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de modèle et d'aiguillon à l'autre, et que celui qui ne se plairait point parmi nous puisse s'attacher à vous. » Cette déclaration ne permit donc pas la fusion projetée par Dominique ; néanmoins il en résulta un rapprochement fondamental, puisque, au chapitre général qui fut tenu à Bologne en 1220, le saint plaça son ordre au nombre des Frères-Mendiants. Il eut foi en la vertu de ses successeurs comme en la charité de la grande famille chrétienne, et leur légua l'héritage permanent du dévouement qu'ils se doivent les uns aux autres. Cette conformité se fit encore sentir dans la hiérarchie; les Franciscains eurent un gardien, et les Dominicains un prieur, pour diriger chaque monastère, tandis qu'à Rome un général (minister generalis, magister ordinis) gouvernait tout le corps. En outre, de part et d'autre on établit un définiteur (definitor) pour représenter et présider la communauté et conseiller les hauts fonctionnaires. Des chapitres conventuels surveillaient et réglementaient les établissements particuliers, et un chapitre général dominait l'ensemble. Dominique termina sa vie si remplie en menaçant quiconque oserait embarrasser son ordre par des richesses temporelles (6 août 1221). Ce fut encore Grégoire IX qui combla de joie toute la chrétienté en le canonisant (1234). Les Frères-Prêcheurs prirent une rapide extension en Europe. Les Bolonais, poussés par une pieuse reconnaissance, se plurent à orner le tombeau de Guzman, et les plus célèbres artistes, depuis Nicolas de Pise jusqu'à Michel-Ange Buonarotti, y portèrent le tribut de leur talent et associèrent leur gloire à celle de Dominique. L'austère Dante lui-même glorifia les deux fondateurs en les présentant comme les véritables héros de leur siècle.

Lorsque ces moines, forts de leurs priviléges et plus encore de l'ardente foi que leur avaient léguée leurs fondateurs, se mirent à travailler au salut des âmes, on crut d'abord voir l'Eglise revenir à sa jeunesse primitive. Une vénération universelle suivait leurs pas (35). Les ordres mendiants devinrent en même temps un des plus fermes appuis de la papauté, qui leur avait accordé de grands priviléges; celui qui leur donnait le plus d'influence était le droit d'enseigner, dont les Dominicains surtout tirèrent un grand succès. Ils avaient, en effet, reconnu de bonne heure que le seul moyen de conquérir la considération publique était de s'illustrer par la science et de prendre place dans les universités. Ils obtinrent une chaire à Paris en 1230. Bientôt les bons offices de l'évêque et du chancelier leur procurèrent deux chaires de théologie à la place des prêtres séculiers qui les remplissaient avant eux. Les nouveaux titulaires furent les frères Roland et Jean de Saint-Gilles. En même temps les Franciscains élevèrent des prétentions semblables, et le grand théologien de leur ordre, Alexandre de Hales, fut pourvu de la première chaire de l'Université (36). Aux xì et XIV siècles, les ordres mendiants occupèrent le rang le plus élevé dans la science théologique. Saint Thomas d'Aquin fut la gloire des Dominicains, saint Bonaventure, et plus tard Duns Scot († 1308), furent l'honneur des Franciscains, les uns et les autres les flambeaux et les colonnes de l'Eglise. Les Dominicains se distinguèrent par un zèle incomparable pour les missions; la Bulgarie, la Grèce, l'Arménie, la Perse, la Tartarie, l'Inde, l'Ethiopie, l'Irlande, l'Ecosse, le Danemark, la Pologne, la Prusse et la Russie furent tour à tour le théâtre de leurs courses apostoliques. Ils visitèrent les peuples où la foi avait été prêchée, mais où elle n'avait pas jeté de profondes racines, et où une foule de vieilles superstitions continuaient de l'étouffer. Les premières brises qui poussèrent au Groënland des vaisseaux européens y portèrent aussi les Frères-Prêcheurs, et au commencement du XVII siècle, les Hollandais ne furent pas peu surpris d'y trouver un couvent de Dominicains dont, en 1280, le capitaine Nicolas Hani avait déjà fait mention.

Cependant ces efforts et ces succès excitèrent la jalousie du clergé seculier, et particulièrement des universités. Il en résulta des attaques ouvertes, et malheureusement la rivalité des deux ordres donna trop souvent lieu à des plaintes légitimes; car, malgré leurs tendances communes, la diversité des opinions théologiques fit naître de fréquents

(35) MATTH., PARIS, ad 1243-1246. Cf. Emm. RODERICI, Nova collectio privilegior, apost. Regul. mendicant.; Antv. 1623, in-fol.

(36) BULAI, Hist, univers. Parisiens., t. III.

conflits entre eux (37). Cette opposition contre les ordres mendiants éclata dans la violente attaque de Guillaume de Saint-Amour, qui les compara aux pharisiens (38). Saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure se chargèrent de l'apologie de leurs frères (39). Leurs réponses humilièrent profondément Guillaume, et les deux ordres, si bien défendus, recueillirent les fruits de la victoire. Au moment où saint François avait entrepris son second voyage de Syrie et d'Egypte, et confié le gouvernement de l'ordre à son vicaire, Elie de Cortone, le caractère moins austère de ce dernier avait déjà fait naître un parti qui voulait un adoucissement de la règle. François, en le ménageant, l'avait empêché d'éclater. Mais, à la mort du saint, Elie devint général, et la même tentative se renouvela avec succès. Un autre parti, dirigé par Antoine de Padoue, voulut, au contraire, maintenir la sévérité primitive. Antoine resta fidèle à l'esprit de saint François; pour lui, le salut était dans le mépris absolu du monde, et quand il trouvait les hommes rebelles à sa parole, il s'adressait aux animaux († 1231). Padoue lui éleva, d'après les dessins de Nicolas de Pise, une église magnifique qui, sous plusieurs rapports, surpassa celle d'Assise; et le tombeau du saint, orné de tout le luxe des arts, n'est pas moins digne d'admiration que celui de saint Dominique. Cependant les deux partis continuaient une lutte fort animée; Elie, deux fois élu général, fut deux fois renversé († 1253). Dans leur ardeur, les rigoristes allèrent jusqu'à rompre avec le Pape pour s'allier avec Frédéric II, l'ennemi de l'Eglise. La réputation de saint Bonaventure procura encore quelque temps, même après sa mort, la victoire à ces derniers. Néanmoins l'antagonisme éclata de nouveau; les modérés prirent le nom de Fratres de communitate; les rigoristes, celui de Zelatores ou de Spirituales, et bientôt ils furent regardés comme des sectaires. Les Pontifes Grégoire IX, Innocent IV et Nicolas III furent décidément opposés aux rigoristes (40). Ce dernier interpréta la règle dans le sens de l'indulgence par sa bulle Exiit (41). Le parti vaincu se laissa emporter, dans ses écrits, à des attaques contre le Pape et l'Eglise romaine, opposant, comme les sectes hérétiques, la pauvreté des temps apostoliques à la pompe dont l'Eglise s'entourait alors. Il ne craignit pas de prophétiser un nouvel ordre de choses, en faisant allusion particulièrement à une prédiction du Calabrais Joachim de Floris († 1202), sur les trois âges du monde, prédiction plus amplement développée par les deux Franciscains rigoristes, Gérard, dans son introduction à l'Evangile éternel (1254), et Jean d'Oliva, mort en 1297 (42). La faveur que montra le saint Pape Célestin V aux rigoristes sembla mettre un terme à la dispute. Ce Pontife les réunit aux Célestins; mais après l'abdication de leur protecteur, ils recommencèrent la querelle. Boniface VIII les poursuivit avec vigueur et les contraignit à se dissoudre ( 1302 [43]).

En l'année 1233, les puissantes exhortations de Boniface de Monaldo portèrent plusieurs riches négociants de Florence à renoncer au monde. Ils se défirent de leurs biens, embrassèrent une vie mortifiée sur le mont Sénatorio, y élevèrent une église et des cellules, dont les habitants se consacrèrent surtout à honorer les souffrances de la sainte Vierge (servı B. M. V. Servita). Alexandre IV confirma l'ordre des Servites (1255); Martin V en devint le principal bienfaiteur. Cette congrégation s'assura une influence durable en s'adonnant aux sciences. L'historien passionné du concile de Trente, Paul Sarpi († 1623), et le célèbre archéologue Ferrari († 1626), furent tous deux Servites (44). En 1244 et 1245, Innocent IV

(37) MATTH., PARIS (ad an. 1239) nous donne le récit de la dispute animée qui s'éleva entre les deux ordres sur la priorité de l'un ou de l'autre.

(38) GUILLELMUS, De Pericul. novissimor. tem., 1256. (Opp. Constant. 1632 Paris, ed. J. Alethophilus Cordesius.) Cf. NATALI ALEX., Hist. ecclesiast., sæc. XIII, c. 3, art. 7.

(39) S. THOMAS, Contra retrahentes a religionis ingressu; contra impugnantes Dei cultum (Opp.; Paris t. XX); BONAVENTURA, Lib. apolog. in eos qui ordini Minor. adversantur; de Paupertate chr. contra Guil.; Expositio in regulam Fratrum Minor. (Opp., Lugd., 1778, 1. VII). Cf. RAUMER, Hist. des Hohens laufen, t. III, p. 615. Čf. Coll. cathol. contra pericula eminentia Eccles. per hypocritas, etc. (DUPIN, Biblioth. des auteurs ecclesiast., t. X.)

(40) RODERICI, Collectio nova privilegior. apost. Regularium mendicantium et non mendicantium.; Antv., 1623, in-fol., p. 8, sq.

(41) Cf. WADDING, loco cit., t. V, p. 73.

(42) Cf. WADDING, loco cit., t. V p. 314-338.

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(43) Cf. WADDING, ad an. 1302, n° 7, 8, an. 1307; no 2, sq.

(44) Cf. PAULI FLORENT. Dialog. de Orig. ord. Serv. (LAMII De lic. eruditor., t. I.)

réunit plusieurs anachorètes sous la règle de Saint Augustin (45); Alexandre IV imita cet exemple (1256), et les Ermites-Augustins obtinrent les mêmes priviléges que les ordres

mendiants.

Cette tendance générale à la vie intérieure, que l'on ne trouvait pas toujours dans le clergé séculier, une idée erronée de la véritable piété, et le désir de procurer un asile aux veuves et aux jeunes filles privées de protection par suite des croisades, portèrent, dès le x1a siècle, de pieuses chrétiennes à former des associations religieuses et édifiantes, dans les PaysBas et en Allemagne. Ces associations tenaient le milieu entre le monde et le cloître. Les associées, nommées, depuis le x siècle, Béguines (de Beghen ou Beten, prier), s'adonnaient particulièrement aux oeuvres de charité, et devinrent une ressource précieuse pour le peuple. Mais elles n'avaient pas de règle fixe, et leurs conciliabules ne tardèrent pas à être le théâtre d'une foule de rêveries fantastiques. On les poursuivit, et elles finirent par se réunir au tiers ordre de Saint-François. A côté des Béguines, on eut aussi des Beggards, composés de jeunes gens et d'hommes faits (46). Ceux-ci se choisirent pour patron saint Alexis, dont ils prirent même le nom; mais il se changea plus tard en celui de Lollards, qui signifie gens qui chantent à voix basse, et qui leur fut donné parce qu'ils portaient les morts à la sépulture en chantant à voix basse et sur un ton lugubre. Ils se distinguèrent également par leur industrie, par les soins pieux qu'ils donnaient aux malades, aux indigents et à la jeunesse ; les souverains et les grands les accueillirent avec faveur. Malheureusement les Beggards imitèrent aussi les erreurs de leurs sœurs aînées, et tombèrent comme elles dans un panthéisme mystique qui dégénéra en une véritable hérésie.

Après avoir vu les œuvres que, fidèles à l'esprit de Dieu, les ordres religieux essayérent et accomplirent, ce ne sera pas sans un profond sentiment de respect et d'admiration qu'on lira le tableau de la vie d'un couvent bien réglé et d'un véritable moine, tracé par un pieux écrivain qui, pour reconnaître sérieusement sa vocation, avait attentivement examiné les habitudes d'un monastère et de ses habitants (47). « J'habitai Marmoutiers (Major monasterium) pendant huit mois, écrit Guibert de Gemblours à Philippe, archevêque de Cologne. J'y fus traité, non comme un hôte, mais comme un frère. Dans ce paisible lieu on ne voit ni haines, ni disputes, ni aigreurs; un silence maintenu avec sagesse leur en ferme la porte. Le simple coup d'œil d'un supérieur suffit pour rappeler au devoir. Chaque fenction est confiée à un homme d'une vertu éprouvée. Nulle part on ne rencontrera plus de piété aux offices, plus de respect dans la célébration des saints mystères, plus d'affabilité et de dévouement au service des hôles. En toute chose vous trouvez la bonne foi, la sérénité, la complaissance; rien au delà, rien en deçà de la mesure. Le fort porte le faible, l'inférieur respecte le supérieur, et celui-ci est occupé de ses subordonnés. Ici le chef et les membres forment vraiment un seul et même corps. Quand il s'agit d'élire un abbé, on s'y prépare par d'ardentes prières. Une fois que le choix est proclamé, l'élu jure de maintenir inviolablement la règle de la maison, et de ne jamais rien prendre hors du réfectoire et des heures fixées pour le repas. Cette disposition contribue au bien être temporel de l'établissement. Chaque jour l'abbé fait manger à ses côtés trois pauvres, comme les représentants de Jésus-Christ. Celui qui remplit aujourd'hui ces fonctions possède toutes les vertus nécessaires pour diriger une communauté aussi nombreuse; en lui la prudence s'unit à la douceur. Parmi les frères, personne ne songe à sa naissance, aux dignités, aux charges dont il jouissait autrefois dans le monde; il n'y a plus là que des serviteurs du Christ. Grâce aux jeunes et aux veilles, on parvient à dompter complétement le corps de ses passions et de ses caprices. La force du lion empêche l'un d'être ébranlé par la prospérité ou par le malheur, l'autre s'élance comme un aigle vers le ciel; tous allient la prudence du serpent à la douceur de la colombe. Dans les choses extérieures, tout porte l'empreinte d'une sagesse consommée. A l'église comme dans l'atelier, tout se fait avec mesure, au temps convenable, car ces hommes admirables se tiennent continuellement en la présence de Dieu. On accorde à la nature ce qui lui est indispensable; le reste du temps est donné au Seigneur.

(45) Bullar. Rom., t. I, p. 100. Cf. BOLLAND. mens. fébr., t. II, p. 744. (46) MosHEIM, De Beghardis et Beguinabus; ed. Martini, Lipsia, 1790. 47) Conf. HURTER, t. HI, p. 599-601.

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On dirait une armée, dont les armes retentissent depuis l'aube du jour jusqu'à la sixième heure. On voit des files entières de moines se prosterner devant les autels; à peine une messe est-elle finie qu'une autre commence. Il serait impossible de calculer ce qu'ils distribuent en aumônes dans le couvent, de compter les âmes que leurs prières arrachent au purgatoire. Le temps se partage entre la lecture et les exercices de chant. On ne parle qu'à certains jours, peu de temps, et seulement afin de suspendre une trop longue contrainte et d'empêcher les entretiens secrets. Jamais personne ne mange hors du réfectoire ou de l'infirmerie. Quant aux hôtes qui n'appartiennent pas à un ordre religieux, on les accueille dans un bâtiment séparé. Pendant les repas, l'attention des frères se dirige plus vers la lecture que vers les aliments placés devant eux. La majeure partie de ce qu'on sert reste pour les pauvres. Le dortoir est continuellement éclairé; les lits, exposés à tous les regards, sont durs et grossiers. La lampe qui brille pendant la nuit indique que les habitants de ces lieux veulent être des enfants de lumière et non de ténèbres.

Aussi le Seigneur a-t-il répandu sur eux des flots de bénédictions; car, outre une magnifique église et des richesses de tout genre, le monastère a encore deux cents cellules extérieures sous sa dépendance. Les manuscrits nombreux et précieux qui couvrent toutes les tablettes sont une preuve visible des vertus qu'on cultive et qui fleurissent dans le couvent, grâce aux avis, aux exhortations et aux sages leçons que d'habiles interprètes de la parole divine donnent chaque jour, et surtout aux grandes fêtes, à leurs frères réunis en chapitre, pour s'édifier mutuellement. Je les entendais continuellement s'encourager, se consoler, se rappeler les uns aux autres les voies du ciel. Si je n'avais été obligé de retourner chez moi, je ne m'en serais point séparé, je l'avoue, tant mon âme se trouvait bien en leur compagnie mais si mon corps en est éloigné désormais, mon esprit demeurera toujours avec eux.»

Voilà pour la vie du cloître. Quant au religieux lui-même, il apparaît dans le portrait suivant, qui a été copié d'après nature: « Le frère Robert de Saint-Marien d'Auxerre était fort versé dans les sciences, remarquable par son éloquence, et aucun de ses contemporains ne le surpassait dans la connaissance de l'histoire. Il avait l'Ecriture sainte si présente à la mémoire qu'il pouvait résoudre sur-le-champ toutes les questions par une citation textuelle: son érudition à cet égard tenait du merveilleux. Il y avait dans sa personne je ne sais quelle grâce, quelle affectueuse bonté qui était comme le reflet de la pureté de son âme. Sa loyauté le rendait étranger à la méfiance, qu'il repoussait toujours par ces mots de Sénèque : La confiance seule peut faire de l'homme un véritable ami; combien, par la crainte d'être trompés, enseignent la ruse aux autres et donnent en quelque sorte. au mal le droit de naire, en le soupçonnant avant qu'il n'existe. Robert, ardent pour la justice, haïssait profondément l'iniquité, suivant en cela les paroles du sage : Vous ne pouvez trop détester ce qui est méprisable. Par contre, dévoué au pécheur, quels qu'en fussent les crimes, il déployait une admirable charité pour le relever; car il savait que la miséricorde est la compagne d'une vertu véritable, tandis que la dureté caractérise la fausse. - vertu. Il témoignait au pénitent la plus pure compassion : jamais le malheur d'autrui ne le trouvait insensible. Ses efforts tendaient à entretenir l'union des esprits par la paix intérieure; il ne faisait la guerre qu'à ceux qui cherchaient à semer la discorde, convaincu, selon la parole du Sage, qu'ils sont odieux au Seigneur. Il était, en outre, sincère et ferme dans ses discours, zélé pour le service de Dieu, modéré, économe, conseiller, prudent, sage confesseur. Parmi tant de brillantes vertus, celles que nous devons le plus admirer, apprécier et imiter, étaient son humilité et sa chasteté; car il vécut comme s'il n'avait pas eu de corps, et mourut emportant sa virginité dans la tombe. >>

Mais si parmi les institutions humaines il n'en est pas qui, dans le cours des siècles, aient jamais correspondu parfaitement à l'idéal de la pureté, ni qui se soient, sauf de rares exceptions, complétement et constamment réalisées, pourquoi s'étonner si, parmi tant de milliers de monastères, il s'en est rencontré beaucoup qui contrastèrent péniblement avec Je tableau que nous venons de tracer, qui tombèrent dans l'ignorance et la grossièreté, au milieu du tumulte de la guerre, qui s'endormirent, amollis au sein des richesses, et dont les religieux, au lieu d'offrir l'image de l'humilité, de la concorde, s'élevèrent les uns con

tre les autres, pleins d'orgueil et d'ambition, au lieu de pratiquer la chasteté à laquelle ils s'étaient voués, se dégradèrent par les vices les plus honteux et permirent ainsi à des historiens hostiles de prendre, pour les traits caractéristiques de la vie claustrale, ce qui n'en était qu'une déplorable aberration?

Les canons des conciles ne montraient que trop clairement combien les saintes vuos des premiers fondateurs avaient dégénéré dans les anciens ordres religieux (48).

D'un côté, les troubles occasionnés par le schisme, de l'autre, les richesses croissantes des monastères, éteignaient de plus en plus la charité, la sagesse, l'industrie et l'amour de la science, que l'on avait vu fleurir autrefois : la bonne chère et le désordre des mœurs en prirent la place. Il n'y avait pas jusqu'aux couvents de femmes qui n'eussent leur part de ces tristes expériences. Nicolas de Clémenges est souvent déclamateur exagéré dans ses peintures; cependant le tableau qu'il nous trace de cet état de choses porte un grand caractère de simplicité et les marques d'une douleur réelle.

<< Dire que parmi les moines et les religieux il ne s'en trouve pas un seul qui déplore des vices pareils, dit-il, ce serait certes s'avancer beaucoup; mais pourtant que pouvonsnous alléguer en leur faveur ? Leurs vœux les obligent d'être les plus parfaits des enfants de l'Eglise; de ne s'occuper en rien des choses de ce monde; de s'adonner uniquement à la contemplation. Eh bien! ils font précisément tout le contraire: ce sont les plus avares, les plus ambitieux des hommes; ils recherchent le monde au lieu de le fuir. Ce qu'ils détestent le plus, c'est leur cellule, c'est leur cloître, c'est la prière, la lecture, la règle et la religion (49). »

Mais pendant ce même temps et par un contraste frappant, les ordres mendiants offraient une image tout opposée, continuant leur vie de sacrifice et d'activité, s'adonnant avec ardeur à la scolastique et méritant l'estime générale. Insensiblement aussi la lutte des Dominicains et des Franciscains perdit de son âpreté, surtout quand chacun des deux ordres se fut choisi une mission différente. Les premiers s'imposèrent pour devoir spécial de maintenir la pureté de la foi catholique contre les hérétiques; les seconds s'adonnèrent presque exclusivement au soin de consoler et de soutenir le peuple.

Parmi les Franciscains, les spirituels ou rigoristes, excitèrent seuls quelques troubles, et le Pape Jean XXII les poursuivit avec sévérité (1318). Une partie d'entre eux, sous la direction du général Michel de Cézènes, s'attachèrent à Louis de Bavière; mais, après la mort de ce prince, ils furent réconciliés avec l'Eglise au concile de Constance (50), et dès ce moment elle en approuva l'existence sous le nom de Fratres regularis observantiæ, titre qui leur valut, dans la suite, plus de priviléges qu'aux Frères conventuels, Fratres conventuales.

Dans l'opposition qui s'éleva contre le Saint-Siége, les ordres mendiants défendirent généralement les Papes, leurs protecteurs, el quelquefois les soutinrent jusque dans leurs prétentions les plus exagérées par là ils se trouvèrent engagés dans une lutte fort animée. avec la Sorbonne. En même temps, l'opiniâtreté que ces ordres mirent à soutenir une scor .astique dégénérée et l'exagération avec laquelle ils accusèrent d'hérésie les nouvelles études classiques, que l'on poursuivit avec tant d'ardeur pendant la première moitié du xv siècle, leur firent perdre une partie de leur considération et les exposèrent aux traits acérés d'une mordante ironie.

Le désir si souvent manifesté de voir la réforme opérée dans les chefs et les membres de l'Eglise devait nécessairement attirer l'attention sur la décadence trop manifeste des monastères. Les Pères du concile de Constance imposèrent aux Bénédictins d'Allemagne l'obligation de tenir un chapitre provincial, et prirent en outre des précautions pour que les délibérations en fussent plus longues et plus sérieuses que dans une autre occasion du même genre (1417 [51]). Ce précédent fut approuvé et imité dans plusieurs pays. Le

(48) HOLSTENIUS, Codex regularum monasticarum. Cf. HELYOT, BIENDEnfeld.

(49) NICOL. DE CLEM., De ruina ecclesiastic., c. 41. (V. DE HARDT, t. I, par. 1, p. 33.)

(50) Sess. XIX apud V. DE HARDT., Conc. Const., t. IV,

p. 515.

(51) Cf. TRITHEMII Chron. Hirsaugiense ad. an. 1417, t. II, p. 346 sq.; V. DE HARDT, Conc. Const., t. I, p. 1086. Cf. Mansi, t. XXVIII, p. 1037.

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