sonnable; on ne gronde plus, on se soumet à l'absence. Les serments vont toujours leur train; ce sont toujours les mêmes mots, mais ils sont morts; l'âme y manque je vous aime n'est plus là qu'une expression d'habitude, un protocole obligé, le j'ai l'honneur d'être de toute lettre d'amour. Peu à peu le style se glace, on s'irrite, le jour de poste n'est pas impatiemment attendu; il est redouté; écrire devient une fatigue. On rougit en pensée des folies que l'on a confiées au papier; on voudrait pouvoir retirer ses lettres et les jeter au feu. Qu'est-il survenu? Est-ce un nouvel attachement qui commence ou un vieil attachement qui finit? N'importe c'est l'amour qui meurt avant l'objet aimé. On est obligé de reconnaître que les sentiments de l'homme sont exposés à l'effet d'un travail caché ; fièvre du temps qui produit la lassitude, dissipe l'illusion, mine nos passions et change nos cœurs, comme elle change nos cheveux et nos années. POÉSIES1 L'AMOUR DE LA CAMPAGNE 2 Que de ces prés l'émail plaît à mon cœur! 1. J'ai longtemps fait des vers avant de descendre à la prose, dit Chateaubriand dans un Avertissement placé à la tête du premier volume des (Euvres complètes (édition de 1829); ce n'était qu'avec regret que M. de Fontanes m'avait vu renoncer aux Muses: moi-même je ne les ai quittées que pour exprimer plus rapidement des vérités que je croyais utiles. » Citons encore ces lignes des Mémoires d'outre-tombe: « Ce fut dans une de ces promenades que Lucile, m'entendant parler avec ravissement de la solitude, me dit: Tu devrais peindre tout cela. Ce mot me révéla la Muse; un souffle divin passa sur moi. Je me mis à bégayer des vers, comme si c'eût été ma langue naturelle; jour et nuit je chantais mes plaisirs, c'est-à-dire mes bois et mes vallons; je composai une foule de petites idylles ou tableaux de la nature. J'ai écrit longtemps en vers avant d'écrire en prose: M. de Fontanes prétendait que j'avais reçu les deux instruments. >> " Ailleurs, Chateaubriand se plaint que, parce qu'il a surtout écrit en prose, le public ne veuille pas le reconnaître comme poète. Si les deux talents sont à peu près sur la même ligne, à l'instant on vous en refuse un, par cette impossibilité où sont les hommes d'accorder deux aptitudes à un même esprit. >> Les poésies de Chateaubriand sont faibles. Vrai père du lyrisme romantique, initiateur de toute notre littérature moderne, ses vers ne valent guère mieux que ceux des Esménard, qu'il se plait d'ailleurs à citer çà et là dans ses œuvres comme les plus beaux du monde. Faisons seulement une exception pour la Romance à Hélène. 2. C'est ici la première œuvre de Chateaubriand qui ait jamais été imprimée. Elle fut insérée dans l'Almanach des Muses de 1790. Cf. Mémoires d'outre-tombe : A force d'intrigues et de soucis, je parvins, par la protection de Delisle de Sales, à la gloire de faire insérer dans l'Almanach des Muses une idylle (l'Amour de la Campagne) dont l'apparition me pensa faire mourir de crainte et d'espérance. » 3. Intéresse dans un sens tombé en désuétude; équivaut à touche. Et cependant mes yeux demandaient ce rivage; Je regrettais partout mes amis'du village. Mais le printemps me rend mes champs et mes beaux jours. Rentré dans la nuit des tombeaux, Au séjour des grandeurs mon nom mourra sans gloire, Mais d'âge en âge, en gardant leurs troupeaux, « Et sous les fleurs sa tombe est dans ces plaines. › LE PRINTEMPS, L'ÉTÉ ET L'HIVER Vallée au nord, onduleuse prairie, Déserts charmants, mon cœur formé pour vous Toujours vous cherche en sa mélancolie. A ton aspect, solitude chérie, Je ne sais quoi de profond et de doux 1. Un mot qui date la pièce. 2. Chateaubriand ne se doutait guère alors que les forêts où il irait en effet chercher le repos seraient celles du Nouveau Monde. Si l'on savait le calme qu'un ruisseau Si le printemps les champs vient émailler, Au fond d'un bois quand l'été va durant, Sous le saule nourri de ta fraîcheur amie, Dans ces prés émaillés, au doux bruit des zéphyrs, En des vallons déserts, au sortir de ces fleurs, Ainsi nos heures inconstantes Passent des plaisirs aux douleurs. Mais si, voluptueux, du moins, dans notre course, Nos jours plus doucement s'éloignent de leur source, Ainsi tu vas moins triste au rocher solitaire, Vers ces bois où tu fuis toujours, De mon esprit ainsi l'enchantement De blancs oiseaux en troupes partagés Je vous retrouve en ce grand deuil des cieux : Il est un charme à des bois sans parure : L'herbe en hiver et la feuille en automne 1. 1. Une des rares pièces de Chateaubriand qu'on puisse citer sans lui faire trop de tort. Elle a du moins de l'harmonie et de la douceur. |