de mes adversaires qui portent ce titre si décisif sont toujours ceux où je suis le plus mal réfuté. Je l'ai donc parcourue cette réfutation, sans avoir le moindre regret à la résolution que j'ai prise de ne plus répondre à personne; je me contenterai de citer un seul passage, sur lequel le lecteur pourra juger si j'ai tort ou raison; le voici :

Je conviendrai qu'on peut être honnête homme

(*) Voyez ci-devant la note 2 de la page 72.

sans talens; mais n'est-on engagé dans la société qu'à être honnête homme? Et qu'est-ce qu'un honnéte homme ignorant et sans talens? un fardeau inutile, à charge même à la terre, etc. Je ne répondrai pas, sans doute, à un auteur capable d'écrire de cette manière; mais je crois qu'il peut m'en remercier.

Il n'y auroit guère moyen, non plus, à moins que de vouloir être aussi diffus que l'auteur, l'auteur, de répondre à la nombreuse collection des passages latins, des vers de La Fontaine, de Boileau, de Molière, de Voiture, de Regnard, de M. Gresset, ni à l'histoire de Nemrod, ni à celle des paysans picards; car que peut-on dire à un philosophe qui nous assure qu'il veut du mal aux ignorans parce que son fermier de Picardie, qui n'est pas un docteur, le paye exactement, à la vérité, mais ne lui donne pas assez d'argent de sa terre? L'auteur est si occupé de ses terres qu'il me parle même de la mienne. Une terre à moi! la terre de Jean-Jacques Rousseau! En vérité je lui conseille de me calomnier (1) plus adroitement.

Si j'avois à répondre à quelque partie de la Réfutation, ce seroit aux personnalités dont cette critique est remplie; mais comme elles ne font rien à la ques

(1) Si l'auteur me fait l'honneur de réfuter cette lettre, il ne faut pas douter qu'il ne me prouve dans une belle et docte démonstra tion, soutenue de très-graves autorités, que ce n'est point un crime d'avoir une terre. En effet, il se peut que ce n'en soit pas un pour d'autres, mais c'en seroit un pour moi.

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