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n'y joignît pas la fourberie. C'est une chose trèscommode pour les vicieux que toutes les maximes qu'on nous débite depuis long-temps sur le scandale. Si on les vouloit suivre à la rigueur, il faudroit se laisser piller, trahir, tuer impunément, et ne jamais punir personne : car c'est un objet très-scandaleux qu'un scélérat sur la roue. Mais l'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Oui, comme celui des assassins de César, qui se prosternoient à ses pieds pour l'égorger plus sûrement. Cette pensée a beau être brillante, elle a beau être autorisée du nom célèbre de son auteur (1), elle n'en est pas plus juste. Dira-t-on jamais d'un filou qui prend la livrée d'une maison pour faire son coup plus commodément, qu'il rend hommage au maître de la maison qu'il vole? Non : couvrir sa méchanceté du dangereux manteau de l'hypocrisie, ce n'est point honorer la vertu, c'est l'outrager en profanant ses enseignes; c'est ajouter la lâcheté et la fourberie à tous les autres vices; c'est se fermer pour jamais tout retour vers la probité. Il y a des caractères élevés qui portent jusque dans le crime je ne sais quoi de fier et de généreux qui laisse voir au dedans encore quelque étincelle de ce feu céleste fait pour animer les belles âmes. Mais l'âme vile et rampante de l'hypocrite est semblable à un cadavre où l'on ne trouve plus ni feu, ni chaleur, ni ressource à la vie. J'en appelle à l'expérience. On

(1) Le duc de La Rochefoucauld. Maximes, 223.

a vu de grands scélérats rentrer en eux-mêmes, achever saintement leur carrière et mourir en prédestinés; mais ce que personne n'a jamais vu, c'est un hypocrite devenir homme de bien: on auroit pu raisonnablement tenter la conversion de Cartouche, jamais un homme sage n'eût entrepris celle de Cromwell.

J'ai attribué au rétablissement des lettres et des arts l'élégance et la politesse qui règnent dans nos manières. L'auteur de la réponse me le dispute, et j'en suis étonné; car, puisqu'il fait tant de cas de la politesse, et qu'il fait tant de cas des sciences, je n'aperçois pas l'avantage qui lui reviendra d'ôter à l'une de ces choses l'honneur d'avoir produit l'autre. Mais examinons ses preuves: elles se réduisent à ceci. On ne voit point que les savans soient plus polis que les autres hommes ; au contraire, ils le sont souvent beaucoup moins donc notre politesse n'est pas l'ouvrage des sciences.

Je remarquerai d'abord qu'il s'agit moins ici de sciences que de littérature, de beaux-arts et d'ouvrages de goût; et nos beaux esprits, aussi peu savans qu'on voudra, mais si polis, si répandus, si brillans, si petits-maîtres, se reconnoîtront difficilement à l'air maussade et pédantesque que l'auteur de la réponse leur veut donner. Mais passons-lui cet antécédent; accordons, s'il le faut, que les savans, les poètes et les beaux esprits, sont tous également ridicules; que messieurs de l'Académie des BellesLettres, messieurs de l'Académie des Sciences, mes

sieurs de l'Académie Françoise, sont des gens grossiers, qui ne connoissent ni le ton, ni les usages du monde, et exclus par état de la bonne compagnie ; l'auteur gagnera peu de chose à cela, et n'en sera pas plus en droit de nier que la politesse et l'urbanité qui règnent parmi nous soient l'effet du bon goût, puisé d'abord chez les anciens, et répandu parmi les peuples de l'Europe par les livres agréables qu'on y publie de toutes parts (1). Comme les meilleurs maîtres à danser ne sont pas toujours les gens qui se présentent le mieux, on peut donner de très-bonnes leçons de politesse sans vouloir ou pouvoir être fort poli soi-même. Ces pesans commentateurs, qu'on nous dit qui connoissoient tout dans les anciens hors la grâce et la finesse, n'ont pas laissé, par leurs ouvrages utiles, quoique méprisés, de nous apprendre

(1) Quand il est question d'objets aussi généraux que les mœurs et les manières d'un peuple, il faut prendre garde de ne pas toujours rétrécir ses vues sur des exemples particuliers. Ce seroit le moyen de ne jamais apercevoir les sources des choses. Pour savoir si j'ai raison d'attribuer la politesse à la culture des lettres, il ne faut pas chercher si un savant ou un autre sont des gens polis, mais il faut examiner les rapports qui peuvent être entre la littérature et la politesse, et voir ensuite quels sont les peuples chez lesquels ces choses se sont trouvées réunies ou séparées. J'en dis autant du luxe, de la liberté, et de toutes les autres choses qui influent sur les mœurs d'une nation, et sur lesquelles j'entends faire chaque jour tant de pitoyables raisonnemens. Examiner tout cela en petit, et sur quelques individus, ce n'est pas philosopher, c'est perdre son temps et ses réflexions, car on peut connoître à fond Pierre ou Jacques, et avoir fait très-peu de progrès dans la connoissance des hommes.

à sentir ces beautés qu'ils ne sentoient point. Il en est de même de cet agrément du commerce et de cette élégance de mœurs qu'on substitue à leur pureté, et qui s'est fait remarquer chez tous les peuples où les lettres ont été en honneur; à Athènes, à Rome, à la Chine, partout on a vu la politesse et du langage et des manières accompagner toujours, non les savans et les artistes, mais les sciences et les beaux-arts.

L'auteur attaque ensuite les louanges que j'ai données à l'ignorance; et, me taxant d'avoir parlé plus en orateur qu'en philosophe, il peint l'ignorance à son tour; et l'on peut bien se douter qu'il ne lui prête pas de belles couleurs.

Je ne nie point qu'il ait raison, mais je ne crois pas avoir tort. Il ne faut qu'une distinction très-juste et très-vraie pour nous concilier.

Il y a une ignorance féroce (1) et brutale qui naît

(1) Je serai fort étonné si quelqu'un de mes critiques ne part de l'éloge que j'ai fait de plusieurs peuples ignorans et vertueux, pour m'opposer la liste de toutes les troupes de brigands qui ont infecté la terre, et qui, pour l'ordinaire, n'étoient pas de fort savans hommes. Je les exhorte d'avance à ne pas se fatiguer à cette recherche, à moins qu'ils ne l'estiment nécessaire pour montrer de l'érudition. Si j'avois dit qu'il suffit d'être ignorant pour être vertueux, ce ne seroit pas la peine de me répondre, et, par la même raison, je me croirai très-dispensé de répondre moi-même à ceux qui perdront leur temps à me soutenir le contraire. Voyez le Timon de M. de Voltaire. (*)

(*) Pamphlet de quatre pages d'impression, imprimé d'abord sous ce titre Sur le Paradoxe que les sciences ont nui aux mœurs, et iuséré dans les OEuvres de Voltaire, tom. 30, p. 14, édition de Kehl, in-8°.

d'un mauvais cœur et d'un esprit faux ; une ignorance criminelle qui s'étend jusqu'aux devoirs de l'humanité, qui multiplie les vices, qui dégrade la raison, avilit l'âme, et rend les hommes semblables aux bêtes; cette ignorance est celle que l'auteur attaque, et dont il fait un portrait fort odieux et fort ressemblant. Il y a une autre sorte d'ignorance raisonnable qui consiste à borner sa curiosité à l'étendue des facultés qu'on a reçues; une ignorance modeste, qui naît d'un vif amour pour la vertu et n'inspire qu'indifférence sur toutes les choses qui ne sont point dignes de remplir le cœur de l'homme, et qui ne contribuent point à le rendre meilleur; une douce et précieuse ignorance, trésor d'une âme pure et contente de soi, qui met toute sa félicité à se replier sur elle-même, à se rendre témoignage de son innocence, et n'a pas besoin de chercher un faux et vain bonheur dans l'opinion que les autres pourroient avoir de ses lumières voilà l'ignorance que j'ai louée, et celle que je demande au ciel en punition du scandale que j'ai causé aux doctes par mon mépris déclaré pour les sciences humaines.

Que l'on compare, dit l'auteur, à ces temps d'ignorance et de barbarie ces siècles heureux où les sciences ont répandu partout l'esprit d'ordre et de justice. Ces siècles heureux seront difficiles à trouver; mais on en trouvera plus aisément où grâce aux sciences, ordre et justice ne seront plus que de vains noms faits pour en imposer au peuple,

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