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S. Jean-Baptiste, quand il en avait reçu le témoignage qu'il était l'envoyé de Dieu; il le loue aujourd'hui, lorsque S. Jean-Baptiste paraît en douter. Les éloges qu'il lui donne, présentent deux considérations et deux instructions importantes.

En premier lieu, le saint précurseur était détenu en prison, comme un malfaiteur, par les ordres d'Hérode. Ce traitement, tout injuste qu'il était, pouvait avoir fait impression sur les esprits, et avoir fait perdre à ce grand homme quelque chose de la hauté vénération qu'avaient inspirée ses vertus et ses mortifications. Sans crainte du prince cruel qui le persécutait, Jésus prend hautement sa défense; et son exemple est pour nous une leçon de venir au secours de l'innocence opprimée. C'est un devoir non-seulement de charité, mais souvent même de justice, et malheureusement un devoir bien connu, et bien rarement pratiqué. Rien de plus commun que d'entendre débiter la calomnie; rien de plus rare que de l'entendre repousser. Examinons-nous nous-mêmes. Combien de fois avons-nous entendu déchirer par d'injustes inculpations la réputation du prochain, sans nous mettre en devoir de le justifier! Tandis qu'une audacieuse méchanceté déchaînait la langue du calomniateur, une lâche pusillanimité retenait la nôtre. La crainte de déplaire au méchant, plus forte que l'amour de la justice, nous glaçait quand le malheur de l'innocence eût dû nous échauffer. Peut-être même une malignité secrète nous faisait trouver quelque plaisir dans ces cruelles imputations. Peut-être nous est-il arrivé d'encourager par un rire de complaisance ou d'applaudissement, de sanglantes railleries. On se croit exempt de blâme parce qu'on se tait, et c'est parce qu'on se tait qu'on est blâmable. On accrédite la calomnie, en ne publiant pas ce qui pourrait la faire tomber; on est la cause qu'elle circule, quand on ne l'arrête pas lorsqu'on le pourrait. Dieu nous dit qu'il a recommandé à chacun de nous son prochain (1). Montrons-nous le cas que nous faisons

(1) Mandavit illis unicuique de proximo suo. Eccli. xvi, 12.

de sa recommandation, en laissant sciemment et volontairement dépouiller le prochain du plus précieux de ses biens, de sa réputation? Jésus-Christ vous donne dans cet évangile, l'exemple de ne pas vous laisser retenir par de vaines considérations, par un lâche respect humain. Loin de vous condamner, le monde lui-même applaudira à la généreuse résistance dont vous confondrez la calomnie. Tout faible qu'il est, il admire le courage qu'il n'ose pas avoir; tout corrompu qu'il est, il respecte la vertu qu'il n'a pas la force de pratiquer, et la probité vous fera un bonheur de ce dont la religion vous fait un devoir.

En second lieu, Jésus-Christ attend, pour louer S. Jean, que les deux disciples qui auraient pu le lui rapporter, soient partis, et il nous donne encore en cela unc leçon utile. Quel est le motif le plus ordinaire des éloges qui se donnent dans le monde? c'est l'intérêt. Une fade et vile adulation les prodigue en présence de ceux qui en sont l'objet; ou quelquefois une adulation plus adroite les donne devant ceux par qui elle espère qu'ils seront rapportés. En louant les autres, c'est soimême que l'on considère; on loue pour être loué à son tour, on donne pour recevoir. La louange est devenue un commerce de vanité dont on calcule le profit; c'est une monnaie que l'on échange, monnaie presque toujours fausse, universellement décriée, et qui n'abuse plus que ceux dont le plat amour-propre a la sottise de s'en payer. Elles sont bien rares dans la société, les louanges désintéressées semblables à celles que donne Jésus-Christ à S. Jean; les louanges qu'inspire la charité, que la vérité dicte, que la justice accorde au mérite, et qui, étant de purs hommages rendus par l'estime à la vertu, n'avilissent pas celui qui les donne, et n'enflent pas celui qui les reçoit. Apprenons du divin Maître ce que nous devons louer, pourquoi nous devons louer, comment nous devons louer; et ne prostituons pas le plus noble tribut qu'un homme puisse recevoir d'un autre, à un sentiment aussi bas que l'intérêt personnel..

Qu'êtes-vous alles voir dans le désert? est-ce un roseau agité par le vent? Le premier éloge que donne JésusChrist à S. Jean, est celui de son inébranlable constance. Il montre ce qu'est le saint précurseur, en disant ce qu'il n'est pas. S. Jean paraît aujourd'hui douter de ce qu'il avait si positivement affirmé. On pourrait imaginer qu'il varie, et que sa foi chancelle; on pourrait penser que la prison l'a ébranlé : mais Jésus, qui seul pénètre son motif, s'empresse de le justifier. Il était en effet bien éloigné de l'inconstance et de la légèreté, ce personnage dont la sainteté avait été si soutenue: qui depuis son enfance avait passé ses jours au fond d'un désert dans d'incroyables austérités; qui, toujours semblable à luimême, aussi vertueux, aussi ferme à la cour que dans la solitude, ne s'était approché du trône que pour reprocher au roi emporté dans ses passions, et terrible dans ses vengeances, sa criminelle faiblesse.

Cet éloge de Jésus ne nous donne-t-il pas beaucoup à penser sur nous-mêmes? N'est-ce pas nous qui sommes ce roseau, jouet continuel des vents, sans cesse fléchi d'un côté ou d'un autre par tous les souffles contraires? La flatterie nous séduit, la contradiction nous aigrit, la louange nous enfle, la médisance nous irrite, la prospérité nous aveugle, l'adversité nous abat, le plaisir nous emporte, la douleur nous accable. Notre vie est une alternative de résolutions et de manquements, de désirs et de regrets, de péchés et de repentirs. Ayant la connaissance de nos devoirs, n'ayant pas la force de les remplir; souhaitant le bien, et entraînés au mal; ne pouvant nous soutenir dans la vertu, n'osant nous livrer entièrement au vice; passant successivement du plaisir au remords, et de la jouissance du présent à la terreur de l'avenir; toute occasion nous trouve faibles, toute tentation nous rend coupables. Abattus du moindre souffle, si nous nous relevons un moment, c'est pour être renversés de nouveau l'instant d'après. Que l'exemple de S. Jean-Baptiste nous fasse rougir de notre perpétuelle mobilité; prenons enfin cette consistance qui

est le caractère de la vraie vertu, et méritons de recevoir de Jésus-Christ, au dernier jour, l'éloge qu'il donne aujourd'hui à son précurseur.

Mais encore, qu'êtes-vous allés voir ? est-ce un homme vétu mollement ? C'est dans les palais des rois que se trouvent ceux qui sont vêtus avec mollesse. Après avoir fait l'apologie de la constance de S. Jean, Jésus passe à l'éloge de sa mortification; aucun homme jusque-là ne l'avait portée aussi loin. Retiré depuis son enfance dans le fond des déserts, il avait pour tout vêtement du poil de chameau, pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage (1). Avant de prêcher la pénitence, cet homme, qui n'avait jamais eu à se repentir de rien, avait pratiqué la rigoureuse pénitence qui existe dans la mémoire des hommes, et il s'en était fait le modèle, pour se donner plus de droit d'en être l'apôtre. C'était son incroyable austérité qui avait attiré auprès de lui les peuples émerveillés d'une si haute perfection; et JésusChrist rappelle aux Juifs ce qui les avait frappés, ce qui leur avait inspiré et ce qui devait conserver dans eux la plus grande vénération pour S. Jean-Baptiste ; mais la manière dont il le loue présente une condamnation de notre luxe et de notre mollesse, et cette double censure est marquée plus clairement encore dans le texte de S. Luc (2). Entrons dans son esprit et faisons sur ces deux objets quelques courtes réflexions.

Le luxe, cette peste de la société comme de la religion, n'est pas une chose précise; il ne consiste pas, comme beaucoup d'autres vices, dans un point fixe, et cette observation est nécessaire pour ne pas tomber à ce sujet dans le vague ou dans l'exagération. Ce qui est le luxe d'une condition n'est que la convenance d'une autre ;

(1) Ipse autem Joannes habebat vestimentum de pilis camelorum, et zonam pelliceam circa lumbo suos esca autem ejns erat locustæ et mel silvestre. Matth. II, 4.

(2) Ecce qui in veste pretiosa sunt, et in deliciis, in domibus regnum sant. Luc. VII, 25.

mais il n'y a pas de condition qui ne puisse avoir son luxe, et le point où il commence est celui où l'on aspire à la réprésentation qui ne convient qu'à l'état supérieur, soit en richesses, soit en considération. Ainsi, un premier vice essentiel du luxe, est la confusion des rangs, et le bouleversement de l'ordre social qui consiste dans leur distinction. Un autre inconvénient, est l'engloutissement de toutes les fortunes; les dangereux besoins que donne le luxe, n'ayant pas de mesure, sont toujours hors de proportion avec les moyens d'y satisfaire, précipitent dans des dépenses qu'on est dans l'impuissance de soutenir. De là les enfans restent sans éducation, les domestiques sans gages, les ouvriers sans salaire, les créanciers sans paiement, et les plus grandes maisons périssent misérablement, emportant avec elles l'exécration et les malédictions de toutes les familles qu'elles entraînent dans leur ruine. Un troisième mal, bien plus funeste encore que les autres, est la perte des mœurs. Pour soutenir un faste insoutenable, à quels excès ne se portet-on pas! Que de bassesses n'entraîne pas cette déplorable vanité de briller plus que les autres! et que chacun de nous se rappelle ce qu'il a pu facilement voir : des femmes vendre leur pudeur; des magistrats, la justice; des militaires, leur honneur; des financiers, leur probité. Et le croirait-on, si on n'en était pas témoin? L'objet de ces honteux moyens, est de se donner un lustre et du relief dans le monde. Mais indépendamment de ces infamies, n'est-ce pas une chose indigne d'un homme, et qui montre la petitesse de son esprit, de faire consister sa grandeur, de placer sa considération, dans cet appareil si étranger à sa personne, d'habits, de table, de meubles, d'équipages dont il s'environne? Les païens eux-mêmes ont déclamé avec force contre ce vice dangereux ; ils en ont déploré les funestes effets. Et qu'auraient-ils donc dit, s'ils avaient parlé à des hommes qui eussent renoncé solennellement aux pompes de Satan, et si, à tous les reproches qu'ils faisaient à leurs concitoyens, ils avaient pu ajouter le

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