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nous avons les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune? J'avoue qu'il y a un peu de flatterie à dire que nous en avons les apparences; mais M. Gautier auroit dû mieux que personne me pardonner celle-là. Eh! pourquoi n'a-t-on plus de vertu? c'est qu'on cultive les belles-lettres, les sciences et les arts. Pour cela, précisément. Si l'on étoit impolis, rustiques, ignorans, Goths, Huns, ou Vandales, on seroit dignes des éloges de M. Rousseau. Pourquoi non? Y a-t-il quelqu'un de ces nomslà qui donne l'exclusion à la vertu? Ne se lassera-t-on point d'invectiver les hommes ? ne se lasseront-ils point d'être méchans? Croira-t-on toujours les rendre plus vertueux en leur disant qu'ils n'ont point de vertu? Croira-t-on les rendre meilleurs en leur persuadant qu'ils sont assez bons? Sous prétexte d'épurer les mœurs, est-il permis d'en renverser les appuis ? Sous prétexte d'éclairer les esprits, faudrat-il pervertir les âmes? O doux noœuds de la société, charme des vrais philosophes, aimables vertus, c'est par vos propres attraits que vous régnez dans les cœurs : vous ne devez votre empire ni à l'apreté stoïque, ni à des clameurs barbares, ni aux conseils d'une orgueilleuse rusticité.

Je remarquerai d'abord une chose assez plaisante; c'est que, de toutes les sectes des anciens philosophes que j'ai attaquées comme inutiles à la vertu, les stoïciens sont les seuls que M. Gautier m'abandonne, et qu'il semble même vouloir mettre de

mon côté. Il a raison: je n'en serai guère plus fier. Mais voyons un peu si je pourrois rendre exactement en d'autres termes le sens de cette exclamation :

O aimables vertus, c'est par vos propres attraits que vous régnez dans les âmes. Vous n'avez pas besoin de tout ce grand appareil d'ignorance et de rusticité: vous savez aller au cœur par des routes plus simples et plus naturelles. Il suffit de savoir la rhétorique, la logique, la physique, la métaphysique et les mathématiques, pour acquérir le droit de vous posséder.

Autre exemple du style de M. Gautier.

Vous savez que les sciences dont on occupe les jeunes philosophes dans les universités sont la logique, la métaphysique, la morale, la physique, les mathématiques élémentaires. Si je l'ai su, je l'avois oublié, comme nous faisons tous en devenant raisonnables. Ce sont donc là, selon vous, de stériles spéculations? Stériles, selon l'opinion commune; mais, selon moi, très-fertiles en mauvaises choses. Les universités vous ont une grande obligation de leur avoir appris que la vérité de ces sciences s'est retirée au fond d'un puits. Je ne crois pas avoir appris cela à personne : cette sentence n'est point de mon invention; elle est aussi ancienne que la philosophie. Au reste, je sais que les universités ne me doivent aucune reconnoissance; et je n'ignorois pas, en prenant la plume, que je ne pouvois à la fois faire ma cour aux hommes, et rendre hommage à

la vérité. Les grands philosophes qui les possèdent dans un degré éminent sont sans doute bien surpris d'apprendre qu'ils ne savent rien. Je crois qu'en effet ces grands philosophes qui possèdent toutes ces grandes sciences dans un degré éminent, seroient très-surpris d'apprendre qu'ils ne savent rien mais je serois bien plus surpris moi-même si ces hommes qui savent tant de choses savoient jamais celle-là.

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Je remarque que M. Gautier, qui me traite partout avec la plus grande politesse, n'épargne aucune occasion de me susciter des ennemis : il étend ses soins à cet égard depuis les régens de collége jusqu'à la souveraine puissance. M. Gautier fait fort bien de justifier les usages du monde : on voit qu'ils ne lui sont point étrangers. Mais revenons à la réfutation.

Toutes ces manières d'écrire et de raisonner, qui ne vont point à un homme d'autant d'esprit que M. Gautier me paroît en avoir, m'ont fait faire une conjecture que vous trouverez hardie, et que je crois raisonnable. Il m'accuse, très-sûrement sans en rien croire, de n'être point persuadé du sentiment que je soutiens. Moi, je le soupçonne, avec plus de fondement, d'être en secret de mon avis : les places qu'il occupe, les circonstances où il se trouve, l'auront mis dans une espèce de nécessité de prendre parti contre moi. La bienséance de notre siècle est bonne à bien des choses: il m'aura donc réfuté par bienséance; mais il aura pris toutes sortes de pré

cautions et employé tout l'art possible pour le faire de manière à ne persuader personne.

C'est dans cette vue qu'il commence par déclarer très-mal à propos que la cause qu'il défend intéresse le bonheur de l'assemblée devant laquelle il parle, et la gloire du grand prince sous les lois duquel il a la douceur de vivre. C'est précisément comme s'il disoit : Vous ne pouvez, messieurs, sans ingratitude envers votre respectable protecteur, vous dispenser de me donner raison; et, de plus, c'est votre propre cause que je plaide aujourd'hui devant vous. Ainsi, de quelque côté que vous envisagiez mes preuves, j'ai droit de compter que vous ne vous rendrez pas difficiles sur leur solidité. Je dis que tout homme qui parle ainsi a plus d'attention à fermer la bouche aux gens, que d'envie de les convaincre.

Si vous lisez attentivement la réfutation, vous n'y trouverez presque pas une ligne qui ne semble être là pour attendre et indiquer sa réponse. Un seul exemple suffira pour me faire entendre.

Les victoires que les Athéniens remportèrent sur les Perses et sur les Lacédémoniens mêmes font voir que les arts peuvent s'associer avec la vertu militaire. Je demande si ce n'est pas là une adresse pour rappeler ce que j'ai dit de la défaite de Xerxès, et pour me faire songer au dénouement de la guerre Péloponnèse. Leur gouvernement, devenu vénal sous Périclès, prend une nouvelle face: l'amour du plaisir étouffe leur bravoure, les fonctions les plus

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honorables sont avilies, l'impunité multiplie les mauvais citoyens, les fonds destinés à la guerre sont destinés à nourrir la mollesse et l'oisiveté : toutes ces causes de corruption, quel rapport ont-elles aux sciences?

Que fait ici M. Gautier, sinon de rappeler toute la seconde partie de mon Discours où j'ai montré ce rapport? Remarquez l'art avec lequel il nous donne pour causes les effets de la corruption, afin d'engager tout homme de bon sens à remonter de lui-même à la première cause de ces causes prétendues. Remarquez encore comment, pour en laisser faire la réflexion au lecteur, il feint d'ignorer ce qu'on ne peut supposer qu'il ignore en effet, et ce que tous les historiens disent unanimement, que la dépravation des mœurs et du gouvernement des Athéniens fut l'ouvrage des orateurs. Il est donc certain que m'attaquer de cette manière, c'est bien clairement m'indiquer les réponses que je dois faire.

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Ceci n'est pourtant qu'une conjecture que je ne prétends point garantir. M. Gautier n'approuveroit peut-être pas que je voulusse justifier son savoir aux dépens de sa bonne foi mais si en effet il a parlé sincèrement en réfutant mon Discours, comment M. Gautier, professeur en histoire, professeur en mathématiques, membre de l'Académie de Nanci, ne s'est-il pas un peu défié de tous les titres qu'il porte?

Je ne répliquerai donc pas à M. Gautier : c'est un

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