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au jugement des sages, que s'il eût conquis l'uni

vers.

Voilà ce que produit la force de l'âme; c'est ainsi qu'elle peut éclairer l'esprit, étendre le génie, et donner de l'énergie et de la vigueur à toutes les autres vertus : elle peut même suppléer à celles qui nous manquent; car celui qui ne seroit ni courageux, ni juste, ni sage, ni modéré par inclination, le sera pourtant par raison, sitôt qu'ayant surmonté ses passions et vaincu ses préjugés, il sentira combien il lui est avantageux de l'être, sitôt qu'il sera convaincu qu'il ne peut faire son bonheur qu'en travaillant à celui des autres. La force est donc la vertu qui caractérise l'héroïsme, et elle l'est encore par un autre argument sans réplique que je tire des réflexions d'un grand homme : Les autres vertus, dit Bacon, nous délivrent de la domination des vices; la seule force nous garantit de celle de la fortune. En effet, quelles sont les vertus qui n'ont pas besoin de certaines circonstances pour les mettre en œuvre? De quoi sert la justice avec les tyrans, la prudence avec les insensés, la tempérance dans la misère? Mais tous les événemens honorent l'homme fort, le bonheur et l'adversité servent également à sa gloire, et il ne règne pas moins dans les fers que sur le trône. Le martyre de Régulus à Carthage, le festin de Caton rejeté du consulat, le sang-froid d'Épictète estropié par son maître, ne sont pas moins illustres que les triomphes d'Alexandre et de César;

et si Socrate étoit mort dans son lit, on douteroit peut-être aujourd'hui s'il fut rien de plus qu'un adroit sophiste.

Après avoir déterminé la vertu la plus propre au héros, je devrois parler encore de ceux qui sont parvenus à l'héroïsme sans la posséder. Mais comment y seroient-ils parvenus sans la partie qui seule constitue le vrai héros et qui lui est essentielle? Je n'ai rien à dire là-dessus, et c'est le triomphe de ma cause. Parmi les hommes célèbres dont les noms sont inscrits au temple de la gloire, les uns ont manqué de sagesse, les autres de modération; il y en a eu de cruels, d'injustes, d'imprudens, de perfides; tous ont eu des foiblesses, nul d'entre eux n'a été un homme foible. En un mot, toutes les autres vertus ont pu manquer à quelques grands hommes; mais sans la force de l'âme il n'y eut jamais de héros.

DE S. A. S. MONSEIGNEUR

LE DUC D'ORLÉANS,

PREMIER PRINCE DU SANG DE FRANCE.

Modicum plora supra mortuum, quoniam requievit. Pleurez modérément celui que vous avez perdu, car il est en paix.

Ecclesiastic., c. XXII, V. II.

MESSIEURS,

Les écrivains profanes nous disent qu'un puissant roi, considérant avec orgueil la superbe et nombreuse armée qu'il commandoit, versa pourtant des

(*) Voyez ce que dit Rousseau sur cette Oraison funèbre que luimême il juge très-foible, dans une lettre à Moultou du 12 décembre 1761; il en parle encore dans une lettre au même du 23 du même mois.

Le prince dont il s'agit ici étoit Louis, né en 1703, fils du régent et grand-père du trop fameux Philippe-Égalité. Sa jeunesse fut assez dissipée ; mais peu de temps après la mort de son père, il quitta le monde pour se consacrer entièrement aux exercices de la pénitence et à l'étude de la religion. En 1730 il prit un appartement à l'Abbaye de Sainte-Geneviève, et s'y établit totalement en 1742. Il n'en sortoit que pour visiter des Églises ou pour des œuvres charitables, et y mourut le 4 février 1752. Ce prince, aussi savant que pieux, possédoit l'hébreu, le chaldéen, le syriaque, le grec, et avoit cul

pleurs, en songeant que, dans peu d'années, de tant de milliers d'hommes il n'en resteroit pas un seul en vie. Il avoit raison de s'affliger, sans doute la mort pour un païen ne pouvoit être qu'un sujet de larmes.

Le spectacle funèbre qui frappe mes yeux, et l'assemblée qui m'écoute, m'arrachent aujourd'hui la même réflexion, mais avec des motifs de consolation capables d'en tempérer l'amertume et de la rendre utile au chrétien. Oui, messieurs, si nos âmes étoient assez pures pour subjuguer les affections terrestres, et pour s'élever par la contemplation jusqu'au séjour des bienheureux, nous nous acquitterions sans douleur et sans larmes du triste devoir qui nous assemble; nous nous dirions à nous-mêmes, dans une sainte joie « Celui qui a tout fait pour le ciel est >> en possession de la récompense qui lui étoit due ; » et la mort du grand prince que nous pleurons ne seroit à nos yeux que le triomphe du juste.

tivé toutes les sciences. Il a composé un assez grand nombre d'ouvrages qu'il ne voulut jamais faire imprimer, tous relatifs à des points de doctrine religieuse ou à l'explication des livres sacrés, et dont les principaux sont indiqués dans le Dictionnaire historique en 20 volumes de Chaudon et Delandine, article Orléans, no 5.

Louis d'Orléans avoit donc des talens et des vertus réelles dont la réunion pouvoit même paroître extraordinaire dans un prince, et fournissoit matière à l'éloquence. Si Rousseau, qui avoit déjà donné des preuves de sa force, a foibli en cette occasion, il en fait connoître la cause par ces seuls mots; c'étoit, dit-il, un ouvrage de commande, et qui m'avoit été payé. Au reste, c'est de tous ses écrits le seul qu'il annonce avoir été composé par ce motif.

Mais, foibles chrétiens encore attachés à la terre, que nous sommes loin de ce degré de perfection. nécessaire pour juger sans passion des choses véritablement désirables! et comment oserions-nous décider de ce qui peut être avantageux aux autres, nous qui ne savons pas seulement ce qui nous est bon à nous-mêmes? Comment pourrions-nous nous réjouir avec les saints d'un bonheur dont nous sentons si peu le prix? Ne cherchons point à étouffer notre juste douleur. A Dieu ne plaise qu'une coupable insensibilité nous donne une constance que nous ne devons tenir que de la religion! La France vient de perdre le premier prince du sang de ses rois; les pauvres ont perdu leur père, les savans leur protecteur, tous les chrétiens leur modèle. Notre perte est assez grande pour nous avoir acquis le droit de pleurer, au moins sur nous-mêmes. Mais pleurons avec modération, et comme il convient à des chrétiens ne songeons pas tellement à nos pertes, que nous oubliions le prix inestimable qu'elles ont acquis au grand prince que nous regrettons. Bénissons le saint nom de Dieu et des dons qu'il nous a faits, et de ceux qu'il nous a repris. Si le tableau que je dois exposer à vos yeux vous offre de justes sujets de douleur dans la mort de TRÈS-HAUT, TRÈS-PUISSANT ET TRÈS-EXCELLENT PRINCE LOUIS DUC D'ORLÉANS, PREMIER PRINCE DU SANG DE FRANCE, vous y trouverez aussi de grands motifs de consolation dans l'espérance légitime de son éternelle félicité.

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